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Constituant la plus grande minorité ethnique d’Europe, les Roms représentent de 10 à 12 millions d’individus (Commission européenne, 2016). Originaires du nord-ouest de l’Inde, ils quittèrent ce pays vers le dixième siècle afin de rejoindre le Proche-Orient, puis, en passant par la Mésopotamie, arrivèrent dans l’Empire byzantin. Vers le quatorzième siècle, plusieurs groupes de Roms s’installèrent dans les Balkans. Bien que la majorité d’entre eux demeurèrent dans les pays d’Europe de l’Est, des groupes se dispersèrent à travers l’Europe occidentale, particulièrement en direction de la péninsule ibérique, à partir du quinzième siècle, et ce, durant plusieurs vagues migratoires. D’autres déplacements vers le nord eurent lieu autour du seizième siècle (Liégeois, 2007 ; Piasere, 2011 ; Delépine, 2012). Les différentes directions empruntées générèrent des appellations et des identités distinctes. La chute du mur de Berlin et l’adhésion à l’Union européenne de la Hongrie en 2004, ainsi que de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007, entraînèrent de nouveaux flux migratoires et accélérèrent les mobilités de ces populations de l’est vers l’ouest, notamment pour fuir les persécutions dont elles étaient l’objet (Liégeois, 2007 : 23 ; Legros et Vitale, 2011 : 4 ; Delépine, 2012 : 6). Or, que ce soit en Europe de l’Ouest ou de l’Est, préjugés, discrimination et exclusion sociale ont caractérisé leurs conditions de vie (Commission européenne, 2011 : 2). Il en résulte que 40 % des Européens refusent d’avoir des Roms comme voisins (Barbulescu et Beaudonnet, 2013 : 9), alors que 80 % de ceux-ci n’entretiennent pas de contact direct avec eux (Eurobaromètre 393, 2012 : 12).

Considérant la problématique que ces statistiques soulèvent, la présente étude s’intéresse aux mécanismes de construction des attitudes envers la « minorité rom[1] », à savoir : l’état mental d’un individu qui le prédispose à agir d’une certaine façon – positive ou négative – lors de situations de contact. Les attitudes sont ici définies comme étant « a psychological tendency that is expressed by evaluating a particular entity with some degree of favor or disfavor » (Eagly et Chaiken, 1993 : 1). De nombreux auteurs en sciences sociales affirment que le processus psychologique donnant lieu aux attitudes est stimulé par l’environnement externe des individus (Bergamaschi, 2011 : 95). De la sorte, l’analyse des interactions sociales a souvent été privilégiée. Notre étude propose quant à elle d’offrir une analyse comparative de l’impact des différents types de « contacts intergroupes[2] », ainsi que de l’influence des médias sur les attitudes des membres de deux communautés d’accueil envers les Roms. La question centrale qui guide notre recherche est la suivante : comment les attitudes envers les Roms se construisent-elles ?

Cette interrogation fait apparaître un manque à combler dans la littérature sur les attitudes envers les minorités. Plusieurs études ont été consacrées à ce sujet dans des contextes de diversité (McLaren, 2003 ; Tucci, 2005 ; Schneider, 2008 ; Meuleman et al., 2009 ; Rydgren et Ruth, 2013 ; Havekes et al., 2014 ; Schemer, 2014) et dans le cas de certaines minorités, notamment les musulmans (Savelkoul et al., 2011) et les Noirs (Tropp, 2007), mais aucune recherche ne semble avoir été menée sur les relations qui impliquent des membres de collectivités roms. Pourtant, les Roms constituent l’une des minorités les plus discriminées d’Europe (Mayer etal., 2014). Par ailleurs, il est important d’analyser les rapports sociaux et politiques ainsi que les représentations sociales qui concernent ce groupe minoritaire, puisque les attitudes anti-immigrants varient selon l’origine et les caractéristiques de chaque groupe (Card et al., 2005 : 11).

Plusieurs auteurs ont abordé la question de la construction des attitudes envers les minorités ethniques afin de mieux appréhender les mécanismes qui engendrent des discriminations. Ces études mobilisent différentes approches disciplinaires, dans les champs notamment de la psychologie sociale, de la sociologie et de la science politique. Or, rares sont les travaux qui conjuguent les théories liées au contact – originellement développées par des psychologues et des sociologues – et celles qui s’intéressent à l’influence des politiques locales d’intégration ou du contenu médiatique – majoritairement mobilisées par les chercheurs en science politique et en communication. Bien que ces théories relèvent d’approches disciplinaires distinctes, il est avantageux selon notre hypothèse de les combiner, puisque leur mise en perspective révèle des complémentarités. Aussi notre étude s’inscrit-elle dans une approche pluridisciplinaire combinant la psychologie sociale, plus précisément l’étude des dynamiques intergroupes, et une analyse des politiques publiques. Nous testons quatre théories permettant de rendre compte des relations entre les Roms et les non-Roms : la théorie du contact, l’effet halo, l’impact des politiques municipales d’intégration des Roms et l’influence des médias. Nous procédons en trois étapes. Dans un premier temps, nous présentons la situation des Roms en France et faisons un survol des écrits qui fournissent quelques attentes théoriques quant à la formation des attitudes envers les Roms. Celles-ci prennent la forme d’hypothèses et sont testées empiriquement lors de l’analyse d’entrevues semi-dirigées, réalisées au sein de deux communes en région parisienne : La Courneuve et Ivry-sur-Seine. Dans un deuxième temps, nous présentons la méthodologie mise en place pour le recueil des données. Finalement, nous mettons à l’épreuve empirique la validité des hypothèses discutées dans la section théorique. Les résultats révèlent que puisque les Roms sont prisonniers de représentations négatives, de surcroît surmédiatisées, ainsi que victimes de ségrégation spatiale et d’exclusion sociale, rares sont les occasions de contacts intergroupes de qualité. Cela engendre un biais perceptuel négatif et explique pourquoi les attitudes envers ces populations sont plus négatives que celles envers d’autres minorités sur le continent. Toutefois, la mise en oeuvre de politiques municipales en faveur de l’intégration des Roms permet d’améliorer les conditions de vie des membres de ce groupe et par le fait même de déconstruire certains préjugés imputables en particulier à leur situation de précarité. Finalement, notre analyse illustre la manière dont les médias activent, entretiennent ou consolident les façons de percevoir les Roms.

La stigmatisation des Roms en France

Notre étude s’intéresse au cas des Roms en France, ce pays étant particulièrement intéressant par son contexte national. À l’aune de son « modèle républicain », la France refuse le concept de minorité ethnique et adopte des politiques assimilationnistes envers les nouveaux venus (Rothéa, 2003). Ces politiques ont pour conséquences de ne pas reconnaître et de stigmatiser les communautés. Cela génère des discriminations pour les groupes minoritaires les plus fragiles, notamment en ce qui a trait au logement ou au travail (Kamiejski et al., 2012 : 53). Suivant ce contexte, la présence des Roms sur le territoire français constitue un véritable « problème à résoudre ». Elle ravive la question de l’ordre public, fréquemment invoquée par l’État, et justifiée en référence au comportement des Roms, jugé déviant. Les groupes roms sont criminalisés dans une rhétorique politique démagogique, autant par la droite politique que la gauche (Fassin et al., 2014). La lutte contre la criminalité sert de prétexte au gouvernement pour détruire leurs campements (Kropp et Striethorst, 2009). L’importante controverse survenue à la suite du discours d’engagement dans la guerre contre les trafiquants et les délinquants de Nicolas Sarkozy (discours de Grenoble, juillet 2010), où celui-ci a déclaré vouloir « mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms », ainsi que les déclarations médiatiques sur la nature non intégrable des Roms du premier ministre Manuel Valls (Libération, 2013), constituent des exemples de discours au sommet de l’État. L’argument de la délinquance des Roms menaçant l’ordre républicain justifie la nécessité de mettre en place des pratiques administratives dérogatoires et discriminatoires à leur égard et les transforme en bouc émissaire qui sert d’exutoire offert à la violence populaire (Legros et Vitale, 2011 : 19). Les Roms font partie en France des populations les plus confrontées au rejet et à l’exclusion de la part des groupes majoritaires (Mayer et al., 2014 ; CNCDH, 2016 : 13).

