Recensions

Une histoire du changement climatique (XVe-XXe siècle) de Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, Paris, Seuil, 2020, 320 p.[Notice]

  • Wissam Eid

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  • Wissam Eid
    Candidat à la maîtrise en science politique, Université du Québec à Montréal
    w-eid@hotmail.com

Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher sont historiens de l’environnement, des sciences et des techniques et chargés de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ils n’en sont pas à leur premier essai relativement à la question environnementale et au changement climatique. Fressoz a déjà publié L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique (Seuil, 2012) et il est coauteur avec Christophe Bonneuil de L’Événement Anthropocène (Seuil 2013). Locher est l’auteur, entre autres, de Le savant et la tempête : étudier l’atmosphère et prévoir le temps au XIXe siècle (PUR, 2008) et La nature en communs : ressources, environnement et communautés (France et Empire français, XVIIe-XXIe siècles) (Seuil, 2020). Dans le présent ouvrage, Une histoire du changement climatique, la question environnementale n’est pas pour les auteurs qu’un simple avatar né, à la fin du XXe siècle, du réchauffement climatique et de la préoccupation de la planète pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre à l’origine de ce même réchauffement. L’intérêt pour le changement climatique, au contraire, remonterait loin dans le temps et trouverait son origine au XVe siècle, lors de la colonisation et de la conquête de l’Amérique. En présentant une chronique détaillée, riche en sources très diversifiées, Fressoz et Locher font ici la démonstration que les relations entre les sociétés occidentales, européennes en particulier, et le climat sont anciennes et qu’elles ont toujours été sous-tendues par des considérations politiques et sociales qui les nourrissaient. Pour autant, l’objectif des auteurs n’est pas tant de faire une présentation linéaire de ces interférences et de leur évolution, mais d’expliquer, à la suite d’une recherche par raisonnement circulaire et récursif, la préoccupation environnementale sous l’angle d’une croyance, invariablement partagée à travers les siècles, d’un changement avant tout anthropique et non spontané du climat. Ainsi sont abordées de façon récurrente dans l’ouvrage, dans des contextes historiques et politiques différents, les questions immuables de la gestion des forêts, du déboisement, de l’assèchement, de la transformation des sols et du couvert végétal, entre autres, ainsi que l’influence de ces actions humaines sur le cycle de l’eau et le climat. Dès le XVe siècle, la question climatique est utilisée en tant que levier de pression au service des sociétés occidentales lors de leurs conquêtes coloniales. Les colons, appuyés par l’élite scientifique de l’époque, justifient alors leurs interventions sur les forêts et la mise en place de cultures intensives par le fait que l’action de l’homme sur la nature n’a pas que des vertus économiques mais également environnementales, en ce sens qu’elle adoucit le climat et rend les terres conquises fertiles et habitables. Puis la problématique environnementale prendra une tournure politique encore plus prononcée au XVIIIe siècle avec la Révolution française où le droit de propriété privée sur les forêts est contesté. En devenant un bien commun à l’usage de tous, les étendues forestières sont alors l’objet de saccages populaires qui poussent le pouvoir en place à en réglementer l’usage, pour des raisons qu’il présente à la population comme climatiques (dérèglement des saisons et sécheresse à l’origine de probables disettes). Mais au-delà de la question environnementale, le pouvoir politique, en prenant le contrôle des forêts, renforçait son autorité et sa puissance, y compris sur les terres colonisées où il appliqua vis-à-vis des Autochtones des règles similaires. Aussi, les auteurs confirment-ils par cette analyse historique la place prépondérante prise par le climat à cette époque dans le débat sur les notions de bien public / bien privé et de capitalisme libéral. La stabilité des cycles naturels et du climat, directement influencée par la gestion du capital forestier, …