Corps de l’article

Avec l’actuelle fragmentation de la scène politique dans le monde, il est possible d’observer plus de types de partis que par le passé (Bardi et Mair, 2008). Parmi ceux-ci, les partis dits antisystèmes ne correspondent à aucune convention de la vie politique traditionnelle : certains d’entre eux, aussi nationalistes, peuvent légitimer l’utilisation de méthodes radicales afin de réaliser leurs ambitions représentatives. Néanmoins, afin d’aspirer à gouverner et de ne pas s’aliéner de potentiels électeur·trice·s, ceux-ci peuvent éventuellement s’institutionnaliser et modifier leur agenda. C’est le cas entre autres du Parti québécois qui a grandement évolué depuis les dernières décennies, laissant aux chercheur·euse·s de nombreuses interrogations quant à son positionnement sur l’échiquier politique. Au lendemain des cinquante ans du Parti québécois, quel bilan peut-on en dresser ? Et quel bilan tirer de partis comparables à l’international ? Cet article explore les raisons derrière le processus d’institutionnalisation en comparant le cas du Parti québécois avec le Scottish National Party (Écosse) et le Sinn Féin (Irlande du Nord). Des données à la fois théoriques provenant de la littérature et empiriques relevant des plateformes électorales de chacun des partis seront utilisées afin d’évaluer leur évolution effective dans leur contexte sociopolitique, leur position actuelle respective quant au degré d’antisystémisme, et de fournir quelques pistes explicatives de ces états de fait. 

Cette problématique s’avère intéressante et pertinente sur plusieurs aspects. Tout d’abord, le degré du caractère antisystémique de différents partis nationalistes partageant une scène politique similaire et leur évolution seront abordés et évalués, ainsi que la façon dont ils véhiculent leur message. De même, il sera possible de situer ces partis sur un spectre grâce à la proposition d’une méthode d’évaluation inédite de leurs plateformes électorales respectives. Ce processus et les conclusions qui en sont tirées sont novatrices en raison de l’utilisation d’outils d’analyse originaux que nous avons développés. Cela permet un regard neuf sur le phénomène des partis politiques à la fois nationalistes et antisystèmes. Deux questions de recherche guident cette recherche : jusqu’à quel point ces partis sont-ils effectivement antisystémiques ? Et pourquoi ont-ils évolué comme ils l’ont fait ? Nous considérons les deux propositions de recherche suivantes : 1) la présence des chocs internes et externes influence le niveau du caractère antisystémique des partis ; 2) plus les partis nationalistes s’intègrent institutionnellement, moins le contenu de leurs plateformes est antisystémique.

Prémisses théoriques

Afin de répondre à ces questionnements et d’arriver à un bilan exhaustif pour chacun des partis sélectionnés, nous considérons le néo-institutionnalisme dit historique (Lecours, 2002 ; Gazibo et Jenson, 2004) comme théorie de base à privilégier. Selon cette approche, les phénomènes sociopolitiques sont fortement conditionnés par des facteurs de natures institutionnelle, contextuelle et exogène. De même, l’approche s’appuie sur le postulat voulant que les règles politiques et les politiques publiques soient la source de contraintes institutionnelles qui influencent les stratégies et les décisions des acteur·trice·s politiques (Béland, 2002 : 21-22). Les phénomènes sociopolitiques ne peuvent être expliqués seulement par la décision de ces dernier·ère·s, puisqu’ils sont fréquemment le résultat accidentel d’un « processus macro-historique de développement institutionnel où chaque configuration conditionne la prochaine » (Lecours, 2002 : 9). En outre, cette approche teinte la perspective comparative arborée dans le présent article. Nous accordons une attention particulière au processus d’institutionnalisation plutôt qu’uniquement aux institutions en place (Gazibo et Jenson, 2004 : 197), afin de mieux comprendre l’évolution des cas retenus ainsi que leur contexte propre. Tel que le décrit Charles Tilly, nous penchons pour une comparaison par recherche de variations du même phénomène (ibid.).

Différents éléments de la théorie des changements de partis de Robert Harmel et Kenneth Janda (1994) s’inscrivent dans cette perspective néo-institutionnaliste. Un changement est représenté par toute modification dans la façon dont sont organisés les partis politiques, ce qu’ils revendiquent et sur quelles ressources ils reposent. Ces changements sont dus à des facteurs causaux internes et externes, mettant de l’avant l’importance de « chocs », où un stimulus survient et avec lequel le parti réévalue son efficacité dans la rencontre de son but primaire. Considérant cela, un choc peut surgir lorsque naît un nouveau parti ou une réforme constitutionnelle, un échec électoral, un changement dans la distribution des sièges, etc. Cela fait référence à Angelo Panebianco (1988) et au cycle de vie des partis, à l’intentionnalité des changements, de même qu’à la nature endogène (due à la distribution interne de pouvoir) ou exogène (modifications dans l’environnement) de ces changements. Ainsi, la présence d’un événement ou d’un accord significatif, un mode de scrutin favorable ou non aux petits partis, un changement de chef ou bien l’appui électoral sont tous des exemples pouvant être un choc qui conduit à une évolution.

Du côté des partis, les formations nationalistes se caractérisent par une volonté accrue de représentation et de défense des intérêts nationaux en mettant entre autres de l’avant l’économie, la culture et la langue nationales. Pour Daniel Louis Seiler (1993), ils s’insèrent dans la catégorie des partis qui visent la défense de la périphérie. Néanmoins, les objectifs fondamentaux des groupes nationalistes (ici considérés au sens large) varient. Alors qu’ils cherchent tous un changement politique important, ce dernier peut aller de l’indépendance complète à une autonomie limitée (McAllister, 1982 : 202). Par conséquent, un parti nationaliste n’est pas automatiquement antisystème. Les méthodes utilisées pour mobiliser le soutien de la communauté ou de la nation dont ils revendiquent la représentation aussi diffèrent. Par exemple, certains visent des tactiques de groupes de pression, d’autres une approche électorale. Pour Richard Diamond et Larry Gunther (2001 : 10), les partis nationalistes sont des « partis de masse », qui recherchent le changement social au bénéfice de la classe ouvrière, la défense de ses intérêts, et tentent de saisir le pouvoir grâce à un programme idéologiquement orienté. Néanmoins, il est possible d’avancer qu’ils ne sont par nature ni de gauche, ni de droite, pouvant provenir d’un côté ou l’autre du spectre politique.

Au Québec, le nationalisme est associé dans la mémoire collective à la souveraineté[1]. Pour Jean-Herman Guay (2017), l’irruption rapide durant les années 1960 au Québec du terme souverainisme a différentes causes : un mépris ambiant des Canadiens anglais envers les francophones ; une situation économique inférieure des francophones ; et une inégalité traduite dans tous les aspects de la vie quotidienne. Une montée du mouvement souverainiste québécois s’opère entre 1960 et 1995 avec la redéfinition de la pensée politique québécoise. Il passe de « canadien-français » et ethnique à « québécois » et civique (ibid.). Le souverainisme se décline alors dans une triade argumentaire : 1) un raisonnement déductif où les Québécois·es forment un peuple et tous les peuples ont droit à la souveraineté ; 2) un argument de responsabilité où le fédéralisme est construit comme un instrument de domination ; 3) un argument de nécessité où cette souveraineté est une condition à l’épanouissement du Québec (Gauthier, 2006). Cela se retrouve dans d’autres exemples de souverainisme, notamment dans le cas catalan, où le poids important de la Catalogne au sein de l’Espagne, un changement d’identité, une crise économique et un déclin de leur situation économique ont favorisé la montée de ce mouvement (Dowling, 2014).

