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Contexte

Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) se caractérise par la présence, dès l’enfance, de difficultés sur les plans de la communication et des interactions sociales. Ce trouble se manifeste également par des comportements, des intérêts ou des activités restreintes ou répétitives (American Psychiatric Association, APA, 2013). La prévalence du trouble a augmenté considérablement au cours des dernières années. Selon le DSM-5, une personne sur 100 présenterait un TSA (APA, 2013). Les Centers for Disease Control and Prevention (2014) rapportent un taux encore plus élevé chez les enfants de 8 ans, soit celui de 1/68. Par ailleurs, la prévalence de la déficience intellectuelle (DI) apparaissant en concomitance avec le TSA semble également s’être modifiée. En 2000, le DSM-IV-TR précisait que 70 % des personnes avaient une DI en concomitance avec un trouble envahissant du développement (APA, 2000). En 2014, les Centers for Disease and Prevention relevaient, chez les enfants de 8 ans présentant un TSA, une proportion de 31 % ayant un QI égal ou inférieur à 70. Les dernières années ont également vu la mise en place de programmes d’intervention précoce favorisant le développement des jeunes enfants. Malgré ces mesures et la présence d’habiletés cognitives dans les limites de la moyenne chez plusieurs personnes ayant un TSA, ce trouble entraine des difficultés majeures lors des périodes de transition d’une étape de vie à une autre (Wehman et al, 2014). Cet article se penche sur une de ces transitions charnières pour les personnes ayant un TSA sans DI, soit la transition de l’école vers la vie active.

Transition vers la vie active

L’Office des personnes handicapées du Québec définit la transition vers la vie active ou adulte (TEVA) comme : « un ensemble coordonné et planifié d’activités axées sur l’accompagnement de l’élève dans la réalisation de ses projets lorsqu’il aura quitté l’école, principalement en regard de son intégration socioprofessionnelle, de la transformation de son réseau social, de ses loisirs, de sa participation à la communauté et, dans certains cas, de la poursuite de ses activités éducatives » (Berger, 2003, p. 40). Les expériences sur les plans de la responsabilisation, de l’autodétermination, de la compétence sociale, des habiletés au travail et de l’éducation postsecondaire influenceront alors la réussite de cette étape (Wehman, 2006).

La transition de l’école à la vie active est devenue un enjeu majeur pour les jeunes ayant un TSA, tout particulièrement, pour favoriser leur insertion sur le marché du travail ou aux études postsecondaires. La recherche américaine sur la transition a d’abord été centrée sur sa planification et les modèles de services (Wehman et al, 2014). Ces modèles misent sur l’autodétermination, une variable associée de près au succès scolaire et à la résolution de problème. Malgré cette attention apportée à la transition, Wehman et al (2014) indiquent, aux États-Unis, des taux d’emploi variant entre 4,1 % et 11,8 % pour les jeunes ayant un TSA. Toutefois, les taux varient selon les auteurs, les régions et les groupes étudiés (avec ou sans déficience intellectuelle, par exemple). Ainsi, Farley et al (2009) indiquent, dans une étude américaine auprès de 41 adultes ayant un TSA sans DI, qu’approximativement la moitié d’entre eux détiennent un emploi rémunéré à temps plein ou partiel. Toutefois, Levy et Perry (2011) notent que les emplois occupés par de jeunes ayant un TSA sont plus précaires que ceux offerts aux jeunes typiques.

Dans les dernières années, des études indiquent que le taux de diplomation a augmenté pour les personnes ayant un TSA, surtout pour celles n’ayant pas de DI. Ainsi, l’étude canadienne de Eaves et Ho (2008) rapporte que 30 % d’un groupe de personnes (N=48) ayant un TSA poursuivent des études postsecondaires. Parmi ces personnes, une seule fréquente l’université. Ce taux demeure nettement inférieur à celui de la population canadienne (Statistiques Canada, 2013).

En ce qui concerne le lieu de résidence, un petit pourcentage d’adultes ayant un TSA vivent seuls (Hendricks et Wheman, 2009). En effet, de 50 à 60 % de ces adultes avec ou sans DI vivent au domicile familial (Farley et al., 2009; Levy et Perry, 2011). De plus, plusieurs personnes ayant un TSA doivent être soutenues ou encadrées par leur famille (Baker, 2005; Farley et al., 2009; Howlin, 2007; Howlin, Mawhood et Rutter, 2000). Cependant, les études sur ces questions doivent être poursuivies car les caractéristiques des adultes y ayant participé diffèrent possiblement de celles des personnes diagnostiquées plus récemment.

