Recensions

Hegel : de la Logophonie comme chant du signe, de Jean-Luc Gouin, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, 312 p.[Notice]

  • Omer Moussaly

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  • Omer Moussaly
    Département de science politique, Université du Québec à Montréal
    Chaire UNESCO d’études des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique
    moussaly.omer@gmail.com

Dans son ouvrage Hegel : de la Logophonie comme chant du signe, fruit de plusieurs années d’études de la part de ce spécialiste de Hegel, Jean-Luc Gouin développe plusieurs pistes intéressantes. Il s’agit d’un livre nuancé qui est susceptible de provoquer des débats philosophiques. Le chapitre préliminaire présente le parcours de l’auteur et sa relation intellectuelle avec le géant de la pensée philosophique allemande. Gouin admet que le projet de saisie de l’ensemble de la pensée de Hegel est presque d’office voué à l’échec. Mais, pour reprendre une expression chère à Hegel, rien de grand dans ce monde ne s’accomplit sans passion. Un des mérites de ce livre c’est qu’il est écrit par un passionné de son sujet. L’appareillage en notes explicatives est très substantiel. C’est parfois dans les notes critiques que se découvrent les intuitions brillantes de Gouin. De plus, celui-ci invite le lecteur à se pencher sur des débats qui sont bien trop souvent relégués au musée des antiquités. Gouin écrit que le monde universitaire, dominé par la publication anglo-saxonne, tend à vouloir toujours s’intéresser au plus récent débat théorique plutôt que de faire un nécessaire retour en arrière. On tend de plus en plus à éviter de discuter de la vaste somme d’érudition en Europe au cours du vingtième siècle quant à la pensée de Hegel. D’ailleurs, Gouin veut ouvertement se positionner contre cette tendance et invite le lecteur à retourner aux oeuvres des grands penseurs qui se sont mesurés à Hegel, tels Herbert Marcuse [1898-1979] et Maurice Merleau-Ponty [1908-1961]. Le prologue situe la vie et l’oeuvre de Hegel dans son contexte historique. L’auteur se concentre en particulier sur deux ouvrages en français qui offrent une biographie intellectuelle du penseur. Il s’agit de Hegel. Biographie de Jacques D’Hondt (Calmann-Lévy, 1998) et de Hegel. Naissance d’une philosophie. Une biographie intellectuelle d’Horst Althaus (Seuil, 1999). Gouin reproche au livre d’Althaus de friser le récit anecdotique, racontant des faits saillants de la vie de Hegel, car il traite peu du noyau dur de la pensée du philosophe allemand, risquant de ne pas le présenter adéquatement. D’Hondt, d’un calibre philosophique supérieur, se permet d’entrer un peu plus en profondeur dans l’oeuvre théorique de Hegel. Selon Gouin, Althaus tombe dans le piège de la caricature et affirme, comme plusieurs avant lui, que Hegel est essentiellement un penseur conservateur (p. XXIV). Il souligne néanmoins la supériorité de D’Hondt qui, en contextualisant la vie et l’oeuvre de Hegel, montre la quasi-impossibilité d’interpréter Hegel comme un philosophe réactionnaire. Au contraire, dit-il, Hegel est allé très loin dans la critique du « réel concret » de son époque et de sa nation (p. XXIV). Son commentaire des deux biographies se clôt sur l’établissement d’un lien entre la philosophie hégélienne et la question historique. En étudiant la vie et l’oeuvre de Hegel, le philosophe professionnel tout comme le simple curieux s’ouvrent non seulement sur la pensée idéaliste postkantienne, mais sur l’histoire universelle de l’humanité. Le premier chapitre du livre invite à s’initier à la pensée même de Hegel. Gouin veut offrir une clé d’interprétation de la fameuse conception hégélienne concernant la rationalité de la réalité. Selon lui, il est question de professer sa foi en la rationalité en tant que facteur constant du réel, que le philosophe décèle à tous les niveaux. La notion de totalité prend ici toute son importance dans la philosophie hégélienne. Hegel cherche à tout embrasser de manière dialectique. À l’ère de l’hyperspécialisation dans les sciences sociales, cette volonté de relier chaque domaine du savoir à une totalité, qu’elle soit organique ou rationnelle, est mal vue. Pourtant, cette approche a souvent été …