Par ailleurs, un parti antisystème, pour Giovanni Capoccia (2002), est un parti ou un groupe qui exerce une forme radicale d’opposition et appose une distance idéologique envers les autres organisations. Il ne professe pas forcément la violence envers les autres partis, mais ne reconnaît pas ces derniers, préférant exprimer son antipathie en rejetant tout compromis ou coopération avec eux et en se présentant comme un véritable agent de changement et de réforme (Schedler, 1996). Deux branches sont possibles, soit celle de l’antisystème dit relationnel, où l’on retrouve une forme d’isolationnisme par la mise en place d’une distance physique envers les autres partis, empêchant toute coalition, et celle de l’antisystème davantage idéologique, consistant en une incompatibilité des référents idéologiques et des buts politiques du parti envers la démocratie (Capoccia, 2002). Un parti antisystème n’est donc pas ipso facto violent, mais il proteste contre la nature et les valeurs du régime dans lequel il évolue. Lorsqu’il opte pour de telles stratégies antisystémiques, il vise à accentuer les dysfonctions du régime qu’il dénonce, tout en cherchant à faire avancer son projet unilatéralement, sans chercher la reconnaissance des autres acteurs (Montigny, 2017). Étant donné la nature de ses revendications, il peut obstruer la législation, nuire à la centralisation du contrôle de l’agenda et arborer un besoin de se distinguer de l’establishment en place (Koß, 2015 : 1066). Tout comme les partis nationalistes, les partis antisystèmes ne se positionnent pas nécessairement au sein du clivage gauche–droite (Sartori, 1976), mais visent à ébranler la légitimité du système en proposant une alternative crédible, entrant en conflit avec les conventions. Cependant, il est important de souligner que tous les partis antisystèmes ne sont pas forcément nationalistes. L’inverse est aussi vrai : tous les partis nationalistes ne sont évidemment pas antisystèmes, comme le suggère la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui n’est ni antisystème ni sécessionniste (Boily, 2018).

À l’inverse, une stratégie d’institutionnalisation reposerait « sur la capacité d’un parti politique de jouer pleinement le jeu des institutions pour faire avancer sa cause » (Montigny, 2017). Effectivement, il est reconnu que les partis plus institutionnalisés tendent à être plus cohérents avec leur profil idéologique (Ezrow, 2011). Raymond Hudon et Christian Poirier (2011) écrivent qu’une progression dans l’échelle de l’institutionnalisation accroît l’influence des partis dans la conduite des affaires publiques. Le lien avec les électeur·trice·s aura tendance à être plus fort, favorisant une loyauté de ces dernier·ère·s. Le fait de participer pleinement aux institutions peut également démontrer une volonté d’obtention du pouvoir (Ishiyama et Marshall, 2015 : 3). Ainsi, une fois les limites productives de la violence politique atteintes, les organisations peuvent chercher à adopter certaines politiques partisanes dans le but de poursuivre leurs buts politiques (Acosta, 2014). Selon Nicole Bolleyer (2013), l’institutionnalisation des partis renvoie au processus menant à la consolidation même d’un parti, caractérisé par le passage d’une période formative visant l’atteinte des buts fixés par ses fondateurs vers une finalité en soi. De même, l’évolution d’un parti sera teintée par les nouvelles exigences créées par l’entrée de ce parti au Parlement, notamment par rapport au fonctionnement de son organisation interne et son rôle de législateur. Les partis auront davantage de chances d’assurer leur présence au niveau national en entrant au Parlement.

Autrement dit, un parti institutionnalisé en est un reconnu par l’électorat, durable dans le temps et qui accepte de se plier aux règles du jeu pour arriver à atteindre ses objectifs politiques. Il est ainsi non seulement utile de s’interroger sur le moment où un parti devient institutionnalisé (au moment où il participe aux élections ou encore lorsqu’il fait son entrée au Parlement), mais aussi sur les motivations des partis marginaux d’adopter volontairement des stratégies dites traditionnelles. Panebianco (1988) parle de la possibilité d’une désinstitutionnalisation, tandis que Harmel et Janda (1994) signalent que ce sont les différents chocs auxquels font face ces organisations qui expliquent pourquoi ces dernières évoluent.

Il existe plusieurs exemples de partis antisystèmes dans la littérature : les partis communistes français et italien durant la guerre froide, ou bien les partis associés à des groupes antisystèmes, comme le Sinn Féin en Irlande et en Irlande du Nord associé à l’IRA (armée républicaine irlandaise) et le Herri Batasuna au Pays basque, lié à l’ETA (Pays basque et liberté) (Capoccia, 2002). Évidemment, pour les fins de cette étude, la volonté de sécession est l’élément le plus parlant lorsqu’il s’agit de partis à la fois antisystèmes et nationalistes. Ainsi, du côté québécois depuis la fin des années 1960, le PQ a pour mission l’affirmation et la promotion d’une identité nationale. Son caractère antisystémique se retrouve de fait dans son objectif principal : obtenir la sécession du Québec par des moyens démocratiques (Richez et Bodet, 2012 : 77). Sa volonté de se soustraire au serment d’allégeance à la reine d’Angleterre et son désir de réformer l’État québécois en une république aux teintes sociales-démocrates en sont d’autres manifestations. La perspective comparative proposée ici permet de situer l’évolution du Parti québécois par rapport à d’autres formations politiques semblables, en contextes similaires.

Ce faisant, les partis choisis appartiennent à un régime de Westminster, de type fédératif, soit la fédération pour le Canada et l’Union constitutionnellement décentralisée pour le Royaume-Uni (Watts, 2013). Mentionnons aussi leur caractère régionaliste similaire, où un État régionalisé se caractérise par une décentralisation poussée en ce qui concerne l’autonomie de ses entités (Gazibo et Jenson, 2004). Le régionalisme politique au Royaume-Uni a gagné du terrain, surtout depuis les années 1960, notamment en raison de la capacité des régions de mettre certains enjeux à l’agenda (Delwit, 2005). Quant au Canada, cette régionalisation s’est davantage opérée entre la fin des années 1980 et en 2006, souvent de manière à nourrir le conflit plutôt que de trouver de la cohésion entre les régions (Gagnon et Bickerton, 2013).

Cela, qui n’est pas sans rappeler le débat entre le centre et la périphérie (Lipset et Rokkan, 1967) et des mouvements périphériques, se traduit par une tension entre une volonté de se doter d’un État central fort et un besoin accru d’autonomie pour des régions dans un espace politique commun (Montigny, 2017). L’entrée de partis régionalistes dans les institutions traditionnelles pose de nombreux défis, surtout s’ils se considèrent comme antisystèmes (Hepburn et Detterbeck, 2013). Évidemment, leur succès électoral dépend de plusieurs facteurs, et les partis, quels qu’ils soient, peuvent se retrouver victimes de leur succès une fois entrés au Parlement. La mise en oeuvre de leur programme politique peut mener à des tensions internes (Van Haute et Pilet, 2006).

Méthode

Les plateformes électorales fournissent un rendu intéressant des priorités et des volontés des partis politiques. Elles diffèrent des programmes par leur caractère plus collectif et médiatisé, en énonçant les grandes orientations et idées d’un parti donné (OQLF, 2018). Il est donc possible d’y détecter les éléments que les partis considèrent comme fondamentaux en temps crucial d’élections. Étant comprises ici comme le miroir des partis et de leurs valeurs, elles seront analysées de façon à en faire un bilan. Dans le but de les comparer sur une base analogue, les plateformes retenues sont celles de la période comprise entre le premier siège remporté lors d’une élection au sein de leur assemblée législative actuellement en place et la dernière élection tenue. Quatorze plateformes composent le corpus relatif au Parti québécois (de 1970 à 2018), cinq pour le Scottish National Party (de 1999 à 2016), et six pour le Sinn Féin (de 1998 à 2017). 

