Recensions

Bolivie : l’illusion écologiste. Voyage entre nature et politique au pays d’Evo Morales, de Dimitri de Boissieu, Montréal, Écosociété, 2019, 305 p.[Notice]

  • Sarah M. Munoz

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En 2009, l’ONU attribua au président bolivien Evo Morales le titre de « héros mondial de la défense de la Terre-Mère » pour son militantisme international contre la destruction de l’environnement (p. 239). Promoteur d’un discours écologiste révolutionnaire, il est devenu l’emblème de la lutte anticapitaliste et anti-impérialiste, s’inscrivant dans un idéal écosocialiste qui promettait de libérer les peuples autochtones et la nature de l’emprise destructrice du néolibéralisme. Mais qu’en est-il vraiment ? Dans son ouvrage, Dimitri de Boissieu propose de déconstruire le mythe d’Evo Morales en enquêtant sur la mise en pratique concrète de cette vision écologiste si prometteuse. Dans une perspective comparative, l’auteur vise à vérifier la concordance du discours politique du président bolivien avec les réalités du terrain, nous entraînant dans une enquête au plus profond du corridor de conservation Amboró–Madidi. De Boissieu nous offre alors un regard neuf et intime sur les conditions de préservation des écosystèmes en Bolivie, et sur la pratique du concept autochtone du « vivir bien », cette idée d’équilibre et d’harmonie entre Homme et Nature à la base du projet politique d’Evo Morales (p. 50). L’ouvrage adopte une structure hybride reflétant l’approche entreprise par de Boissieu, entre récit de voyage et enquête de terrain. Il adopte les codes journalistiques du récit, nous entraînant dans l’intimité de son voyage, mais apportant à ses réflexions une dimension empirique et méthodique propre à la recherche en sciences sociales. La structure de l’oeuvre vise alors à retracer les étapes de son parcours, de l’avion à La Paz, d’Apolobamba à Cotapata. L’objectif de l’auteur est de nous amener à vivre avec lui sa découverte de ce qu’il nomme « l’illusion écologiste ». Sa déception croissante au fil des entrevues ne lui a cependant pas permis d’autre constat que celui-ci : le « vivir bien » d’Evo Morales n’est que du bluff, de la poudre aux yeux (p. 300). Le récit commence dans la capitale où de Boissieu retrace l’ascension de Morales, premier Autochtone élu à la présidence, une véritable révolution politique pour le pays. Inscrit dans la continuité des luttes sociales de Che Guevara et Tupac Katari, le Bolivien définit son projet politique socialiste comme un « processus de changement » (p. 33) visant un nouveau contrat social ancré sur des idéaux de justice sociale, d’anti-néolibéralisme, d’égalité des peuples et du respect de la Terre-Mère (p. 35). Malgré le développement d’un cadre législatif symbolique pour le « vivir bien », cette notion autochtone qui incarne ce nouveau contrat social, la politique écosocialiste de Morales semble purement rhétorique. Au fil des entrevues, de Boissieu dévoile le double discours du président qui à la fois entretient l’idéal écologiste fondé sur son héritage autochtone et promeut un modèle extractiviste ancré dans l’idée d’un développement économique et industriel fort (p. 43). La première étape du voyage présente l’incohérence du projet politique de Morales et sa mise en application : promouvoir le respect de Pachamama, la Terre-Mère, tout en encourageant l’exploitation des hydrocarbures dans les espaces protégés du pays. Pour comprendre ce paradoxe, de Boissieu entame son périple à la recherche des perspectives de terrain des habitants, des gardes-parcs et des représentants locaux du corridor de conservation Amboró–Madidi. Le troisième chapitre nous amène ainsi à Apolobamba, ce qui permet à l’auteur d’approfondir les concepts de corridor écologique et de corridor de développement, essentiels à la compréhension des politiques contradictoires d’Evo Morales. Dans l’aire protégée d’Apolobamba, l’activité minière et métallurgique en plein essor illustre l’incohérence du programme de développement industriel mené au sein des espaces de conservation (p. 81). La prochaine étape de son voyage nous plonge au coeur du parc national …