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Impulsivité et troubles liés à l’usage de substances sont des facteurs connus de dangerosité, en particulier dans la population de personnes souffrant d’autres troubles psychiatriques concomitants (Rush et Koegl, 2008). La prévalence de chacun est importante, tant dans la population générale que dans les populations cliniques de psychiatrie générale, de réadaptation en dépendance[1] ou de psychiatrie légale. De plus, ils semblent fréquemment se retrouver conjointement chez les mêmes individus. Qu’est-ce qui explique cette association ? Existe t’il des liens de causalité entre impulsivité et troubles liés à l’usage de substances et, si oui, dans quelle direction est-elle? Y a t’il présence de tiers facteurs pour expliquer cette association ? Le présent texte se veut un survol des données probantes qui existent, en particulier sur le plan neurobiologique, pour mieux comprendre cette association. Nous résumerons ensuite les principales répercussions cliniques incontournables dans l’évaluation et le traitement des personnes à la fois impulsives et souffrant de troubles liés à des substances, incluant quelques pistes de traitement adaptées à la plupart des contextes cliniques.

1. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un trouble lié à l’usage d’une substance ?

1.1. Définition de départ : une perspective neurobiologique

Toutes les récentes percées scientifiques dans le champ de la toxicomanie confirment que les troubles liés à l’usage d’une substance peuvent être assimilés à un trouble neurologique, c’est à dire affectant principalement le système nerveux central. Le trouble lié à l’usage d’une substance est caractérisé par un comportement compulsif, un usage continu de drogue malgré des conséquences négatives et des changements persistants dans la structure et le fonctionnement cérébraux. Toutes les drogues d’abus se lient efficacement et rapidement à des récepteurs cérébraux (ou leur équivalent) pour déclencher leurs effets. Comme d’autres maladies chroniques, les troubles lié à l’usage d’une substance ont le potentiel d’être évités par des interventions de prévention, en particulier chez les adolescents (pour un exemple d’intervention démontrée efficace, voir Conrod et coll., 2013). Ces troubles peuvent être traités par différentes méthodes thérapeutiques. Ils modifient aussi la biologie et, si non traités, peuvent durer toute une vie. En guise d’illustration, on peut faire un parallèle entre le métabolisme cérébral diminué chez un usager chronique de cocaïne et le métabolisme cardiaque diminué chez un patient souffrant d’une maladie cardiaque athérosclérotique.

Les motifs d’utilisation des drogues (incluant l’alcool) varient, mais on retrouve fréquemment les suivants : améliorer les sensations, les perceptions et les expériences agréables, ou diminuer l’anxiété, les soucis, la tristesse et l’ennui. Il faut se rappeler que seulement une minorité des utilisateurs d’une substance donnée vont développer un trouble lié à l’usage de cette substance. Le mécanisme par lequel un individu développe un trouble lié à l’usage d’une substance peut se résumer très simplement : les substances d’abus agissent sur les circuits neuronaux de la motivation et de la récompense, ce qui créé un fort incitatif à utiliser cette substance à l’excès. Certaines drogues vont même jusqu’à imiter la structure de neurotransmetteurs naturels. Par exemple, l’anandamide, un endocannabinoïde, a une structure très proche du THC (tétrahydrocannabinol), le principal ingrédient actif contenu dans le cannabis. Les substances d’abus ont, par contre, un effet beaucoup plus puissant ou durable sur les circuits de la récompense, ce qui en font un substrat plus attrayant que des stimuli naturels.