L’outil d’analyse utilisé ici diffère des bases de données préexistantes comme le Manifesto Project Database. D’abord, notre méthode se concentre sur le degré du caractère antisystémique des partis retenus. Ensuite, elle évalue les plateformes produites à l’occasion d’élections régionales des partis, c’est-à-dire celles pour les élections du Sinn Féin en Irlande du Nord et du Scottish National Party (SNP) en Écosse, et non pas aux élections générales au Parlement de Westminster. En effet, la disponibilité de toutes les plateformes des partis retenus sur la scène politique analysée[2] n’était pas garantie, sans compter que ces plateformes n’offraient pas de données relatives au Québec. Le contenu des plateformes dépendant des enjeux et de la scène politique électorale donnée, il était préférable pour les fins de cette étude de procéder autrement.

Issu d’une démarche qualitative, le processus d’analyse proposé s’avère inédit, puisque entièrement conçu, développé et appliqué aux fins de la présente étude dans le cadre d’un mémoire de maîtrise (Villeneuve-Siconnelly, 2019). Cette démarche, proposant un « indice antisystème pour les plateformes » (IAPP), se déroule en quatre temps. Premièrement, les différents corpus ont été téléchargés à partir de bases de données en ligne, Poltext[3] pour le cas du PQ[4], Cain Web Service pour le Sinn Féin et Political Science Ressources pour le SNP, pour ensuite être lus et codés exhaustivement afin de repérer les informations clés liées aux critères d’évaluation établis. Une telle lecture approfondie apporte une meilleure compréhension des écrits et de leurs nuances, non seulement en matière de contenu mais aussi de contexte, qui ne seraient pas pris en compte lors d’une démarche quantitative qui par exemple ne relèverait que le nombre ou le contenu objectif des mots du corpus. Dans un troisième temps, chaque plateforme est évaluée selon les grilles d’analyse[5], dans le but de recevoir une note dépeignant la présence d’un caractère antisystémique plus ou moins élevé. Les résultats sont par la suite compilés et calculés à l’aide d’un indice pondéré, pour en dresser un bilan comparatif. Cela permet alors de mettre en exergue l’importance de l’origine des partis (Bolleyer, 2013) et de mieux comprendre leur évolution.

Étant donné la nature des partis choisis, le codage concerne surtout des thèmes pouvant être associés au caractère antisystémique et nationaliste afin de témoigner, ou non, d’une évolution de leur degré d’insertion dans la vie politique institutionnalisée. En conséquence, placer ces thèmes en tant que priorités dans les plateformes indiquerait une volonté de positionnement à l’encontre du régime en place. À l’inverse, leur accorder moins d’importance pourrait indiquer une volonté de modération, de capture d’un plus grand nombre d’électeur·trice·s, voire d’intégration au sein du système. Les éléments qui suivent abordent chacun de ces critères et le pointage qui leur est accordé, sur une possibilité maximale de 20 points.

Tel que présenté au tableau 1, le premier critère thématique d’évaluation de l’IAPP correspond à l’importance accordée à la souveraineté, qui vaut 40 % de la note finale. Évocateur d’un fort caractère antisystémique, ce thème est composé de deux sous-sections, soit l’importance générale accordée au thème de la souveraineté dans la plateforme (40 %) et le calendrier correspondant (60 %). Dans la première, trois points sont accordés si la souveraineté représente le premier point abordé dans la plateforme et, de ce fait, la priorité du parti lors de l’élection. Si ce sont d’autres thèmes qui prévalent, un seul point est accordé. Dans la deuxième, un calendrier bien établi fournit un indice supplémentaire quant à la motivation réelle du parti à demeurer antisystème, justifiant en conséquence son poids numérique plus élevé. Cela se décline ici suivant trois possibilités : 1) une indépendance immédiate après l’élection d’un parti vaut trois points, 2) la tenue d’un référendum lors d’un premier mandat vaut deux points, 3) l’absence de telles informations ou la possibilité d’un éventuel référendum sans échéancier précis vaut un seul point, puisque c’est considéré comme la moins antisystème des options. Dans ces deux sous-sections, une position mitoyenne entre deux critères peut être considérée lorsqu’une plateforme s’avère davantage nuancée, et le pointage est ajusté en conséquence.

La littérature signale une appartenance ou une affirmation nationale à la fois civique et ethnico-culturelle au Québec (Thompson, 1995 ; Lamoureux, 2002). Considérant aussi qu’il s’agit de partis nationalistes dont la raison d’être est la protection des intérêts de la culture qu’ils représentent, le deuxième thème s’intéresse à la promotion du nationalisme dans la protection de la culture, de la langue et de l’identité nationales, et équivaut à 20 % de la note finale (tableau 2). Un caractère antisystémique y est dénoté, puisque le parti juge la situation actuelle insatisfaisante, se plaçant à l’encontre du milieu politique dans lequel il évolue. Cinq points peuvent être récoltés, dont un point pour le renforcement de ce thème dans le cursus scolaire obligatoire, un point pour sa présence dans les programmes gouvernementaux (ex. : affichage et services publics dans la langue nationale, lois linguistiques ou culturelles), et finalement trois points pour l’octroi de fonds publics pour la promotion de la souveraineté, représentant de fait le caractère le plus antisystémique possible de ce thème. Le troisième thème correspond à la place qu’aurait l’État indépendant revendiqué sur la scène politique internationale et les éventuelles relations bénéfiques pour ce même État (tableau 3). Effectivement, ce type de relation peut être mis de l’avant lorsqu’un groupe tente de trouver une autre vitrine pour faire valoir ses intérêts nationalistes, en dehors du cadre existant. Pouvant de cette manière potentiellement jouir d’une mainmise en matière d’accords internationaux au sein d’un scénario d’indépendance, cela peut être un indicateur d’un caractère antisystémique pour un tel groupe. Étant néanmoins conditionnelle à l’indépendance, la présence d’une telle revendication donne un point, équivalant à 10 % de la note finale.

Finalement, le dernier thème évalue la raison d’être même d’un parti antisystème, soit les critiques énoncées envers le système politique en place et les réformes institutionnelles proposées (tableau 4). Revêtant un caractère antisystémique plus élevé que les deux critères précédents, celui-ci forme 30 % de la note finale. Huit points peuvent être accordés, dont trois lorsque le parti, au moment où la plateforme est parue, n’occupe pas les sièges qui lui sont assignés au sein de son assemblée législative. Ce score se divise en deux, dépendant si le parti occupe ou non les sièges remportés lors de son assemblée régionale (1,5 point) et/ou à Westminster pour les cas situés au Royaume-Uni (1,5 point). Cela représente évidemment un pied-de-nez envers le système et une nuance supplémentaire significative dans le contenu même des plateformes. Deux points sont possibles si le parti émet des critiques précises envers le système ou la structure politique, mais aussi deux points s’il propose des réformes, allant généralement à l’encontre de ce qui est actuellement en vigueur et qui correspondent mieux aux aspirations du parti. Il ne s’agit donc pas seulement de critiquer un acteur spécifique ou une pratique, ainsi que le système dans son ensemble, mais d’apporter des modifications au régime pour consolider ces mêmes critiques et apparaître comme une véritable alternative. En dernier lieu, un point est donné si le parti propose un changement du mode de scrutin, représentant une volonté marquée de modifier un système jugé inadéquat. Cela signale toutefois un caractère antisystémique moins élevé, puisque des partis de différentes allégeances peuvent émettre de telles revendications, notamment en période électorale. Il est cependant entendu que le mécanisme électoral peut avoir un impact, surtout lorsqu’il s’avère proportionnel.

À titre d’exemple, le système dit de single transferable vote (STV) d’Irlande du Nord vise le partage officiel du pouvoir exécutif et la répartition proportionnelle des sièges à la suite des conflits ethniques et historiques entre les communautés présentes sur son territoire (Deacon, 2012 : 195). Ce système est basé sur un classement des candidats par l’électorat, voulant que l’Assemblée ressemble à ce dernier, en lui permettant d’émettre ses préférences (Tideman, 1995 : 27). Le consociationalisme nord-irlandais peut expliquer notamment les appuis au Sinn Féin, puisque l’on y reconnaît les différences ethniques et la représentation accrue des groupes respectifs, et renforce leurs aspirations nationalistes (Nagle, 2013 : 461). Les systèmes dévolutifs écossais et nord-irlandais ont de plus tendance à encourager la modération (ibid. : 472), alors que le système uninominal à un tour, comme au Québec, a une tendance notoire à provoquer davantage de distorsions entre le pourcentage et le nombre de votes reçus et le nombre réel d’élu·e·s. Si cela se produisait, il pourrait être décrié pour le rendre davantage proportionnel, alors que si le système en place s’avère favorable aux petits partis, on peut penser qu’il pourrait de ne pas être aussi fortement dénoncé.

