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Que peuvent faire individuellement les citoyen·ne·s pour s’assurer que le gouvernement agisse efficacement en matière de décarbonisation et de protection du climat ? Dans une approche de vulgarisation, Mark Jaccard s’interroge sur la capacité d’action des citoyen·ne·s dans la lutte climatique. Plus précisément, The Citizen’s Guide to Climate Success s’intéresse aux mécanismes et aux croyances qui affectent les progrès en matière de décarbonisation de la société. Le livre comporte l’intérêt d’amener plus loin la réflexion en analysant l’impact des biais cognitifs sur les stratégies politiques et la capacité d’action de la population. C’est pourquoi l’auteur s’adresse aux citoyen·ne·s en déconstruisant certains mythes, véhiculés tant par les défenseur·euse·s du statu quo que les mouvements écologistes, qui nuisent à la décarbonisation profonde de la société et empêchent de faire des gains en matière de protection du climat.

Économiste de formation et spécialiste de l’efficacité des politiques énergétiques et des politiques climatiques, Jaccard est professeur à la School of Resource and Environmental Management à l’Université Simon Fraser de Vancouver. Il a été membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et président-directeur général de la British Columbia Utilities Commission (1992-1997). Son ouvrage Sustainable Fossil Fuels (Cambridge University Press, 2006) a été récompensé du prix Donner.

Les deux premiers chapitres, « The Role of Myths in Our Climate-Energy Challenge » et « The Art of Deluding Ourselves and Others », mettent l’accent sur les biais cognitifs et les obstacles psychologiques qui empêchent de réaliser la décarbonisation de la société. L’importance de l’intérêt personnel est abondamment soulignée, notamment pour expliquer l’impossibilité d’en arriver à un accord international sur le climat qui soit efficace. Selon Jaccard, le déficit de gouvernance internationale pour résoudre le problème du climat et la valeur économique des ressources fossiles font en sorte que les pays développés sont peu enclins à soutenir la transition énergétique des pays en développement tout en étant réticents à abandonner les lucratives ressources fossiles. Cette dynamique condamne les pays en développement à employer le pétrole et le gaz ainsi que les pays développés à maintenir leur exploitation actuelle. C’est ce constat qui cautionne la thèse de l’ouvrage : il est primordial d’apprendre à agir localement dans une perspective globale. L’ouvrage fait la démonstration que les échecs actuels concernant la réduction des gaz à effet de serre trouvent leur source dans un problème d’action collective globale. On y trouve des pistes de solutions pour renverser cette dynamique : 1) réguler et tarifer le carbone, en particulier dans la production d’électricité et les transports ; 2) mettre en place des tarifs commerciaux pour les importations provenant de pays qui ne mettent pas d’effort pour le climat et regrouper les pays qui y travaillent dans un « club » ; 3) soutenir les pays en développement pour favoriser une production d’énergie à basse émission. À l’aide des cas de la guerre en Irak et de l’industrie de la cigarette, cette première partie illustre la manière dont les mythes sont entretenus par les parties intéressées.

Dans les chapitres trois à douze, l’auteur démystifie dix croyances et suppositions qui retardent ou paralysent la décarbonisation rapide de la société. Dans un style accessible et fortement imagé, il aborde des thèmes aussi divers que la tarification des émissions de carbone, le pic pétrolier et les comportements individuels. À titre d’exemple, on peut citer la démonstration du quatrième chapitre intitulé « All Countries Will Agree on Climate Fairness » et portant sur l’inaction internationale en matière de protection du climat. Le chapitre s’ouvre sur un bref historique de l’ascension de Hitler au pouvoir dans les 1930. Jaccard établit ensuite un lien fort entre deux phénomènes aux répercussions mondiales : la montée du nazisme et les changements climatiques. Selon lui, ces deux phénomènes répondent à la même dynamique : l’inaction, en raison d’intérêts nationaux, des pays aptes à agir va générer des conséquences collectives catastrophiques.

Le treizième chapitre, « The Simple Path to Success with Our Climate-Energy Challenge », conclut l’ouvrage avec des pistes de solutions pour la mise en oeuvre de la décarbonisation. À la lumière de l’exercice de démystification des chapitres précédents, trois propositions apparaissent comme les plus aptes à réduire les GES : 1) la tarification minimale du carbone ; 2) des politiques de régulation flexibles ; 3) des subventions pour encourager la décarbonisation. De telles politiques devront être déployées par les dirigeants des pays développés dans des secteurs nationaux comme l’électricité et le transport afin de favoriser une décarbonisation globale. Il revient alors aux citoyens d’élire des politiciens conscientisés aux enjeux climatiques et désireux de trouver des solutions. Enfin, le livre se termine par un plaidoyer pour l’activisme citoyen dans le but de créer des pressions politiques et de générer des fenêtres d’opportunités en faveur de la décarbonisation.

Jaccard remplit pleinement son objectif de vulgarisation. À la fois clair et explicite, le propos est brillamment imagé par des exemples souvent inusités, mais toujours efficaces, allant de la vente d’indulgences par l’Église catholique en passant par les jouets sexuels et les survivalistes. Ces exemples permettent aisément à un public non expert de prendre conscience de la complexité des enjeux exposés. Le ton adopté par l’auteur est parfaitement adapté au public qu’il cherche à atteindre. Avec le pragmatisme que l’on retrouve chez les économistes, Jaccard rappelle à plusieurs reprises que le perfectionnisme ne doit pas nuire à l’atteinte du bien, se mettant ainsi en opposition avec les tenants d’une transition trop souvent perçue comme idéaliste. On retrouve des manifestations de ce pragmatisme dans l’appel à la neutralité face à certains débats considérés stériles, comme la question de l’énergie nucléaire et celle des biocarburants, qui nuiraient selon lui à la mise en branle rapide de la décarbonisation. Bien que les politiques promues au fil de l’ouvrage soient essentiellement économiques, elles possèdent un caractère innovant – pensons par exemple au « club » climatique entre les pays qui souhaitent agir pour la décarbonisation – qui permet d’enrichir la gamme des solutions existantes.

Tandis que l’exercice de démystification est une réussite, l’auteur manque cependant sa cible en arrivant à la conclusion. Alors que l’ouvrage se veut un « guide citoyen » pour aider la population à agir efficacement pour préserver le climat, l’appel, en fin de texte, à la mobilisation sociale pour faire pression sur les gouvernements tombe un peu à plat. La promotion de la mobilisation citoyenne n’étant pas une stratégie nouvelle en soi dans la littérature, l’absence de précisions sur la manière de s’organiser et d’entreprendre des actions de désobéissance civile ne fait que renforcer le caractère abstrait et général de cette prescription. La seule stratégie explicitée par Mark Jaccard réside dans la capacité des citoyen·ne·s à favoriser l’élection de politicien·ne·s favorables à la décarbonisation. À ce sujet, le livre fournit un organigramme décisionnel permettant à la population de savoir si elle doit faire campagne pour un·e politicien·ne en particulier ou plutôt miser sur des actions citoyennes.

En somme, l’ouvrage se révèle à la fois informatif pour les militant·e·s et la population en général tout en fournissant des idées réalistes et efficaces pour les décideur·euse·s. Il ne saurait cependant se prévaloir du statut de « guide pour l’action citoyenne », thème qui n’occupe qu’une trop courte partie de l’ouvrage.