Dans toutes les drogues d’abus, peu importe le récepteur initialement impliqué, il y a toujours implication de la dopamine, ce neurotransmetteur incontournable dans nombre d’activités humaines comme le mouvement, la motivation, la récompense et le bien-être. Les récompenses naturelles, comme la nourriture et l’activité sexuelle, augmentent les niveaux de dopamine dans le nucleus accumbens, le «coeur» du circuit neuronal de la récompense. Les drogues d’abus augmentent toutes la relâche de dopamine dans ce même circuit, mais par des mécanismes variés. Par exemple, la cocaïne se lie aux transporteurs de la dopamine, empêchant la recapture de celle-ci, ce qui élève la concentration de dopamine dans l’espace synaptique. D’autres neurotransmetteurs peuvent être impliqués de surcroit : la sérotonine (impliquée dans l’humeur et le sommeil), le glutamate (neurotransmetteur excitateur impliqué dans l’apprentissage et la mémoire), l’acide gamma-aminobutyrique ou GABA (neurotransmetteur inhibiteur impliqué dans la sédation, l’anxiolyse, la mémoire de travail) et les opiacés endogènes, telles les endorphines (impliqués dans la sensation de bien-être, le soulagement de la douleur et la sédation). Les relations fonctionnelles des voies dopaminergiques, incluant l’aire tegmentale ventrale, le nucleus accumbens et les projections au cortex préfrontal, entre autres voies de neurotransmission, nous informent donc des impacts des troubles liés à l’usage d’une substance sur le cerveau. Il nous importe d’amener en introduction quelques notions neurobiologiques pour mieux comprendre les relations qui existent entre impulsivité et troubles liés à l’usage de substances, deux phénomènes ayant pour base un substrat neuronal complexe.

1.2. Des modifications de longue durée…

Les recherches scientifiques des dernières années arrivent à la conclusion que l’usage prolongé de drogues affecte profondément le cerveau de façon durable et que ces changements sont à la fois de nature structurale et fonctionnelle. Un exemple de changement structural, suivant l’exposition prolongée à une substance d’abus, est la densification des dendrites neuronales dans le nuccleus accumbens suite à l’exposition prolongée aux amphétamines (Robinson et Kolb, 1997). Mais l’anomalie structurale sans doute la plus connue, induite par l’usage prolongé d’une substance, est l’atrophie des hippocampes et du cortex préfrontal avec l’alcoolisation chronique.

Les exemples de changements fonctionnels abondent. Entre autres, on constate une diminution de la densité des récepteurs D2 dans le lobe limbique suite à l’exposition chronique de toutes les drogues d’abus. Cela pourrait expliquer l’anhédonie prolongée et d’intensité variable que beaucoup d’individus ressentent pendant des mois suivant l’arrêt complet de l’usage d’une substance prise sur une longue période. Un autre exemple est la diminution de performance à des tâches motrices (telle que la vitesse de réaction motrice) ou mnésiques (telle que le rappel différé de mots) après un usage prolongé de méthamphétamines (Volkow et coll., 2001). En conséquence de tous ces changements, plusieurs fonctions cérébrales importantes peuvent être compromises, tant sur le plan moteur, sensitif, de la régulation de l’humeur que sur le plan cognitif, incluant la régulation de l’impulsion.

1.3. Impulsion et compulsion: les deux temps des troubles liés à l’usage d’une substance

Impulsion ou impulsivité et compulsion sont des concepts souvent associés aux troubles liés à l’usage de substances et peuvent parfois être confondus. Les aspects complémentaires de ces deux concepts ont été modélisés dans une récente théorie par Koob et Le Moal (2001), dont nous faisons ici un bref résumé. Leur modèle tente d’expliquer le glissement neurophysiologique qui s’opère entre l’usage occasionnel et l’usage prolongé d’une substance d’abus. En résumé, l’usage initial de la substance est qualifié de phase «impulsive», car l’usage de la substance y est souvent impulsif, non planifié ou exploratoire. Cette phase est dominée par le renforcement positif : la recherche du plaisir, de la stimulation, de la nouveauté. Dans cette phase initiale, le cycle de consommation de la substance s’amorce par un sentiment de tension ou d’attention dirigée («arousal»), suivi d’une action impulsive menant à la consommation. La prise de substance entraine alors un sentiment rapide de soulagement, de plaisir ou de gratification, qui peut être suivi de regrets ou de culpabilité. Ces sentiments peuvent à leur tour amener une tension ou une attention dirigée et le cycle recommence.