Le·a chef·fe en poste au moment de l’adoption des plateformes y est identifié·e, permettant ainsi d’observer si un changement ou un maintien du leadership a un impact sur les mesures soulevées. Le nombre total de pages de ces plateformes est aussi précisé ; un nombre imposant peut signaler une volonté de noyer les informations transmises afin d’adopter une tendance plutôt attrape-tout, au lieu de s’adresser à un électorat spécifique aux intérêts très ciblés. En lien avec la littérature présentée, les différents événements ayant pu influencer ces plateformes et les enjeux prônés seront observés, ce qui peut fournir quelques pistes de réflexion quant aux raisons derrière l’évolution de leur contenu.

Analyse des plateformes

Le contexte historique et sociopolitique des trois cas d’étude retenus est très riche mais à la fois divergent. Comme ils appartiennent néanmoins tous au modèle de Westminster, ou majoritaire, ils peuvent être analysés suivant une perspective comparative.

Parti québécois

Le degré du caractère antisystémique du Parti québécois a grandement fluctué au fil des années, et il est même aujourd’hui questionné par de nombreux chercheur·euse·s. En effet, malgré son objectif de souveraineté du Québec, le parti a, selon les époques, mis de l’avant cet enjeu de manière bien différente, mettant parfois en relief d’autres sujets jugés plus saillants.

Analyse – La priorité accordée à la souveraineté est claire de 1970 jusqu’à 1994. À la suite du référendum sur la souveraineté de 1995, cette priorité s’avère chancelante, cédant parfois la place à une « approche équilibrée », et vise davantage une économie forte. Quant au calendrier, le processus d’accession à la souveraineté qui y est lié varie par blocs. De 1973 à 1976[6], il s’agit de « mettre immédiatement en branle le processus d’accession à la souveraineté dès que celle-ci aura été proclamée en principe par l’Assemblée nationale en s’opposant à toute intervention fédérale, y compris sous forme de référendum ». Les négociations débuteraient ainsi dès une élection du Parti québécois, pour ensuite être soumises à la population par voie référendaire. En 1976, le parti mise sur un « bon gouvernement », prônant la tenue d’un référendum lors d’un premier mandat suivi de négociations avec le fédéral au second. Bien qu’étalant le processus, cette manière de procéder octroie deux points à la plateforme, le processus référendaire étant déjà fermement entamé lors du premier mandat. Dans les plateformes de 1980 et 1985[7], on passe à l’option de « réaliser la souveraineté par voies démocratiques », dès que cela sera exigé par voie référendaire et après avoir d’abord soumis une Constitution. En 1980, le processus et scindé en deux, exigeant une première consultation pour donner le mandat de négocier, suivie d’une seconde consultation pour entériner ces négociations ; il est donc dans une position mitoyenne axée sur le long terme, qui vaut 1,5 point puisqu’il étale encore plus le processus qu’en 1976. En 1985, l’enclenchement du processus référendaire et prévu lorsque le parti « en aura reçu le mandat par la population » et ne propose donc pas d’élection référendaire cette année-là.

Dès 1990 l’accession à la souveraineté est présente de façon moins précise en termes d’échéancier. En effet, il est question d’entrer en négociations avec le fédéral d’abord, pour ensuite obtenir un mandat pour la tenue d’un référendum dans les meilleurs délais, étant à nouveau mitoyen entre un processus entamé lors du premier mandat et le reste du même processus relayé à une période ultérieure. La place est faite au profit du référendum en 1995, pour attendre ensuite les « conditions gagnantes » nécessaires pour recommencer ce processus les années suivantes, le PQ ne pouvant se permettre un autre « Non ». Un nouveau mécanisme référendaire sera donc tenu lorsque la population le désirera vraiment, en quel cas un « plan national de transition vers la souveraineté comprendra un calendrier détaillé et précisera toutes les tâches qui incomberont aux différents ministères et organismes publics ». En conséquence, il s’agit de lancer un processus référendaire et de consultation populaire sur la question de la souveraineté lorsque la population le jugera opportun, ce qui ne vaut qu’un seul point (sauf en 2007 et en 2014[8], où le mécanisme référendaire est prévu lors d’un premier mandat).

En ce qui a trait à la promotion du nationalisme, le PQ s’en fait le porte-étendard sur toutes ses plateformes. En effet, l’ensemble de celles-ci présentent l’importance de mettre de l’avant la langue française et la culture québécoise dans un cursus scolaire obligatoire fort, la garantie du français comme langue d’usage et l’assurance d’obtenir les services gouvernementaux dans cette langue, ainsi que le bien-vivre ensemble avec les différentes communautés, spécialement la communauté anglophone. Davantage antisystémique, l’octroi de fonds publics dans la promotion de l’indépendance n’est toutefois présent qu’en 1989 et en 2018[9], afin de « promouvoir la souveraineté » dans la première et de faire la promotion de la « convergence souverainiste » dans la seconde. La place que pourrait occuper un Québec souverain à l’international est présente dans chacune des plateformes, leur octroyant le maximum de points en ce sens.

Les critiques du système actuel sont nombreuses, souvent teintées du « fouillis » inefficace provoqué par la structure classique fédéral–provincial et du fait qu’Ottawa prenne les décisions « à leur place », en faisant aussi référence au passé colonial, au statut de minorisation du Québec et au coût de la « non-souveraineté ». Des mentions de reprise d’une certaine souveraineté territoriale concernant le Labrador sont faites maintes fois, ainsi que des événements conflictuels historiques patents avec le gouvernement fédéral, comme l’Accord du lac Meech, l’échec de l’Accord de Charlottetown et le rapatriement de la Constitution de 1982, qui mettent en relief « l’incompatibilité irréversible » des deux entités. De leur côté, les réformes institutionnelles prennent généralement la forme d’une constitution pour le Québec, bien que parfois floue dans sa conception et son entérinement, et d’un réaménagement de la fonction publique québécoise. Il est longtemps question d’un partenariat éventuel avec le reste du Canada, et même en 2003 d’une « union de type confédéral avec le Canada et les autres organisations internationales ». La modification du régime politique afin de faire du Québec une République présidentielle-parlementaire est clairement citée dans les plateformes entre 1970 et 1980[10], puis une « République du Québec » en 1985[11], et le projet est délaissé dans les années subséquentes. Une proposition de conserver le mode de scrutin actuel en y « ajoutant un élément proportionnel » est explicitement faite entre 1970 et 1985, pour ensuite faire référence à un système proportionnel compensatoire en 1989 et 1994[12], et revenir pour la dernière fois au proportionnel en 2003[13]. Finalement, le parti occupe toujours les sièges remportés lors des élections, ne pouvant donc pas obtenir de points antisystèmes en ce sens. En conséquence, nous appuyant sur les différentes grilles d’évaluation de l’IAPP et les points récoltés, nous illustrons les scores obtenus par le Parti québécois au graphique 1.

