Corps de l’article

Introduction

L’intervention psychoéducative est encore fortement associée aux jeunes en difficulté et au milieu scolaire (Renou, 2014), malgré la diversification des milieux de pratique observée au cours des dernières décennies (Grégoire, 2012). Le psychoéducateur intervient en effet désormais auprès d’une clientèle variée et ce, dans plusieurs secteurs des Centres universitaires intégrés de santé et de services sociaux (CIUSSS), dans les organisations relevant du système de justice et autres organismes (centre de la petite enfance, organismes communautaires, privé, etc.). Toutefois, la présence du psychoéducateur demeure très marginale dans le milieu carcéral (Renou, 2014). Cet article a pour objectif de faire état des rapprochements entre la profession de psychoéducateur et : 1) le milieu carcéral; 2) l’intervention correctionnelle (les philosophies d’intervention et les meilleures pratiques). En conclusion, nous présentons deux défis liés à l’intervention en milieu carcéral qui guettent le psychoéducateur qui voudrait y oeuvrer : la motivation de la clientèle et le développement d’une alliance thérapeutique dans la contrainte.

Contexte et état des lieux

Des rapprochements peuvent être faits entre le berceau de la psychoéducation et le milieu carcéral. Initialement, le principal milieu sinon le seul où on retrouvait des psychoéducateurs était l’internat. À ses débuts, la psychoéducation s’actualisait en effet dans la « Cité de Boscoville » pour les adolescents délinquants. Ce milieu et son modèle d’intervention innovateur témoignent des premières réalisations professionnelles des éducateurs de l’époque. C’est dans cet univers que la psychoéducation a reçu ses premières lettres de noblesse et fut même reconnue en Europe (Bégin, Bluteau, Arseneault et Pronovost, 2012). Ce contexte d’intervention permettait aux psychoéducateurs de tirer profit du vécu partagé, considéré par plusieurs auteurs reconnus dans le domaine de la psychoéducation comme l’un des principaux concepts qui distinguent le psychoéducateur des autres professionnels. Selon Gendreau (1984), les éducateurs ont su, peu à peu, faire leur place et se rendre utiles en réalisant des actions ordinaires du quotidien. Selon lui, l’un des fondements sur lequel repose le vécu partagé est qu’en éducation, il n’y a pas d’insignifiance (Gendreau, 1984). Ainsi, l’éducateur se distingue principalement par la possibilité qu’il a de partager des moments de vie avec le sujet dans le but de l’aider à mieux se situer vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis de son environnement. C’est donc le partage d’un vécu quotidien, par l’intermédiaire d’activités, et l’engagement du praticien dans un ici et maintenant avec le sujet, qui rend l’action éducative si distinctive (Capul et Lemay, 1996; Lemay, 1990).

On pourrait croire que les psychoéducateurs, étant spécifiquement formés pour intervenir auprès des personnes en difficultés d’adaptation et qualifiés pour élaborer et appliquer des programmes d’intervention, sont nombreux à oeuvrer dans le milieu carcéral. Dans les faits, il en va tout autrement.

Depuis quelques années, le Service correctionnel du Canada (SCC), dans le cadre de l’élargissement de son équipe de professionnels de la santé, embauche des psychoéducateurs, à titre d’agents de réadaptation[1], pour travailler au sein de la population carcérale aux prises avec des problèmes de santé mentale, notamment à l’Établissement Archambault qui a inauguré, en 1993, le Centre régional de santé mentale (CRSM). Bien que les postes offerts ne portent pas précisément le titre de psychoéducateur, les principales activités dont cet intervenant est responsable sont étroitement liées au savoir, au savoir-faire et au savoir-être du psychoéducateur : évaluer les difficultés d’adaptation et les capacités adaptatives, observer le fonctionnement de la personne, planifier l’intervention, utiliser les situations vécues au quotidien pour développer le potentiel adaptatif, évaluer les progrès, organiser, mettre en place et animer des activités de réadaptation. Ainsi, ces postes encore peu nombreux permettent aux psychoéducateurs d’actualiser leur plein potentiel en milieu carcéral. La répartition des membres de l’OPPQ selon les milieux de travail en date de juin 2015[2] montre que 12 psychoéducateurs travaillent en milieu carcéral au fédéral selon les titres d’emplois suivants : 6 agents de réadaptation; 2 gestionnaires; 1 coordonnateur d’unité; 1 adjoint aux ressources humaines; 1 agent de libération conditionnelle; 1 psychoéducateur en unité de réadaptation.