Notre travail s’intéresse en particulier aux individus d’immigration récente liée notamment aux deux élargissements consécutifs de l’Union, intervenus en 2004 et en 2007, vers la Hongrie et la Tchéquie, puis la Roumanie et la Bulgarie. Ces migrants forment une population relativement peu importante comparativement à d’autres collectivités, évaluée selon des sources associatives et gouvernementales entre 15 000 et 20 000 personnes. Ils n’attirent pas moins grandement l’attention politico-médiatique. La majorité d’entre eux sont originaires de Roumanie et, dans une moindre mesure, de Bulgarie et de Hongrie.

Perspectives expliquant les relations intergroupes

Les deux premières théories discutées mettent de l’avant l’impact des contacts de qualité ou de leur absence sur les attitudes individuelles envers les minorités ethniques. La troisième s’intéresse à l’effet des politiques municipales d’intégration des immigrants sur les contacts intergroupes, alors que la dernière présente l’influence des médias dans la formation des attitudes anti-immigrants.

La théorie du contact

La théorie du contact est l’une des perspectives les plus considérées par les chercheurs qui travaillent sur la déségrégation et les relations intergroupes (Schofield, 1991 : 359). Développée par Gordon W. Allport (1954 ; 1958), celle-ci soutient que quatre conditions permettent aux contacts intergroupes d’avoir des effets positifs sur les attitudes réciproques : 1) Le statut des membres des groupes dans la situation où l’on retrouve le contact doit être égal. 2) On doit constater des efforts orientés vers un but commun, comme lors de la pratique d’un sport d’équipe. 3) Il ne doit pas y avoir de compétition dans la relation, mais plutôt de la coopération. 4) Des normes – le soutien des autorités, des lois ou des coutumes – permettant de rendre les contacts socialement acceptables doivent être mises en place (Allport, 1958). Selon Thomas F. Pettigrew, Linda R. Tropp, Ulrich Wagner et Oliver Christ (2011), ces conditions jugées nécessaires par Allport sont davantage des conditions qui facilitent la formation d’attitudes positives envers les Autres. Une méta-analyse de 515 études concernant les contacts intergroupes réalisée par ce groupe de chercheurs a démontré que les individus qui ont des contacts de qualité voient leurs préjugés diminuer de 29 %, alors que ceux dont les contacts ne remplissent pas les conditions d’Allport les voient tout de même diminuer de 20 %.

Élaborée dans le champ de la psychologie sociale, la théorie du contact a été mobilisée de manière fructueuse par les politistes. L’application de cette théorie aux politiques de déségrégation dans les écoles américaines a ouvert des pistes prometteuses pour l’amélioration des relations intergroupes (Schofield et Eurich-Fulcer, 2001 : 574). L’un des mécanismes intrinsèques de cette théorie est que les contacts intergroupes de qualité, c’est-à-dire remplissant les quatre conditions favorables, modifient les stéréotypes et infirment les préjugés négatifs en permettant aux membres du groupe majoritaire d’en apprendre davantage sur les membres du groupe minoritaire (Pettigrew, 1998 : 70). Ces contacts permettent de générer de nouveaux comportements, comme l’acceptation, l’affection et la confiance, qui sont précurseurs de changements d’attitude à l’égard de l’autre groupe. De ce fait, comme démontré par Alberto Voci et Miles Hewstone (2003) dans leur analyse des contacts entre Italiens et immigrants, les contacts de qualité réduisent les émotions liées à l’anxiété qui sont générées par la présence de l’Autre (voir aussi Dovidio et al., 2003). Ils permettent de créer des sentiments d’empathie vis-à-vis d’un groupe stigmatisé et de développer l’une des conditions essentielles que Pettigrew rajoute à la théorie : des relations d’amitié intergroupes (Pettigrew, 1998 ; Dovidio et al., 2003 ; McLaren, 2003).

L’effet halo

Les contacts intergroupes de qualité aident à réduire les préjugés envers un groupe minoritaire, puisque les membres de groupes distincts apprennent à se connaître. Inversement, l’ignorance favorise le développement d’attitudes négatives (Pettigrew, 1998 : 71). L’un des précurseurs de la théorie expliquant ce phénomène, appelé « effet halo », est le psychologue Solomon E. Asch. Dans son article « Forming Impressions of Personality », il présente la conduite d’expérimentations où des étudiants en psychologie doivent exprimer leurs impressions face à une personne fictive, dont certains traits de personnalité leur ont été énumérés. Il explique la formation des impressions en fonction de l’interprétation et de la sélection d’informations : « We look at a person and immediately a certain impression of his character forms itself in us […] In what manner are these impressions established ? » (Asch, 1946 : 258) Asch démontre que les individus ont tendance à juger un inconnu selon une impression provenant d’un trait qui occupe une place centrale dans leur configuration.

L’effet halo est donc un biais qui affecte les perceptions et mène à l’adoption de préjugés, positifs ou négatifs, vis-à-vis d’individus que l’on ne connaît pas directement. Ces préjugés se basent sur une impression qui peut être produite par différents facteurs, notamment par les médias et les stéréotypes véhiculés dans la société à l’égard d’un groupe. Principalement mobilisée en psychologie sociale, cette théorie a permis d’expliquer certains phénomènes d’intérêt pour les politistes, dont la construction d’attitudes négatives envers les minorités. Dans son étude sur l’appui au Front national en France, Pascal Perrineau (1997) montre que cet appui est plus important dans les régions périphériques que dans celles où il y a une forte concentration d’immigrants. La construction de peurs ou d’inquiétudes face à la présence d’immigrants provient davantage de l’imaginaire que du réel. Ces sentiments d’hostilité sont liés à un contact intergroupe distant et superficiel qui ne permet pas de déconstruire les préjugés et les stéréotypes (Rydgren et Ruth, 2013 ; Bilodeau et Turgeon, 2014).

L’effet des politiques municipales

Rappelons qu’Allport (1958) soutient que pour porter fruits, le processus de contact intergroupe doit être soutenu par des autorités, des lois ou des coutumes permettant d’établir des normes d’acceptation. Nous avançons dans la présente étude que l’implication des municipalités dans l’intégration des immigrants se montre primordiale pour poser le cadre et les conditions des interactions sociales. Or, pour Aude-Claire Fourot (2013), la mise en oeuvre de politiques municipales est souvent marginalisée dans les études sur l’intégration des immigrants. Pourtant, bien que les municipalités évitent de se donner un mandat explicite sur le sujet, elles ne répondent pas de la même façon aux défis posés par l’intégration des immigrants. Ces acteurs disposent de marges de manoeuvre significatives en ce qui concerne les choix politiques pour accueillir la diversité ethnoculturelle sur leur territoire.