Lorsque l’usage de la substance se prolonge dans le temps, une phase de consommation dite «compulsive» peut s’installer. Celle-ci est dominée par le renforcement négatif : l’évitement du déplaisir, soit du sevrage et des conséquences négatives engendrées par la consommation. Le comportement de prise de substance est ainsi augmenté, ou renforcé, par le retrait des stimuli aversifs que sont les symptômes de sevrage et autres conséquences négatives de la prise de substance (dettes, conflits interpersonnels, etc.). Le cycle s’amorce par un sentiment d’anxiété ou de stress (de toute origine) qui peut conduire à des comportements répétitifs autour de la consommation de la substance. Cette prise de substance compulsive et les comportements associés amènent un soulagement de l’anxiété ou du stress ressenti, ce qui peut alimenter ensuite une obsession de consommer. Cette obsession peut être elle-même vécue comme un stress ou une anxiété, ce qui peut davantage alimenter le cercle vicieux du renforcement négatif (Koob et Le Moal, 2007). La transition entre ces deux temps de la toxicomanie, la phase impulsive et la phase compulsive, ne se ferait pas de façon abrupte, mais bien très progressivement sur une période plus ou moins prolongée en fonction de facteurs propres à l’individu, à son environnement ainsi qu’à l’intensité de l’utilisation de la substance.

1.4. Quelques notions de neuroanatomie fonctionnelle appliquée aux troubles liés à l’usage de substances

De façon simplifiée, nous pouvons dire qu’il y a trois grandes zones cérébrales impliquées de façon prédominante dans les troubles liés à l’usage d’une substance. Premièrement, il y a le système de la récompense, soit l’aire tegmentale ventrale et le nucleus accumbens en particulier, où se fait la relâche de dopamine suite à la prise de drogue ou d’alcool. Cette relâche de dopamine dans le système de la récompense correspond à la réponse inconditionnelle à la substance. Celle-ci explique le développement de la tolérance aux effets neurophysiologiques de la drogue. Deuxièmement, il y a le système limbique par l’implication duquel l’individu développe une sensibilisation aux stimuli associés à la drogue, à ce qui entoure le rituel de consommation. Il s’agit de la réponse conditionnelle à la substance, ce qui augmente l’impulsion de consommation. Puis il y a le cortex préfrontal, dont les fonctions sont inhibées lors de l’usage prolongé de la substance. Entre autres, l’inhibition du circuit orbitofrontal conduit à une incapacité à intégrer les conséquences négatives apprises, ce qui favorise la décision de consommer la substance. L’inhibition du circuit dorsolatéral et du cortex cingulaire antérieur entrainent de leur côté une difficulté à inhiber les comportements de recherche et de prise de drogue, d’où une augmentation de l’impulsivité (Moreno-Lopez, Stamakis, Fernandez-Serrano, Gomez-Rio, Rodriguez-Fernandez, Perez-Garcia et Verdejo-Garcia, 2012). En résumé, on peut dire qu’il y a à la fois une emphase accrue («salience») du stimulus conditionné via le système limbique et une diminution des capacités d’inhibition du comportement via le cortex frontal et les circuits cortico-striés, ce qui accélère le cercle vicieux de la consommation compulsive de la substance (Jentsch et Taylor, 1999).

2. Fonctions exécutives, impulsivité et troubles liés à l’usage de substances

2.1. L’impact potentiel de l’usage de substances sur l’impulsivité

Associés aux effets neurophysiologiques cités précédemment, les individus souffrant d’un trouble lié à l’usage de l’alcool, de la cocaïne et des amphétamines ont des déficits de la mémoire de travail, de la prise de décision (en particulier le report de la gratification ou de la récompense), de l’inhibition comportementale et de la capacité attentionnelle. L’amplitude de ces déficits est comparable à ce qui est observé chez des personnes avec une lésion du cortex frontal (Bechara, 2005 ; Feil et al., 2010 ; Lubman, Yücel et Pantalis, 2004). La sévérité du trouble lié à l’usage d'une substance est corrélée aux niveaux de dysfonction frontostriée, de désinhibition comportementale et d’habiletés de prise de décision. Il est important de se rappeler que ces déficits des fonctions exécutives ne sont pas seulement aigus, lors de la prise active de la substance, mais chroniques : ils persistent dans le temps, même en l’absence de consommation. Toutefois, une amélioration progressive de ces déficits avec un temps d’abstinence prolongé se produit pour la plupart des substances, ce qui est moins vrai pour l’alcool.

