Recensions

L’Amérique latine. Laboratoire du politique autrement, sous la dir. de Nancy Thede et Mélanie Dufour-Poirier, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2014, 286 p.[Notice]

  • Marie-Dominik Langlois et
  • Mélisande Séguin

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  • Marie-Dominik Langlois
    École d’études sociologiques et anthropologiques, Université d’Ottawa
    mlang089@uottawa.ca

  • Mélisande Séguin
    Département des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal
    meli.seguin186@gmail.com

Divers concepts théoriques traversent le recueil. D’abord, le concept de cadrage de la théorie des mouvements sociaux, que Nancy Thede et Mélanie Dufour-Poirier décrivent comme un « processus collectif de construction de sens par les acteurs impliqués dans un mouvement qui vise à transformer un rapport de force ou un arrangement institutionnel » (p. 2). En plus de constituer la cible que les mouvements sociaux se donnent en formulant leurs demandes, le cadrage sous-tend également un processus de construction d’identité – le Nous – qui unit les individus au groupe et à des aspirations communes. À l’instar de Nancy Fraser (Scales of Justice : Reimagining Political Space in a Globalizing World, Columbia University Press, 2009), les auteures caractérisent les mouvements sociaux d’aujourd’hui par leur remise en question du politique et des contours du cadrage, à savoir qui a le droit de dire ou de faire du politique, comment le faire et pourquoi. L’ouvrage pivote ensuite sur le duo conceptuel des espaces publics et des espaces de vie. Les premiers représentent les débats et l’action collective alors que les seconds font plutôt référence à des espaces physiques, comme le territoire, mais aussi immatériels, comme les espaces idéologiques, symboliques et culturels. Ces espaces de vie sont construits collectivement par les membres du groupe qui leur donnent un sens. La « reprimarisation » des économies a engendré des problèmes associés aux espaces privés qu’ont soulevés les mouvements dans les espaces publics. Le territoire est apparu comme un lieu de convergence dans les luttes où s’entremêlent espaces privés et publics. Paradoxalement, bien que ces luttes soient ancrées dans le local, on assiste également à la transnationalisation des mobilisations sociales, notamment à travers des alliances qui se rejoignent dans leurs préoccupations pour le bien commun. C’est par le recadrage que font les acteurs de leurs demandes que les transformations politiques ont lieu. Thede et Dufour-Poirier identifient trois points de convergence aux mobilisations sociales actuelles. D’abord, elles relèvent l’utilisation de la notion de droits humains à l’intérieur des cadres de mobilisation. Ensuite, elles notent, tant dans les demandes des groupes que dans leur fonctionnement, une articulation entre les espaces publics et les espaces de vie qui est au fondement de la transformation du politique. Enfin, elles relèvent la critique du pouvoir que font ces mouvements et qui appelle à un nouveau rapport au politique. Le recueil débute en abordant les dynamiques autochtones et la centralité du territoire dans les identités. Dans son étude sur les mouvements totonaques de l’État de Puebla, l’anthropologue mexicaniste Pierre Beaucage s’intéresse au rôle du développement d’alliances et de la structure d’opportunités politiques dans les processus de cadrage et recadrage des acteurs depuis les cinquante dernières années. Pour sa part, Simon Morin se penche sur la notion autochtone du bien-vivre célébrant l’harmonie avec la Terre-mère et son instrumentalisation par le gouvernement de Rafael Correa, laquelle est contestée par le mouvement autochtone puisqu’elle a été utilisée par Correa pour faire avancer un agenda extractiviste. Stéphanie Rousseau s’intéresse aussi au jeu d’alliances mais depuis le mouvement très hétérogène des femmes autochtones en Bolivie où se profile une dynamique de compétition et de conflit entre les groupes autour de la représentation des femmes autochtones. Dans le chapitre « Décoloniser notre regard », Marie Léger prend également pour sujet les femmes autochtones et analyse comment celles-ci ont été rendues invisibles dans les mécanismes de droits humains comme la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), puisque les catégories sociales de race et de sexe y sont maintenues séparées. Ce cloisonnement, soutient l’auteure, fait en sorte que les femmes autochtones soient exclues. Elle propose quelques …