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La question des décès aux mains de la police occupe une place importante dans le débat public américain, dans la foulée notamment du mouvement Black Lives Matter et plus largement des différentes mobilisations liées à des violences policières au cours des dernières décennies, de « l’été long et chaud » de 1967 aux soulèvements de Ferguson en 2014 en passant par les émeutes de 1992 à Los Angeles. When Police Kill de Franklin E. Zimring, professeur en droit à l’Université Berkeley, se penche sur cet enjeu en abordant, d’une part, les facteurs qui permettent de comprendre la plus grande proportion de décès aux mains de la police aux États-Unis par rapport aux autres démocraties libérales avancées et, d’autre part, les solutions qui pourraient être mises de l’avant pour réduire autant que possible l’ampleur du phénomène. The End of Policing d’Alex S. Vitale, professeur en sociologie au Brooklyn College, propose pour sa part de situer la question des violences policières dans une perspective historique plus large, en analysant l’expansion du système de justice pénale américain au cours des quatre dernières décennies et les conséquences de cette expansion pour les communautés les plus défavorisées et marginalisées.

La première partie de l’ouvrage de Zimring vise à documenter la prévalence, les causes et les conséquences des décès aux mains de la police aux États-Unis, en notant d’emblée une tension entre la préoccupation croissante du public américain pour ce phénomène depuis 2014 et le manque de données fiables et complètes sur la question. En se basant sur une analyse des articles médiatiques dédiés à des décès aux mains de la police, Zimring évalue à environ mille le nombre moyen de personnes abattues par la police américaine sur une base annuelle (p. 39-40). À partir des décès compilés par le journal The Guardian pour la première moitié de 2015, le professeur de droit souligne qu’une vaste majorité des personnes tuées par la police aux États-Unis durant cette période sont des hommes (95 %), tout en notant une surreprésentation de ceux d’origine afro-américaine et autochtone (p. 46). Un autre constat soulevé par cet auteur est qu’une part importante des décès aux mains de la police dans la base de données du Guardian (23,2 %) est liée à des appels pour trouble domestique ou atteinte à l’ordre public, ce qui indique que l’usage létal de la force par les policiers américains n’est pas associé, dans plusieurs cas, à des épisodes de criminalité violente (p. 56). La circulation d’une grande quantité d’armes à feu sur le territoire américain contribue à expliquer ce grand nombre de décès aux mains de la police aux États-Unis, puisque les policiers interagissent plus régulièrement avec des propriétaires d’armes. Zimring souligne toutefois que plus de 40 % des décès aux mains de la police n’impliquent pas la présence d’une telle arme, ce qui constitue un « vaste réservoir de vies qui auraient pu être sauvées » (p. 89, notre traduction). Dans la deuxième partie du livre, dédiée à la prévention et au contrôle des décès aux mains de la police, Zimring avance que les piliers centraux d’une stratégie de réduction de la violence létale utilisée par les forces de l’ordre consistent en deux balises protocolaires, soit les conditions selon lesquelles les policiers sont autorisés à tirer et celles où ils doivent obligatoirement cesser de tirer (p. 226-227). Ces deux piliers centraux devraient être appuyés par un plus grand financement pour la recherche sur les causes et les caractéristiques des décès aux mains de la police et les décès de policiers dans le cadre de leurs fonctions, ainsi qu’une législation qui créerait de nouvelles compensations pour les victimes de violence policière excessive et leurs proches (p. 240).

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Vitale affirme pour sa part dans son ouvrage que le problème central auquel nous sommes confrontés n’est pas la qualité des protocoles suivis par les policiers dans le cadre de leurs fonctions, mais plutôt le fait que la police elle-même a connu une expansion démesurée de son domaine d’exercice au cours des quatre dernières décennies. Cette expansion est liée à un programme politique néoconservateur qui envisage les problèmes sociaux – marginalité économique, itinérance, toxicomanie, et ainsi de suite – comme devant être pris en charge par les forces de l’ordre, qui doivent alors gérer au quotidien les conséquences de l’augmentation des inégalités socioéconomiques et ethnoraciales aux États-Unis (p. 27). Tandis que la restructuration du marché du travail américain et l’offensive néolibérale ont entraîné, depuis les années 1970, la précarisation et l’exclusion économique de millions d’individus, cette « population surnuméraire » a été de plus en plus ouvertement contrôlée par l’entremise de la surveillance policière et de l’incarcération de masse (p. 51). Vitale démontre ensuite le caractère contreproductif de cette approche sur plusieurs fronts : la présence policière dans les écoles, bien loin d’accroître leur sécurité, contribue à la criminalisation des jeunes les moins bien intégrés au réseau scolaire (p. 71-72), tandis que la surreprésentation des personnes atteintes de troubles de santé mentale dans les décès aux mains de la police trahit l’absence d’un système de santé fonctionnel pour les individus les plus vulnérables (p. 87). Quant à l’augmentation récente de l’itinérance dans les centres urbains américains, elle ne pourra pas être réglée par le harcèlement policier des sans-abri, mais plutôt par un programme de réinsertion en logement, accompagné du support financier et des services sociaux adéquats (p. 102-103). La légalisation du travail du sexe (p. 127) et celle de la consommation de drogues (p. 150) permettraient de réduire le rôle du crime organisé et de la corruption policière dans ces deux domaines d’activités, tout en offrant une meilleure protection aux personnes qui sont les plus susceptibles d’être victimes de violence (en l’occurrence les travailleur·euse·s du sexe, ainsi que les consommateur·rice·s de drogues). Un meilleur support pour les jeunes susceptibles de s’impliquer dans les gangs de rue, tant sur le plan de l’accès à l’éducation que des opportunités d’emploi, constitue une méthode pour réduire la présence de ces mêmes gangs plus efficace que la criminalisation des recrues potentielles (p. 165). Une telle approche holistique, qui limite la place du système de justice pénale dans la gestion des problèmes liés à l’exclusion sociale, est aussi promue par Vitale dans le cas de l’immigration non documentée, celui-ci appelant à une abolition des programmes fédéraux dédiés à l’identification et à la déportation des immigrant·e·s en situation irrégulière, la levée des barrières qui limitent l’accès au logement et à l’emploi de ces personnes, ainsi qu’une reconnaissance de leur rôle important dans la revitalisation des communautés et la stimulation de l’économie aux États-Unis (p. 194).

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Bien que Franklin E. Zimring et Alex S. Vitale abordent des thèmes similaires respectivement dans When Police Kill et The End of Policing, le traitement de ces thèmes diffère significativement entre les deux ouvrages : si le premier propose des stratégies de réduction des décès aux mains de la police liées à la formation et aux protocoles d’intervention, le second insiste plutôt sur la réduction de la présence policière dans la vie des communautés les plus défavorisées, dont les membres sont surreprésentés dans les interactions létales avec les forces de l’ordre. Bien que ces deux approches aient leurs mérites respectifs, il nous semble que celle qui est adoptée par Vitale est plus appropriée pour rendre compte de l’ampleur du phénomène étudié, et pour éventuellement y remédier. En définitive, les réformes proposées par Zimring nous semblent insuffisantes pour régler le problème des violences policières aux États-Unis et ailleurs, mais un dialogue entre sa perspective, qu’on peut associer à la justice procédurale, et l’approche de Vitale, qui correspond davantage à un programme de justice sociale, est sans doute l’une des avenues les plus intéressantes pour étudier cette question difficile et d’une grande actualité.