Au sein des Services correctionnels québécois (SCQ), aucun poste de psychoéducateurs n’existe, ces derniers pouvant être embauchés sous différents titres d’emploi (conseillers en milieu carcéral, agents de programmes, agents de libération conditionnelle, agent de probation ou autre appellation), qui ne leur sont toutefois pas réservés. À titre d’exemple, la formation exigée pour obtenir un poste d’agent de probation peut varier de la criminologie, à la psychologie, à la psychoéducation, au service social, à l’orientation, à la sexologie et à toute autre discipline connexe. À ce jour, deux membres figurant au Tableau des membres de l’OPPQ y travaillent à titre de conseiller en milieu carcéral et d’agent d’aide socioéconomique.

Au total, dans les services correctionnels provinciaux et fédéraux, cela représente 0,36 % des membres de l’OPPQ qui travaillent en milieu carcéral, comparativement à 27,6 % qui travaillent en milieu scolaire. Cela n’exclut toutefois pas que des psychoéducateurs de formation, mais qui ne sont pas membres de l’ordre, puissent travailler en contexte carcéral.

Le milieu carcéral

La clientèle carcérale

Au Canada, on estime que chaque jour, 15 141 individus sont incarcérés dans les établissements fédéraux de détention, lesquels administrent les sentences de deux ans et plus (Statistique Canada, 2015), et que 5 183 individus (moitié prévenus[3] et détenus[4]) sont incarcérés dans les établissements provinciaux de détention, qui eux, administrent les sentences de deux ans moins un jour (MSP, 2014). Les prochains paragraphes, en exposant les différents programmes offerts à la population carcérale (fédérale et provinciale), témoignent de la diversité des besoins des personnes incarcérées.

Au niveau fédéral, le SCC est responsable de 43 établissements correctionnels, 15 centres correctionnels communautaires et agit en partenariat avec des organismes non gouvernementaux qui gèrent environ 200 centres résidentiels communautaires (SCC, 2015). Tous ont le mandat, selon la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), d’offrir des programmes visant à répondre aux besoins des délinquants et à contribuer à leur réinsertion sociale (LSCMLC, art.76). Les programmes correctionnels ciblent trois principaux domaines : la violence, la toxicomanie et la criminalité en général (SCC, 2009a, 2014). L’ensemble des mesures vise à ce que les détenus développent leur compétence de manière à faciliter leur retour dans la collectivité et leur adaptation au milieu du travail (SCC, 2009b).

Au niveau provincial, la loi impose que les interventions offertes ciblent les facteurs menant à la récidive. Huit besoins particuliers des détenus ont été identifiés : 1) la consommation de substances psychoactives et le jeu; 2) la scolarisation et le décrochage scolaire; 3) l’emploi; 4) la situation financière; 5) la violence conjugale; 6) le réseau social; 7) la santé mentale et le suicide; 8) les abus sexuels (Bastille, Simon et Lalande, 2010). Toutefois, devant l’éventail et l’ampleur des problèmes présentés par la clientèle carcérale, et considérant le temps moyen de détention, le Ministère de la Sécurité publique (MSP) reconnaît que le mandat de la réinsertion sociale des personnes contrevenantes ne peut relever exclusivement des Services correctionnels (Bastille, Simon, Lalande et Roy, 2010). À cet effet, des ententes sont en place avec des ministères ou des organismes pour l’élaboration et l’implantation de services aux personnes contrevenantes. Par ailleurs, contrairement aux établissements fédéraux, aucun programme n’est offert de façon systématique et uniforme dans tous les établissements.

L’intervention correctionnelle

Deux philosophies d’intervention en contexte carcéral : punir ou réinsérer. Dans le domaine de la justice pénale, il existe deux principales philosophies d’intervention ou de représentations du châtiment : une dite utilitariste (Beccaria, Bentham) et l’autre, rétributiviste (Kant, Hegel). Selon ce dernier point de vue, la seule façon de rétablir l’ordre troublé par l’acte du criminel est de le punir en lui infligeant une peine prenant la forme d’un châtiment, donné uniquement en fonction du geste posé (Pires, 1998a).