Graphique 1

Degré du caractère antisystémique des plateformes du Parti québécois (1970-2018)

Degré du caractère antisystémique des plateformes du Parti québécois (1970-2018)

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Discussion sommaire – Bien que visant toujours la protection du Québec et de ses intérêts, on remarque une grande variation dans les propos tenus et les méthodes préconisées par le PQ au fil du temps. Bien entendu, les deux échecs référendaires ont pu inciter à modérer le ton et l’échéancier relatif à l’accession à la souveraineté, le projet d’un pays souverain ne pouvant se permettre une autre victoire du camp du « Non ». À titre d’exemple, le parti atteint son score antisystème le plus bas de son histoire en 1998[14], soit après la tenue du second référendum. Le fait d’ainsi reporter la tenue d’un référendum lorsque la population y sera clairement favorable laisse croire que le PQ module dans une certaine mesure son but primaire selon les aléas de l’opinion publique. À l’inverse, les scores les plus antisystèmes surviennent durant l’« ère référendaire » de 1989, ainsi qu’en 2018, où le parti tente certainement un retour à ses idées originales, en mettant davantage de l’avant l’enrobage autour de la souveraineté plutôt que son accession comme telle. De fait, bien que cela semble contre-intuitif pour 2018 compte tenu du report du référendum à 2022, en modérant son calendrier, le parti obtient tout de même des points pratiquement partout ailleurs dans ses plateformes. Par ailleurs, la célèbre commission Bouchard-Taylor donne le ton aux nombreux débats relatifs à la question identitaire et par le fait même au discours du parti les années suivantes, comme dans le cas de la Charte des valeurs de 2012 qui éclipsera le reste de la plateforme en 2014. La crise économique de 2008 prend le dessus sur le programme souverainiste du parti cette même année, où la sortie de la crise et de l’empiètement du Canada et son pouvoir de dépenser sont mis de l’avant. Avec le Printemps érable de 2012[15], ce sont les échecs et la perte de confiance envers le gouvernement libéral qui sont à l’avant-plan, et la priorité est accordée au besoin d’« agir honnêtement », avec intégrité et transparence.

Une autre observation digne de mention est le changement des priorités suivant les changements de chef. Par exemple, la plateforme demeure pratiquement un copier-coller sous le règne de René Lévesque de 1970 à 1980, date où le programme change quelque peu avec l’imminence d’un premier référendum. Avec Jacques Parizeau, les volumineuses plateformes de 1989 et de 1994 laissent place au second référendum de 1995. Sous Lucien Bouchard et la période post-référendaire, la priorité est plutôt accordée au caractère équilibré du programme, en mettant de l’avant les conséquences de ne pas être souverain plutôt que de miser sur l’accession quasi immédiate à l’indépendance. Le calendrier relatif à la souveraineté et les thèmes clés varient grandement à la suite de cette ère, où trois chefs se succèdent entre 2003 et 2008. À l’arrivée de Pauline Marois, un ton davantage accusateur prend le pas sur les réformes institutionnelles et l’accession à la souveraineté, avec l’avancement d’une économie forte et d’un projet de laïcité. Ainsi, avec les quatorze chefs qui se sont succédé dans la période étudiée, les plateformes et les priorités du PQ ne peuvent qu’avoir été influencées par la vie interne du parti.

Le cas du Parti québécois est particulièrement intéressant à cause de sa durée qui permet d’évaluer la constance de son caractère antisystémique. Ce dernier est élevé en lien avec son objectif initial de souveraineté toujours présent et par les moyens clairs d’y parvenir, comme les courts échéanciers, la tenue rapide de référendums en cas d’élection et l’octroi de fonds publics pour la promotion de l’indépendance. Néanmoins, il s’avère peu antisystème par sa présence répétée aux élections, pouvant être un indicateur que le parti s’est adapté aux défis en opérant principalement au sein des institutions (Bolleyer, 2013). De plus, sa volonté d’attendre « les conditions gagnantes » et d’obtenir du peuple un mandat pour amorcer le processus de souveraineté ne semble pas réellement lui être bénéfique, pas plus que de tenir la ligne dure face à cet enjeu. Les ardents défenseurs souverainistes pourraient lui reprocher de ne pas être assez précis et décisif quant à sa raison d’être, tandis que ceux qui n’en veulent plus continuent de lui accoler une étiquette l’associant au « séparatisme ». Le calendrier proposé pour la souveraineté étant fort changeant selon les époques, on ne peut que qualifier son caractère antisystémique d’« instable ».

Scottish National Party

Fondé en 1934 sous l’appellation de National Party of Scotland, le Scottish National Party (SNP) est voué à la restauration d’un État écossais indépendant (Brand, 1978 : 3). Il se donne alors pour but de faire des propositions révolutionnaires par des moyens constitutionnels, oscillant entre la dévolution, le Home Rule et l’indépendance (Lynch, 2009 : 625-626). L’esprit nationaliste grandit durant les années 1980 et 1990, en raison notamment du changement d’attitude des Écossais·es envers l’incapacité croissante de l’État britannique à satisfaire les demandes régionales et aux bénéfices économiques apportés par l’Union (Keating, 1997 : 195, 201). À partir de 1997, le SNP fait campagne en faveur de l’autonomie et la création d’un Parlement écossais, qui voit le jour à la suite du Scotland Act de 1998, créant le Parlement dévolu actuel.

Analyse – En ce qui concerne l’importance accordée à la souveraineté, celle-ci varie peu, étant souvent liée à la prépondérance du programme économique. De fait, l’indépendance à proprement parler prônée par le SNP ressort par le biais des « priorités » pour l’Écosse, en matière notamment d’économie, de prospérité, de développement régional et de diffusion des arts et de la culture. Ainsi, une position mitoyenne grâce à un programme d’indépendance fondamentalement économique prend le pas en 1999 et en 2011[16], alors que 2003[17] accorde la priorité à l’indépendance de l’Écosse, pour finalement est reléguée à un rang inférieur en 2007 et en 2016[18]. Une plateforme plus générale priorisant la réélection du parti en vue de l’éventuel référendum de 2014 et l’échec de ce dernier pourrait expliquer cet aspect modéré quant à la question de l’indépendance écossaise. Néanmoins, ce qui ressort plus clairement est l’échéancier attribué à l’accession à l’indépendance, procédant toujours par la voie d’un référendum lors d’un premier mandat, à l’exception de 2016, où il est mention de la nécessité d’une « demande claire » provenant de la population en ce sens, ne valant qu’un point. À cela s’ajoutent les conséquences d’une sortie forcée de l’Écosse de l’Union européenne, auquel cas le parti se réserve le droit de jouer la carte du droit au référendum.

Les investissements dans la promotion du nationalisme et de la protection de la culture, de la langue, de l’histoire et de son héritage dans le cursus scolaire et les services gouvernementaux sont présents dans les cinq plateformes, de même que la place de l’Écosse à l’international. Celle-ci apparaît associée au maintien de « relations harmonieuses avec le Royaume-Uni » en 1999, mais aussi de façon plus concrète à la nécessité de sortir de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de promouvoir l’Écosse au sein de l’Union européenne à partir de 2003. Les fonds publics octroyés pour la promotion de l’indépendance apparaissent seulement dans les trois dernières plateformes, d’abord avec le Livre blanc sur l’indépendance afin de préparer les Écossais·es à décider de la tenue d’un référendum en 2007, ensuite pour promouvoir une culture de l’indépendance en 2014 et démontrer la nécessité de celle-ci pour l’avenir du pays en 2016.

Quant aux critiques envers le système en place, il est entre autres question des coupures faramineuses de la part du gouvernement britannique pour l’Écosse et de l’imposition de la sortie de l’Union européenne en 2016. Il s’agit aussi de contrer la vision réductrice de ce gouvernement qui voit le sud du Royaume-Uni comme la seule source de prospérité économique en 2003 notamment, puis en 2016 de continuer à travailler « pour les Écossais[19] » tant et aussi longtemps qu’il serait à Westminster, en plus de dénoncer les agissements des conservateurs tout en soulignant son désaccord envers le Brexit. En ce qui a trait aux réformes institutionnelles, le parti veut obtenir une constitution écrite pour l’Écosse en 1999, 2003 et 2007, et modifier le régime par le biais d’une nouvelle structure de la fonction publique, voire du gouvernement en entier, au sein de toutes les plateformes. En 2016, le parti fait mention de sa quête quant à l’obtention de nouveaux pouvoirs dévolus et de son opposition envers la Chambre des lords, dont il milite farouchement pour l’abolition. Concernant le mode de scrutin, celui-ci ne fait pas l’objet de changements majeurs au palier qui nous intéresse, n’obtenant donc aucun point pour ce critère. Finalement, le SNP, que ce soit à Holyrood ou à Westminster, occupe toujours ses sièges et assure sa pleine participation, n’obtenant aucun point ici non plus. Selon l’IAPP, les résultats que le parti obtient pour ses cinq plateformes sont illustrés au graphique 2.