Pour ce qui est des usagers de cannabis, des déficits persistants ont été remarqués lors de la prise continue. Selon certaines études récentes, le cannabis pourrait entrainer une augmentation de l’impulsivité, mais les résultats sont controversés. Des déficits de la mémoire de travail, de la mémoire épisodique et de la prise de décision, sont évoqués (Gonzalez et coll., 2012). Après l’arrêt complet du cannabis, les données scientifiques actuelles concluent à une résolution progressive des déficits sans atteinte persistante.

En ce qui concerne les utilisateurs d’opiacés, peu d’études se sont encore penchées de façon rigoureuse sur les déficits neurocognitifs associés. Un facteur confondant très fréquent dans les études sur cette population est la présence de troubles liés à l’usage de plusieurs substances chez les sujets étudiés. Néanmoins, des études de neuroimagerie notent une activité cérébrale anormale en frontal et temporal avec l’usage chronique. Certains tests de neuropsychologie révèlent une diminution des fonctions exécutives, même après une abstinence de plusieurs années, soit la persistance de réponses comportementales inappropriées et une prise de décision risquée (Brand, Roth-Bauer, Driessen et Markowitsch, 2008; Ersche et Sahakian, 2007; Feil et al., 2010; Gruber, Silveri et Yurgelun-Todd, 2007).

En bref, les preuves scientifiques actuelles vont généralement dans le sens d’une augmentation de l’impulsivité à court et souvent à plus long terme induite par plusieurs substances chez les usagers chroniques.

2.2. L’impact potentiel de l’impulsivité sur les troubles liés à l’usage de substances

Nous savons déjà que l’impulsivité est souvent associée à l’adolescence normale, au trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), au trouble des conduites (chez les jeunes), au trouble de la personnalité antisociale (chez les adultes), aux troubles liés à l’usage de l’alcool ainsi qu’aux troubles liés à l’usage d’autres substances (tous âges confondus) (Congdon et Canli, 2008; Crews et Boettiger, 2009; Evenden, 1999). Les troubles liés à l’usage de substances débutent souvent à l’adolescence. À preuve, les taux d’incidence de dépendance[2] au tabac, à l’alcool ou au cannabis, entre autres, sont largement supérieurs dans le groupe d’âge allant de 15 à 20 ans à ceux observés dans n’importe quel autre groupe d’âge et diminuent généralement en vieillissant (Grant et coll., 2004). On considère donc de plus en plus la toxicomanie comme une maladie du développement. L’adolescence est une période de vulnérabilité cérébrale accrue pour deux raisons principales. D’abord, le cerveau en développement est plus sensible aux effets neurotoxiques des substances. Ensuite, l’immaturité du cortex préfrontal à cet âge entraine déjà un certain niveau d’impulsivité qui, en retour, favorise la prise de risque et l’expérimentation de drogues.

L’impulsivité est donc un facteur de risque au développement d’une toxicomanie. De multiples études ont dégagé un profil particulièrement à risque. Il s’agit d’une constellation de troubles du comportement ou de dimensions de la personnalité : névrotisme, extraversion, TDAH, présence de comportements antisociaux ou non conformistes allant jusqu’au trouble oppositionnel et des conduites. Ce profil est associé à un début précoce de troubles liés à l’usage de substances (avant l’âge de 25 ans) et à un pronostic plus sombre suite au traitement (Swendsen et Le Moal, 2011). Le risque de développer un trouble lié à l’usage d’une substance est aussi génétiquement prédisposé, dans une proportion oscillant entre 40 et 60% selon les études de jumeaux adoptés. Le mode de transmission héréditaire est complexe et implique de nombreux gènes. De plus, l’exposition prénatale à l’alcool, ou à la cocaïne, peut causer de nombreux déficits neuropsychologiques, dont une impulsivité accrue, ainsi qu’augmenter le risque de développer un problème lié à l’usage de l’alcool (Hamilton, Lindsey et Nader, 2011). L’exposition au stress prénatal, via une dysrégulation de l’axe hypothalamo-hypophiso-surrénalien, augmente également le risque de développer un trouble lié à l’usage de substance chez le rat. Des modèles de rôle et des pairs utilisateurs de substances, l’adversité précoce, la négligence, l’abus physique ou sexuel ainsi que l’accessibilité de la substance dans l’enfance et l’adolescence sont d’autres facteurs de risque connus de développement d’un trouble lié à l’usage d’une substance.

