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Les principes religieux sous-jacents dans le livre de Morency Demande et reçois

Demandez, et l’on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe.

Mt 7, 7-8

Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez.

Mt 21, 22

C’est pourquoi je vous dis : Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et vous le verrez s’accomplir.

Mc 11, 24

Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé.

Jn 15, 7

Serge Larivée publie, dans le présent numéro de la Revue de psychoéducation, une bonne critique du livre de Morency, intitulé Demande et reçois (2015), qui a été adapté pour un jeune public de 12 ans et plus. Son analyse porte d’abord et avant tout sur les différentes prétentions véhiculées par ce livre, mais en partant d’un point de vue scientifique et psychologique.

Par contre, peut-être à cause de son athéisme, il est passé à côté d’une réalisation importante. Ce livre de Morency prétend être un livre de développement personnel : il tente d’éduquer et de conseiller les jeunes, mais en basant sa « psychologie » sur en ensemble de principes glanés à travers divers courants ésotériques et religieux, dont le judéo-christianisme, le bouddhisme, l’hindouisme et l’hermétisme.

C’est d’abord et avant tout un livre de motivation qui veut, d’une certaine façon, profiter du créneau des livres religieux pour enfants anciennement occupé par des adaptations de la Bible chrétienne et laissés vacants depuis l’abandon de cette religion par une majorité importante de la population.

Il remplacera ainsi les livres bibliques pour enfants qui présentaient les fameux miracles de l’ancien testament où Dieu est carrément cruel, jaloux, belliqueux, terrible et destructeur (récits du déluge, Sodome et Gomorrhe, la création et la chute d’Adam et Ève, le veau d’or, etc), et où il crée la femme comme compagne au service de l’homme (par exemple : Alexander, 2002). Et comme la mode présente est à l’ésotérisme et aux syncrétismes religieux de toutes sortes, ce livre pourrait plaire à de nombreux parents qui l’offriront à leurs enfants.

La prière et les monothéismes

Le titre de l’ouvrage s’apparente d’ailleurs à certains passages du nouveau testament mis en exergue. Selon les croyances judéo-chrétiennes, musulmanes et de bien d’autres religions, une demande faite à un Dieu, une prière, va s’accompagner de sa réalisation par ce Dieu. La condition essentielle est d’y mettre tout son coeur et sa foi, d’y croire très fort (Al-Munajjid, 2016; Nee, 2016) et, parfois, d’y travailler fort aussi, comme dans l’adage de La Fontaine « Aide-toi et le ciel t’aidera! » La différence avec la religiosité de Morency, c’est qu’il remplace Dieu par l’Univers. Et curieusement, cet Univers se comporte et/ou ressemble étrangement au concept de brahman dans l’hindouisme, et c’est cet Univers qui fera en sorte que la demande-prière soit exaucée.

Mais il arrive parfois que cette dernière ne soit pas exaucée. Dans ce cas, c’est soit que le demandeur doute (sa foi n’est pas assez forte), soit que l’Univers sait mieux que le demandeur ce qui est bon pour lui. Des répliques typiques du christianisme! (Bible-ouverte.ch, 2016; Ettori, 2016; Rossier, 2016)

Dans la section « Les règles du jeu », Morency va jusqu’à écrire : « plus tu y penseras fort, plus tu déséquilibreras l’univers qui te trouvera bien achalant! » Voyez le parallèle avec ce que raconte un site chrétien : « certaines personnes doivent parfois prier jusqu’au point où Dieu pourrait être fatigué de leurs prières et se voir obligé de répondre » (Nee, 2016).

Dieu-Univers

L’avantage d’avoir l’Univers pour Dieu est qu’on élimine tous ces dogmes des monothéismes qui sont reliés au péché originel, ainsi que ceux reliés à la rédemption, comme par exemple par le sang du Christ pour le christianisme. De plus, on n’a plus besoin d’être dans un état de pureté obtenu par des actes de contrition ou de demande de pardon pour prier et espérer voir l’accomplissement de nos désirs, et l’univers ne promet pas l’enfer aux non-croyants après la mort. Cet ésotérisme est donc plus facile à gober par une société moderne qui veut éliminer ce complexe de culpabilité promu par les monothéismes.

Morency réadapte même certains mythes chrétiens. Il va jusqu’à promettre le paradis sur terre à ceux qui suivent ses recommandations, et ce drôle de concept de spermatozoïde élu se rapproche étrangement de celui du peuple élu de l’Ancien Testament.

Religions orientales

Quant à la nage synchronisée des poissons, et à l’accès au cerveau collectif, c’est une reprise du concept de l’inconscient collectif de Jung qu’il a lui-même tiré du brahman de l’hindouisme (Poulet, 2006). Par la méditation, on aurait accès au savoir collectif de cette conscience cosmique universelle et on recevrait ainsi la réponse à nos questions par révélation ou illumination.