Graphique 2

Degré du caractère antisystémique des plateformes du Scottish National Party (1999-2016)

Degré du caractère antisystémique des plateformes du Scottish National Party (1999-2016)

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Discussion sommaire – On dénote au SNP un antisystémisme en apparence moins élevé qu’au PQ, particulièrement en 1999, pouvant potentiellement s’expliquer par le caractère nouvellement dévolu du Parlement et donc une volonté de participer pleinement à cet accomplissement institutionnel. En 2011, à l’inverse, l’influence de certains accords comme le Scotland Act et l’Edimburgh Agreement de 2012 qui précèdent le référendum de 2014 est ressentie, les suites de ce dernier et du vote concernant le Brexit pouvant teinter les demandes du parti. En ce qui concerne l’impact du leadership, le changement de chef en 2003 pourrait expliquer le rapport plus tranché du parti face à la souveraineté, revenant à une position plus modérée par la suite, lors du retour d’Alex Salmond à l’élection suivante. On souligne d’ailleurs dans la littérature les aptitudes de Salmond, qui rehausse le professionnalisme et le succès du parti (Hassan, 2011 : 373), en plus d’avoir su tempérer les divisions en son sein (Camp, 2014 : 9-10). Avec Nicola Sturgeon, le parti semble adopter un ton davantage accusateur envers le régime britannique et la vision de ce dernier concernant l’avenir de l’Écosse ; une nouvelle dynamique s’insuffle donc au parti en 2014 (O’Leary, 2016 : 141). Salmond est d’ailleurs reconnue durant les débats télévisés des élections générales de 2015 comme la « politicienne la plus populaire de Grande-Bretagne » (Anderson, 2016 : 5).

Une autre réflexion intéressante provient du mode de scrutin. Le système actuel, le mixed-member proportional (MMP), avait été implanté originalement pour éviter les fausses majorités et empêcher l’avènement d’un gouvernement du SNP nationaliste majoritaire (Bradbury et Mitchell, 2001). La nécessité d’instaurer un système électoral STV fait néanmoins partie de la plateforme en 2003, mais seulement au niveau local, n’accordant donc pas de points pour les élections régionales ou générales qui nous intéressent. En conséquence, il est possible de remarquer le caractère davantage civique et pragmatique du nationalisme écossais priorisé par le SNP, notamment avec des propos plus stables où l’intégrité, l’honnêteté et la force économique en contexte indépendant priment, de même que l’accent mis sur l’importance du respect de la nature dévolue de l’institution qui l’accueille.

Le parti se veut antisystème par sa promotion claire de l’indépendance et sa volonté d’y arriver par la tenue d’un récent référendum et l’appel à un autre en 2021 (L’Obs, 2019), mais il préfère davantage jouer le jeu institutionnel en prenant place à Westminster et en respectant les règles constitutionnelles, tant et aussi longtemps que la population le voudra ainsi. Selon l’IAPP, le SNP est donc plutôt « réaliste » quant à son caractère antisystémique. Tel que l’évoque Éric Montigny (2017 : 98), le SNP risque cependant de se retrouver face au même dilemme que le PQ : « obtenir suffisamment de sièges pour gouverner, sans toutefois obtenir suffisamment de voix pour mener à terme son projet politique fondateur ». C’est ce qui est qualifié de « piège du bon gouvernement ».

Sinn Féin

Créé en 1905, le mouvement Sinn Féin, qui signifie « We Ourselves », fut pensé dans l’optique de séparer l’Irlande de la Grande-Bretagne et d’établir une République irlandaise (Deacon, 2012 : 233). Après la guerre civile et la partition de l’Irlande en deux régions distinctes (au début des années 1920), les protestants constituent plus de la moitié de la population dans les six comtés d’Irlande du Nord. Le Sinn Féin représente presque exclusivement les républicains restants (Ward, 2016 : 29) qui se voient détachés du nouvel État irlandais (Stevenson, 2006 : 175). À la fin des années 1960 s’installe la période dite des « Troubles », empreinte de discrimination, de ségrégation, de luttes pour l’égalité civique et d’affrontements entre corps paramilitaires, dont l’Irish Republican Army (IRA) et l’armée britannique (Guiffan, 2006 : 195-211). Pour mettre fin à ces hostilités et entériner définitivement le processus de paix, l’Accord du Vendredi saint est signé en 1998, donnant naissance à l’Assemblée dévolue nord-irlandaise. Pour le Sinn Féin, ce même accord servirait de base en période transitoire, en attendant la réunification. Longtemps considéré comme la branche politique de l’IRA, le parti s’engage toutefois à pleinement participer à l’Assemblée, à respecter le processus de paix et à coopérer avec les unionistes. L’accent est mis sur la nécessité de politiques dites « all-Ireland », en y imbriquant les comtés du Nord et les 26 de la République irlandaise.

Analyse – L’importance accordée à la souveraineté révèle peu de changements, demeurant le premier thème abordé dans les quatre premières plateformes[20]. Le même constat peut être fait du calendrier relatif à l’accès à la souveraineté, qui récolte toujours deux points, soit en entamant le processus de réunification irlandaise, en commençant par la pleine participation simultanée de toute l’Irlande aux nouvelles institutions nord-irlandaises en 1998 et 2003, ou encore par le biais d’un référendum lors du premier mandat pour les autres plateformes.

Quant à la promotion du nationalisme, la langue irlandaise doit être protégée au sein de politiques bilingues et dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, dans le but d’assurer le respect des Irlandais·es, un financement adéquat des écoles gaéliques (Gaelscoil) et de différents programmes à travers l’île. Les investissements et la mise de l’avant des sujets culturels comme l’histoire et la langue gaélique dans le cursus scolaire sont constants dans toutes les plateformes, et le gouvernement et ses services doivent assurer la coopération et l’inclusion des deux communautés présentes. À l’exception de 2011, l’octroi de fonds publics pour la promotion de l’indépendance s’y trouve, entre autres par le biais d’un Livre vert sur l’unité ou de la construction d’un momentum vers l’unité irlandaise. La nécessité d’occuper une place à l’international est constante, faisant par exemple référence à la participation à des accords et des organisations internationaux et à la vitrine qu’offre l’Union européenne pour les intérêts républicains, mis en péril avec le Brexit nettement dénoncé par le parti.

Les critiques envers le système abondent généralement dans le même sens, c’est-à-dire une dénonciation des coupures des conservateurs touchant directement le gouvernement dévolu nord-irlandais, des agissements de son homologue unioniste le Democratic Unionist Party (DUP) ou bien de la nécessité de retirer la mainmise des pouvoirs de Londres pour les ramener à l’Assemblée, et qu’il est donc temps que les « ministres britanniques soient renvoyés chez eux ». La nature transitoire de l’Accord du Vendredi saint de 1998 est soulignée à la suite de sa ratification et les réformes institutionnelles proposées s’orientent autour de la modification de la structure actuelle vers une qui réunirait les six comtés du nord aux 26 du sud pour ne former qu’une seule et même entité, afin de mettre fin à la partition et de restaurer certaines institutions, par exemple le All-Ireland Ministerial Council. Il en ressort une volonté claire d’anéantir le sectarisme, la discrimination communautaire et d’ainsi attester le multiculturalisme de l’Irlande réunifiée. Le changement du mode de scrutin quant à lui n’est jamais proposé, probablement en raison de la nature bénéfique du STV, évoquée précédemment, qui favorise la présence de petits partis plus extrêmes.