Par ailleurs, Thierry Berthet et Christian Poirier (2000) avancent que l’intégration des immigrants repose en grande partie sur les interactions sociales. Ces relations sont construites par les politiques locales d’intégration qui agissent en tant que cadre des normes comportementales et des configurations sociales. Ainsi, les politiques locales forgent les rapports de domination ou d’intégration plus égalitaires. De surcroît, puisque les municipalités constituent des acteurs de premier plan des enjeux apportés par l’immigration, elles possèdent une meilleure connaissance de la situation et peuvent générer des actions adaptées à leur réalité. « Il importera ici de vérifier si les autorités locales sont en mesure d’assumer une telle fonction régulatrice, si elles arrivent à se démarquer des modes d’intervention des pouvoirs publics centraux pour générer une action publique originale ou si elles se fondent dans le schéma national dominant. » (ibid. : 202)

Tout cela est encore plus pertinent en ce qui concerne l’intégration des Roms. Devant la situation où la France et l’Union européenne se renvoient leur gestion, les municipalités deviennent les garantes de leurs conditions de vie. En l’absence d’une stratégie précise et cohérente, les initiatives locales varient d’une commune à l’autre. Les autorités locales réagissent de manière différente à l’installation sur leurs territoires de campements roms. Certaines municipalités tentent d’offrir une alternative à ces habitats précaires, solution qui est cependant souvent réservée à un groupe de Roms jugés les plus « méritants » et qui répondent à certains critères (Legros, 2011 ; Bessone et al., 2014 ; Vitale, 2015). Un exemple en sont les dispositifs de type « village d’insertion », qui ont grandement été critiqués en raison des logiques de contrôle et de coercition qui régissent ces espaces, notamment la mise en place de clôtures, de dispositifs de surveillance et de filtrage des visites (Doytcheva, 2014 : 4). À ce jour, environ 750 migrants roms sont pris en charge dans des dispositifs temporaires d’hébergement et d’insertion initiés par des acteurs associatifs et mis en place avec le concours des municipalités (Dalibert et Doytcheva, 2014 : 75).

Il y a cependant des municipalités (et dans certains cas les mêmes) qui n’hésitent pas à évacuer les bidonvilles roms sans offrir d’alternative de relogement. Selon la circulaire interministérielle du 26 août 2012, un diagnostic social de chaque famille présente dans le bidonville doit être effectué avant le démantèlement. Or, la réalisation de diagnostics permettant un accompagnement individuel, notamment en matière de logement et d’emploi, constitue bien souvent une formalité administrative. L’accès aux services de base tels que l’eau, l’éducation, le ramassage des ordures et le démantèlement des bidonvilles roms, avec ou sans solution de relogement, découle donc en grande partie du bon vouloir des communes (Cousin, 2013 ; Bessone et al., 2014 ; CNDH Romeurope, 2015 ; Vitale, 2015).

L’influence des médias

La littérature concernant l’influence des médias dans la formation des attitudes anti-immigrants est vaste. Tout d’abord, plusieurs auteurs ont démontré que la présence de préjugés raciaux dans les nouvelles est susceptible de forger des opinions négatives face aux minorités (Dixon et Linz, 2000 ; Kellstedt, 2003 ; Mastro, 2009 ; Schemer, 2014). En effet, des préjugés peuvent se créer, s’entretenir ou augmenter chez un individu confronté à des connotations raciales négatives dans les médias. Ce phénomène se nomme « amorçage » et désigne l’activation de stéréotypes en réponse à une exposition récente ou fréquente au portrait stéréotypé d’un groupe ethnique (Schemer, 2014 : 531).

De plus, l’accumulation et la répétition de messages présentés dans les médias concernant les migrants font en sorte qu’il est difficile pour le lecteur de sortir de ces conceptions préconçues (van Dijk, 1980). Suivant cette idée, la construction de préjugés envers les minorités passe par un processus de socialisation généré par les médias (Crépeau, 1997) : « The classical prejudice model suggests that racial and ethnic prejudice is not a response to threat but, first and foremost, socially learned feelings and sentiments » (Gorodzeisky et Semyonov, 2016 : 334).

Les médias jouent un rôle essentiel dans la formation des attitudes, en décidant des sujets qui sont importants et en divulguant ce qui apparaît comme étant l’opinion publique face à certaines questions de société (Imbert, 1982 ; Sheets et al., 2016). Dans leurs travaux concernant l’influence des médias sur le soutien aux partis de droite populistes, Penelope Sheets, Linda Bos et Hajo G. Boomgaarden (2016) démontrent que la présentation de discours négatifs au sujet de l’immigration dans les médias consolide les attitudes anti-immigrants. Ceux-ci jouent un rôle clé dans la politisation des expériences de tous les jours (Mutz, 1994 ; Kinder, 1998). La couverture médiatique des questions relatives à l’immigration informe les gens et politise ces questions dans l’esprit des citoyens, conduisant souvent à des attitudes négatives (Hopkins, 2007).

La représentation médiatique, dans le cas des Roms en France – et dans plusieurs pays européens (Barbulescu et al., 2015) –, est souvent homogénéisante et stigmatisante. Les médias mettent en scène les Roms comme étant au coeur de problèmes et de malaises sociaux (Fassin et al., 2014), notamment la pauvreté, la délinquance, le manque de logement et l’insécurité, et ce, sans faire état de la question comme le ferait un sociologue. Le traitement médiatique « produit les modes de perception et d’interprétation de la réalité sociale, suggérant une représentation extrême et déformée de l’altérité dont les Roms sont porteurs » (Mayer et al., 2014 : 206). Pour Marion Dalibert et Milena Doytcheva (2014), la façon dont les médias traitent ces populations se définit par des pratiques de « marquage social », c’est-à-dire par une catégorisation qui assigne aux Roms des attributs sociaux « problématiques ». Ils sont différenciés des membres de la majorité par des caractéristiques spécifiques qui entretiennent les processus d’exclusion. Constamment associés à un territoire, qu’il s’agisse d’un camp ou d’un « village d’insertion », ainsi qu’à des représentations genrées jugées déviantes, comme « la femme soumise » ou « l’homme trop viril ou violent », les Roms sont la cible de discours identitaires qui consolident la frontière entre la majorité et les minorités.

Quatre hypothèses de recherche

Nous appuyant sur notre revue de la littérature, nous pouvons formuler plusieurs attentes théoriques. Premièrement, les contacts entre les membres de différents groupes améliorent la compréhension et les attitudes des uns envers les autres. Notre première hypothèse est que les membres des communautés d’accueil qui ont des contacts de qualité avec les Roms sont moins enclins à avoir des attitudes négatives envers eux.

Deuxièmement, comparativement à une absence de contact intergroupe, un contact superficiel provoque une rencontre imaginée, ce qui augmente les attitudes négatives face à une minorité (Bilodeau et Turgeon, 2014). En effet, les rencontres distantes ne permettent pas d’infirmer les idées préconçues envers un groupe minoritaire ; celles-ci demeurent et peuvent s’amplifier à la vue de certains comportements qui laissent place à l’extrapolation. De là découle notre seconde hypothèse que les membres des communautés d’accueil qui vivent à proximité d’un campement rom et qui n’entretiennent pas de contact direct avec les Roms sont plus enclins à avoir des attitudes négatives à leur égard.

Troisièmement, certains contextes locaux peuvent limiter les contacts, tout comme ils peuvent les encourager et les rendre optimaux (Pettigrew, 1998 : 78). En encourageant la mixité, les politiques d’intégration municipales peuvent diminuer les discriminations envers un groupe minoritaire et améliorer les relations intergroupes (Berthet et Poirier, 2000 ; Tossutti, 2012). Notre troisième hypothèse est que la mise en place de politiques municipales favorisant l’intégration des Roms encourage le développement de contacts intergroupes de meilleure qualité.