Au Québec, les études sur la transition des élèves qui ont un TSA sont rares. Notons cependant celle de Goupil, Tassé, Garcin et Doré (2002) qui a eu pour objectif d’implanter des plans de transition pour 21 élèves de l’ordre secondaire ayant une DI incluant des jeunes ayant aussi un TSA. Les résultats ont révélé qu’il était possible d’implanter de tels plans, mais que la participation des jeunes s’avérait difficile. Lorsqu’ils étaient invités à leur réunion de plans, plusieurs jeunes étaient peu sollicités à s’exprimer, les intervenants prenant davantage la parole que les jeunes ou leurs parents (Goupil, Tassé, Boisseau, Bouchard et Dansereau, 2003). Si les études sur la question sont peu nombreuses, certaines commissions scolaires ont cependant mis en place des mesures visant à intégrer la transition dans les interventions auprès des jeunes en situation de handicap (Commission scolaire des Affluents, 2015). Bien qu’il y ait plusieurs initiatives visant à favoriser la transition vers la vie active, les perceptions des jeunes ayant un TSA sur ce sujet ont été peu explorées. Pourtant, dans une perspective d’autodétermination, il est nécessaire de connaître leurs perceptions afin de mieux adapter le soutien leur étant offert. Compte tenu, de l’importance de la transition vers la vie adulte ou active, des difficultés inhérentes à cette dernière et de l’importance de l’autodétermination, la présente étude a pour objectif de décrire les perceptions de jeunes hommes de 15 à 21 ans ayant un TSA sans DI sur ce sujet. Elle vise à répondre aux questions suivantes : Quelles sont les perceptions de jeunes ayant un TSA sur la transition vers la vie adulte? Quels sont leurs projets de vie dans les domaines suivants : l’autonomie financière, les études postsecondaires, la carrière ou l’emploi, le lieu de résidence, la vie de couple et la parentalité?

Méthode

Participants

Recrutés par le biais d’associations, de cliniques privées et d’intervenants scolaires, 12 jeunes hommes ayant un diagnostic de trouble envahissant du développement1 (trois d’autisme, quatre de syndrome d’Asperger et cinq de trouble envahissant non spécifié) sans DI participent à l’étude. Âgés de 15 à 21 ans (Mâge=16,75 ans; ÉT=2,3 ans), onze fréquentent une école secondaire ordinaire et un participant est scolarisé au collégial. Parmi les participants fréquentant le secondaire, neuf sont en classe spéciale. Ils habitent tous au domicile familial.

Instruments

Une fiche permettant de recueillir les renseignements de base (âge, année scolaire, etc.) sur les participants et un protocole d’entrevue servent d’instruments pour la collecte des données. Le protocole d’entrevue s’articule selon des thèmes tels la projection dans l’avenir et les projets de vie; le choix de carrière; le lieu de résidence; les finances; la vie de couple et la parentalité. Ces thèmes s’inspirent de la littérature scientifique, notamment des domaines de transition de Wehman (2006), ainsi que des données disponibles sur le plan des comportements adaptatifs des personnes ayant un TSA sans DI à l’âge adulte. L’organisation du questionnaire présente diverses sous-questions segmentées en arbre décisionnel, à utiliser selon les réponses du participant.

Cinq experts ont évalué la fiche de renseignements et le protocole d’entrevue : trois psychologues, une éducatrice spécialisée en TSA ainsi qu’un adulte présentant un syndrome Asperger impliqué sur le plan associatif. Ces experts ont eu pour mandat d’évaluer la formulation des questions pour des jeunes ayant un TSA et de s’assurer qu’elles couvrent l’ensemble des objectifs de l’étude. Suite aux suggestions des experts, diverses modifications ont été apportées au protocole d’entrevue. La deuxième version du protocole d’entrevue a été pré-expérimentée auprès de trois participants ne répondant que partiellement aux critères d’inclusion.

La première auteure a rencontré, à leur convenance, cinq participants à leur domicile, quatre dans un local de l’Université du Québec à Montréal et trois dans un local de leur école secondaire. Les participants de 18 ans et moins ont obtenu le consentement écrit de leurs deux parents afin de prendre part à l’étude. Après l’obtention de leur consentement, les jeunes ont répondu aux questions de l’entrevue. Les enregistrements audionumériques, d’une durée moyenne de 45 minutes, avaient pour but d’assurer la fidélité des informations en permettant une retranscription intégrale. Le projet a obtenu les certificats de conformité éthique émis par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université du Québec à Montréal.

