Recensions

La pensée féministe noire, de Patricia Hill Collins [traduit de l’anglais par Diane Lamoureux], Montréal, Les éditions du Remue-ménage, 2016, 479 p.[Notice]

  • Danielle Coenga-Oliveira

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  • Danielle Coenga-Oliveira
    Institut de recherches et d’études féministes (IREF) et Réseau d’études latino-américaines de Montréal (RÉLAM), Université du Québec à Montréal
    coenga_oliveira.danielle@courrier.uqam.ca

La deuxième édition de La pensée féministe noire de Patricia Hill Collins, traduite en français par Diane Lamoureux, met les expériences et les idées des femmes noires au centre de l’analyse et de la construction du savoir scientifique. Dans le but de retrouver la voix individuelle et collective, politique et personnelle des femmes noires (p. 18), Collins se lance dans la découverte et la réinterprétation des idées partagées par la communauté de femmes Africaines-Américaines pour présenter et analyser le développement de la pensée féministe noire comme pensée sociale critique, et y contribuer (p. 58). L’auteure cherche donc à approfondir l’analyse des intersections des formes particulières d’oppression et leur relation avec la matrice de domination qui les structure. Ses objectifs s’insèrent dans la relation coconstruite entre théorie et pratique. Elle se penche sur le développement d’un cadre épistémologique capable de valoriser et faire reconnaître la pensée féministe noire ; d’outiller les personnes pour contester les oppressions et les savoir universels ; et de contribuer à la promotion de l’empowerment des femmes noires et de la justice sociale. Collins estime que les femmes noires forment un groupe spécifique, hétérogène et marginalisé par le sexe et la race (p. 64). Considérant les oppressions comme « une situation injuste dans laquelle, systématiquement et durant une longue période, un groupe dénie à l’autre l’accès aux ressources sociales » (p. 39), elle souligne que les oppressions vécues par les Africaines-Américaines correspondent à l’exploitation du travail des femmes noires (dimension économique), à la négation de leurs droits et libertés (dimension politique) et aux archétypes normatifs qui leur sont imposés (dimension idéologique). Dans le même temps, la ségrégation sociale et les oppressions communes vécues les amènent à la construction d’une sagesse collective. C’est donc l’expérience collective partagée de l’oppression qui leur permet d’élaborer un savoir collectif, un point de vue situé commun, et nourrit les actions de résistance et la quête de justice sociale par les femmes noires. Cette relation dialectique entre l’oppression et le militantisme est à la base de la pensée féministe noire. Dans ce contexte, la résistance des femmes noires constituée à partir de leurs propres expériences et leur positionnement social privilégié d’outsider-within, en vertu desquels elles « ont pu développer des points de vue spécifiques sur les contradictions entre les actions du groupe dominant et ses idéologies » (p. 49), les incite à la formulation et à la transmission de savoirs alternatifs et indépendants, bien qu’assujettis. Élaborés par et pour les femmes noires comme des théories sociales critiques pour combattre l’oppression, ces savoirs sous-tendent la pensée féministe noire, qui se démarque par son engagement en faveur de la justice sociale et économique, l’amélioration des conditions de vie des groupes opprimés et l’empowerment des femmes noires, les outillant à survivre et à faire face aux oppressions. En ce sens, la pensée féministe noire est conçue par Collins comme une théorie sociale critique. Dans la deuxième partie de son ouvrage, l’auteure se penche sur les thématiques centrales de la pensée féministe noire. À travers l’analyse du travail, de la famille, de la féminité, de la maternité, des relations amoureuses, du militantisme et des archétypes normatifs négatifs (tels que celui de la nounou, de la matriarche, de la mère assistée sociale et de la Jézabel), elle analyse la tension entre des images sociales imposées aux femmes noires et leurs efforts pour y résister et pour valoriser leurs propres vécus. Tout au long des sept chapitres qui abordent ces thématiques, Collins explique comment le contrôle des corps et de la vie des femmes noires se structure par des conceptions binaires et hétéronormatives, développées et …