Finalement, les médias jouent un rôle crucial dans la transmission de préjugés et dans le renforcement du racisme envers les minorités ethniques puisqu’ils livrent majoritairement des situations ou des événements négatifs (van Dijk, 2000). La quatrième hypothèse que nous proposons de tester est donc que le contexte médiatique français alimente les représentations stéréotypées à l’égard des Roms. L’influence médiatique est considérée comme un facteur pouvant limiter le désir d’entrer en contact avec les Roms et amplifier l’effet halo. Elle participe également à la formation des attitudes envers les Roms en conditionnant les individus à percevoir une certaine représentation du réel. L’objectif de notre étude n’est pas de procéder à la vérification formelle de cette hypothèse, mais de fournir des illustrations de la manière dont les médias sont susceptibles de construire ou d’entretenir certaines attitudes.

L’analyse des attitudes envers les Roms à La Courneuve et à Ivry-sur-Seine

Une grande partie des Roms en France vivent sur des terrains illégaux en périphérie de Paris (Bessone et al., 2014 : 183). En 2016, la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL, 2016) recensait 6615 individus vivant dans des bidonvilles en Île-de-France. Notre propre enquête s’est concentrée sur deux communes en région parisienne : La Courneuve et Ivry-sur-Seine. Les deux comptent sur leur territoire un bidonville de taille importante (allant de 300 à 600 habitants selon les périodes), établi depuis longtemps[3] (depuis 2007 à La Courneuve et 2011 à Ivry-sur-Seine) et sous menace d’expulsion[4] (94 Citoyens, 2015 ; Vincendon, 2015). Ces communes ont un niveau socioéconomique similaire, les revenus moyens par ménage étant inférieurs au revenu moyen français et classées dans les plus bas niveaux de vie en France (Boudet, 2014). Construites autour des années 1950 en tant que villes ouvrières de Paris, lors d’importants mouvements d’industrialisation favorisés par la construction des chemins de fer, elles forment selon l’ancienne expression populaire la « ceinture rouge » parisienne (Pinson, 1992).

Les contextes locaux d’intégration diffèrent néanmoins d’une commune à l’autre. On retrouve à Ivry-sur-Seine plus d’une vingtaine de familles roms qui ont un logement social, une formation, un emploi, et dont les enfants vont à l’école. Ces projets d’insertion sont encouragés et subventionnés, entre autres, par la mairie (Association Logement Jeune 93, 2015). Un collectif de soutien aux Roms est également en place depuis 2011, regroupant de nombreux citoyens ivryens qui luttent pour une amélioration des conditions de vie des familles vivant dans le bidonville de la rue Truillot. À l’inverse, aucun projet n’a été mis en oeuvre par la mairie de La Courneuve et il n’y a pas de collectif de soutien venant en aide aux familles qui résident depuis plusieurs années dans le bidonville de la rue Pascal.

Notre analyse s’est basée sur des entrevues semi-dirigées que nous avons réalisées au sein des communes de La Courneuve et d’Ivry-sur-Seine (en juin et juillet 2015) auprès d’habitants (28 entrevues à La Courneuve et 29 à Ivry-sur-Seine), d’agents des deux municipalités (4 entrevues) et de membres d’associations et de collectifs de soutien pour les Roms (8 entrevues). Afin de mesurer les attitudes envers les Roms, nous avons posé des questions aux habitants des deux communes concernant leur vision de cette minorité et de la façon de la traiter. Pendant les entrevues, nous avons présenté aux répondants deux articles de journaux dévoilant des événements discriminatoires à l’égard des Roms en France dans le but de recueillir des indications sur leur attitude. Un répondant acceptant un traitement négatif à leur égard évoque une attitude négative vis-à-vis de ces populations. Les questions que nous avons posées sont les suivantes : 1) Que pensez-vous du campement de Roms à La Courneuve / Ivry-sur-Seine ? 2) Que pensez-vous de la mairie d’Haubourdin qui a fait déverser trois remorques de lisier aux abords d’un camp de Roms ? (Lecture de l’article du journal présentant cet événement : Libération, 2015) 3) Que pensez-vous du syndicat Force ouvrière qui a demandé des autobus séparés pour les Roms ? (Lecture de l’article de Bourgneuf, 2015) 4) Que pensez-vous de la destruction de campements roms ? 5) Pensez-vous qu’il est plus difficile de commencer une amitié avec des Roms qu’avec des non-Roms ?

Les questions posées pour connaître la nature et la qualité des contacts entre chaque répondant et les Roms sont les suivantes : 1) Habitez-vous près d’un campement de Roms ? 2) Avez-vous des contacts avec des Roms dans votre quotidien (au travail, au supermarché, dans le métro, dans la rue ou autres) ? 2.1) Si oui, quel genre de contacts et dans quel milieu ? 2.2) Si non, avez-vous des gens dans votre entourage qui sont en contact avec des Roms ? Si oui, quelle est leur relation ? 3) Avez-vous des amis Roms (des gens que vous rencontrez régulièrement) ?

Nous avons recueilli des données concernant le rôle joué par les municipalités dans l’intégration des Roms lors des entrevues semi-dirigées réalisées avec les agents municipaux de La Courneuve et d’Ivry-sur-Seine, les associations et les collectifs de soutien. Nous avons profité de cette occasion pour leur poser des questions concernant les services offerts aux Roms (éducation, eau potable, ramassage des ordures et aides sociales).

Finalement nous avons observé dans cette recherche l’influence des médias à travers les commentaires spontanés des répondants affirmant qu’ils croient en certains stéréotypes puisqu’ils « l’ont vu dans les médias ».

Les attitudes envers les Roms : construction et déconstruction des perceptions négatives

De rares contacts intergroupes

Notre analyse montre que notre première hypothèse concernant la théorie du contact ne peut être confirmée. En effet, seulement deux répondants ont affirmé avoir des contacts de qualité avec des Roms. Cela témoigne de l’exclusion dont ces individus font l’objet. La première répondante (10C, 24 ans, brigadière scolaire, habite loin du bidonville rom)[5] travaillait auparavant avec une collègue rom et s’entendait très bien avec elle. Cette répondante adopte un discours dénonçant toutes formes de discrimination envers les minorités. Ainsi, il est difficile d’affirmer que ce sont les contacts qui ont eu un effet sur ses attitudes positives envers les Roms et non pas l’empathie déjà développée. Un autre répondant (22C, 57 ans, retraité, habite loin du bidonville rom) affirme entretenir des relations d’amitié avec des Roms. Il avait lui-même initié les premiers contacts dans le but d’aider certains membres de cette minorité ; il avait donc déjà des attitudes positives envers les Roms avant même de se lier d’amitié.