Mode d’analyse

Des moyennes, des écarts-types et des fréquences ont été calculés à partir de la fiche de renseignements et des questions fermées du protocole d’entrevue. Une analyse qualitative du contenu basée sur Miles et Huberman (2003) a été effectuée sur les questions ouvertes ou semi-ouvertes. Les réponses des participants sont d’abord retranscrites dans leur intégralité, sous forme de verbatim à partir des enregistrements audionumériques. Par la suite, les thèmes abordés dans les verbatim ont permis la construction d’une grille de codification. Les catégories d’analyse sont donc générées à partir de l’analyse du verbatim des participants. Ces catégories regroupent les extraits en unités de sens. Des analyses permettent, par la suite, une description des fréquences des réponses. Il est à noter que les jeunes pouvaient, à chaque question, donner plus d’une réponse. Ainsi, à certaines questions, le nombre de réponses dépasse celui des participants (N=12).

La première auteure et une assistante de recherche ont réalisé une codification indépendante afin d’obtenir un accord inter juges ayant un Kappa de Cohen supérieur ou égal à 0,80. Lorsque ce coefficient n’était pas atteint, les catégories et définitions ont été révisées. Les Kappa de Cohen obtenus lors de l’analyse varient entre 0,83 et 1,0 (M = 0,940; ÉT = 0,052).

Résultats

Projection dans l’avenir

Les 12 jeunes ont expliqué leur définition de « devenir un adulte ». Trois jeunes notent que devenir un adulte est déterminé par l’âge tandis qu’un participant n’arrive pas à définir ce concept. Les jeunes décrivent ce processus par l’acquisition d’une plus grande maturité (n=7), l’augmentation de la responsabilisation (n=8) ou de l’autonomie (n=7), ou une combinaison de ces apprentissages.

« Être un adulte, c’est être responsable, autonome, mature… D’habitude moi quand je vois un adulte, il est au bout de ce qu’il est capable de faire, au bout de ses habiletés. Comme des fois, je vois des adultes, comme aux nouvelles à la télé sont… des fois, c’est pathétique là. Pour moi, ce ne sont pas des adultes. Ils n’ont pas grandi. Pour moi un adulte c’est supposé avoir atteint son quota, si tu veux. Pour moi, c’est ça un adulte. »

« Entrer dans le chemin de la maturité. Être capable de vivre par soi-même, mais déjà il y en a qui vivent par eux-même, tout seuls, mais ils ne sont pas des adultes dans leur tête. Il y en a qui sont encore immatures. Va falloir que je pratique ça. Savoir gérer ses choses par soi-même, quelque chose comme ça. »

Projets dans divers domaines de vie

Poursuite des études

Des 12 jeunes, dix affirment désirer poursuivre leurs études après le secondaire et deux demeurent incertains face à ce projet. La figure 3.2 présente la répartition des participants selon le projet d’études envisagé.

Figure 1

Répartition des participants selon le dernier niveau scolaire visé

Répartition des participants selon le dernier niveau scolaire visé

-> Voir la liste des figures

Les participants ont décrit les étapes nécessaires à l’atteinte de leurs objectifs sur le plan scolaire. Un participant n’a pu formuler de réponse, huit participants ont dépeint les étapes scolaires à réaliser et quatre le développement personnel menant aux études postsecondaires.

« Je vais devoir finir mon secondaire et notamment choisir dans laquelle des trois branches des mathématiques je veux être. Et quand j’aurai fini mon secondaire, je ne sais pas exactement les démarches que je vais devoir faire, mais je vais devoir choisir un Cégep et choisir un cursus dans lequel je vais aller. Je vais devoir terminer ce cursus en passant les examens. Et ensuite, je vais devoir choisir une université et un cursus et répéter l’affaire. Avant de sortir de mon secondaire, il va falloir que je passe mes examens d’études secondaires. Et acquérir mon diplôme d’études secondaires. »

« La première étape, ce serait un peu de développer ma maturité parce qu’il y a toujours des changements de mise. Comme deuxième étape, ce serait développer ma responsabilité, mon autonomie. Des choses de base, mais qui font de grands changements. »

