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0. Introduction

Toute tentation de lier comportement humain et explication biologique doit être analysée avec grand soin. Le cas de la pédophilie n’échappe pas aux controverses associées à la biologie comportementale. En termes légaux, la question du lien potentiel entre pédophilie et biologie du comportement peut être exprimée en ces termes : comment un acte pédophile, qui serait déterminé par des causes biologiques antérieures (ex: causes génétiques, neurobiologiques, environnementales, …), soit par des faits qui ne se trouvent pas sous la maîtrise du pédophile pourrait-il être adéquatement sanctionné par un châtiment exclusivement rétributif, lequel exige que l’acte, au moment même de l’action, soit sous le contrôle et sous la maîtrise du pédophile ? Bien qu’il convienne d’éviter toute conclusion hâtive fondée exclusivement sur les données empiriques, quelles sont les conséquences pour les juges, les législateurs ou les gouvernements, si l’origine des actions de nature pédophile n’est pas l’oeuvre du « libre arbitre » mais davantage le résultat de mécanismes biologiques? (Gilbert, F., 2008) Les enjeux du débat sont considérables : il s’agit des moyens les plus appropriés que la justice criminelle doit mettre en oeuvre afin de lutter contre les crimes dont l’origine est biologique. En vue de protéger la société à long terme, l’objectif de cet article est d’examiner si l’application d’une justice exclusivement rétributive est idoine à une lutte efficace contre le crime pédophile.

Afin de répondre à la question posée, cet article sera divisé en quatre volets. Le premier sera consacré à la description des études neurobiologiques contemporaines touchant la pédophilie. Le second explorera les rouages philosophiques d’une justice exclusivement rétributive. Le troisième volet examinera les effets des peines de rétribution exclusivement carcérale sans traitement en matière de crime pédophile. Le quatrième considérera si l’intervention de traitements médico-pénaux peut combler les lacunes de la rétribution exclusivement carcérale.

1. Etiologie biologique de la pédophilie

Qu’est-ce que la pédophilie ? En médecine, la pédophilie est incluse dans la taxonomie des paraphilies (orientation sexuelle persistante qui diffère d’actes sexuels impliquant des êtres humains consentants et phénotypiquement adultes (Cantor, J. M., Blanchard, R., & Barberee, H. E., 2009)) ; malgré de nombreuses critiques émergeant du débat médical et académique (Green, R., 2002 ; Kear-Colwell, J., Boer, D. P., 2000 ; Studer, L. H., Aylwin, A. S., 2006), la pédophilie a été classé aux Etats-Unis comme une pathologie psychiatrique par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux - IV (DSMD-IV, 2000). Elle y est définie comme un trouble se déroulant « pendant au moins 6 mois, impliquant des activités sexuelles ou fantasmes récurrents, intenses, pulsionnels, à l’égard d'enfants ou d’enfants prépubères. ». Ainsi, selon cette définition du DSMD-IV, un rapport sexuel avec un mineur n'est pas, ipso facto, nécessairement un diagnostic de pédophilie ; l’inverse est aussi vrai, les individus diagnostiqués pédophiles ne passent pas nécessairement à l’acte (Fagan, P. J., Wise, T. N., Schmidt Jr. C. W., et al, 2002). Multidimensionnel et s’inscrivant dans un continuum pouvant être subdivisé à l’intérieur de plusieurs classifications recouvrant de nombreuses ambigüités, le concept de pédophilie implique une discussion nosologique plus détaillée. Pour des raisons d’économie rédactionnelle, nous ferons les distinctions suivantes : les pédophiles sont attirés par des enfants prépubères, les hébéphiles par des enfants pubescents et les éphébophiles par des enfants adolescents (Hall, R. C. W., & Hall, R. C. W., 2007). Il convient de préciser que le terme pédophilie n’a pas de dissonance criminelle ou légale : en droit canadien, suisse ou encore français, le terme pédophilie ne figure dans aucun texte de loi. Ne pas effectuer de distinction entre le pathos et le cadre normatif dans lequel se déroulent les comportements pédophiles, en employant strictement des classifications légales, risque de compromettre la possibilité de comprendre l'origine même de la pédophilie et d’augmenter le risque de sévir avec une justice inappropriée afin de protéger la société.

Dans une certaine mesure, tolérée en Grèce antique (Platon, 380BC), au sujet de laquelle Montesquieu écrit : « nous rougissons de lire dans Plutarque que les Thébains, pour adoucir les moeurs de leurs jeunes gens, établirent par les lois un amour qui devrait être proscrit par toutes les nations du monde » (Montesquieu, C-L de S., 1748), centrale dans plusieurs oeuvres majeures ou encore assumée chez certains grands écrivains, dont l’un confesse : « on m’avait promis un jeune garçon […] et j’ai vu arriver un vieux chameau de quatorze ans »[1], la pédophilie est de nos jours un crime sévèrement punissable sur la base d’une logique systématique qui inflige au criminel un châtiment pleinement mérité afin de restaurer le tort causé.