« [...] la peine juridique ne peut jamais être considérée simplement comme un moyen de réaliser un autre bien, soit pour le criminel lui-même, soit pour la société civile, mais doit uniquement lui être infligée, pour la seule raison qu’il a commis un crime »

Kant, 1797, p.214

Kant ne rejette pas l’idée que les peines peuvent avoir un effet de dissuasion, mais cet effet ne doit en aucun cas constituer le but de la peine (Pires, 1998a). En d’autres mots, on estime que le délinquant agit de son propre vouloir lorsqu’il commet des actes criminels et qu’il agit rationnellement lorsqu’il exerce ce choix (Hollin et Palmer, 2006). La justice requiert que la personne soit châtiée proportionnellement à sa faute, pour l’unique raison qu’elle a décidé librement de désobéir à la loi (Pires, 1998b).

A contrario, en déterminant une sentence selon un point de vue utilitariste, on aspire à ce que la peine infligée ait une certaine utilité selon trois objectifs : 1) en dissuadant le contrevenant et la population de commettre un tel délit; 2) en neutralisant le délinquant par l’emprisonnement, l’empêchant ainsi de récidiver ou, finalement, 3) en réhabilitant l’individu grâce à une peine établie en fonction de ses caractéristiques personnelles et non en fonction du geste commis (Beccaria, 1965). Ainsi, la dissuasion n’est plus considérée comme un effet secondaire à la peine, mais bien comme le but ultime (Pires, 1998b) :

« Le but des châtiments ne peut être dès lors que d’empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et de dissuader les autres d’en commettre des semblables. Il faut donc choisir des peines et une manière de les infliger qui, toute proportion gardée, fassent l’impression la plus efficace et la plus durable possible sur l’esprit des hommes, et la moins cruelle sur le corps du coupable »

Beccaria, 1965, p.24

Pour ce faire, on doit d’abord comprendre pourquoi le geste a été commis et, dans un deuxième temps, agir sur les causes en vue de modifier ce comportement et, ultimement, prévenir la récidive (Lalande, 2004). Selon cette philosophie d’intervention, les théories psychologiques expliquent les comportements humains en termes d’interactions complexes entre des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux (Hollin et Palmer, 2006).

Des notions importantes et pré-requises pour comprendre le mouvement des meilleures pratiques en milieu carcéral : Du « nothing works » au « what works » (Martinson). Bien qu’il s’agisse là de notions « historiques » qui ont déjà fait l’objet de nombreuses publications en criminologie, un bref survol de ces deux mouvements s’impose, leur impact étant considérable sur l’intervention en contexte carcéral.

Au cours des 50 dernières années, de nombreux travaux ont été menés dans le but de déterminer quelle était la meilleure façon d’intervenir auprès des délinquants. Bien que depuis le début des années 70, il est désormais accepté que la sentence doit s’ajuster non pas au crime, mais à l’individu qui l’a commis, l’enjeu est de savoir comment le faire. En 1966, la New York State Governer’s Special Committee on Criminal Offenders fait appel à trois chercheurs (Lipton, Martinson et Wilks), afin de répondre à la question « qu’est-ce qui marche dans les programmes de réhabilitation? » (Crow, 2001). Leur rapport fut à un tel point pessimiste que le comité en interdit la publication. Ce n’est qu’en 1970 que Martinson publia son article, et ce, sans l’accord des deux autres chercheurs. Ses conclusions, qui laissaient entendre que les programmes de l’époque avaient peu ou pas d’effets dans la réduction de la récidive, ont rapidement été résumées et publicisées par la célèbre formule « Nothing works ». Martinson avait cependant également mis en évidence les problèmes méthodologiques des études analysées, lesquels pouvaient expliquer ces résultats peu concluants (Cooke et Philip, 2001). Mais cet aspect n’a pas été retenu, notamment par les défenseurs d’une justice rétributive. Bien qu’en 1979, Martinson tente de nuancer ses propos, en concluant cette fois que contrairement à sa position précédente, certains traitements ont des effets appréciables sur la récidive, on assiste alors à un déclin des efforts réhabilitatifs, déclin tout aussi important que précipité aux dires d’Allen (1981) de même qu’à l’essor d’un modèle punitif (Hollin et Palmer, 2006).