Carrière ou emploi souhaités

L’obtention d’un emploi revêt de l’importance pour quatre participants, car ce travail permet de répondre à leurs besoins de base ou à ceux de leur famille : « Parce que si tu ne travailles pas, tu ne gagnes pas d’argent, tu ne vis pas, tu ne manges plus. Tu es vraiment… tu es dans la rue là. Mais moi, c’est plus pour mon avenir. Ce n’est pas une question de dire ‘‘J’aime travailler’’. C’est plus un pis-aller. » Pour un participant, occuper un emploi fait partie d’un processus normal de maturation et pour un autre le travail favorise la socialisation. Huit participants soulignent l’épanouissement personnel lié au travail, la responsabilisation et l’obtention, grâce au salaire, des biens convoités.

« Bien c’est comme ça que je vais me faire de l’argent, c’est comme ça que je vais avoir une maison, c’est comme ça que j’aurai… puis en plus c’est un emploi que je veux faire et que je suis capable là-dedans, donc c’est mieux de travailler là-dedans parce que tu vas être plus stimulé. C’est comme ça que tu vas te faire plus d’argent. Tandis que tu ne vas pas faire comme les autres qui aiment quelque chose, mais ils ne vont pas faire quelque chose qu’ils adorent. »

« Je ne sais pas. Pour moi, c’est ça que ceux qui ont fini leur scolarité font. Tu finis ta scolarité puis tu vas au travail. Tu travailles jusqu’à… peut-être que tu changes de travail, mais tu travailles jusqu’à ce que tu aies l’âge d’aller à la retraite. Tu vas à la retraite, ensuite ils te mettent dans une maison de retraite ou un hospice. Puis finalement, tu crèves et c’est ça la vie. »

Les participants ont décrit l’emploi désiré en lien avec le domaine d’étude (n=7) ou un intérêt particulier (n=6). Bien que neuf n’aient pas de plan autre que cet emploi, trois croient que leurs plans pour obtenir le travail rêvé pourraient ne pas se réaliser. Trois participants ont souligné devoir d’abord occuper un petit emploi pour pouvoir progresser vers celui désiré.

« Bien, c’est ça, va falloir que je commence un petit emploi, comme laveur de vaisselle ou serveur, quelque chose comme ça. Quelque chose de réaliste… Quelque chose que tout le monde a sûrement déjà passé là-dedans. »

Seulement trois participants ont un emploi au moment de l’entrevue. Un jeune mentionne être conscient que ce travail constitue une étape préparatoire à l’obtention de l’emploi convoité. Les neuf participants n’ayant pas d’emploi expliquent cette situation par le temps consacré aux études (n=4), ne pas avoir atteint cette étape de vie (n=4) ou ne pas vouloir d’emploi (n=2). Un participant indique que les aides financières gouvernementales comblent ses besoins et un autre dit craindre les exigences (c.-à-d., le temps nécessaire) sous-jacentes au travail.

Lieu de résidence

Les participants ont été questionnés sur leurs souhaits en regard de leur futur lieu de résidence. Les participants souhaitent vivre seuls (n=7), en colocation (n=3), en couple (n=2), à la résidence familiale (n=4) ou en appartement supervisé (n=1). Des participants ont donc mentionné plus d’une option. Un seul participant n’envisage que le domicile familial. Vivre seul a pour avantages la diminution de la demande sociale (n=4), le développement de l’autonomie (n=4) et l’épanouissement personnel (n=2) : « Seul, c’est que je pourrais faire genre tout ce qui me tenterait, puis je n’aurais pas les règles de mes parents avec moi. » Quatre participants mentionnent que vivre avec un colocataire, permet un partage des responsabilités. Pour trois participants, ce choix de vie facilite aussi les relations sociales et diminue l’isolement.

« C’est parce qu’à deux, évidemment côté tâches, on va pouvoir tout partager les tâches et même en faire ensemble, selon lesquelles on a en commun. (…) Financièrement, tu payes, tu partages les frais. Que ce soit pour l’appartement, on partage les frais, l’épicerie, l’électricité, le mobilier. Parce que, tu sais, tout seul ça ne me tente pas parce que je suis pogné à tout payer, à tout faire, entretenir l’appartement tout seul. Et la solitude, moi, je n’aime pas vraiment ça, je trouve. »

Toutefois, les participants ayant affirmé désirer vivre seuls perçoivent certains désavantages à ce mode de vie dont une diminution du soutien (n=2) et des relations sociales (n=3). De plus ce choix augmente les responsabilités (n=6).

