Recensions

Le sujet du féminisme est-il blanc ? Femmes racisées et recherche féministe, sous la dir. de Naïma Hamrouni et Chantal Maillé, Montréal, Remue-Ménage, 2016, 270 p.[Notice]

  • Catherine Sylvestre

…plus d’informations

L’ouvrage collectif Le sujet du féminisme est-il blanc ? Femmes racisées et recherche féministe s’inscrit dans le contexte particulier des recherches en études féministes au Québec et s’adresse aux chercheures de ce domaine, et plus largement aux militantes féministes. Différents débats publics et mobilisations ont généré un contexte où le mouvement féministe québécois fut appelé à s’interroger sur le « sujet » qu’il met de l’avant. En formulant l’interrogation : « Le sujet du féminisme est-il blanc ? », cet ouvrage s’inscrit dans cette mouvance. De plus, en posant une telle question, Naïma Hamrouni et Chantal Maillé développent un champ d’analyse encore sous-exploré dans un contexte spécifiquement québécois : celui de l’intersection entre les oppressions de genre et de race. L’exploration de ce champ pousse celles-ci à se poser une autre question centrale : « Est-ce que les revendications au coeur du féminisme actuel représentent bien les préoccupations profondes des femmes minorisées, racisées, ou traduisent-elles davantage l’expérience des femmes blanches privilégiées de par leur couleur ? » (p. 11) Les auteures de cet ouvrage collectif y reviennent toutes à leur façon, en proposant différentes avenues permettant au mouvement féministe québécois de se recentrer autour des revendications et des préoccupations des femmes racisées. Cette idée d’un « recentrement » est d’ailleurs primordiale dans leur démarche. Il s’agit de favoriser un déplacement du lieu du discours féministe du centre vers la marge, et ce, afin de mettre de l’avant des sujets féministes peu entendus. Les textes de cet ouvrage peuvent être assemblés sous trois thèmes : la conceptualisation, la position de chercheure et les situations particulières. Un premier constat rassemble les questionnements des auteures sur les enjeux de conceptualisation : « [l]’appréhension des injustices qui découlent de processus d’imbrication du racisme et du sexisme requiert l’élaboration d’un cadre d’analyse propre » (p. 125). Afin de répondre à cette nécessité, l’ouvrage met de l’avant le concept de « femmes racisées ». Dans un contexte québécois où les données précises illustrant les oppressions de classe et de race sont peu développées, voire totalement manquantes, Chantal Maillé constate que l’usage de ce concept intersectionnel fait face à un « vide catégoriel » (p. 170). Elle développe également une critique de l’usage du terme « diversité » pour nommer les femmes racisées et leur situation particulière. Cette critique est centrale dans l’ouvrage. Naïma Hamrouni et Sandrine Ricci la développent également. Ricci explique l’importance de problématiser l’usage de ce concept de « diversité » car, dépolitisé, consensuel et positif, il joue un rôle de « masquage » (p. 180) des rapports d’oppression de genre et de race. Hamrouni poursuit en ce sens en dénonçant l’invisibilisation des situations particulières des femmes racisées par l’usage de termes indifférenciés (diversité, multiculturalisme, etc.). Elle insiste sur la nécessité de nommer les oppressions, ce qui a l’avantage de mettre au jour des situations qui auraient autrement passé sous silence. Ryoa Chung souligne aussi le rôle essentiel de la catégorie de « femmes racisées ». Elle montre de quelle façon ce concept peut contribuer à la dissolution de la « cécité conceptuelle » (p. 79) affectant le champ de l’éthique des relations internationales. Construit sur le paradigme du libéralisme, ce champ gagnerait – plaide Chung – à sortir de l’illusion d’un « sujet universel et neutre » afin de s’intéresser aux situations particulières des groupes marginalisés, et ainsi acquérir une compréhension plus fine des dynamiques mondiales. Puis, en analysant le « lien entre oppression, pouvoir et légitimité dans la prise de parole » (p. 147), Geneviève Pagé explore l’usage de cette catégorie de « femmes racisées » dans le contexte québécois. Elle conclut …