Recensions

Les hommes lents. Résister à la modernité : XVe-XXe siècle de Laurent Vidal, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 2022 [2020], 298 p.

  • Antoine Deslauriers

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Couverture de Volume 42, numéro 2, 2023, p. 3-209, Politique et Sociétés

Laurent Vidal est historien et enseignant-chercheur à l’Université de La Rochelle. Son ouvrage Les hommes lents, sorte de généalogie des temps modernes, se présente comme une relecture rythmique du monde occidental, à mi-chemin entre l’anthropologie historique et la sociologie compréhensive. Estimant, avec Walter Benjamin, que la tâche de tout historien consiste avant tout à « brosser l’histoire à rebrousse-poil » (p. 22), l’auteur s’attache en effet à suivre la piste de ceux qu’il nomme les hommes lents, c’est-à-dire ceux qui, depuis l’avènement de la première modernité, ont joué un rôle de repoussoir aussi bien que d’armée de réserve de l’idéologie du Progrès. Or cela le conduit non seulement à accorder une grande attention aux mots – à leur étymologie d’une part, à leurs usages et détournements d’autre part –, mais également aux images dans lesquelles se trouve encapsulée toute une série de non-dits. Car, écrit Vidal, si « la figure sociale des hommes lents n’est jamais explicitement formalisée » (p. 19), elle n’en représente pas moins un contrepoint vivant aux mouvements de la modernité. Par conséquent, c’est en tâchant de lui (re)donner corps que Vidal entend révéler les « découpage[s] rythmique[s] du monde social » (p. 206). L’argument principal du livre est que la lenteur n’a pas toujours été synonyme de « paresse et [d’]inefficacité » (p. 17) ; et que si elle l’est finalement devenue, c’est par suite d’un accident, c’est-à-dire d’un événement qui n’avait rien de nécessaire. Vidal « forme [ainsi] l’hypothèse qu[e] [la stigmatisation de la lenteur] trouve sa source dans une double rupture » (p. 16) : la première ayant eu lieu au tournant du XVe siècle, avec la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne ; la seconde, « durant les cinq ou six décennies qui entourent l’année 1800 » (p. 79), lors de l’avènement de ce que Vidal, à l’instar de l’écrivain Thomas Carlyle, désigne comme l’« âge mécanique » (p. 91). Selon lui, ces deux ruptures participent en effet d’un même geste de « naturalisation » des rythmes sociaux, lequel geste entraîne à son tour une mise à l’écart de ceux, les hommes lents, qui peinent à se conformer à cette transformation. La première partie retrace l’évolution du mot « lenteur » et montre en quoi le discours sur les péchés capitaux va, au cours du XIVe siècle, imposer une acception essentiellement péjorative de ce mot. Simultanément, la langue économique – celle du capitalisme naissant et du modèle social bourgeois – se fera de plus en plus hégémonique, et ce, notamment avec la colonisation européenne des Amériques. Car, « à l’heure où une nouvelle éthique du travail se met en place dans l’Occident chrétien, les Indiens [sic] servent de contre-exemple parfait à ce modèle » (p. 50), tant en raison de leur mode de vie – prétendument débauché – que de leur tempérament – soi-disant nonchalant et borné. Prolongeant les thèses que Michel Foucault a élaborées dans Surveiller et punir (Gallimard, 1975), Vidal note également qu’« à partir de la fin du XVIe siècle, cette tension rapidité/lenteur se double d’un débat sur la nécessité d’adapter le corps et l’esprit de chacun, par un bon agencement des activités économiques et spirituelles » (p. 67). Et là encore, le discours religieux – méthodiste, en l’occurrence – est tout sauf étranger à cette transformation, qu’il accompagne autant qu’il la produit. Effectivement, c’est en partie à lui qu’il incombe de « pourvoir à une saine occupation du corps » (p. 67) en exaltant les vertus du travail ; et c’est à lui, surtout, qu’il importe de mettre sur …