Pour ce qui est de l’inoccupation des sièges, celle-ci survient sur la scène régionale à deux reprises durant la période étudiée, la première lors de l’effondrement de l’Assemblée en 2002, qui n’est rétablie qu’en 2006 après l’accord de Saint-Andrews, alors que le second effondrement survient en 2017, provoqué par le départ de Martin McGuinness qui partageait le pouvoir avec Arlene Foster du DUP. Du côté de Westminster, le parti a toujours refusé d’y siéger, ce qui lui octroie le maximum de points en 2003 et en 2017[21]. Considérant les revendications émises au sein des plateformes, les résultats obtenus selon l’IAPP sont présentés au graphique 3.

Graphique 3

Degré du caractère antisystémique des plateformes du Sinn Féin (1998-2017)

Degré du caractère antisystémique des plateformes du Sinn Féin (1998-2017)

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Discussion sommaire – Le parti met l’accent certes sur la nécessité du processus de paix, mais aussi la protection du gaélique, l’affiliation républicaine du parti et l’essentielle réunification irlandaise. Le rapport à l’indépendance – dans ce cas-ci la réunification – a toujours été clair, tout comme la promotion du nationalisme républicain. Fait intéressant à noter, les plateformes de 2003, 2007 et 2016[22], où certains passages, voire toutes les sections des plateformes sont en gaélique, révèlent une revendication culturelle sans équivoque. L’appel à la mémoire collective est mis en relief en 2011 et en 2016, rappelant les principes étayés en 1916 à la suite de l’« insurrection de Pâques », justifiant la croyance du parti envers la souveraineté et la liberté du peuple irlandais. Plusieurs événements ou chocs importants peuvent avoir eu un impact sur la teneur des plateformes, entre autres la volonté récurrente du maintien du processus de paix à partir de 1998, la nécessité de la démilitarisation à la suite du cessez-le-feu et l’Accord de Saint-Andrews en 2006 et la dénonciation de l’imposition du Brexit. Après ces mêmes événements, la place de l’Irlande tout entière et de ses intérêts en Europe se font davantage présents. Des désaccords houleux survenus entre le Sinn Féin et son homologue unioniste ont même escaladé jusqu’à la suspension de l’Assemblée de 2002 à 2007 et encore de 2017 à ce jour, donnant un caractère antisystémique nettement plus élevé à ce parti. De façon intéressante, un hommage est fait en 2017 aux nombreux accomplissements de grandes figures nationalistes comme Martin McGuinness, qui a démissionné de son poste de vice-premier ministre en janvier 2017, provoquant la tenue de nouvelles élections en mars de la même année.

L’arrivée de Gerry Adams aux commandes du parti en 1983 avait provoqué certains bouleversements, lui faisant prendre un virage plus jeune et au fait des politiques sociales, en impliquant autant les femmes que les hommes ayant vécu les « Troubles », tout en essayant de mettre fin à l’abstentionnisme notoire du Sinn Féin (Maillot, 2001 : 188). Ayant été la tête d’affiche du parti pendant plus de trente ans, on peut supposer que la stabilité interne du parti appelle à moins de bouleversements idéologiques majeurs. Après son départ, le changement de chef a pu avoir une influence sur le ton du parti, davantage accusateur à partir de 2011 avec Michelle O’Neill. En conclusion, alors que le caractère antisystémique du Sinn Féin autrefois marginalisé aux méthodes et affiliations radicales pouvait être débattu à la suite de la promesse du parti de pleinement participer et d’assurer le processus de paix, il n’en demeure pas moins que l’effondrement de l’Assemblée toujours en cours dénote clairement une persistance du caractère antisystémique du parti.

Le Sinn Féin est définitivement le plus antisystème des trois cas ; il pourrait être qualifié de « radical ». Cela s’observe par sa constance dans ses revendications, sa non-participation au Parlement de Westminster malgré ses sièges élus, et son rôle dans la dissolution de l’Assemblée nord-irlandaise survenue à quelques reprises. Évidemment, sa participation au processus de paix et aux élections régionales démontre une institutionnalisation modérée.

En bref – Clairement, le Parti québécois obtient le score le plus mitigé et le plus variable, puisque affichant une moyenne de 60,87 % et des résultats valsant entre le « très antisystème » (comme en 1970, 1973, 1989, 1994 et 2018, bien que contre-intuitif) et le « très mitigé » (en 1998, 2003, 2008, 2012 et 2014). A contrario, les deux autres s’affichent de façon sans équivoque aux deux antipodes : le SNP obtient un score moyen de 62,46 %, tandis que le Sinn Féin se présente comme étant en dehors de la vie politique traditionnelle avec une moyenne de 79,18 %. Si l’on tient compte de son rôle dans la suspension actuelle de l’Assemblée nord-irlandaise, on peut aisément imaginer ce résultat à la hausse.

Discussion

Plusieurs constats peuvent être établis grâce à la présente évaluation. D’un côté, au PQ, c’est surtout son rapport face à la souveraineté qui semble avoir évolué, ne changeant pas forcément son objectif, mais davantage ses moyens pour y parvenir. Ainsi, bien que son calendrier soit modifié à moult reprises, l’objectif du parti demeure le même, à l’instar de ses revendications nationalistes ou ses critiques, lui valant paradoxalement de nombreux points pouvant le qualifier de modérément antisystème. Le SNP a peu modifié sa position, en conservant un rapport plutôt rationnel et cohérent face à l’entité politique britannique. Le Sinn Féin quant à lui demeure le plus antisystème, où l’inoccupation de ses sièges, l’effondrement de l’Assemblée nord-irlandaise, l’impossibilité de parvenir à des compromis et la volonté de modifier la structure pour revenir à une Irlande unifiée sont des signes patents d’une critique ouverte envers le système politique qui l’accueille. Alors qu’ils sont considérés originalement comme des partis antisystèmes en raison de leurs revendications respectives, les résultats des trois partis révèlent une différence importante dans le degré de leur caractère antisystémique. Sur ce plan, il est donc possible de qualifier le PQ d’« instable », le SNP de « réaliste », et le Sinn Féin de « radical ».

En plus de celles déjà évoquées, plusieurs pistes internes et externes aux partis fournissent des explications quant à leur évolution et institutionnalisation respectives. Selon Wolfgang Müller et Kaare Strøm (1999), les partis politiques peuvent viser l’accomplissement de certains buts, notamment idéologiques, misant soit sur la réalisation de leurs politiques (policy-seeking), l’obtention du plus grand nombre de votes possible (vote-seeking) ou encore l’obtention de fonctions davantage gouvernementales (office-seeking). Une plus grande participation et un soutien externe augmentent les chances pour ces organisations d’atteindre leurs buts et ainsi d’opter pour une transition, passant de l’état de conflit à l’arène politique en étendant leur base et en augmentant leur légitimité internationale (Acosta, 2014 : 666). L’entrée ou le retour vers les institutions peut aussi signifier une tentative d’affaiblissement et de division des adversaires (Hopkins, 2015 : 93), de potentiels gains électoraux nationalistes et la stabilité (Evans et Tonge, 2012 : 42). Il est d’ailleurs courant de s’attendre à ce que les groupes radicaux se modèrent lorsqu’ils participent aux élections démocratiques (Sindre, 2014 : 501) ; de cette façon, la transformation des groupes armés en partis politiques est devenue une partie intégrante de la sécurisation de la paix après des conflits violents, s’appliquant entre autres au cas du Sinn Féin. Les multiples chocs auxquels ont pu faire face les partis peuvent expliquer la légère (mais intéressante) ressemblance entre les courbes des résultats du PQ et du Sinn Féin à la même période, soit entre la fin des années 1990 et 2018. Il semble de plus pertinent de considérer l’importance de l’image et du·de la chef·fe, tel qu’observé avec les nombreuses réorientations de programme réalisées à la suite des changements de leadership au PQ, au charisme reconnu de ceux du SNP et à l’impact de la longévité de Gerry Adams et de la volte-face après le départ de Martin McGuiness pour le Sinn Féin.