À la suite de nombreuses réformes du système de justice américain ainsi qu’à l’avènement de méthodes plus rigoureuses telles que la méta-analyse (Hollin et Palmer, 2006), des chercheurs décident de consacrer leurs efforts à démontrer ce qui peut fonctionner pour réduire la récidive, créant ainsi le mouvement du « what works » (Cullen et Gendreau, 1989). L’idée selon laquelle la criminologie scientifique doit être à la base d’une intervention correctionnelle efficace et que celle-ci ne peut être effective que si elle cible les causes ou les facteurs qui mènent à la récidive s’avère l’un des fondements théoriques de ce mouvement (Cullen et Gendreau, 2000). Pour ces chercheurs, l’objectif ultime de la criminologie est donc de protéger la société par des moyens plus efficaces que le modèle punitif qui lui s’avère plus utile pour démontrer notre désapprobation vis-à-vis un geste que pour dissuader l’individu de récidiver (Andrews et Bonta, 2010). Dans cet esprit, des études se sont attardées à évaluer les programmes punitifs existants, notamment à l’aide de méta-analyses. Pour qu’une intervention punitive soit efficace, un certain nombre de conditions doivent être réunies : 1) une intensité maximale (les punitions de faible intensité montrent des résultats immédiats mais temporaires); 2) une immédiateté (plus la punition suit rapidement le comportement, plus ce comportement risque de disparaitre); 3) une constance et une application systématique (un lien clair existe entre un comportement et une punition ou un renforçateur); 4) aucune possibilité d’évitement ou le renforcement du comportement alternatif (devant la punition, un individu peut être porté à adopter des comportements de fuite, seules les alternatives prosociales doivent être renforcées); 5) la contingence de la réponse (la punition doit surpasser le renforcement lié au délit) et 6) la punition doit être reliée aux caractéristiques personnelles du délinquant (selon des facteurs biologiques, cognitifs ou environnementaux, une même punition peut avoir des effets distincts chez deux individus différents) (Andrews et Bonta, 2010). Or, plusieurs chercheurs s’entendent pour dire qu’il est pratiquement impossible de réunir ces conditions dans le système judiciaire (McCord, 1999; Moffitt, 1983; Wilson et Abrahamse, 1992). Les interventions qui visent à dissuader les délinquants en utilisant une surveillance étroite ainsi que la menace de punition créent davantage de problèmes qu’elles n’en règlent et certaines de ces interventions pourraient même entraîner des comportements inattendus et indésirables tels qu’une légère hausse des comportements criminels (Andrews et Bonta, 2010). Cette augmentation s’expliquerait par le fait que les individus peuvent devenir tolérants à la punition ou encore percevoir cette dernière comme injuste (Piquero et Pogarsky, 2002). D’autres études ont alors mis en évidence de grands principes sur lesquels devrait se baser toute intervention qui se veut efficace sur le plan de la diminution de la récidive (McGuire et Priestley, 1995).

Les meilleures pratiques visant la diminution de la récidive

Bien qu’il soit difficile de cibler une intervention ou un programme en particulier comme étant celle ou celui qui s’avère le ou la plus efficace, un consensus émerge des différentes études quant aux grands principes qui devraient guider les interventions correctionnelles visant la diminution de la récidive. En somme : 1) l’adhésion à une théorie psychologique du comportement criminel (Andrews et Bonta, 2010; McGuire 2001); 2) le respect des principes de risque/besoins/réceptivité (Andrews et Bonta 2006); 3) l’intégrité dans l’application et la prestation du programme (Goggin et Gendreau, 2006; Lipton, Pearson, Cleland et Yee, 2002 Robinson et Crow, 2009); 4) une équipe formée de professionnels engagés et qualifiés (McGuire 2001; ORS, 2007) et 5) l’application de l’approche cognitive-comportementale (Hollin, 2001; McGuire, 2001, 2006; Wilson, Bouffard, et Mackenzie, 2005) sont les grands principes qui devraient guider les interventions correctionnelles visant la diminution de la récidive.