Néanmoins, le fait qu’il puisse exister une pédophilie dite “exclusive” (Fagan, P. J., Wise, T. N., Schmidt Jr, C. W., et al, 2002 ; Walter, M., Witzel, J., Wiebking, C., Gubka, U., Rotte, M., Schiltz, K., Bermpohl, F., Tempelmann, C., Bogerts, B., Heinze, H. J., Northoff, G., 2007 ; Abel G. G, Harlow N., 2001 ; Studer L. H., A. Scott Aylwin A. S., 2006 ; Fagan, P. J., Wise, T. N., Schmidt Jr, C. W., et al, 2002) (individus exclusivement attirés par des enfants) suscite des questions touchant à l’origine de la pédophilie et à l’idée même qu’un individu puisse être tenu ultimement responsable de son orientation sexuelle. En effet, certaines études ont démontré que les traitements impliquant des interventions pharmacologiques n’altèrent en rien l'orientation sexuelle de base du pédophile envers les enfants (Hall, R. C. W., & Hall, R. C. W., 2007), ce qui conduit à spéculer que la pédophilie est une orientation sexuelle indépendante de l'hétérosexualité ou l'homosexualité (Bogaert, A. F., Bezeau S., Kuban M., Blanchard R., 1997 ; Fagan, P. J., Wise, T. N., Schmidt Jr, C. W., et al, 2002 ; Berlin, F., 2000 ), et non pas une sous classe dérivant de celles-ci. Schober et al (Schober, J. M., Kuhn, P. J., Kovacs, P. G., Earle, J. H., Byrne, P. M., Fries, R. A., 2005) ont découvert que si les pédophiles sous traitements neuropharmacologique et présentent une diminution significative de la fréquence à laquelle ils pratiquent la masturbation et éprouvent des pulsions, ils démontrent néanmoins toujours une attirance sexuelle à l’égard des enfants, et cela même après avoir passé plus d’une année sous psychothérapie et pharmacothérapie. Ces observations indiquent que les pulsions semblent gérables, mais que l’attirance de base ne change aucunement (Rosler, A., Witztum, E., 1998 ; Hall, R. C. W., & Hall, R. C. W., 2007). Même si certaines interventions, comme la castration physique, semblent définitives, certains pédophiles physiquement châtrés ont reconstitué leur potentiel sexuel en prenant de la testostérone par voie exogène afin de commettre à nouveau des actes répréhensibles (Stone, T. H., Winslade, W. J., Klugman, C. M., 2000 ; Bilefsky, D., 2009). Ces études semblent confirmer avec encore davantage de conviction la thèse selon laquelle la pédophilie est une orientation sexuelle distincte en illustrant que l’attirance de base subsiste malgré une neurochimie fonctionnelle absente. Bien que la justice doive intervenir contre l’acte pédophile, Studer et Aylwin indiquent que l’« élargissement du cercle des orientations sexuelles traditionnelles à la pédophilie est une perspective déstabilisante, car cette hypothèse amène l’idée qu’il pourrait devenir moralement controversé de juger les pédophiles responsables de leur comportement » (Studer L. H., A. Scott Aylwin A. S., 2006). De plus, ces observations biologiques conduisent à se poser la question du type de justice le plus approprié pour lutter contre ces comportements.

D'ailleurs, de récentes études neurologiques ont montré des corrélations entre le volume réduit des amygdales et la propension à commettre exclusivement des infractions de nature pédophile (Schiltz, K., Witzel, J., Northoff, G., Zierhut, K., Gubka, U., Fellmann, H., Kaufmann, J., Tempelmann, C., Wiebking, C., Bogerts, B., 2007). De tels résultats suggèrent que les pédophiles présentent des anormalités structurelles dans certaines régions cérébrales ; régions critiques au développement (Schiffer, B., Peschel, T., Paul, T., Gizewski, E., Forsting, M., Leygraf, N., Schedlowski, M., Krueger, T., 2007) de l’attirance sexuelle. Ces circonstances cérébrales singulières ne sont pas liées à l'âge, et peuvent potentiellement expliquer comment le répertoire de comportement sexuel se réduit à des délits exclusivement pédophiles (Schiltz, K., Witzel, J., Northoff, G., Zierhut, K., Gubka, U., Fellmann, H., Kaufmann, J., Tempelmann, C., Wiebking, C., Bogerts, B., 2007). De nombreux autres facteurs ont été avancés afin d’indiquer que la pédophilie peut être corrélée avec des perturbations neurodéveloppementales (Schiffer, B., Peschel, T., Paul, T., et al, 2006 ; Blanchard, R., Christensen, B. K., Strong, S. M., et al, 2002 ; Cantor, J. M., Blanchard, R., Christensen, B. K., Dickey, R., Klassen, P. E., Beckstead, A. L., et al, 2004) ou neurochimiques (Schiffer, B., Peschel, T., Paul, T., Gizewski, E., Forsting, M., Leygraf, N., Schedlowski, M., Krueger, T., 2007).

