Recensions

What’s the Use? On the Uses of Use de Sara Ahmed, Durham, Duke University Press, 2019, 281 p.[Notice]

  • Justine Perron

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Dans cet ouvrage, Sara Ahmed s’intéresse à l’utilité sous différentes formes : elle veut s’attarder à la manière dont l’utilité est utilisée dans notre vie quotidienne, parfois de manière normative et cachée, qui « va de soi ». Pour l’autrice, l’utilité (use) est partout : on la trouve dans les objets qui nous entourent, dans la manière dont l’espace est structuré, et jusqu’au plus profond des corps. Ainsi, Ahmed offre une généalogie de l’utilité, une histoire remplie de détours qui s’intéresse aux différentes provenances du concept, ainsi qu’aux considérations éthiques lui étant liées et qui exercent une influence réelle sur les subjectivités. Elle pose plusieurs questions en lien avec les usages de l’utilité, mais certaines reviennent de manière récurrente à travers la lecture : Comment l’utilité et l’inutilité relèvent-elles de la vie et de la mort du sujet ? Comment l’utilité peut-elle servir de technique pour maintenir en place un ordre établi ? Comment sortir des chemins les plus utilisés et quelles sont les implications d’une telle déviation ? « Deviation is made hard » est une phrase qui revient à travers le texte, et semble être au coeur des préoccupations de l’autrice. Le livre s’inscrit dans la continuité de ses ouvrages (aussi publiés chez Duke University Press) The Promise of Happiness (2010) et Willful Subjects (2014). Alors qu’Ahmed s’attardait aux mots « bonheur » et « volonté », elle suit maintenant le mot « utilité » (use) grâce à une approche généalogique qui observe ses manifestations quotidiennes dans les pratiques et les actes de paroles (speech acts). Elle utilise plusieurs cadres théoriques, allant de Lamarck et Darwin à Foucault et à l’utilitarisme, tout en cherchant des liens à établir avec les théories queers, féministes, décoloniales et les disability studies. Sans toutefois mobiliser explicitement le courant phénoménologique dans son ouvrage (sauf quelques références à son livre Queer Phenomenology de 2006, Duke University Press), le langage utilisé et les thèmes abordés nous rappellent sans cesse cette influence dans les écrits de l’autrice : elle parle de chemins, d’objets, d’espaces, d’orientations, de mouvements et du corps vécu. Quant à la structure de l’ouvrage, les trois premiers chapitres offrent une analyse conceptuelle (1) et historiquement située (2 et 3) de l’utilité et de ses usages, tandis que le chapitre 4 relève d’une analyse de cas. Dans ce chapitre, le plus étoffé, Ahmed applique les types d’utilités évoqués précédemment à l’institution universitaire. Elle varie sa méthodologie en ancrant son analyse dans une série de témoignages du personnel universitaire, d’étudiant·es, et de sa propre expérience. Ce tournant méthodologique est parlant à ce point dans l’ouvrage, car Ahmed replace les considérations plus théoriques des premiers chapitres dans la matérialité. Finalement, sa conclusion est une tentative de présenter une alternative queer à l’utilité, une manière de s’émanciper de ses usages traditionnels pour penser une réutilisation révolutionnaire. Dans le chapitre 1, intitulé « Using Things », Ahmed examine les façons dont le mot « utile » est utilisé quotidiennement, ce qu’il signifie dans le sens commun. Elle expose donc les facettes conceptuelles de son objet de recherche. Pour ce faire, elle considère « how objects can be caught at different moments of use » (p. 65) ; elle mise donc sur les temporalités de l’utilité : useful, usable, unusable, overused, used up, etc. Surtout, elle regarde comment ses utilisations ont des répercussions directes sur l’organisation de l’environnement, sur les habitudes et sur les conventions. L’utilité est étudiée selon une philosophie du quotidien, qui nous demande de porter attention à l’aspect formateur de l’utilité. Ahmed avance que …