Premier principe : L’adhésion à une théorie psychologique du comportement criminel sous-jacente

Les programmes et les interventions en contexte carcéral qui se montrent les plus efficaces sont ceux fondés sur une théorie psychologique du comportement criminel (PCC) (McGuire, 2001), qui elle trouve ses fondements dans les théories sur la personnalité et les processus cognitifs de l’apprentissage social (Andrews et Bonta, 2010). L’objectif premier de la PCC est de comprendre les différences individuelles dans les actes délinquants et criminels. Cette compréhension recherchée se veut empirique, théorique et pratique (Andrews et Bonta, 2010). Andrews et Hoge (1995) identifient quatre ensembles de facteurs de risque criminogènes (qui affectent le risque de récidive si modifiés) à considérer dans la compréhension du comportement criminel : 1) les attitudes, les pensées, les sentiments, l’interprétation des événements et les rationalisations qui entretiennent le comportement antisocial; 2) la fréquentation de personnes antisociales; 3) les antécédents de comportement antisocial et 4) les indicateurs d’une personnalité antisociale (y compris les indicateurs d’une agressivité ou d’une impulsivité continuelle et, pour les jeunes contrevenants, d’une immaturité psychologique).

Deuxième principe : le risque, les besoins et la réceptivité

Andrews et Bonta (2006), à partir de la PCC, ont développé trois principes d’intervention correctionnelle efficace : le risque, le besoin et la réceptivité. Toute discussion liée au traitement correctionnel efficace présuppose une bonne compréhension des prémisses de ce modèle (Cortoni et Lafortune, 2009).

Qui doit profiter d’une intervention et de quelle intensité doit-elle être? Le premier de ces principes, le risque, stipule que la sélection des participants et l’intensité d’un traitement correctionnel donné doivent être établies en fonction du niveau de risque que présente le détenu. Réduit à une explication simple, cela signifie que l’on doit offrir davantage de services et/ou programmes aux délinquants les plus à risque et à l’inverse, en offrir moins ou de moindre intensité aux délinquants dont le risque n’est pas élevé. L’adéquation entre le niveau de risque présenté par le délinquant et l’intensité du programme offert repose sur une évaluation rigoureuse des caractéristiques individuelles du délinquant, lesquelles augmentent ou diminuent la probabilité d’une récidive (Hollin, 2002). Ces facteurs de risque sont soit statiques, en ce sens qu’ils réfèrent à des aspects du passé du délinquant que l’on ne peut modifier à l’aide d’interventions (antécédents criminels, âge, etc.) ou dynamiques (que l’on nomme également facteurs de risques criminogènes), c’est-à-dire des facteurs que l’on peut changer et qui une fois amendés, sont liés à un changement dans les taux de récidive (attitudes antisociales, la fréquentation de pairs antisociaux, une faible maîtrise de soi, etc.) (Andrews et Bonta, 2006).

Quelles doivent être les cibles et le contenu de l’intervention? Le principe des besoins sous-tend quant à lui que les besoins criminogènes sont les cibles de traitement appropriées. Ces besoins criminogènes (ou facteurs dynamiques) concernent tout élément directement lié au comportement criminel modifiable tel que les attitudes antisociales, les associations avec des personnes antisociales, une faible maîtrise de soi (ces trois facteurs étant considérés comme les plus robustes dans la prédiction de la récidive), le manque de contrôle de la colère, les modes de vie précaires et problématiques, les relations familiales et interpersonnelles instables et l’abus d’alcool et les autres substances psychoactives (Andrew et Bonta, 2006). Pour qu’un programme soit efficace, il importe qu’il soit basé sur une combinaison individualisée des facteurs criminogènes et non sur une combinaison générique appliquée sans distinction à tous les détenus (Andrew et Bonta, 2006; Hollin et Palmer, 2006). De plus, les interventions qui combinent plusieurs facteurs criminogènes réduisent plus efficacement la récidive que celles qui n’en ciblent qu’un seul (Andrews, 2001).

Comment intervenir? Le troisième principe, celui de la réceptivité, concerne l’harmonisation du style, des modes et des stratégies d’intervention des services avec le style d’apprentissage, la motivation, les aptitudes et les capacités du délinquant (Andrews, 2001). Deux principaux types de facteurs sont susceptibles d’affecter la réceptivité : les facteurs idiographiques, qui sont centrés sur l’individu (capacités intellectuelles, estime de soi, motivation) et les facteurs nomothétiques, qui sont externes à l’individu (les caractéristiques du personnel, l’alliance thérapeutique, le support de l’environnement, le type de programme et la façon dont il est appliqué) (Ogloff et Davis, 2004).

Ces trois principes font l’unanimité au sein de la communauté scientifique et sont considérés comme des éléments gagnants à inclure dans toute intervention carcérale (Andrews et Bonta, 2010; Cortoni et Lafortune, 2009; Crow, 2001; Hollin, 2002; McGuire, 2001; ORS, 2007; Robinson et Crow, 2009). Des méta-analyses ont montré que lorsque le traitement correctionnel prend appui sur ces éléments, des réductions significatives des taux de récidive et de révocation de liberté sont observées (Andrews et Dowden, 2006; Cortoni et Lafortune, 2009; Hollin et Palmer, 2006).