Selon l’hypothèse neurochimique, certains facteurs associés à des perturbations sérotoninergiques ont été relevés chez les pédophiles ; ils semblent être générés par une activité sérotoninergique pré-synaptique diminuée et par une hypersensibilité des récepteurs post-synaptiques en sérotonine 2 (Maes, M., Meltzer, H. Y.,1996 ; Maes, M., van West, D., De Vos, N., et al. 2001). Des études antérieures (Moller A, Bier-Weiss I., 1995) ont démontré que des irrégularités métaboliques de la sérotonine et l'augmentation de l’activité des systèmes sympathoadrénaux sont liées à des comportements d'agression, ou encore de violence et de troubles de contrôle des impulsions. Selon Maes (Maes, M., 2001), une hypothèse probable résiderait dans les irrégularités des neurones sérotonergiques et l’augmentation du taux catécholaminergique chez les pédophiles pouvant mener à l'agression (persuasion, emploi de coercition ou force physique) ou à des violences sexuelles (portant atteinte à l’intégrité physique des victimes) (Cosyns, P., 1999 ; Greenberg, D. M., Bradford, J. M., Curry, S., 1996 ).

De son côté, l'hypothèse neurodéveloppementale introduit non seulement la question de savoir si les altérations cérébrales remarquées chez les pédophiles sont le fruit de dysfonctionnements neurodéveloppementaux et neuromaturationnels mais encore elle suggère que les altérations cérébrales sont le résultat d’expériences de vie, tel qu'être physiquement et sexuellement abusés. Ces interprétations, touchant les perturbations neurodéveloppementales, ont en commun de nombreux éléments avec le trouble de stress post-traumatique. En effet, il est admis que le trouble de stress post-traumatique laisse des traces visibles observables par neuroimagerie fonctionnelle dans les secteurs cérébraux semblables à ceux trouvés chez les pédophiles, tels que le cortex préfrontal, cortex orbitofrontal et cortex insulaire (Rauch, S. L., Shin, L. M., Phelps, E. A., 2006 ; Liberzon, I., Martis, B., 2006). Cela démontre en partie les conséquences des perturbations neurodéveloppementales sur le fonctionnement psychique d’un individu. Cohen et al. ont proposé un modèle chevauchant la biologie et la psychologie de la pédophilie selon lequel l'abus sexuel durant l’enfance conduit aux anomalies neurodéveloppementales dans les régions temporelles responsables des régions de l'excitation sexuelle, de la sélection érotique et des régions frontales responsables des aspects cognitifs du désir sexuel et de l'inhibition comportementale. Selon cette étude, les pédophiles développeraient une déviance sexuelle très tôt. Subséquemment, toujours suivant cette étude, s'il existe une comorbidité pathologique reliée aux troubles de la personnalité, telle que la sociopathie et les distorsions cognitives, l’individu aura une difficulté à inhiber ses comportements pédophiles (Cohen, L. J., Nikiforov, K., Gans, S., Poznansky, O., McGeoch, P., Weaver, C., et al., 2002).

Schiltz et al ont avancé que des défectuosités de l'amygdale droite et certaines structures étroitement liées pourraient être impliquées dans la pathogénèse de la pédophilie et pourraient probablement refléter les perturbations développementales ou/et environnementales lors de périodes critiques (Schiltz, K., Witzel, J., Northoff, G., Zierhut, K., Gubka, U., Fellmann, H., Kaufmann, J., Tempelmann, C., Wiebking, C., Bogerts, B., 2007). Sartorius et al (2008) ont examiné l'activée anormale de l'amygdale reliée à la pédophilie et ont émis l'hypothèse qu'un mécanisme normalement présent inhibant l'attirance sexuelle envers les enfants chez les adultes soit possiblement renversé chez les pédophiles, suggérant ainsi l’hypothèse d’un câblage neural lié à la préférence sexuelle de cette population, mais sans éliminer certains facteurs environnementaux.