Bien que les contacts entre les Roms et les membres des communautés d’accueil soient très limités au sein des deux communes, quelques répondants ont exprimé avoir des contacts quotidiens avec des Roms, notamment dans le cadre de leur travail dans un commerce. Chez ces derniers, la représentation qu’ils se font de ces populations est plus positive et nuancée que celle des répondants n’ayant aucun contact avec eux. Cela démontre que les contacts, même s’ils ne respectent pas les conditions élaborées par Allport (1958), permettent de transformer les représentations et de déconstruire certains préjugés. Le postulat avancé par Pettigrew (1998) que les contacts quotidiens facilitent la formation d’attitudes positives se valide donc. Effectivement, bien que les répondants entretiennent certains préjugés envers les Roms, d’autres semblent être déconstruits à la vue de comportements qui ne concordent pas avec les idées préconçues. Les répondants adoptent alors des discours plus modérés. Ces contacts intergroupes se forment principalement dans des contextes informels : lorsque des Roms parlent à la boulangère qui leur vend du pain, à la caissière à l’épicerie… Plusieurs répondants qui ont ce genre de contacts avec des Roms ont une attitude plus positive à leur égard – bien que leur discours demeure teinté de préjugés. Par exemple, dans le cadre de son travail au service à la clientèle d’une boulangerie, la répondante 13C (34 ans, boulangère, habite et travaille à proximité du bidonville rom) côtoie ces migrants qui viennent acheter des produits. Son discours par rapport à ces rencontres est très positif :

Qu’est-ce que vous pensez du campement rom au sein de La Courneuve ?
— Ça ne me dérange pas plus, ce sont des gens gentils. Ils paraissent, ils disent bonjour, ils ne font rien de méchant. Jusqu’ici, ils ont toujours été corrects : ils sont toujours rentrés, ils ont toujours payé, ils n’ont rien réclamé… Très gentils. Depuis le temps qu’ils sont ici, mis à part quémander, je ne les ai jamais vus voler. Les gens ont le réflexe d’automatiquement tenir leurs sacs en leur présence, mais non, moi je ne les vois pas plus méchants ou agressifs que ça. De ceux que je côtoie ici, je n’en ai jamais vus qui soient agressifs. Au contraire, quand on leur donne quelque chose, ils exagèrent même sur le remerciement !

Il en va de même pour le répondant 17C (31 ans, propriétaire d’un commerce, habite loin du bidonville rom) qui côtoie régulièrement des Roms de manière informelle dans le cadre de son travail. « Ils viennent ici pour acheter des produits. Il y a en a qui sont gentils, il y en a que non. Il y a de tout, comme n’importe qui ! C’est pareil à d’autres. » Vraisemblablement, le fait de côtoyer régulièrement des Roms permet aux répondants d’infirmer certains stéréotypes à leur égard. Ils considèrent les Roms comme étant des individus « normaux » qui a accomplissent quotidiennement les mêmes actions que n’importe quel autre individu.

Un biais qui affecte les perceptions à l’égard des minorités

Notre seconde hypothèse concernant les effets de l’absence de contact direct avec les Roms se valide à la lumière des réponses obtenues. Le fait de vivre dans une commune où l’on retrouve un campement rom et de croiser régulièrement des personnes roms, mais sans leur adresser la parole, ne permet pas de déconstruire les stéréotypes envers cette minorité. En l’absence de contact, un individu a tendance à confirmer les traits caractéristiques populaires sur les Roms en interprétant certaines images que ces derniers projettent. Influencée par les représentations négatives construites sur les Roms, la première impression face à ce groupe demeure dans l’imaginaire.

Par ailleurs, au sein des deux communes, tant chez les répondants qui ont une attitude positive envers les Roms que chez ceux qui en ont une négative, la majorité a exprimé avoir au moins un préjugé. C’est d’autant plus flagrant chez les répondants qui n’ont pas de contact avec les Roms et démontre à quel point les préjugés sont ancrés dans les représentations. La récurrence et la proéminence de ces représentations font en sorte qu’il devient difficile de sortir des images préconçues, même pour quelqu’un qui a une attitude positive envers les Roms. Les préjugés exprimés spontanément le plus fréquemment par les répondants sont que les Roms volent (selon 15 répondants), sont sales (15 répondants), ne veulent pas s’intégrer ou préfèrent vivre en communauté (17 répondants), ne veulent pas éduquer leurs enfants (9 répondants). La majorité des répondants exprimant ce genre de préjugés n’avaient pourtant jamais été témoins d’actions permettant de les confirmer.

L’effet halo est particulièrement présent chez les habitants de La Courneuve où le bidonville est géographiquement isolé du reste de la population. Il agit également chez les habitants d’Ivry-sur-Seine qui habitent loin du bidonville et qui croisent des Roms régulièrement, mais qui n’entretiennent pas de contact avec eux. Le discours de la répondante 8C (34 ans, mère au foyer, habite loin du bidonville rom) illustre bien ce phénomène. Celle-ci n’a jamais parlé à un Rom et ne connaît personne qui entretienne des contacts avec eux. Cependant, elle se sent « envahie » par les Roms et les représentations qu’elle se fait d’eux sont très négatives :

Que font les Roms quand vous les voyez ?
— Tu sais, ce sont des Roms… Ils volent !
Ils vous ont déjà volé ou vous connaissez quelqu’un qu’ils ont déjà volé ?
— Non, jamais.

Un autre exemple de représentation négative ressort du discours du répondant 20C (31 ans, boucher, travaille près du bidonville rom) qui ne côtoie que très rarement des Roms lorsqu’ils viennent acheter des produits dans la boucherie où il travaille. Pour lui, le fait de les apercevoir dans la rue active des représentations négatives et le mène à attribuer aux Roms des actions liées à des préjugés : « Les Roms, ils sont dans leur camp. Ils ne bougent pas. Si vous les voyez dehors, c’est pour marcher ou aller chercher des conneries ou faire la manche. Généralement, les Roms restent entre eux, ils restent dans leur clan. » Il en va de même pour le répondant 18C (29 ans, plombier, habite à proximité du bidonville rom) qui associe aux Roms la représentation négative qu’il se fait des gitans. Cela témoigne de l’association et du regroupement que les gens font des individus marginalisés en tant que catégorie mise à l’écart de la société.

— Les Roms sont sales. Pas besoin d’aller dans leur campement pour voir ce qu’il y a dedans. Ils ne savent pas vivre, ou ils font exprès de ne pas savoir vivre !
Pourquoi feraient-ils exprès ?
— Parce qu’ils n’ont pas de vie ces gens-là ! Selon moi, même si on leur donnait une maison, ils ne dormiraient pas dedans. C’est le même délire que les gitans : tu leur donnes une maison, mais ils campent dans le jardin.

Un dernier exemple du phénomène de l’effet halo est celui du répondant 4C (29 ans, vendeur dans un magasin de meubles, habite loin du bidonville rom) qui n’a jamais parlé à un Rom et qui ne fait que les croiser de temps en temps dans la rue. Cependant, lorsqu’un Rom entre dans le magasin où il travaille, il avoue se méfier automatiquement puisqu’il les associe à des délinquants qui risquent de le voler. Cette représentation est très populaire dans les discours. Un fait à souligner est que les Roms sont souvent représentés comme étant des voleurs, non pas parce qu’ils sont démunis, mais parce qu’ils sont Roms.

Ils ne sont pas du tout intégrés. Ils sont entre eux, ils ne sont pas dans la communauté et ne se mélangent pas. On ne les laisse entrer nulle part et dès qu’ils rentrent dans un endroit, les gens sautent directement sur eux. Moi-même, à chaque fois qu’ils rentrent ici, je les surveille. On ne leur fait pas confiance parce qu’on sait qu’ils ne vont pas acheter, donc ils vont peut-être voler ou faire un truc. Tout le monde se méfie des Roms.

