Recensions

Qu’est-ce que la conscience de classe ? Contribution au débat sur la reconstruction du mouvement ouvrier, de Wilhelm Reich, Saint-Joseph-du-Lac (Québec), M éditeur, 2018, 143 p.[Notice]

  • Omer Moussaly

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  • Omer Moussaly
    Chercheur postdoctoral, Chaire UNESCO d’études des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, Université du Québec à Montréal
    moussaly.omer@gmail.com

Rédigé en 1934 par le psychanalyste marxiste Wilhelm Reich [1897-1957], Qu’est-ce que la conscience de classe ? Contribution au débat sur la reconstruction du mouvement ouvrier fut d’abord publié sous le pseudonyme d’Ernst Parell, en 1934, à la suite de la défaite qu’a essuyée en Allemagne le mouvement ouvrier. Constantin Sinelnikoff l’a traduit de l’allemand et publié à compte d’auteur. L’objectif de cet écrit, affirme Reich, est de faire appel à des questions dont les réponses sont susceptibles d’épargner au mouvement ouvrier de retomber dans les thèmes ressassés. Il y aurait alors avantage à conjuguer la conscience de l’avant-garde révolutionnaire à celle de l’homme ordinaire. D’emblée, Reich pointe du doigt la fausse conscience d’appartenance de la classe ouvrière qui sympathise avec les nazis, bien que ces derniers aient pourchassé les leaders syndicaux. Il attribue cette anomalie à la structure coercitive du patriarcat et à la répression psychologique plutôt qu’à l’économie, comme l’allèguent la plupart des marxistes (p. 36). Élevé dans la soumission, l’ouvrier frustré ne devient pas un vrai révolutionnaire tant qu’il n’a pas appris à transgresser les interdits. Ce n’est pas en partant de la théorie économique marxiste pure qu’on transforme le monde, mais plutôt en inversant la démarche. Autrement dit, le processus révolutionnaire se fait de bas en haut et les dirigeants ont intérêt à se mettre à l’écoute de la base plutôt qu’à aligner leur action sur l’idéologie marxiste. La nouvelle édition du livre contient une préface de Sébastien Rioux, professeur au Département de géographie de l’Université de Montréal, qui situe l’ouvrage dans la trajectoire du psychanalyste révolutionnaire où Reich s’explique mal que la classe ouvrière ait une fausse conscience d’appartenance qui s’identifie plutôt au national-socialisme, nonobstant le fait que ce parti persécute les ouvriers militants et les révolutionnaires. En ce qui concerne le marxisme orthodoxe, il met l’accent sur l’économie, sans pour autant tenir compte de la psychologie de masse, mais surtout ne propose pas de solution concrète à la soumission des classes subalternes. Les quelques acquis de la classe ouvrière créent chez elle l’illusion que le redressement des torts est sur la bonne voie. Reich propose d’inverser la démarche révolutionnaire qui part de l’idéologie marxiste au lieu d’y aboutir en passant par les frustrations de la classe ouvrière. En suggérant aux dirigeants d’écouter les doléances des exploités, la saine administration agit du bas vers le haut. Dès lors, on s’explique les raisons de l’échec du mouvement ouvrier en Allemagne qui démentent les prédictions de Marx voulant que les sociétés industrielles avancées soient mieux placées pour vaincre le capitalisme. En guise de justification de son écrit, Reich fait état des conditions lamentables des ouvriers allemands en terre d’exil, ce qui nécessite de reconstruire leur mouvement, jusque-là absent du débat sur la psychologie collective. En épousant l’idéologie bourgeoise et réformiste, la Deuxième Internationale ouvrière n’a pas su avancer la cause des subalternes et la Troisième s’est embourbée dans la bureaucratie abrutissante. Le relent de positivisme associé au marxisme vulgaire a favorisé le fascisme en lui conférant l’apanage de combiner idéalisme et subjectivité au détriment de la gauche confinée dans un matérialisme sclérosé. Il incombe d’articuler la révolution des couches opprimées sur l’élan spontané de leur inconscient pour transformer les structures économiques qui ne profitent qu’à la minorité capitaliste. À regarder de près, la conscience de classe est une hydre à deux têtes, celle de la masse et celle de la direction, qui auraient avantage à s’entendre pour agir de concert. Le psychisme individuel est le moteur du changement, d’autant plus s’il s’allie aux impératifs de la société. Les communistes ont commis l’impair de réclamer dès le début …