A cette hypothèse d’une possible propension biologique à la pédophilie s’ajoutent les nombreux cas de pédophilie acquise. La pédophilie acquise est caractérisée par l’apparition de comportements pédophiles irrépressibles chez des individus qui ne présentaient aucune inclination sexuelle pédophile avant certains incidents impliquant des dysfonctions neurobiologiques. De nombreux rapports médicaux et neurologiques ont démontré une corrélation entre l’apparition de comportements pédophiles et des perturbations neurobiologiques, telles que cranio-méningiomes, épisodes multiples de circulation sanguine cérébrale interrompu, neuronite vestibulaire (Regestein, Q. R., Reich, P., 1978), hémangiopéricytome orbitofrontal droit (Burns, J. M., Swerdlow, R. H., 2003), démence frontotemporale, sclérose bilatérale hippocampique, (Mendez, M. F., Chow, T., Ringman, J., Twitchell, G., Hinkin, C. H., 2000), malformation artérioveineuse frontale droite en région septale (Miller, B. L., Cummings, J. L., 1991), gliome hypothalamique (Miller, B. L., Cummings, J. L., McIntyre, H., et al, 1986), encéphalopathie postanoxique, épilepsie (Berlin, F. S., Coyle, G. S., 1981 ), parkinsonisme postencéphalitique (Fairweather, D. S., 1947 ), neurosyphilis (Kurland, M., 1960), sclérose en plaques (Ortego, N., Miller, B. L., Itabashi, H., et al, 1993 ). Ces anomalies cérébrales ne sont pas associées exclusivement à l’apparition de comportements pédophiles. Néanmoins, ce qui caractérise plus particulièrement ces cas de pédophilies acquises est l'idée que de telles anomalies neurologiques peuvent exacerber une inclination mécanique latente chez ces patients. La pédophilie acquise nous enseigne qu'une prédisposition pédophile peut demeurer insondable jusqu'à l’affirmation d’événements neurologiques tardifs (Cormier, B. M., Fugere, R., Thompson-Cooper, I., 1995) sans exclure l’influence environnementale.

Bien qu’il faille demeurer prudent à l’idée de relier précipitamment faits biologiques et tendances pédophiles, ce premier volet concernant l’étiologie biologique aura démontré que la prise en compte de facteurs biologiques dans la propension à la pédophilie semble difficilement évitable. A partir de ces observations, on peut conclure que le fait d’ignorer l’étiologie biologique dans la prise en charge des pédophiles criminels risque d’augmenter la probabilité de sévir avec une justice inappropriée afin de protéger les êtres vulnérables contre le crime pédophile. Examinons à présent si une justice exclusivement rétributive est adéquate pour cette population.

2. Qu’est-ce qu’une rétribution exclusive? Examen des fondements philosophiques.

Même si est lointaine et révolue —du moins en occident— l’époque où peine rétributive signifiait systématiquement pénibilité, où souffrance pénitentiaire était synonyme de faire « réfléchir » et donner une « leçon » au condamné (Garapon, A., Gros, F., Pech, T., 2001), cette prochaine partie a pour mission d’explorer si la logique des peines exclusivement rétributives en milieu carcéral a pu conserver un caractère d’applicabilité systématique. Examinons si des peines systématiquement et exclusivement rétributives sont susceptibles de poser problème à la prise en compte des mesures les plus adéquates pour lutter contre le crime pédophile.

Tel qu’interprété depuis des décennies par les rétributistes anglo-américains, la logique rétributive a peu de rides (Zaibert L., 2006; Dolinko, D., 1997, Moore, M., 1987 ; Bedau, H. A. 1978, Morris, H., 1968, etc.). Bien quelle soit distancée de sa perspective de souffrance ajoutée, cette logique a été étayée, entre autres, par Emmanuel Kant dans sa Doctrine du droit, exposée dans sa Métaphysique des moeurs. Pour synthétiser, « le modèle de justice rétributive se caractérise essentiellement par une centration sur l’infraction et par la punition de son auteur » (Coco, G., Corneille, S., 2009). Cette logique rétributiviste implique que « la peine […] doit uniquement être appliquée pour la seule raison que le fautif a commis un crime » (Kant, E., 1986). Suivant cette rectitude, le fautif doit précédemment avoir été jugé punissable d’un châtiment pour que cela soit juste, et ceci bien avant d’envisager sa sanction comme quelque chose de bénéfique pour ses concitoyens (Kant, E., 1986). Cette logique stricte implique que le châtiment rétributif est une exigence catégorique excluant la prise en compte d’une optique prospective. En ce sens traditionnel, la rétribution récuse toute utilité de la peine (Garapon, A., Gros, F., Pech, T., 2001), son fondement philosophique exclut toute forme de bénéfice : c’est ce que l’on nomme par rétribution exclusive. C’est une sorte de « punir pur » excluant le « punir pour » (Garapon, A., Gros, F., Pech, T., 2001).

La rétribution exclusive sous-entend un « principe de proportionnalité » : la peine doit surpasser l’avantage du délit, mais pas de manière abusive. La rétribution exclusive « s’appuie sur des critères remontants portant sur l’acte lui-même (expier, sanctionner) ou sur le dommage occasionné (réparer) » (Garapon, A., Gros, F., Pech, T., 2001). Les peines de rétribution exclusive se mesurent ainsi selon le « principe de l’égalité ». Cette optique permet de voir que « seule la loi du talion, bien entendu à la barre du tribunal (et non dans un jugement privé), peut fournir avec précision la qualité et la quantité de la peine » (Kant, E., 1986). Le principe d’égalité rétributive, inspiré du talion, ne consiste pas à restituer directement à la victime ce qui lui a été ôté, mais de retourner à l’agresseur le propre de son acte. Suivant cette version moderne du talion, la justice peut priver un voleur des ses biens par incarcération pour un temps déterminé. En ce sens, les mécanismes judiciaires et pénaux de la rétribution exclusive sont qualifiés d’indirects. A contrario, si les rouages pénaux de la rétribution exclusive étaient directs, alors la justice exigerait que l’on vole le voleur ou viole le violeur. Dans cette conception des mécanismes directs de la justice pénale, laquelle est encore en vigueur dans certains pays, le principe du talion exige une rigueur déontologique: un meurtre équivaut à une peine capitale. Si la remise exclusivement rétributive peut encore être directe, il n’en demeure pas moins que dans sa nouvelle version du talion, elle passe maintenant par un système de justice rétributive indirecte qui quantifie systématiquement les sanctions en peines pécuniaires et/ou en peines privatives de liberté effectuées en milieu carcéral. Cette définition de la rétribution exclusive (soit dans sa version directe ou indirecte) amène à faire une distinction dans les types de châtiments légaux (Duff, A., 2004). De manière générale, en philosophie du droit, on distingue traditionnellement deux courants de pensée :