« Les désavantages à habiter seul, c’est qu’il n’y a personne pour t’empêcher de devenir fou, puis tu peux te laisser complètement aller. Si tu habites seul, c’est aussi un peu plus dangereux, vu qu’il n’y a personne pour te venir en aide s’il t’arrive un accident. »

Deux participants croient que la cohabitation avec leurs parents nuira à leur autonomie. En effet, l’obligation de suivre les règles et de faire certaines tâches pourrait entraver leurs initiatives personnelles : « Avec mes parents, c’est ça, je dois suivre leurs règles que je n’aime pas tellement, tellement. » Quatre jeunes n’entrevoient aucun désavantage au type d’habitation désiré, que ce soit seul, avec quelqu’un ou au domicile familial. La volonté d’acquérir plus d’autonomie (n=4) semble expliquer le choix du lieu de résidence. « Bien, c’est important d’avoir sa propre autonomie parce qu’on ne peut rien faire. Parce que sinon on a de la misère à se débrouiller seul si on n’est pas autonome. »

Une seconde explication réside dans le désir de contrôler sa vie (n=5). « Bien, c’est de prendre sa vie en main. »; « Bien, j’ai un peu peur de finir comme un puceau, “loser”, qui se fait vivre par ses parents, puis qui habite chez eux. Donc, je veux être autonome quoi. Je veux vivre par moi-même. » Des participants souhaitent vivre seuls par respect de leurs parents (n=1), parce que cela représente une étape importante de la vie (n=1) ou que cela se révèle plaisant (n=1) : « De m’ôter du cocon familial genre? Un : la maturité; Deux : pas avoir… pas être dans l’effet comment… l’effet « Tanguy » que les enfants restent là, que, il y en a même que j’ai vu des reportages que c’est les parents qui déménageaient. Moi, je ne voudrais pas faire vivre ça à mes parents. »

Finances

Huit participants sont en apprentissage, au moment de l’entrevue, de la gestion de leurs finances personnelles. Ils se perçoivent partiellement capables de le faire. Quatre doivent, pour ce faire, obtenir l’aide parentale. Deux se disent totalement autonomes sur ce plan et deux indiquent en être incapables. Parmi les participants affirmant être en mesure de gérer leur argent, quatre utilisent des moyens tels les comptes bancaires et les budgets. Cinq apprennent aussi des savoirs faire, tels l’autocontrôle et la priorisation des dépenses.

Comme je te disais, j’aime mieux augmenter mon argent parce que je saurai mieux la gérer quand elle sera énorme. Parce que quand elle est petite, c’est trop difficile pour moi parce que des fois j’ai le goût d’acheter des choses, mais je me chicane après moi-même parce que j’ai pas assez d’argent. Puis deuxièmement, ce qui me choque le plus c’est quand il faut toujours que tu payes par mois pour une maison ou une voiture ou des trucs du genre. Moi, j’ai peur de gérer comme ça l’argent.

Vie de couple

Sept participants désirent une vie de couple. Trois ne savent pas s’ils vivront en couple et deux jeunes n’y portent pas d’intérêt. Cette relation se définit comme la formation d’un lien affectif entre deux personnes (n=6), par l’intimité (n=2) ou l’engagement (n=5). Elle implique aussi un partage des responsabilités (n=2) : « La vie de couple… C’est la confiance, l’honnêteté, aucun secret l’un pour l’autre, les sentiments que l’on éprouve l’un envers l’autre. » Les deux participants indiquant ne pas envisager la vie de couple expliquent ce choix par de possibles difficultés dans la gestion de la relation (n=2) et par des expériences antérieures négatives (n=1) :

« Au secondaire, j’ai déjà eu des relations… bien, je suis sorti avec des filles, mais c’était plus superficiel que d’autre chose. Je me sentais vraiment stressé. Tu sais, ‘‘qu’est-ce que je dois faire’’, ‘‘est-ce que je dois m’occuper d’elle’’, ‘‘je peux-tu faire mes choses’’? C’était vraiment trop stressant pour rien. Puis, c’est vraiment complexe l’amour. Trop complexe pour rien, à mon avis. »