Des politiques municipales qui favorisent les attitudes positives

Bien que les attitudes des répondants concernant les Roms se montrent majoritairement négatives, nous avons observé un mécanisme d’atténuation et de déconstruction des préjugés à Ivry-sur-Seine. Celui-ci s’explique par les initiatives municipales qui permettent d’améliorer les conditions de vie des Roms et de créer des occasions de mixité hors des contextes associés aux préjugés. L’hypothèse selon laquelle les politiques municipales en faveur de l’intégration encouragent les contacts intergroupes se trouve validée par des discours recueillis à Ivry-sur-Seine. Effectivement, en instaurant des politiques d’intégration des Roms, la municipalité a contribué à mettre en action des mécanismes de socialisation promouvant un esprit d’acceptation de l’Autre. Ces politiques locales ont un impact sur la place que la minorité rom occupe en société et, par le fait même, sur les attitudes intergroupes.

La mairie de La Courneuve qui considère que l’intégration des Roms est une question nationale ne s’y investit pas. Ce désengagement municipal se justifie également par la crainte que le fait d’aider les Roms pourrait les inciter à vouloir rester vivre dans le bidonville. Cela transparaît dans les relations intergroupes qui sont plus distantes et dans le rapport d’incompréhension des uns face aux autres. De manière différente, la mairie d’Ivry-sur-Seine a mis en place des projets d’intégration et encourage la mixité. Bien que les Roms ne soient pas intégrés au sein de la commune, vivent en situation de ségrégation résidentielle et occupent majoritairement des emplois informels, les différents progrès enregistrés engendrent des relations intergroupes moins superficielles et certains préjugés envers les Roms semblent s’estomper.

Effectivement, les conditions précaires dans lesquelles vivent les Roms génèrent des agissements qui renforcent les préjugés déjà présents à leur égard. Notamment, leur situation d’extrême pauvreté et leur manque de ressources font en sorte qu’ils ont tendance à se regrouper au sein de bidonvilles souvent installés sur des terrains privés ou municipaux. De plus, pour des raisons culturelles, comme le fait qu’ils ne parlent pas tous français, et par leur situation de vulnérabilité, il leur est difficile de s’intégrer au marché du travail, tout comme il est difficile pour leurs enfants d’aller à l’école alors qu’ils n’ont pas de quoi manger et se vêtir convenablement. Cette situation crée un contexte de vie dans lequel chaque journée sert à subvenir aux besoins immédiats, comme se nourrir et se loger. Une amélioration des conditions de vie des Roms les aide cependant à changer certains de leurs comportements et, en conséquence, à déconstruire les préjugés dont ils font l’objet à cet égard. C’est d’ailleurs ce que nous avons pu observer dans le discours des répondants d’Ivry-sur-Seine où la mairie s’implique activement dans l’intégration des Roms.

L’accès à l’eau potable et à des toilettes

Les Roms qui vivent dans le bidonville de la rue Pascal à La Courneuve n’ont accès ni à l’eau potable ni à des toilettes. Ils doivent aller chercher l’eau dans des bornes-fontaines et faire leurs besoins par terre, dans un coin du bidonville. En conséquence, une critique que certains Courneuviens expriment est qu’ils « volent l’eau », et ce, sans même payer d’impôts (Répondant 19C, 20 ans, plombier, habite à proximité du bidonville rom). Une autre critique est que les Roms « sont sales » et « puent ». Ce genre de commentaires se retrouvent au coeur de discours négatifs, parfois même haineux, particulièrement vifs chez des répondants de La Courneuve. Une réponse logique à cette critique serait que des habitants qui n’ont pas de source d’eau à leur disposition voient à leur hygiène corporelle moins régulièrement. Or, le processus de réflexion de plusieurs répondants se limite à considérer les résultats et non les raisons. C’est le cas des commentaires suivants, énoncés par des répondantes qui manifestent une attitude négative marquée. Elles réagissent de la sorte à l’article que nous leur présentons concernant le syndicat Force ouvrière qui a demandé des autobus séparés : « Ah oui ! Moi je les ai dans le bus et c’est vrai que l’odeur, wow ! » (Répondante 29C, 58 ans, travaille à Pleine Commune Habitat, habite loin du bidonville rom.) « C’est vrai qu’ils ont des odeurs qui sont gênantes. C’est vrai. » (Répondante 1C, 36 ans, agente immobilière, habite loin du bidonville rom.)

Il en va de même pour les préjugés concernant leurs habitudes non hygiéniques, puisqu’ils font leurs besoins par terre : « Tu as vu la place des Roms comment ils la laissent quand ils partent ? Sale, pas propre ! Ils font caca partout, ils font pipi partout, ils s’en foutent ! Ils jettent la nourriture par terre, tout, tout, tout ! Ils sont comme ça ! » (Répondante 9C, 40 ans, au chômage, habite à proximité du bidonville rom.) Le discours de cette dernière montre que l’attribution de caractéristiques généralisées au groupe rom provient d’une expérience visuelle qui encourage la propagation de stéréotypes. Puisque cette répondante n’entretient pas de contact direct avec des Roms mais vit à proximité du bidonville, ce qui lui donne accès à un répertoire visuel fort, ses préjugés perdurent et se consolident.

À Ivry-sur-Seine, la mairie a mis en oeuvre plusieurs initiatives d’amélioration des conditions minimales de vie des Roms qui vivent dans le bidonville situé sur la rue Truillot, notamment l’accès à l’eau potable et à des toilettes sèches. En conséquence, contrairement à La Courneuve, aucune critique par rapport au vol d’eau ou au fait que les Roms font leurs besoins par terre n’a été mentionnée.

La scolarisation des enfants

Un préjugé populaire concernant les Roms est celui que les parents ne veulent pas scolariser leurs enfants (CNDH Romeurope, 2013). Ce préjugé est plus présent dans les discours des répondants courneuviens que ceux des ivryens. Lors des entrevues, les adjoints au maire de La Courneuve ont affirmé que peu d’enfants roms étaient scolarisés en raison de la complexité de la situation des écoles à La Courneuve où il manque beaucoup d’enseignants. De plus, selon un médiateur scolaire de l’Association d’aide à la scolarisation des enfants roms et tsiganes du 93 (ASET 93), cette dernière a tenté de scolariser les enfants roms de la commune, processus qui n’a pas été une réussite en raison du manque de ressources et de bénévoles ainsi qu’aux conditions difficiles que vivent les écoles à La Courneuve.

Puisque la scolarisation des enfants roms à La Courneuve est un réel défi pour les associations, le préjugé selon lequel les enfants roms ne vont pas à l’école perdure, ce qui génère des frustrations chez certains : « Il faudrait les forcer à amener leurs enfants à l’école. » (Répondant 26C, 30 ans, travaille dans le domaine de la sureté à l’aéroport, habite loin du bidonville rom.) De plus, parce que certains enfants roms ne vont pas à l’école, ils sont souvent aperçus dans les rues de La Courneuve durant la journée : « Les enfants sont là le matin, quand les autres sont à l’école… Amener mes enfants au magasin, quand les autres sont à l’école ! » (Répondant 11C, 55 ans, vigile à l’épicerie, habite loin du bidonville rom.) Cela contribue également aux critiques selon lesquelles les Roms utilisent leurs enfants pour faire la manche au lieu de les envoyer à l’école :

Je ressens un peu de pitié par rapport à la façon dont ils sont logés… mais d’un autre côté, ils envoient les enfants pour mendier ! Donc, quand je passe, c’est assez gênant. Ça crée un problème. Quand je rentre du travail, je suis obligée de dire non, non, non, enfin, c’est un peu embêtant.