  1. approche rétrospective (un châtiment pour un acte accompli)

  2. approche prospective (un châtiment pour le bien du plus grand nombre)

(i) le châtiment rétributif exclusif (direct ou indirect) est une sanction qui s’applique au fautif en fonction d’un acte passé, et (ii) le châtiment conséquentialiste est une sanction qui châtie le fautif pour le bien du plus grand nombre, elle ouvre une perspective à long terme.

La distinction principale de ces deux justices traditionnelles est simple : la justice conséquentialiste (inspirée de l’utilitarisme (Mill, J.S. 1871)) concerne davantage la rééducation, la réinsertion, la prévention, c’est une justice dite prévisionnelle, tandis que la justice rétributive (inspirée du déontologisme) s’attache principalement à l’application systématique des peines, à des mesures punitives. En d’autres termes, c’est une justice essentiellement inspirée par une rectitude rétrospective.

Table 1

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Devant ce constat (voir Table 1), si on dresse un état des lieux des difficultés que rencontre la justice contemporaine face au crime pédophile, on aperçoit logiquement deux alternatives: l’incompatibilisme et le compatibilisme judicaire. D’un point de vue formel, une justice incompatibiliste emploie exclusivement soit des châtiments rétributifs (recours strictement à de la rétribution exclusive indirecte), soit des sentences exclusivement conséquentialistes. Cette justice est dite incompatibiliste car d’un point de vue métaphysique elle ne peut pas réconcilier le châtiment rétributif avec des sentences conséquentialistes parce que ces deux notions sont antinomiques. En revanche, pour une justice compatibiliste, la rétribution et le conséquentialisme sont appelés a cohabiter.

En ce qui concerne la justice compatibiliste, elle semble proposer une théorie hybride, exemplaire tant pour la rétribution que pour le conséquentialisme. La justice contemporaine s’inspire du compatibilisme (Greene, J., Cohen J., 2004). Par exemple, l’article 56 du code pénal suisse stipule la possibilité de condamner un individu responsable à des peines (pécuniaires ou privatives de liberté) et à d’autres mesures (thérapeutiques notamment). Cela indique que le principal avantage du compatibilisme judiciaire est d’éviter d’employer de manière isolée et indépendante chaque position ; il incarne une sorte de dialogue métaphysique. En revanche, d’un point de vue formel, cet hybride judiciaire pose des difficultés car il semble additionner des fonctions aux deux écoles de pensée sans préciser leurs articulations. En pratique, cette difficulté d’articuler la cohabitation de notions contradictoires telle que la rétrospection et la prospection se transforme en difficulté de justifier une peine. « Une bonne peine serait désormais une peine rigoureusement mixte plaçant les institutions chargées de l’exécuter dans l’obligation de nouer le meilleur compromis possible entre la société qui exige la sécurité, la loi qui veut une juste rétribution et l’individu crédité d’une capacité d’amendement et de réinsertion dont la peine lui donnera les moyens » (Garapon, A., Gros, F., Pech, T., 2001). L’hybridisme judiciaire semble davantage fonctionner sur une logique d’agrégation qui serait emblématique d’une recherche réconciliant des intérêts multiples plutôt que reposer sur une même et unique justification. « De sorte que la mise en concurrence de principes également respectables induit un discours général sur la peine qui se vide de toute substance spécifique et en appelle à la recherche continue du meilleur compromis » (Garapon, A., Gros, F., Pech, T., 2001). Or, ce meilleur compromis n’équivaut pas nécessairement à la meilleure solution et réponse que peut fournir la justice en matière de crime pédophile.