Troisième principe : l’intégrité dans l’application et la prestation du programme

L’intégrité dans l’application du programme, liée au fait que les activités offertes soient implantées et menées telles qu’elles ont été planifiées (Andrews, 2001), est l’un des principes clés pour une intervention carcérale efficace (Goggin et Gendreau, 2006; Lipton et al., 2002; Robinson et Crow, 2009). Dans les faits, il n’est pas rare d’observer une disparité entre la vision des gestionnaires d’un programme et celle des intervenants qui l’appliquent (Robinson et Crow, 2009). Il est possible de consolider l’intégrité d’un programme en précisant clairement la clientèle ciblée, les objectifs, les styles, le mode et la stratégie d’intervention (Andrews, 2001). Par conséquent, les programmes les plus efficaces ont tendance à être ceux qui sont clairement structurés, dont les objectifs officiels et la méthode utilisée sont étroitement alignés et dont le contenu est livré tel que prévu (Crow, 2001).

Quatrième principe : la sélection de personnels qualifiés pour prodiguer les interventions

Les méthodes efficaces en milieu carcéral sont caractérisées par des objectifs clairs et nécessitent un personnel qualifié et engagé dans les tâches qu’il est appelé à réaliser auprès des délinquants (McGuire, 2001; ORS, 2007). Auprès de ces derniers, les intervenants ont un rôle de modèle « anticriminel » et doivent renforcer leurs attitudes et leurs efforts prosociaux (Dowden et Andrews, 2004). Le personnel doit être sélectionné, formé et surtout, supervisé pour assurer l’intégrité du programme (Andrews, 2001), ces aspects faisant d’ailleurs partie des critères d’accréditation des programmes offerts par le Scottish Prison Services (Hollin et Palmer, 2006). Les caractéristiques, les compétences et les connaissances des intervenants sont des ingrédients importants dans tout effort de réhabilitation réussie (Cortoni et Lafortune, 2009). Serin et Preston (2001) identifient trois facteurs à considérer dans le recrutement des intervenants : 1) la formation (qui inclut la formation académique tout comme la formation continue offerte en milieu de travail); 2) l’expérience (expérience tant auprès de la clientèle cible, dans l’application de programme qu’en contexte carcéral) et 3) le savoir-être (sensibilité, empathie, enthousiasme, confiance, flexibilité, tolérance, etc.).

Cinquième principe : l’utilisation de l’approche cognitive-comportementale

L’application du modèle cognitif-comportemental, qui met l’accent sur l’interaction dynamique entre les pensées de l’individu, ses sentiments et ses comportements au moment de la commission du délit, donne les effets les plus positifs auprès de la clientèle délinquante (Hollin, 2001; McGuire, 2001, 2006; Wilson et al., 2005). Les résultats émergeant de plusieurs méta-analyses qui se sont penchées sur les différents modes d’intervention auprès des délinquants, confirment que les interventions cognitives-comportementales sont celles ayant de plus grands effets sur la récidive (Andrews et al., 1990; Lipsey, 1992; Lipton et al., 2002; Pearson, Lipton, et Cleland, 1997; Robinson et Crow, 2009; Wilson et al., 2005). D’autres travaux ont également montré que les traitements qui se sont à ce jour avérés les plus efficaces auprès de cette clientèle sont structurés selon l’intervention cognitive-comportementale (Crow, 2001; Lipton, et al., 2002) et incluent des éléments tels que la restructuration cognitive, le modelage, l’acquisition graduelle d’habiletés diverses, l’apport des ressources de soutien (Andrews et Bonta, 2006), la gestion de la colère, le contrôle de soi et les habiletés sociales (Hollin, 2001).

Enjeux liés à l’intervention en milieu carcéral

La démonstration étant faite que le psychoéducateur, par son savoir, savoir-faire et savoir-être, peut s’intégrer au milieu carcéral, terminons en mettant en lumière deux défis qui se posent aux intervenants dans un tel contexte d’intervention.