Répondante 1C, 36 ans, agente immobilière, habite loin du bidonville rom

Le souci, c’est leur façon de faire. Je les ai vus faire : ils ont des béquilles, ils boitent, mais pour prendre les transports en commun, ils courent après le bus, la béquille sous le bras ! Ça ne se fait pas ! Ils se servent de tout ! Ils se servent des enfants pour faire la manche et des chiens pour que les gens donnent. Et nous, on fait une généralité de ce qu’on ne connaît pas alors…

Répondante 28C, 57 ans, travaille à Pleine Commune Habitat, habite loin du bidonville rom

Le discours de la répondante 28C illustre particulièrement bien le mécanisme intrinsèque à l’effet halo, c’est-à-dire le fait de généraliser à un groupe de personnes un comportement observé chez certains, comme s’il s’agissait d’un trait caractéristique qui leur soit propre.

À l’inverse, la mairie d’Ivry-sur-Seine a rendu la scolarisation des enfants du bidonville obligatoire et s’est assurée de son bon déroulement. Des membres de la mairie et des bénévoles se rendaient chaque matin dans le bidonville afin d’habiller les enfants, les laver et les amener à l’école. Mehdi Mokrani, adjoint au maire d’Ivry-sur-Seine à la jeunesse et à la politique sociale et solidaire, nous a informée lors d’une entrevue que tous les enfants sont aujourd’hui scolarisés et qu’il n’y a plus besoin d’intervention extérieure pour les amener à l’école. Comme le démontrent les discours recueillis lors de nos entrevues, la scolarisation des enfants a permis de déconstruire le préjugé selon lequel les enfants roms ne sont pas intégrables. Cela semble en outre avoir déconstruit le stéréotype des enfants roms qui font du grabuge et dont les parents se servent pour faire la manche. Effectivement, personne ne les voit traîner dans les rues d’Ivry-sur-Seine durant les jours de classe. De plus, plusieurs répondants ont affirmé que les Roms font des efforts d’intégration ou désirent s’intégrer, puisque les parents scolarisent leurs enfants :

Pensez-vous que les Roms sont intégrés au sein d’Ivry-sur-Seine ?
— À Ivry, il y a des petits qui ont des sacs à dos et qui vont au collège.

Répondant 21I, 29 ans, chauffeur-livreur, habite loin du bidonville rom

La proximité intergroupe

Les impacts de l’effet halo se retrouvent dans les discours des répondants au sein des deux communes. Cependant, le fait que la municipalité et certains membres de la population d’Ivry-sur-Seine offrent un soutien aux Roms pour un processus d’intégration résulte en une modification des perceptions envers ces derniers. D’abord, nos entrevues font ressortir que puisque les Roms ont accès aux services municipaux et sont encouragés à les utiliser, les autres habitants d’Ivry-sur-Seine les rencontrent dans des lieux non associés aux stéréotypes, comme dans la cour d’école, contrairement aux alentours des métros où ils sont reconnus pour mendier et voler les passants. Une image des Roms en tant qu’individus « ordinaires » qui font leur épicerie, « comme tout le monde », ou qui attendent en ligne pour acheter leur pain à la boulangerie peut alors se construire et, de ce fait, abolir certains préjugés. De plus, la scolarisation de tous les enfants du bidonville a favorisé les contacts intergroupes et valorisé l’idée selon laquelle les Roms peuvent et veulent s’intégrer. Ainsi, la proximité intergroupe dans le cadre de situations de la vie courante permet un nouveau regard menant à une considération plus positive. La mise en oeuvre de politiques locales d’intégration peut aboutir à la création de situations de mixité et permet de déconstruire certains préjugés des uns envers les autres :

On les croise tous les jours : dans la rue, au supermarché, à la boulangerie, dans les files d’attente… Ça ne me fait rien du tout. On a pris l’habitude ! Je n’ai pas eu l’occasion de me faire des amis roms. Mais des petits jeunes qui traînent et quelques anciens qu’on reconnaît, qu’on côtoie à force qu’ils passent par là. On se dit bonjour, juste le respect.

Répondant 21I, 29 ans, chauffeur-livreur, habite loin du bidonville rom

Je les ai vus à la fête de l’école. Ils étaient tout à fait… normaux !

Répondant 17I, 43 ans, ingénieur, habite loin du bidonville rom

J’ai l’impression qu’ils s’intègrent de plus en plus. Déjà, on les voit dans les supermarchés ; avant on ne les voyait pas du tout dans les supermarchés, avant ils étaient uniquement dans la rue et là ils sortent en petite bande avec leur petite famille. Comme des gens normaux quoi.

Répondante 8I, 25 ans, aide-soignante chez les personnes âgées, habite loin du bidonville rom

Les médias et la construction d’attitudes négatives envers les Roms

Pour rappel, dans les entrevues semi-dirigées aucune question ne faisait référence directe aux médias, la réponse à cette question étant complexe à traiter dans le cadre d’une analyse qualitative, puisque rares sont les individus qui ont conscience de la manière dont les médias influencent leur attitude. Cependant, l’analyse tient compte de commentaires spontanés des répondants qui ont exprimé connaître des faits négatifs sur les Roms dont l’information provient des médias. Il est toutefois nécessaire de mentionner que ces commentaires peuvent procéder d’une rationalisation post hoc, c’est-à-dire où les individus ayant des attitudes négatives envers les Roms invoquent ce qu’ils observent dans les médias afin de les conforter ou de les justifier.

D’abord, certains répondants ont mentionné le fait d’être au courant de comportements ou d’actions imputées aux Roms grâce aux médias, notamment les journaux et les reportages télévisés. De la sorte, une part de la perception négative des Roms provient de l’imaginaire construit socialement par les médias. Par exemple, bien que la répondante 12C (27 ans, avocate, va à l’église située à côté du bidonville rom chaque dimanche) condamne les actions racistes et discriminatoires envers les Roms, elle affirme avoir plusieurs préjugés envers eux, provenant notamment des médias :

Comment percevez-vous les relations de voisinage entre les Roms et les non-Roms ?
— Remplies de préjugés ! Parce que c’est vrai que face à l’inconnu, on a peur. Et on n’a pas le même mode de vie. On en a contre eux et ils en ont contre nous je pense […] Les préjugés peuvent être fondés comme ils peuvent ne pas l’être. Je ne suis pas en contact permanent avec les Roms, donc je ne peux pas dire… Mais de ce qu’on voit à la télé, on les décrit comme étant des gens non sédentarisés, donc qui n’ont vraiment pas le même mode de vie que nous.

Les propos évoqués par cette répondante montrent que la combinaison de la représentation médiatique des Roms et de l’effet halo diminue le désir d’entrer en interaction. Elle renforce également l’idée selon laquelle le mode de vie des Roms n’est pas compatible avec celui des membres du groupe majoritaire. Cette idée a été largement propagée par les médias et les élites politiques, dont Manuel Valls, à l’époque ministre de l’Intérieur, selon qui « ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres, et qui sont évidemment en confrontation » (Dalibert et Doytcheva, 2014 : 78 ; Fassin et al., 2014 : 30).

D’autres discours recueillis montrent l’influence des médias dans la construction de préjugés, mais aussi de craintes et d’appréhensions collectives. La combinaison d’une représentation négative et d’un contact intergroupe superficiel renforce les stéréotypes et agit sur la construction des attitudes envers les Roms. Par ailleurs, bien que certains répondants trouvent difficile de faire la part des choses entre le vrai et le faux dans les informations des médias au sujet des Roms, les informations négatives prennent le dessus dans les représentations. C’est le cas du répondant 25I (30 ans, serrurier, habite loin du bidonville rom) qui se montre méfiant face aux Roms, notamment en raison de tout ce qui se dit à la télévision à leur endroit. Cela influence son interprétation de leurs conduites et agissements :

Des fois, je vois un monsieur pauvre qui s’assoit là. Et je vois d’autres gens qui viennent et parlent avec lui. Après, il leur donne l’argent qu’il a fait, et eux, ils s’en vont. Je ne sais pas si c’est un réseau, mais je pense que oui parce qu’on l’entend beaucoup à la télé. Franchement, après, je ne sais pas ce que je pense par rapport aux Roms, je n’ai pas vraiment d’opinion. Mais avec tout ce qu’on voit à la télé… Je pense qu’ils disent un peu de vrai et de faux sur les Roms… je ne sais pas.