En ce qui concerne la justice incompatibiliste, elle se divise en deux approches. La première exprime une rétribution exclusive qui semble en première approximation un réflexe juridique dont l’unique vocation est de remettre au fautif un châtiment sans égard aux paramètres prospectifs. A titre d’exemple (Griffin, T., Wooldredge, J., 2009), on peut citer une loi telle que la “Jessica’s Law” aux Etats-Unis[2]. Cette loi est susceptible de s’appliquer aux adultes condamnés —même pour un premier délit— pour actes sexuels sur une victime âgée de moins de 12 ans. Initialement adoptée en 2005 en Floride, elle a été suivie dans 42 Etats. Les dispositions principales de cette loi regroupent une phase minimum obligatoire de 25 ans en prison, sans libération conditionnelle, et la surveillance électronique à vie. En Floride, le viol d'une personne de moins de douze ans est potentiellement punissable par l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle ou la mort. Aux antipodes de cette conception exclusive de la rétribution réside une seconde approche, celle d’un conséquentialisme exclusif qui postule que « la prévention générale est le but principal des peines; [car] c'est aussi leur raison justificative » (Bentham, J., 1840). Un reproche couramment adressé à cette position exclusivement incompatibiliste est de sous-estimer les mesures répressives d’isolements et de surestimer les mécanismes de réhabilitation en immersion.

Le bref parcours qui vient d’être effectué aura permis de visiter les fondements philosophiques de la justice pénale et aura démontré qu’une forme exclusive et incompatibiliste de la rétribution existe en pratique. Après avoir observé que la rétribution exclusive ne se fonde sur aucun calcul prospectif et prévisionnelle, on comprend qu’une faille métaphysique semble s’immiscer au niveau de la rétribution incompatibiliste. En effet, comme le montre la Jessica’s Law, si aucun calcul prospectif n’est pris en compte dans les mesures pénales à infliger aux pédophiles, alors la pratique de la justice exclusivement rétributive carcérale semble favoriser des sanctions répressives —stricto sensu— plutôt que de mettre en oeuvre des mécanismes judiciaire pouvant inciter au traitement de l’origine de l’acte illicite. On remarque que le vice d’une pratique qui met trop d’emphase sur une répression rétrospective peut conduire à ignorer les paramètres étiologiques à l’origine des actions pédophiles. En préconisant l’application systématique d’une justice ancrée dans la morale exclusivement rétributive carcérale, l’erreur de la justice incompatibiliste rétributive consiste à augmenter le risque de contourner les origines étiologiques pouvant contribuer aux pulsions du pédophile. Cette pratique exclusivement rétributive indirecte carcérale masque-t-elle l’inadéquation des peines pouvant être appliquées dans la lutte contre la pédophilie ? Examinons de plus près cette question.

3. Quels sont les effets de la rétribution exclusive carcérale en matière de crime pédophile ?

La question est maintenant de savoir quels sont les effets d’une justice exclusivement rétributive incompatibiliste en matière de crime pédophile. Pour débuter et illustrer notre examen, nous allons parcourir ce que nous nommerons l’effet Evrard. L’effet Evrard désigne l’état inchangé dans lequel se retrouve un individu diagnostiqué pédophile à sa sortie de prison. L’effet Evrard rapporte le cas du pédophile multirécidiviste Francis Evrard qui, à quelques jours de sa sortie de prison, est retrouvé en compagnie du petit Enis. Agé de 61 ans, l’homme a déjà été condamné à trois reprises pour enlèvement et séquestration, viols et agressions sexuelles. L’effet Evrard est une illustration phare du mécanisme judiciaire reposant exclusivement sur une logique systématique incompatibiliste de rétribution : « Après vingt-sept ans de prison, [le pédophile multirécidiviste] Francis Evrard est sorti dans le même état que celui dans lequel il était rentré […]. La prison n’est pas en mesure d’assurer des soins pour les délinquants sexuels » (Bès, F., 2007)[3]. L’effet Evrard souligne qu’une sanction carcérale exclusivement rétributive qui s’inscrit dans une continuité de non traitement n’a jamais apporté l’effet escompté dans ce cas de délinquance sexuelle sur mineurs. L’effet Evrard semble donc indiquer qu’une justice exclusivement rétributive, qui prend place dans une logique de systématique de peine privative indirecte en milieu carcéral, n’obtient pas nécessairement les résultats bénéfiques qui importent à long terme pour une société.

De nombreuses études ont examiné le taux de récidive chez les pédophiles criminels. Doren (Doren, D. M., 1998) a observé un taux de 52% de récidive à vie chez les auteurs de sévices sexuels sur mineurs. De leur côté, Hanson et al. (Hanson, R. K., Scott, H., & Steffy, R. A., 1995) ont noté un taux de récidive de 77% au sein du groupe de multirécidivistes ne s’étant jamais mariés et dont les victimes étaient des garçons sélectionnés en dehors du contexte familial. Par ailleurs, Hanson et al. (1995) ont rapporté un niveau de 35% (Hanson, R. K., Scott, H., & Steffy, R. A., 1995) à partir d’un suivi effectué au cours de 15 à 20 années, résultat corroboré par Prentky et al (Prentky, R. A., Lee, A. E. S., Knight, R. A. and Cerce, D., 1997 ) avec un taux de 31% pour 15 ans de suivi, 37% après un suivi de 20 ans et 41 % à partir de la 25ème année de suivi. L’effet Evrard se révèle significatif dans ces études.