Les avantages de la vie de couple s’apparentent aux bénéfices précédemment exposés pour la vie avec une autre personne. Elle permet un partage des responsabilités (n=3) et assure une présence (n=4). « Deux à payer les comptes, deux à faire le ménage, deux à faire l’épicerie »; « Je ne mourrais pas seul. » Elle génère aussi une complicité entre les partenaires (n=3) : « L’avantage… Tu manges avec quelqu’un. Tu dors avec quelqu’un. Tu partages ta journée avec quelqu’un. Tu partages le coeur de quelqu’un. »

Trois participants ne perçoivent pas d’avantages à la vie de couple. Un jeune explique cette situation par une vision pessimiste : « Moi, je n’en vois pas vraiment parce que j’ai plus un côté pessimiste de ça, l’amour et la vie de couple. Je n’en vois pas vraiment. » Les inconvénients de la vie de couple évoqués par huit participants concernent la gestion de la relation et des conflits, les différences entre les deux personnes, les demandes du partenaire ainsi que les éventuelles séparations : « Bien la supporter… Supporter ma petite amie. Pour maintenir cet état-là, il faut que je la supporte. Puis vivre en promiscuité avec quelqu’un comme ça, ce n’est pas rigolo tous les jours. (…) La supporter, la tolérer, l’accepter… Vous voyez? »

L’attachement (n=1) à une autre personne et la perception d’un aspect égoïste de la relation (n=1) entrainent aussi des difficultés : « Moi, je vois l’amour comme l’égoïsme. Tu veux être avec quelqu’un juste parce que tu veux être avec quelqu’un, ça te fait du bien. Tu ne fais pas ça pour ta femme ou ton mari, tu fais juste ça parce que tu es bien avec. Moi, c’est ça. C’est l’égoïsme qui monte et qui monte. »

Parentalité

Trois participants désirent des enfants et trois n’ont pas d’opinion sur la question. La moitié des jeunes ne veut donc pas d’enfants. Un participant envisage même la vasectomie. La peur de transmettre le TSA explique, notamment, cette absence de désir : « La plus grande peur que j’ai, c’est que j’ai peur que mon enfant ait le même diagnostic que moi. »; « Honnêtement, moi ce que j’ai peur c’est que mon enfant ait aussi l’autisme. »

Trois participants ne peuvent définir les habiletés parentales et quatre affirment ne pas en posséder. Ces quatre jeunes décrivent cependant ces habiletés comme des compétences qui permettent de donner les soins à l’enfant et d’encadrer ce dernier. Les habiletés parentales représentent aussi des qualités telles la patience et la persévérance.

« Personne n’a vraiment les habiletés pour être un parent. Parce que peu importe que tu puisses te préparer à n’importe quoi, si ton enfant a une déficience, même s’il est correct, tu ne peux pas être un parent parfait. La patience! La patience, comment dire, pas être perspicace, mais pas être découragé… En tout cas, des affaires dans ce genre-là! »

« Ce n’est pas que je vais mal l’élever, mais admettons si j’ai toujours de l’anxiété, lui, l’enfant il ne comprendra pas ce que je vis. Et on veut pas personne faire subir ça. (…) Si admettons que j’essaie de l’aimer, mais que mon anxiété est trop grande, il va penser que je ne l’aime pas et que je centre trop mon anxiété sur moi-même. »

« Les gens me disent que je serais bon d’avoir un enfant, mais moi je me dis le contraire parce que j’ai peur de péter ma coche devant mon enfant. Je n’ai pas le goût que mon enfant soit triste juste à cause de moi, puis je n’ai pas le goût de voir mon enfant vivre dans la misère, pour pas qu’il vive les mêmes affaires que moi. Puis c’est pour ça que je n’en veux pas. »

Discussion

Les participants considèrent que « devenir un adulte » est un processus de maturation augmentant les responsabilités et l’autonomie. Devenir adulte permet de faire des choix et, par conséquent, d’avoir le contrôle de sa vie dans divers domaines.

Poursuite des études, carrière et emploi

Parmi les 12 participants, un fréquente déjà le cégep. Neuf participants désirent poursuivre leurs études après le secondaire et deux en sont incertains. La majorité de nos participants accordent donc de l’importance aux études postsecondaires. Il s’agit là d’une donnée intéressante laissant supposer que les services donnés au secondaire encouragent les jeunes à poursuivre leurs études. Le nombre d’élèves ayant un TSA a connu une augmentation fulgurante au primaire et au secondaire. Les établissements postsecondaires seront donc appelés à accueillir plusieurs de ces jeunes au cours des prochaines années. Si les jeunes souhaitent poursuivre des études, il faut néanmoins se pencher sur les difficultés conséquentes au TSA et les mesures nécessaires de soutien. Peu de programmes adaptés au TSA existent au Québec pour aider les jeunes adultes au postsecondaire.