La motivation de la clientèle carcérale

L’intervention en contexte de judiciarisation et d’incarcération n’est effectivement pas sans comporter son lot d’enjeux pour l’intervenant. Bien que préliminaire, la recherche indique que l’on doit porter une attention particulière aux problèmes de motivation vécus par les délinquants (Cortoni et Lafortune, 2009). Les motivations qui poussent un individu à s’investir dans un programme peuvent être intrinsèques ou extrinsèques. Dans le premier cas, les comportements de la personne sont effectués par choix ou par intérêt personnel (McMurran et Ward, 2004). Par exemple, pour certains détenus, qui en sont souvent à leur premier contact avec le système pénal, la judiciarisation ou l’incarcération peut constituer une occasion de réflexion et de rupture avec un mode de vie jusqu’alors déviant. Ils vivent alors un choc et peuvent voir leur incarcération comme une occasion de changement et ainsi éprouver un réel désir de modifier leurs comportements (Brochu et Schneeberger, 1999). Les individus intrinsèquement motivés peuvent être affectés émotionnellement et physiquement, être insatisfaits de leur style de vie et reconnaissent les problèmes causés par exemple par leur consommation (Orsi et Brochu, 2009). Des individus qui sont plutôt motivés extrinsèquement ont des comportements liés à des lieux de contrôle externe faisant en sorte qu’ils agissent de manière à obtenir des renforcements ou à éviter des punitions (McMurran et Ward, 2004). Ainsi, l’intérêt immédiat à s’impliquer dans un quelconque programme correctionnel ne concorde pas nécessairement avec les objectifs du système (protection des citoyens, sécurité, réinsertion) (Brochu et Plourde, 2012) et provient plutôt de sources souvent liées aux rouages du système judiciaire. Un détenu extrinsèquement motivé pourrait vouloir s’impliquer dans un processus de changement pour échapper à une sanction pénale, améliorer son dossier auprès des différentes instances décisionnelles, éviter des conditions de libération trop sévères, éviter une condamnation ou une sentence ou encore pour recouvrir sa liberté. Les programmes deviennent donc un moyen pour rendre le séjour carcéral moins pénible et le plus court possible. Bien qu’externes à l’individu, ces pressions judiciaires peuvent tout de même augmenter la motivation au traitement et ultimement, avoir un effet positif sur la rétention du client judiciarisé au sein du programme (Brochu et al., 2006). Selon les conclusions de la recension des écrits menée par Orsi et Brochu (2009), la motivation externe en contexte de traitement sous contrainte serait utile pour amener les clients à s’investir dans un processus de traitement et à persister alors que la motivation interne serait davantage responsable des changements comportementaux. De plus, il existe plusieurs stratégies d’intervention afin de susciter la motivation des contrevenants et ainsi améliorer les pratiques (Orsi et Brochu, 2009), l’utilisation de ces techniques étant également considérée comme un principe essentiel pour une intervention correctionnelle efficace (ORS, 2007). Toutefois, il n’est pas rare d’observer des abandons, une fois la pression judiciaire levée (Brochu et Schneeberger, 2000). Day et son équipe (2006) ont identifié différentes raisons pouvant mener à l’abandon des programmes correctionnels par les détenus : le traitement ne correspond pas à leurs attentes (souvent erronées), expulsion due à des comportements perturbateurs ou manque d’assiduité, manque de correspondance entre le programme indiqué et celui qui est réellement offert. Devant toutes ces menaces à la persévérance dans le traitement (intimement liée au succès dudit traitement) il est souhaitable, voire recommandé, de mettre tout en oeuvre pour créer une alliance thérapeutique avant l’expiration du mandat et ainsi espérer que la démarche se poursuivra au-delà de l’ordonnance pénale (Brochu et Schneeberger, 2000).