2.3. Trouble lié à l’usage d’une substance, trouble psychiatrique et impulsivité

La présence d’une toxicomanie concomitante à un trouble psychiatrique vient généralement augmenter de façon importante le niveau d’impulsivité. Ainsi, l’impulsivité chez les adultes souffrant d’un trouble lié à l’usage d’une substance est plus élevée que chez les témoins. Les adultes avec TDAH et un trouble lié à l’usage de la cocaïne ont des niveaux plus élevés d’impulsivité que les adultes avec TDAH sans trouble lié à l’usage de cocaïne, qui eux-mêmes ont un niveau d’impulsivité supérieur aux témoins. Finalement, chez les adultes atteints d’une maladie affective bipolaire de type 1, en phase euthymique, le niveau d’impulsivité est plus élevé s’ils souffrent aussi d’un trouble lié à l’usage d’une substance que s’ils n’en souffrent pas, ce dernier groupe ayant encore une fois un niveau d’impulsivité supérieur aux témoins (Crunelle, Veltman, van Emmerick-van Oortmerssen, Booij et van den Brink, 2012).

Les conséquences de cette association entre impulsivité et trouble lié à l’usage d’une substance ne peuvent être ignorées. Il y a augmentation de l’inobservance et de l’abandon du traitement (psychiatrique ou du trouble lié à l’usage de substances), une augmentation du taux d’accidents divers, dont les accidents de véhicules moteurs. Il y a également une dangerosité accrue. Premièrement, les personnes qui abusent de substances sont beaucoup plus à risque de risque de mourir par suicide que la population générale (Ronquillo, Minassian, Vilke et Wilson, 2012). Les résultats de la vaste étude épidémiologique «Epidemiological Catchment Area» (ECA) aux États-Unis a démontré une prévalence à vie de suicide de 18% chez les personnes souffrant d’un trouble lié à une substance. L’utilisation d’alcool serait associée à 25% de tous les suicides et environ 50% des suicides sont associés à une dépendance à l’alcool ou aux drogues (Miller, Malher et Gold, 1991). Il y a également plus d’auto-mutilations. Deuxièmement, il y a plus d’homicides et d’agressions violentes sur autrui. L’utilisation d’alcool est associée à 50% de tous les homicides. L’étude MacArthur, menée par Monahan en 2001, a bien illustré l’impact exponentiel de la présence d’un trouble lié à l’usage d’une substance sur le risque de violence des personnes souffrant d’un trouble mental associé. Il y a aussi une judiciarisation plus fréquente de crimes, violents ou non, et de personnalité antisociale chez les individus souffrant d’un trouble lié à l’usage d’une substance (Fergusson, Swain-Campbell et Horwood, 2002 ; Jaffe, Du, Huang et Hser, 2012 ; Rush et Koegl, 2008).

3. Pistes de traitement

Deux grands axes de traitement découlent des données probantes mentionnées précédemment.

3.1. L’impulsivité comme cible de traitement spécifique

Le premier axe consiste à cibler la réduction de l’impulsivité comme priorité, nonobstant sa cause, dans le traitement des patients présentant un trouble lié à l’usage d’une substance isolé ou en association avec un autre trouble psychiatrique, surtout en début de traitement. Les moyens sont ici non spécifiques : gestion de la dangerosité (par exemple : choix d’un milieu de soin hospitalier ou résidentiel plutôt qu’externe, judiciarisation, rendez-vous conjoints avec un autre membre de l’équipe, etc.), amélioration de l’observance aux rendez-vous de suivi et à la prise des médicaments par tous les moyens possibles (rappels, dosettes, médication injectable de longue durée voire ordonnance de traitement), ainsi que la stabilisation du milieu de vie (hébergement sécuritaire, mode de revenu légal et régulier, fiducie, etc.). L’utilisation d’une médication pour diminuer l’impulsivité, par exemple avec certains stabilisateurs de l’humeur, les antipsychotiques ou encore les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, peut être bénéfique à ce stade. On évite autant que possible les médicaments à risque d’abus chez ces patients, surtout en début de traitement.