Tous les participants désirent aussi obtenir un emploi à l’âge adulte. Onze y accordent une importance élevée, et ce, pour répondre à leurs besoins personnels ou à ceux de leur famille. Ils souhaitent se réaliser en actualisant leurs intérêts, leurs capacités ou leurs connaissances. Trois participants sont conscients, toutefois, que l’emploi rêvé pourrait ne pas être accessible. Selon Taylor et Seltzer (2011), 86 % des jeunes adultes américains ayant un TSA sans DI n’ayant aucune activité quotidienne significative au travail développent des problèmes psychiatriques concomitants, tels des troubles anxieux. La poursuite d’études postsecondaires deviendrait alors un facteur de protection.

Lieu de résidence

Onze des participants désirent vivre de façon autonome à l’âge adulte. Un seul n’envisage que le domicile familial comme résidence. Il importe donc de se pencher sur les habiletés à développer pour pouvoir répondre au désir de ces jeunes qui souhaitent, comme la majorité des jeunes qui n’ont pas de handicap, vivre de manière autonome. Nonobstant ce désir, plusieurs personnes ayant un TSA demeurent dépendantes de leurs parents (Howlin, Goode, Hutton et Rutter, 2004; Levy et Perry, 2011). Il pourrait être intéressant de poursuivre les études sur ce sujet en évaluant la proportion de jeunes qui accèdent à l’autonomie sur le plan résidentiel et celle des jeunes adultes en cohabitation avec leurs parents. La cohabitation soulève aussi la nécessité de préparer « l’après-parent », c’est-à-dire le moment où les parents vieillissants ne sont plus en mesure de soutenir la personne ayant un TSA. Selon Bernard et Goupil (2012), les parents préparent peu cette transition qui s’opère, trop souvent, dans des situations d’urgence. Plusieurs parents choisissent aussi de maintenir la cohabitation avec leurs enfants devenus adultes. N’y aurait-il pas également lieu d’évaluer si de nouveaux rôles n’ont pas à être définis, un peu comme le font les familles qui choisissent de cohabiter dans des maisons intergénérationnelles?

Finances

Dix participants se sont dits aptes, parfois avec de l’aide parentale, à gérer leur argent. Les jeunes occupant déjà un emploi (n=3) jugent cette habileté primordiale. Bien qu’en apprentissage de la gestion de leur argent, nos participants reçoivent une aide substantielle (c.-à-d. soutien financier, gestion du budget, présence d’allocations, etc.) de leurs parents. Rappelons cependant que cet apprentissage est essentiel à l’atteinte de l’autonomie et de l’indépendance à l’âge adulte (Wehman, 2006). Il serait alors préférable qu’ils puissent l’acquérir avant la transition, donc que cette habileté soit incluse dans les objectifs de leur plan de transition.

Vie de couple

Sept participants désirent une vie de couple à l’âge adulte. Giarelli, Ruttenberg et Segal (2013) observent également, chez les adultes ayant un TSA, que plusieurs désirent une vie de couple et des enfants. Toutefois, Farley et al. (2009) mentionnent que 44 % des adultes ayant un TSA n’ont jamais eu de fréquentations amoureuses. Aston (2003) indique que le tiers des hommes ayant un TSA et vivant en couple perçoivent leur santé mentale ou physique comme améliorée par cette relation. D’ailleurs, selon Simon (2002), l’effet protecteur de la relation de couple s’observe aussi dans la population générale. Cependant, Aston précise que les conjoints qui n’ont pas de TSA perçoivent une augmentation de leurs difficultés psychologiques à cause de cette relation. En effet, toujours selon Aston, un manque de compréhension des symptômes du TSA peut entrainer cet état de souffrance. Considérant les effets possibles du TSA de la vie de couple, les jeunes ayant un TSA pourraient donc bénéficier de préparation par l’éducation à la sexualité et à la vie affective (Aston, 2003; Protecteur du Citoyen, 2009). Un soutien pourrait aussi être offert au conjoint sans TSA afin de l’aider à comprendre les comportements causés par le trouble.