Le développement de l’alliance thérapeutique avec la clientèle carcérale

L’importance de développer une alliance thérapeutique n’est plus à démontrer. De nombreuses publications lui reconnaissant un rôle majeur dans l’efficacité d’un traitement et dans la capacité à en prédire le succès (Puskas, Caouette, Dessureault et Mailloux, 2012). L’alliance thérapeutique comporte trois dimensions essentielles interdépendantes : le lien, l’accord sur les objectifs et les tâches (Bordin, 1979). L’accord sur les objectifs repose sur l’accord mutuel et la collaboration entre l’intervenant et le client sur les buts du traitement alors que les tâches concernent l’engagement entre le client et l’intervenant sur les activités à réaliser dans le cadre du suivi. Le lien se rapporte à la relation entre le client et l’intervenant et il est basé sur la confiance, la sollicitude et l’engagement (Baillargeon et Puskas, 2013). Or, cette alliance peut être difficile à développer dans un contexte judiciarisé en raison du double rôle de l’intervenant. En effet, ce dernier doit assumer deux mandats parfois difficilement compatibles : la sécurité de la population et la réinsertion du contrevenant. Dans ce contexte, comment l’intervenant peut-il instaurer un climat de collaboration avec le client et arriver à un accord mutuel sur les objectifs et les tâches du suivi? L’ambigüité du rôle de l’intervenant peut susciter une certaine méfiance de la part des détenus qui est susceptible de nuire au lien de confiance : puis-je me confier? Mes confidences pourraient-elles nuire à mon processus judiciaire? L’intervenant n’est pas à l’abri de cette dualité entre intervenant et surveillant. Ses fonctions se retrouvent enchâssées dans le cadre juridique, ce qui lui impose un contexte d’autorité, de surveillance et de contrôle. Dans la perspective où, pour la plupart des intervenants, le mandat premier ou du moins privilégié est celui d’aider, l’intervenant se retrouve face à une opposition entre ce mandat et l’exercice de l’autorité (Puskas et al., 2012). Il importe alors de faire preuve de flexibilité, de créativité, d’ouverture et d’honnêteté envers le client en contexte d’autorité (Cormier et Cormier, 1991). Wolfe, Kay-L, Bowman et Childs (2013) mentionnent également que la chaleur, la compréhension et l’écoute active sont des attitudes que les intervenants devraient privilégier pour établir une alliance thérapeutique avec cette clientèle.

Conclusion : la spécificité du psychoéducateur peut-elle se manifester en milieu carcéral?

Tel qu’énoncé précédemment, depuis plusieurs années, les milieux d’intervention où l’on retrouve des psychoéducateurs se sont littéralement multipliés, débordant amplement des contextes d’internat. Déjà en 2001, Gendreau se questionnait sur les impacts que cette diversification des milieux pourrait avoir sur un concept psychoéducatif tel que le vécu partagé. Essentiellement, son questionnement se résumait ainsi :

« Faut-il en conclure que la nature de l’accompagnement éducatif spécialisé est totalement changée et qu’il ne s’agit plus de vécu réellement partagé? En d’autres termes, le contenu de ce qui est vécu et le cadre dans lequel cela se passe change-t-il la nature du vécu partagé? »

p.48

Leblanc (2004) va encore plus loin dans son raisonnement en affirmant que la pratique psychoéducative n’est plus caractérisée par un vécu partagé significatif pour un nombre important de psychoéducateurs. Or, pour nous, il n’est pas uniquement question de quantité de temps passé en présence de la personne lorsque l’on fait référence au vécu partagé. Nous croyons que le vécu partagé renvoie également au fait que le psychoéducateur travaille pour, dans et avec le quotidien de la personne, ce qui ne suppose pas nécessairement d’y être présent en tout temps. De plus, il ne faut pas oublier que la compétence du psychoéducateur réside aussi, et surtout, dans son habilité à identifier les événements significatifs de ce vécu partagé et à les exploiter (Caouette et Pronovost, 2013).

Dans le cadre de ce plaidoyer, sept pièces à conviction ont été présentées : 1) la cohérence entre les philosophies de la psychoéducation et de la réinsertion; 2) le psychoéducateur possède les assises théoriques pour faire une analyse du comportement criminel selon les meilleures pratiques; 3) le psychoéducateur est en mesure d’appliquer le modèle RBR; 4) le psychoéducateur est compétent dans l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation de programme; 5) la formation du psychoéducateur en fait un intervenant qualifié pour le milieu carcéral; 6) le psychoéducateur connait l’approche cognitive-comportementale; 7) il est possible d’utiliser le vécu éducatif partagé en milieu carcéral. À la lumière des arguments soutenus dans notre plaidoyer, nous émettons le souhait que les psychoéducateurs intègrent davantage les milieux carcéraux et puissent faire valoir la complémentarité, l’utilité et l’unicité de la psychoéducation en leur sein, tout comme nos prédécesseurs ont jadis percés les murs des milieux scolaires, les centre de santé et de services sociaux et les milieux de garde en mettant en exergue la pertinence de la psychoéducation.