3.2. Traiter le trouble lié à l’usage d'une substance pour améliorer l’impulsivité

Le deuxième axe de traitement consiste à traiter le trouble lié à l’usage d’une substance comme un problème primaire pour tenter d’améliorer secondairement l’impulsivité. Cela implique de traiter le trouble lié à l’usage de la substance en même temps et au même titre que le ou les autres troubles psychiatriques associés. Les lignes directrices actuelles de traitement des troubles liés à l’usage d’une substance comprennent un ensemble d’interventions de nature psychosociale, non spécifiques à une substance donnée: thérapie de prévention de la rechute, l’entretien motivationnel, la fréquentation de groupes de soutien par les pairs (Alcooliques Anonymes, Narcomanes Anonymes, etc.), la thérapie comportementale de gestion des contingences et les psychothérapies de couple et familiale en particulier (NIDA, 2012). La revue détaillée des approches dont l’efficacité a été démontrée dans le traitement des troubles liés à l’usage de substance dépasse les objectifs du présent article, mais un lecteur intéressé peut se référer, entre autres, au manuel de Marc Galanter et Herbert D. Kleber (2008).

En complément, il existe des traitements pharmacologiques spécifiques pour certaines substances. L’efficacité de ces traitements, conjointement avec un suivi médical, est généralement supérieure aux thérapies psychosociales (Anton et al., 2006). Pour l’alcool, suite à une phase de sevrage sécuritaire s’il y a lieu, il s’agit d’aider à maintenir la rémission du trouble à l’aide d’une des trois molécules suivantes : la naltrexone (Révia®), l’acamprosate (Campral®) ou le disulfiram (Antabuse®). La naltrexone est un antagoniste des récepteurs opiacés, dont la stimulation indirecte par l’alcool lors d’une intoxication aiguë pourrait augmenter les propriétés de renforcement de l’alcool. En bloquant ce renforcement indirect, la naltrexone pourrait modérer les effets de l’alcool sur le circuit de la récompense, favorisant ainsi qu’un individu limite volontairement la quantité d’alcool ingérée ou s’abstienne plus longtemps (Streeton et Whelan, 2001). La naltrexone existe sous forme de comprimés à prise orale ou sous forme injectable à action prolongée, mais la disponibilité de cette dernière est limitée aux Etats-Unis pour le moment. L’acamprosate serait un agoniste des récepteurs GABA et un modulateur des récepteurs NMDA. C’est par ce mécanisme qu’il favoriserait le rétablissement d’un équilibre entre l’excitation cérébrale glutaminergique et l’inhibition cérébrale gabaergique, équilibre mis à mal par l’usage chronique de l’alcool. Le disulfiram a pour sa part un mécanisme d’action aversif. Il a la propriété d’inhiber l’enzyme hépatique nommée aldéhyde déshydrogénase impliquée dans le métabolisme de l’alcool (Franck et Jayaram-Lindström, 2013). Ce faisant, en présence d’alcool, il y a accumulation dans le sang d’acétaldéhyde, un métabolite intermédiaire toxique, ce qui provoque un ensemble de symptômes aversifs, dont la tachycardie, des palpitations, un érythème du haut du corps, des nausées et vomissements, une baisse de la tension artérielle, des étourdissements et même de la confusion. Occasionnellement, la réaction alcool-disulfiram peut être sévère et même entrainer la mort, dans de rares cas (Kranzler, Ciraulo et Jaffe, 2009).

