Recensions

La Chine e(s)t le monde : essai sur la sino-mondialisation, de Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque, Paris, Odile Jacob, 2019, 296 p.[Notice]

  • Maxime Leblond

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  • Maxime Leblond
    École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa
    mlebl145@uottawa.ca

L’affirmation de la Chine sur la scène mondiale semble davantage s’appuyer sur l’agressivité sous la gouverne du président Xi Jinping, le conflit en mer de Chine méridionale et la saga Huawei au Canada faisant cas de figure à cet égard. C’est dans ce contexte de résurgence robuste de la puissance chinoise et des soubresauts corollaires de l’ordre international libéral que Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque, respectivement ancienne professeure à l’Institut de sciences politiques, à l’Institut des hautes études de défense nationale et au Collège interarmées de défense, et chercheur associé à l’Institut Thomas-More, ont fait paraître leur plus récent ouvrage, La Chine e(s)t le Monde : Essai sur la sino-mondialisation. Les auteurs tentent de comprendre les décisions et les perceptions de l’empire du Milieu dans une pluralité de domaines d’action afin d’anticiper les tenants d’une gouvernance mondiale largement sinisée. En outre, ils lancent par cet ouvrage un appel à la vigilance pour les États occidentaux ayant construit l’ordre international libéral d’après-guerre. Afin de démontrer leur propos, les auteurs abordent au fil des chapitres une multiplicité de sujets portant sur le rapport de la Chine avec 1) son histoire ; 2) son ouverture mondiale ; 3) l’économie ; 4) la vérité ; 5) le droit international ; 6) les normes internationales ; 7) la militarisation ; 8) la surveillance ; 9) son attrait pour le monde ; 10) ainsi qu’avec le soft power, qu’il est cependant possible de regrouper sous des argumentaires économique, normatif et coercitif. Tout d’abord, malgré l’apparence internationaliste des nouvelles routes de la soie Belt and Road Initiative, il est possible de constater que la Chine use d’une forme de prédation économique dans une approche pouvant s’apparenter au mercantilisme afin de s’arroger les ressources de ses partenaires, d’exporter plusieurs de ses travailleurs et d’offrir des contrats lucratifs à ses entreprises nationales. Avec des projets inadaptés aux besoins locaux, mais adaptés aux siens, la Chine chercherait donc à établir un lien de dépendance économique avec le Sud et à assurer une croissance économique domestique permettant de consolider le pouvoir du Parti. Par ailleurs, les auteurs étudient la relation de la Chine avec la vérité et les normes sur la scène internationale. Dans une perspective aux traits foucaldiens, la Chine adopterait un discours performatif ayant vocation à modifier la teneur du réel en manipulant archives, statistiques et rapports officiels. Mais au-delà des manipulations internes, la Chine chercherait également à imposer sa conception subjective de la réalité à l’international, où, en faisant pression sur des acteurs internationaux, elle force l’assimilation de ses intérêts, notamment par rapport à la reconnaissance de Taïwan. En termes de droit international, ce discours performatif se caractériserait par l’adhésion à des traités pour ensuite les modifier a posteriori, les réinterpréter ou omettre de s’y conformer. Enfin, la censure est un élément fondamental de cette normalisation chinoise. En effet, la Chine n’hésite pas à brimer la liberté d’expression et l’accès au savoir, par exemple en censurant de multiples travaux scientifiques contredisant les tenants du réel avancés par le Parti. Cette réévaluation du réel aurait ainsi pour principal but d’augmenter l’attractivité chinoise en mettant en exergue ses éléments les plus vertueux et en exportant cette vision, notamment par l’entremise des instituts Confucius. Accepter cette imposition normative en échange d’un accès au marché chinois est donc pour les auteurs un aveu d’impuissance des États occidentaux, relégués au second plan de la gouvernance mondiale. Sur le plan coercitif, la Chine adopte une attitude militaire irrédentiste et revancharde, particulièrement à l’égard des États-Unis qu’elle souhaite supplanter et à l’égard de ses voisins immédiats. Sur le …