Ces chiffres semblent indiquer, une fois encore, que des peines strictement rétributives carcérales sans traitement, ne permettent pas nécessairement une prise en charge suffisante pour assurer la protection de la société à long terme. A titre d’exemple, Looman et al. (Looman, J., Abracen, J., Nicholaichuk, T., 2000) ont comparé une population de délinquants sexuels composée d’individus traités et non traités. Après comparaison, le groupe ayant suivi un traitement atteignait un taux de récidive de 23,6% en matière de crime sexuel, tandis que le second groupe non traité obtenait un niveau de récidive de 51.7%. De plus, des recherches ont établi que les agresseurs sexuels qui ne terminent pas leurs programmes de traitement ont un plus grand risque de commettre à nouveau un acte répréhensible à caractère sexuel ou autre (Hanson, R.K. & Bussière, M.T., 1998). Mais qu’en est-il des agresseurs sexuels qui commettent leurs délits sur des mineurs ?

Une méta-analyse réalisée par Alexander (Alexander, Margaret, A., 1999) a passé en revue 79 études incluant près de 11.000 délinquants sexuels. Cette méta-analyse a relevé que parmi les individus ayant agressé sexuellement des mineurs, le groupe qui avait suivi des traitements avait atteint un taux global de récidive de 14,4% comparativement à 25,8% pour la population non traitée. Dans cette même méta-analyse, Alexander a aussi conclu que lorsque les traitements effectués par les individus ayant commis des agressions sexuelles sur mineurs avaient eu lieu dans un cadre non carcéral, le taux de récidive était de 13,9% comparativement à 21,4% lorsque cette population était traitée en prison. Par ailleurs, Bakker et al. (Bakker, L., S. Hudson, et al., 2002) ont observé, dans une étude ultérieure portant sur 238 hommes traités pour agression sexuelle sur mineurs dans le cadre du programme Kia Marama, que le groupe traité avait un taux de récidive de 8% comparativement à 21% pour la même population criminelle non traitée. En outre, une étude de Proulx et al. (Proulx, J., Ouimet, M., Pellerin, B., Paradis, Y., McKibben, A., & Aubut, J.,1999 ) a souligné qu’au sein de la population ayant commis des agressions sexuelles sur mineurs, le taux de récidive pour violence, actes sexuels et autres infractions était plus élevé chez les individus n’ayant pas achevé leur traitement. De plus, une étude de Marques et al. portant sur 76 pédophiles non traités comparés au même nombre de pédophiles traités par thérapie cognitivocomportamentale et encadrement des situations à risque a révélé que les sujets traités avaient un taux de récidive de 7,9% à 38 mois contre 18% pour les individus non traités (Marques, J. K., Daz, D. M., Nelson, C. et West, M. A, 1994 ).

L’ensemble de ces études semblent démontrer que l’application systématique d’une logique exclusivement rétributive carcérale sans traitement ne permet pas nécessairement d’améliorer, à long terme, la trajectoire des délinquants sexuels, et par là-même le sort de la société dans laquelle ils se trouvent. Bien que l’on remarque qu’une proportion non négligeable de pédophiles condamnés ne récidive pas, on ne peut inférer que la rétribution exclusive (par exemple, la crainte du châtiment) est nécessairement suffisante pour lutter contre le crime pédophile. En effet, si la rétribution exclusive constituait un élément nécessairement suffisant, alors les traitements ne démonteraient pas un niveau d’efficacité aussi significatif pour combattre la récidive. En d’autres termes, la rétribution isolée semble potentiellement insuffisante puisque les traitements contribuent à diminuer de manière significative les taux de récidives. Si le niveau de récidive apparait moindre avec des traitements, alors ces derniers deviennent une condition sine qua non au combat contre la pédophilie. Ainsi, la rétribution punitive carcérale exclusive semble montrer des lacunes majeures pour remédier aux pulsions sexuelles des pédophiles condamnés. Lacunes auxquelles les traitements paraissent pallier.

Plus la justice avance vers des solutions de traitement inhibitif pour lutter contre le crime pédophile, plus elle s’éloigne de l’incompatibiliste reposant exclusivement sur la rétribution carcérale. Dans cette perspective, les patients-criminels-pédophiles sont vus davantage comme des individus dysfonctionnant ayant besoin d’un traitement réparateur. Comme le souligne la métaphore de Sapolsky :

bien qu’un individu puisse avoir un cerveau endommagé, il peut apprécier le caractère illicite d’un comportement mais peut être incapable de se déterminer d’après cette appréciation. Dans ce contexte, vous faites face à une machine endommagée, et les concepts tels que punition, mal et péché deviennent tout à fait inappropriés. Est-ce que cela signifie que l’individu devrait être libéré ? Absolument pas. Une voiture dont les freins ne fonctionnent pas ne devrait pas être autorisé a rouler auprès de quiconque elle pourrait blesser

Rosen, J., 2007

Certes, les systèmes médico-pénaux actuels ne sont peut-être pas en mesure de traiter des cas comme, la pédophilie de façon exemplaire, mais elles encouragent à envisager les pédophiles « criminels » comme des « patients » singuliers nécessitant des traitements inhibiteurs adaptés plutôt que le strict confinement répressif. Dans cette optique, comme le soutient Christiane de Beaurepaire, médecin-chef du service médico-psychologique de la prison de Fresnes (Val-de-Marne) : « La pédophilie n'est pas un problème judiciaire, c'est un fléau de santé publique » (Salles, A., 2007).