Pour les opiacés, il s’agit principalement de la méthadone, un agoniste à longue durée d’action des récepteurs opiacés mu en traitement sur une période prolongée. Une alternative consiste en la combinaison de buprénorphine, un agoniste partiel des récepteurs mu opiacés, et de naloxone, un antagoniste des récepteurs mu opiacés ajouté pour décourager la diversion et l’injection du médicament (Suboxone®) (Stine et Kosten, 2009). Ces deux traitements permettent de réduire, voire d'éliminer les symptômes de sevrage aux opiacés, de réduire les comportements antisociaux reliés à l’usage d’opiacés et de permettre potentiellement un retour à un rétablissement fonctionnel, tel que bien établi par les données probantes (NIDA, 2012). Pour la nicotine, il y a la thérapie de remplacement de la nicotine (timbres transdermiques, gommes, etc.), le bupropion (Zyban® ou Wellbutrin®) ou la varénicline (Champix®), qui semblent tous bien tolérés chez les patients avec troubles psychiatriques associés malgré des craintes initiales (Hurt, Ebbert et Hays, 2009). Pour la cocaïne, le cannabis et les autres substances, il n’y a malheureusement pas encore de médication efficace disponible.

Le traitement de tous les troubles psychiatriques concomitants est généralement recommandé. À noter, il pourrait y avoir avantage à traiter pharmacologiquement les patients souffrant d’un TDAH comorbide avec un trouble lié à l’usage d’une substance, mais en respectant certaines précautions : choisir une médication au plus faible potentiel d’abus possible, suivre étroitement le patient et limiter les prescriptions à renouvellements multiples (Levin, Mariani et Sullivan, 2009). Fait intéressant : la naltrexone, utilisée principalement dans le traitement du trouble lié à l’usage de l’alcool, mais aussi dans le maintien de l’abstinence chez les patients souffrant d’un trouble lié à l’usage des opiacés, aurait la capacité de réduire l’impulsivité par un mécanisme direct d’activation du circuit orbito-frontal (Crews et Boettiger, 2009).

4. Les résultats espérés

L’abstinence prolongée de consommation d’alcool et de drogues favorise le rétablissement de plusieurs façons. Elle peut permettre un retour progressif à la normale de la transmission dopaminergique. L’abstinence prolongée amène des poussées de neurogénèse. Ainsi, elle peut permettre aux circuits neuronaux impliqués dans le contrôle comportemental de reprendre un fonctionnement normal (Abé, Mon, Durazzo, Pennington, Mon, Durazzo et Meyerhoff, 2012; Fernandez-Serrano, Perez-Garcia et Verdejo-Garcia, 2001; Schmidt et Meyerhoff, 2012; Stavro, Pelletier et Poitvin, 2012). Il n’existe pas encore de données suffisantes provenant d’études d’imagerie fonctionnelle suite à la réduction, plutôt qu’à l’arrêt complet, de l’usage d’une substance, mais il est possible qu’une réduction importante de l’usage ait des effets similaires à l’abstinence sur la récupération des fonctions exécutives.

Il est intéressant de noter au passage que la motivation est liée au fonctionnement du cortex frontal, en particulier les aires préfrontales et cingulaires. On peut donc espérer une amélioration du degré de motivation du patient au fur et à mesure que l’abstinence (ou la réduction importante de l’usage) se prolonge. La psychothérapie, de type cognitivo-comportemental ou entretien motivationnel, tend à activer les fonctions exécutives du cortex frontal, incluant la planification de l’action, l’attention dirigée et, encore une fois, la motivation. La psychothérapie peut ainsi aider le patient à amorcer le rétablissement.

Finalement, l’abstinence prolongée diminue les risques de rechute du trouble lié à une substance : les taux de rechute se situant autour de 44% après un an d’abstinence et à environ 14% après 5 ans (Dennis, Foss et Scott, 2007; Miller, Walters et Bennett, 2001; Volkow et al., 2001). Traiter la toxicomanie peut donc réduire l’impulsivité et améliorer la prévention de la rechute (Bonnelli et Cummings, 2007; Crews et Boettiger, 2009).

En résumé, il apparaît important de tenir compte des enjeux d’impulsivité et d’abus de substance dans le travail clinique au quotidien. Différentes raisons appuient cette recommandation. Premièrement, l’impulsivité favorise le développement d’un trouble lié à l’usage de substances. Deuxièmement, le trouble lié à l’usage de substances peut causer ou aggraver l’impulsivité de l’individu. Ensemble ou séparément, l’impulsivité et les troubles liés à l’usage de substances influencent le niveau de dangerosité et la réponse au traitement psychiatrique. Finalement, le traitement des troubles liés à l’usage de substances améliore généralement l’impulsivité et le pronostic global.