Quant aux propositions de recherche, la première voulant que la présence des chocs à l’interne et à l’externe influence le niveau du caractère antisystémique des partis nationalistes étudiés s’avère partiellement validée. En effet, on constate que pour le PQ, ce phénomène s’observe lorsque les scores reçus et les chocs importants ayant forcé le parti à adapter sa stratégie à maintes reprises sont comparés. Que ce soit par souci de plaire à l’opinion publique ou en fonction du leadership, les moyens pour parvenir à la souveraineté ont varié, même si ce but est demeuré présent dans l’esprit de l’organisation. Plusieurs chocs ont entraîné la réorientation du parti, tels les échecs électoraux ou référendaires et la perte de son statut de parti dominant. Avec les multiples changements à sa tête, tout cela a incité le PQ à modifier sa trajectoire et son agenda, influençant son niveau antisystémique. Quant au SNP, les différents chocs semblent avoir eu l’effet de conforter le parti dans ses positions modérées. Étant davantage pragmatique et réaliste par rapport à l’indépendance écossaise et son historique aux antipodes de celui du Sinn Féin, son cheval de bataille était et demeure une volonté d’indépendance dans le respect du cadre et des règles institutionnelles du Royaume-Uni. La proposition se voit donc validée pour ce cas. Du côté du Sinn Féin, bien qu’il soit le plus antisystème de tous, la nécessité de participer au processus de paix et les actions entreprises afin de garantir cette dernière ont favorisé son institutionnalisation, aussi faible soit-elle. Cette intégration semble instrumentale, dans le but de réaliser l’objectif ultime de réunification, et le parti continue ainsi à prôner des valeurs, des moyens et des propos plus radicaux. Il est certes intégré dans une certaine mesure puisque participant à la vie politique, mais continue de s’opposer au régime dans lequel il se trouve, notamment par le biais de l’abstention. Il représente un cas de figure nuancé, en validant différemment la proposition.

En ce qui concerne la seconde proposition énonçant que plus les partis nationalistes étudiés s’intègrent institutionnellement, moins le contenu de leurs plateformes sera antisystème, s’avère. Comme le démontrent les résultats obtenus à l’aide de l’IAPP, les points attribués selon le degré de son caractère antisystémique n’étaient pas accordés s’ils étaient modérés ou absents. De fait, le Sinn Féin obtient de façon constante beaucoup de points, tandis que le SNP, plus intégré institutionnellement, n’en reçoit que très peu, de même que le PQ à certaines époques spécifiques.

Les liens entre le caractère antisystémique et l’institutionnalisation sont grandement variables d’un contexte à l’autre et d’un parti à l’autre. En effet, on pourrait affirmer qu’il s’agit plutôt d’un spectre, et tous les joueurs ne le vivent pas de la même façon, autant à l’interne qu’à l’externe, dans leurs messages véhiculés et leurs manifestations nationalistes. De plus, cette variation se trouve dans la teneur des propos jugés antisystémiques des partis étudiés, puisqu’on peut croire que ces derniers ne seraient pas les mêmes en Irlande du Nord qu’au Québec, où sont de loin préférées les options modérées (Pinard et al., 1997). Cette comparaison entre l’antisystémisme et l’institutionnalisation nous en apprend aussi davantage sur la question nationale et la quête de l’indépendance. Il semble effectivement que lorsqu’un parti se montre trop radical, l’atteinte des objectifs n’est pas forcément assurée, alors que s’il ne se montre pas assez ferme ou encore trop hésitant, cela risque de déplaire aux adhérents purs et durs du parti.

Il est également important de rappeler qu’un parti peut être nationaliste, mais pas antisystème. Effectivement, celui-ci pourrait avancer des revendications de protection nationale sans pour autant remettre en question la légitimité du système dans lequel il se trouve. Il peut ainsi se montrer nationaliste, mais davantage autonomiste sans exiger la séparation de son État désiré de l’entité qui le subordonne. La diversité des méthodes et des aspirations est donc à retenir. À l’inverse, un parti peut être à la fois hautement institutionnalisé et porter des propos antisystémiques. Néanmoins, comparativement au Ralliement national au Québec, au Rassemblement national en France ou bien à l’actuel Parti républicain de Donald Trump, un tel parti se démarque avant tout par son caractère populiste. Il s’agit là d’une autre distinction conceptuelle et d’une confusion importante, quoique fréquente, puisqu’un parti peut être antisystème sans être populiste, mais non l’inverse ; un parti populiste cherchera alors à incarner la volonté du peuple, tout en s’opposant à la démocratie libérale et en remettant en question les contre-pouvoirs et leur légitimité (Müller, 2016). Le clivage s’insère plutôt entre les élites et le peuple, dont le chef charismatique se targuera de la représentation ultime.

Limites – Nonobstant ces résultats, plusieurs limites en lien avec cette analyse sont à signaler. Il s’agit en premier lieu de notre propre processus subjectif relatif à l’élaboration des critères et du cadre d’analyse ici présenté. Ensuite, bien que les partis étudiés aient une base comparable en termes de système politique et d’orientation idéologique, il serait néanmoins pertinent d’appliquer cet exercice à d’autres partis, en contexte de démocratie en développement, par exemple. De plus, en lien avec la littérature évoquée, ce serait aussi plus congruent de suivre l’évolution complète du Sinn Féin et du SNP depuis leur fondation, ce qui fournirait des pistes de réflexion supplémentaires quant à l’évolution de leur institutionnalisation. De plus, une analyse complète des répertoires d’actions des partis serait pertinente, en ce qui a trait notamment à leurs diverses publications dans les médias sociaux et les médias traditionnels, l’usage ou non de la violence, et la promotion ou non de formes de démocratie directe.

Conclusion

Quel bilan peut-on dresser de cette comparaison du Parti québécois avec des partis similaires à l’international ? Les partis ci-étudiés, quoique tous nationalistes et antisystèmes dans une certaine mesure, ne sont en rien similaires quant à leurs méthodes et agendas. Alors que le SNP obtient selon l’IAPP un score général légèrement plus élevé que le PQ qualifié d’« instable », ses résultats apparaissent plus cohérents au fil des années, lui valant ainsi l’étiquette de « réaliste », tant dans ses propos que dans les moyens préconisés pour faire valoir ses objectifs. Pour le Sinn Féin, considérant ses affiliations passées, sa participation active dans la provocation de la suspension de l’assemblée qui l’accueille et ses revendications générales, il se voit désigné comme « radical ». En regard de la littérature évoquée, plusieurs événements internes et externes ont fourni des indices quant aux possibles raisons derrière l’évolution et l’institutionnalisation volontaire des partis étudiés. Ont aussi été explorées la volonté d’occuper plus de sièges, la prise du pouls de la population vis-à-vis de l’indépendance et la souveraineté, ainsi que la présence d’un système électoral défavorable, qui ont toutes pu influencer les propos présentés sur les plateformes. Ce faisant, nos propositions de recherche se confirment, en ce sens que les différents chocs ont influencé le caractère antisystémique des partis, en plus de faire ressortir que plus un parti est institutionnalisé, moins ses plateformes ont une teneur antisystémique.

Plusieurs questionnements dérivent néanmoins de tels résultats. En effet, peut-on attester de l’intégration des partis dans la vie politique institutionnalisée par la modération de leurs propos ou à leur participation aux élections ? Considérant leur situation initiale et actuelle, vers où ces partis se dirigent-ils ? De futures recherchent seraient nécessaires pour approfondir les propos tenus dans cet article, notamment en procédant à l’analyse textuelle du ton utilisé par les chefs des différents partis lors des interventions en chambre, de même qu’à la comparaison avec d’autres partis nationalistes populistes.