Parentalité

La parentalité est un droit reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme (Organisation internationale des Nations Unies, 1948) et par la Convention relative aux droits des personnes handicapées (Organisation internationale des Nations Unies, 2006). Selon une étude du Conseil permanent de la jeunesse du Québec (2007), réalisée auprès de cent personnes âgées de 17 à 33 ans, « la majorité des jeunes rencontrés dans le cadre de la recherche du Conseil permanent de la jeunesse souhaite avoir des enfants » (p. 45). Plus de neuf jeunes sur dix indiquent, dans cette enquête, le vouloir. Cependant, nos données indiquent que la moitié de nos participants ne souhaitent pas fonder une famille. Notre étude corrobore l’étude de Giarelli, Ruttenberg et Segal (2013), où seulement 30 % des jeunes ayant un TSA sans DI expriment avoir ce projet de vie. L’impression de ne pas avoir les habiletés pour être parent, la peur que les comportements en lien avec l’autisme aient un effet négatif sur les enfants, ainsi que la peur d’une transmission génétique du TSA expliquent, en partie du moins, cette réticence. Les verbatim des jeunes indiquent aussi leur sensibilité et leur conscience des besoins des enfants à naître. D’ailleurs, ne pas vouloir donner naissance à autre un enfant s’observe chez plusieurs parents dont l’aîné présente une maladie génétique ou une déficience héréditaire (Kelly, 2009). Il est nécessaire de poursuivre la recherche afin d’évaluer si d’autres facteurs ne contribueraient pas aussi à ces craintes, telles les inquiétudes des proches des personnes ayant un TSA. Des recherches sur cette question permettraient de mieux comprendre cet enjeu de la parentalité et de développer des services permettant aux personnes de prendre des décisions éclairées et de respecter leurs droits.

Apports et limites

Cette étude a permis de donner la parole à de jeunes hommes présentant un TSA et ainsi de mieux cerner leurs ambitions ainsi que leurs craintes en regard de la transition de l’école à la vie active. Cette étude présente toutefois un nombre peu élevé de témoignages et se limite à des participants masculins. Cependant, le nombre de participants est similaire à plusieurs autres études qualitatives basées sur des entrevues ouvertes. Par ailleurs, compte tenu du ratio (5/1) hommes/femmes dans le TSA, nous n’avons pas rencontré de participantes. Il serait donc intéressant de dupliquer cette étude auprès de jeunes femmes, en particulier sur des dimensions comme la parentalité.

Conclusion

Plusieurs des propos des jeunes hommes rencontrés dans cette étude reflètent ceux qui pourraient être entendus auprès de jeunes qui ne sont pas en situation de handicap. Ces jeunes ayant un TSA espèrent occuper un emploi, poursuivre des études, avoir leur propre logement. Ils sont aussi, comme la plupart des jeunes, en apprentissage de la gestion de leurs finances. Toutefois, d’autres domaines de vie leur semblent plus difficiles à envisager que pour des jeunes typiques. Cette étude souligne donc l’importance de la préparation et de la planification de la transition vers la vie adulte pour les jeunes ayant un TSA. Cette étape n’est pas sans soulever plusieurs inquiétudes chez les jeunes. La crainte exprimée par les participants concernant la parentalité, notamment celle de la transmission du diagnostic, met en lumière leur conscience des difficultés associées au TSA. La présente étude souligne également l’importance d’offrir des soutiens aux futurs parents qui ont un TSA, qu’il s’agisse de services de consultation avant la naissance d’un enfant ou d’aide dans le développement d’habiletés parentales. Ces recommandations font écho à celles d’Aunos, Goupil et St-Amand (2010) concernant la parentalité chez les personnes ayant une déficience intellectuelle.

Compte tenu de l’importance accordée à la poursuite des études par les participants et du nombre grandissant d’étudiants présentant un TSA dans les institutions d’enseignement postsecondaire (AQICESH, 2013; Bonnelli, 2010), il semble aussi nécessaire de développer des programmes de soutien à l’intégration et à la réussite répondant aux besoins spécifiques de ces jeunes. En effet, encore peu de services spécifiques sont offerts. Considérant les ambitions exprimées au sujet des études par les participants, l’obtention de services au sein de ces établissements maximiserait leurs chances de réussite. Néanmoins, les accommodements et les programmes de soutien aux études supérieures devraient être envisagés du point de vue des différents acteurs impliqués, tels que les jeunes eux-mêmes, les parents, les intervenants et les responsables des politiques en matière de services.