Recensions

La guerre culturelle des conservateurs québécois, sous la dir. de Francis Dupuis-Déri et Marc-André Éthier, Québec, M Éditeur, 2016, 224 p.[Notice]

  • Christophe Cloutier Roy

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Depuis plusieurs années, la polarisation idéologique du discours des élites est une tendance qu’on observe dans nombre de sociétés occidentales. Le Québec n’échappe pas à ce phénomène, ce dont rend compte l’ouvrage La guerre culturelle des conservateurs québécois, paru sous la direction du politologue Francis Dupuis-Déri et du didacticien Marc-André Éthier. La plupart des textes qu’on y trouve sont tirés de communications présentées à l’occasion du colloque « La réaction tranquille », tenu à l’Université du Québec à Montréal en mars 2011. Dans une introduction fort éclairante, Dupuis-Déri et Éthier tracent les contours de la lutte que mène « depuis plus de vingt ans la droite contre la gauche et les mouvements progressistes québécois » (p. 9). Reprenant le concept américain de « guerres culturelles » (culture wars), les auteurs décrivent l’existence au Québec de réseaux d’influence formés d’intellectuels conservateurs appartenant aux élites universitaires et médiatiques qui se dressent contre ce qu’ils perçoivent comme les excès du féminisme, du multiculturalisme et autres avatars du progressisme. Dupuis-Déri et Éthier analysent les stratégies rhétoriques employées par les conservateurs québécois (en particulier le sociologue et chroniqueur Mathieu Bock-Côté) et en relèvent les principales contradictions. Selon les auteurs, les progressistes doivent répondre aux attaques que leur lancent les conservateurs, et c’est là un des objectifs de cet ouvrage, que reprennent à leur compte la plupart des collaborateurs et collaboratrices. Le reste de l’ouvrage est constitué de trois parties comprenant chacune deux chapitres. La première inscrit la lutte entre progressistes et conservateurs dans une perspective historique. Le politologue Frédéric Boily propose une histoire des droites au Québec depuis le tournant du vingtième siècle. Ce faisant, il distingue « la droite économique ou libertarienne » de la « droite identitaire ou culturelle » (p. 70). Boily remarque que la droite identitaire-culturelle ne s’est pas effacée au lendemain de la Révolution tranquille et est demeurée présente au Québec jusqu’à aujourd’hui, alors qu’elle est entre autres incarnée par le maire de Saguenay, Jean Tremblay. De son côté, l’historienne Denyse Baillargeon apporte une perspective féministe fort pertinente sur l’histoire du nationalisme québécois. S’intéressant aux liens entre les différents mouvements nationalistes qui ont fait leur apparition au Québec et les mouvements féministes, elle montre comment « le nationalisme de droite – courant qui a été fortement majoritaire au Québec jusqu’aux années 1960 – s’en est pris à toutes velléités d’émancipation des femmes, de quelque nature que ce soit, de manière à les maintenir dans leur rôle d’épouse et de mère, rôles jugés instrumentaux pour la survie nationale » (p. 86). Baillargeon souligne par ailleurs que les mouvements nationalistes de gauche qui ont pris le devant de la scène à partir des années 1960 ne se sont guère montrés plus ouverts aux enjeux liés à l’émancipation des femmes. L’historienne constate que la construction historiquement genrée du rapport à la nation n’a trouvé que peu d’échos au sein de l’historiographie québécoise, particulièrement chez les historiens nationalistes conservateurs de la « nouvelle sensibilité ». La deuxième partie de l’ouvrage porte sur l’historiographie québécoise et sur l’enseignement de l’histoire. L’historien Martin Petitclerc montre comment un certain « essoufflement » de l’histoire sociale au Québec au cours des dernières décennies a ouvert la porte à une critique en règle de ce courant de la part des historiens de la nouvelle sensibilité et d’autres intellectuels conservateurs, qui lui ont reproché d’être « prétentieuse, téléologique et structuraliste » (p. 134) en plus d’avoir négligé la question nationale. Petitclerc appelle les tenants de l’histoire sociale à répondre à ces critiques (souvent infondées selon lui) afin de revivifier ce courant historiographique. De leur côté, les didacticiens …