Par contre, Larivée mentionne que, « selon Mathieu Ricard (2008), un champion de la méditation, méditer, c’est réfléchir. » J’avoue être assez surpris de cette affirmation parce que bien des techniques de méditation semblent inciter davantage à faire le vide intérieur pour recevoir les éventuelles révélations cosmiques, un procédé très différent de la réflexion logique occidentale. Ce vide intérieur est souvent obtenu par concentration sur un objet particulier ou sur le vide, en faisant abstraction de tout le reste (contemplation). Pour d’autres, la méditation implique tout simplement la répétition ininterrompue d’un mantra ou d’une prière quelconque (Meditation, 2016). Si c’est ça réfléchir…

Morency poursuit plus loin avec les chakras, le corps astral et le prana, qui sont tirés directement des religions de l’inde (Chakra, 2016; Siddha medicine, 2016). Cependant, certaines de ses lois sont aussi issues d’interprétations de paroles faussement attribuées à Bouddha telles que : « Ce que tu penses, tu le deviens. Ce que tu ressens, tu l’attires. Ce que tu imagines, tu le crées. » (Sagesse, 2016; Jarayava, 2010)

La croyance que des signes sont envoyés aux humains par des événements fortuits est aussi commune à bien des religions. Ils y voient souvent des révélations de toutes sortes. C’est aussi un biais cognitif commun qui mène l’humain à voir des corrélations là où il n’y a que le hasard. (Psychomédia, 2015)

Magnétisme

Pour expliquer pourquoi on reçoit parfois un coup de téléphone d’un ami à qui on voulait justement téléphoner, Morency s’abreuve au concept de télépathie, qu’il traduit par « captage d’une onde magnétique » (Morency et Fontaine, 2015, p 88).

Pourtant, diplômé en génie physique, Morency devrait être en mesure de prouver ses dires et démontrer l’existence de ces ondes électromagnétiques supposément émises et reçues par les prétendus chakras de la colonne vertébrale. C’est à se demander comment il a pu obtenir son diplôme!

Hermétisme

Certaines des fameuses lois de l’univers rapportées par Morency dans la section Les règles du jeu proviennent de la littérature alchimique et hermétique. Par exemple, sa loi des analogies, qui stipule que « Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » provient de la Table d’émeraude, un texte alchimique datant du VIe siècle ou d’avant et attribué à Hermès Trismégiste (Table d’émeraude, 2016).

La loi de la vibration, quant à elle, pourrait provenir du Kybalion, un autre livre hermétique publié en 1912 qui la formule ainsi : « Rien ne repose; tout remue; tout vibre. » Ses auteurs prétendent que cette loi remonte aussi à Hermès Trismégiste (Kybalion, 2016).

Endoctrinement

Morency appelle le jeune lecteur à utiliser les concepts développés dans son livre sans réfléchir, ce qui s’apparente à une des tactiques de l’endoctrinement religieux commune à bien des sectes et des religions. Il recommande aussi de suivre son intuition, de la même façon qu’un religieux va recommander de suivre une révélation.

Conclusion

Larivée mentionne finalement, dans ses critiques « qu’à 12 ans, l’âge de la croyance au Père Noël est passé date. » Il semble oublier que les différentes croyances religieuses et la pensée magique, qui ne sont pas plus fondées que la croyance au père Noël, se perpétuent allègrement depuis des millénaires. C’est d’ailleurs pourquoi plusieurs spécialistes en science des religions considèrent l’homme comme homo religiosus (Olender, 2016), parce que les différentes croyances religieuses et ésotériques définissent peut-être mieux l’homme que l’utilisation d’outils (homo faber) ou l’utilisation d’une intelligence très limitée (homo sapiens).

Bref, ce livre de Morency n’est que de la spiritualité pop qui prétend donner des trucs aux enfants pour qu’ils réussissent dans la vie. Il est malheureusement basé sur toutes sortes de croyances ésotériques farfelues. De plus, le type de pensée magique du gourou Morency pourrait ne faire qu’augmenter le nombre de dépressions chez ses lecteurs, surtout chez ceux qui ont davantage la foi et qui demandent sans recevoir. Selon un modèle développé par Rottenberg, les gens entrent en dépression lorsque les buts qu’ils se sont fixés s’avèrent inatteignables (Rottenberg, 2014).

Larivée a bien critiqué ce livre, mais il n’a pas analysé la source des croyances qui y sont véhiculées. Peut-être a-t-il eu peur d’être accusé de blasphème en s’attaquant directement aux religions elles-mêmes?

Finalement, avec la publication de cette critique, j’aurai fait plier l’Univers à ma volonté pour incorporer ma pensée dans le cerveau collectif…