De plus, si les groupes migrants se définissent, de manière générale, par le traitement différentiel opéré à leur égard par les médias, les discours politiques, les mesures administratives ou l’attitude policière, les stéréotypes qui en découlent consolident tout particulièrement les craintes et la méfiance envers les Roms. Cela transparaît dans les propos négatifs très marqués de la répondante 5I (58 ans, boulangère, travaille à proximité du bidonville rom) qui se sent « agacée » par la présence des Roms et pense qu’ils devraient être renvoyés en Roumanie :

Vous êtes-vous déjà fait voler par un Rom ?
— Non, ça ne m’est pas arrivé, parce qu’on le sait. Et puis, même dans les métros à Paris, ils commencent à connaître ceux qui volent et ils font un appel en disant de faire attention à nos affaires. Ils savent qu’ils sont là et ils les connaissent, mais ils ne peuvent rien y faire, car ce sont des gamins : ils vont les arrêter et les relâcher. Il y en a combien des émissions qui passent à la télé à propos de ça ? Très souvent.
Avez-vous des amis qui ont déjà été volés ?
— Non, pas à ma connaissance. Mais bon, on en entend souvent parler dans les médias.

D’autres répondants, sans faire mention explicite des médias, se sont fait l’écho d’informations au sujet des Roms qu’ils n’avaient pas constatées par eux-mêmes. Les médias et les discours politiques constituent une source d’explication plausible de leur provenance, ainsi que d’autres rumeurs dont tout le monde parle sans que personne ne semble les avoir vérifiées effectivement. En effet, le traitement médiatique confère une couleur particulière aux situations traitées, ce qui modifie leur perception et peut leur donner de l’importance sur la scène publique. Il en va de même de la façon dont les élites gèrent ce qu’ils désignent comme étant le « problème rom » et cela ne manque pas de refléter une certaine image des Roms dans la société, dont voici quelques illustrations explicites :

Ils accumulent des affaires ici, après ils repartent en Roumanie, et ils reviennent… Et quand ils vont en Roumanie, ils se construisent des châteaux.

Répondant 23C, 52 ans, au chômage, habite loin du bidonville rom

Quand on entend dire que le gouvernement leur donnait des aides pour partir, mais que de toute façon, ils vont chez eux, ils gardent l’argent, ils reviennent et puis on leur redonne… Ils font du business de tout. Ils ont un côté roublard.

Répondante 29C, 58 ans, travaille à Pleine Commune Habitat, habite loin du bidonville rom

Des fois, je pose des trucs et j’ai peur qu’ils les prennent. Ils volent les poussettes et des bébés dans les bâtiments.

Répondante 11I, 27 ans, mère au foyer, habite à proximité du bidonville

Il y en a beaucoup qui pourraient partir parce qu’ils ont de très belles maisons : ils sont mieux là-bas qu’ici. Ça, c’est vrai. Tout le monde le sait.

Répondante 6I, 50 ans, restauratrice, travaille à proximité du bidonville rom

Conclusion : Des actions municipales qui favorisent l’intégration des Roms

Notre étude s’est donné pour objectif d’améliorer la compréhension des mécanismes de construction des attitudes envers les Roms, dans la société française en particulier. Les entrevues conduites dans deux communes de la région parisienne nous ont permis d’illustrer l’impact des interactions sociales et des « contacts intergroupes », des politiques locales d’intégration, ainsi que l’influence du traitement médiatique sur les perceptions et la représentation des migrants en situation précaire au sein des sociétés d’accueil. Nous avons notamment démontré que les interactions sociales et les contacts de qualité entre les Roms et les non-Roms sont rares. Les préjugés qui entourent les populations catégorisées comme « rom » limitent le désir de les connaître. Ils peuvent même créer un sentiment d’angoisse chez certains individus, qui craignent d’être volés ou agressés. Ainsi, les contacts intergroupes sont influencés par les croyances des membres des communautés d’accueil au sujet de ces nouveaux venus.

Cependant, des interactions informelles et quotidiennes s’installent au sein des deux communes, notamment chez les commerçants. Notre étude révèle que ces contacts se développent davantage lorsque la mixité est encouragée par la municipalité, comme c’est le cas à Ivry-sur-Seine, où l’implication de la municipalité dans l’intégration des Roms a permis de créer une nouvelle configuration sociale, atténuant de la sorte certains facteurs qui contribuent à la diffusion et au maintien des stéréotypes. L’amélioration des conditions de vie quotidienne des Roms, notamment l’installation d’eau potable dans le bidonville et l’accompagnement des enfants à l’école, leur permet de transformer certaines de leurs pratiques stigmatisées, liées aux conditions mêmes de la précarité. Ces transformations contribuent à déconstruire des préjugés assignés. Par exemple, voir des Roms amener leurs enfants à l’école aide à déconstruire le préjugé selon lequel ils ne veulent pas les éduquer. De plus, le fait de côtoyer des Roms dans des contextes d’action quotidienne et socialement acceptée, dans la cour d’école ou à une fête municipale, permet d’introduire peu à peu ces personnes dans une même catégorie que les membres de la société globale majoritaire.

Les municipalités jouent un rôle crucial dans l’intégration des Roms. Elles ont un impact sur la place que cette minorité occupe au sein de l’espace social de la société d’accueil et, par là même, sur les attitudes intergroupes. Finalement, les médias consolident ou influencent la formation de ces attitudes. La liaison réitérative dans le traitement médiatique entre criminalité et migrants Roms engendre des craintes chez les membres du groupe majoritaire et un désir de les exclure. Les représentations médiatiques participent à la construction d’une figure collective des Roms et font en sorte qu’il est difficile de sortir de certaines préconceptions. Comme nous l’avons démontré, cela engendre des situations où il n’est pas évident pour les individus de faire la part des choses entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

Notre étude ne permet pas d’analyser en revanche les effets de contacts intergroupes de qualité, tels que présentés par la théorie de Gordon Allport (1954 ; 1958). Il serait en conséquence intéressant de l’approfondir dans une commune où l’intégration des Roms est plus avancée, c’est-à-dire où ces populations vivent dans des logements en situation de mixité et ont des emplois stables. Par ailleurs, considérant la récente vague d’attentats ainsi que la montée de l’extrême droite en France, l’augmentation du niveau de tolérance envers les Roms, constatée dans l’étude menée par la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH, 2016 : 12) entre 2014 et 2016[6], reste à expliquer. Comme nous l’avons suggéré dans cette étude, les mobilisations et les initiatives locales peuvent constituer une explication plausible du changement de regards envers les Roms. D’autres sont cependant à envisager, qui mériteraient sans doute de faire l’objet de futurs recherches et approfondissements. Il n’en demeure pas moins que de telles explications sont cohérentes avec la thèse principale que nous avons voulu mettre à l’épreuve dans cette étude, à savoir : un travail local d’inclusion et de sensibilisation concernant les migrants en situation précaire peut être à l’origine d’une atténuation des préjugés, individuels et collectifs, envers ceux-ci.