L’idée de traitement souligne une difficulté philosophique : L'enfermement psychiatrique ou/et le traitement médico-pénal sont-ils assimilables à une peine ? Serais-ce possible d’interpréter le traitement comme une forme de répression rétributive? Si c'est le cas, le problème de la légitimité de la peine se pose, étant donné qu’il est juridiquement inacceptable de rajouter à une peine une autre peine sans jugement, au sens compatibiliste où dix années de prison ne peuvent être ajoutées à dix années de traitement. Bien évidemment, les enjeux éthiques que « les praticiens devront affronter sont multiples et doivent amener à s'interroger sur les attentes de la société vis à vis de la psychiatrie et sur la toute-puissance qu'elle semble lui conférer » (Gravier, B, 2000).

4. L’intervention médico-pénale peut-elle combler les lacunes de la rétribution exclusivement carcérale ?

L’intervention médico-juridique dans le milieu pénal marque une nouvelle forme de l’exercice médical qui se décentre de sa fonction diagnostique et soignante pour permettre l’exécution de la peine dans ses dimensions d’évaluation de la dangerosité et d’amendement de la criminalité (Gasser, J., Gravier, B., 2007). L’expertise médico-pénale doit mettre en place des modalités d’application des mesures visant à la protection de la société contre des individus définis comme dangereux, ainsi que les éventuelles possibilités thérapeutiques qui pourraient y contribuer. L’intervention médico-juridique suppose une liaison qui s’établisse entre le soin initié pendant le temps carcéral et sa poursuite à l’extérieur dans le cadre d’un suivi (Ciavaldini, A., Claude Balier, C., 2000) par différents corps professionnels. Les mesures médico-juridiques sont des dispositions multidisciplinaires particulières privilégiant le redressement du délinquant pour ce qu’il est en tant que potentialité criminelle, mais non en raison des actes qu’il a commis. Ce dispositif multidisciplinaire autorise la mise en oeuvre d’une sanction enracinée dans une étiologie biologique. Néanmoins, « pour que la dialectique du soin et de la peine soit humainement féconde, pour qu’elle ne se transforme pas en une nouvelle surveillance panoptique ou en une technique sanitaro-pénale irrespectueuse des droits de la personne, il convient d’être particulièrement attentif aux limites déontologiques de chaque exercice professionnel » (Lameyre, X., 2004 ).

L’intervention médico-pénale évoque également que le châtiment et la récompense sont des traitements exercés par des systèmes de valeurs normatives au sein de la société. Que ce traitement compte comme châtiment ou récompense est une question de perspective : il est possible qu’une société considère le traitement d’un pédophile criminel comme un châtiment et que le pédophile le considère comme une récompense. La pédophilie est une déviance que des peines exclusivement rétributives d'emprisonnement, fussent-elles les plus sévères en termes de pénibilité ne résoudront pas nécessairement. A l’opposé, le traitement chimique obligatoire (Gilbert, F. Outram, S., 2009), la réorganisation psychique (Ciavaldini, A., Claude Balier, C., 2000), le placement post-carcéral en centre médico-pénaux fermé ou ouvert (Ciavaldini, A., Claude Balier, C., 2000), l’intervention neurologique, la surveillance électronique sont des pistes à explorer. Des lois inspirées par un moindre degré d’incompatibiliste rétributif existent, il suffit de veiller à leur bonne application et de leur associer tous les moyens connus nécessaires, autres que ceux liés exclusivement à la rétribution carcérale systématique (Gilbert, F., 2009). Une telle perspective nécessite encore de nombreux engagements politiques dans la lutte contre la pédophilie, qui, comme certains le relèvent, constitue un fléau de santé publique.

La justice contemporaine est plutôt empreinte de compatibilisme, lorsque la cohabitation conséquentialiste et rétributive est menacée, elle se doit d’éviter de sombrer dans l’incarcération exclusive, d’autant plus si l’objectif normatif est de traiter et de réhabiliter les pédophiles. Tant que la rétribution exclusive sera maintenue, la justice continuera de châtier dans des environnements carcéraux en risquant d’omettre l’étiologie neurobiologique. Associer la pédophilie à la biologie implique des processus biologiques susceptibles d’être pris en compte.

5. Conclusion 

L’ensemble des études portant sur l’étiologie neurobiologique pédophile ne soutient pas que la biologie est l’unique origine de l’orientation sexuelle, ou encore que certaines formes de rétribution compatibiliste sont inefficaces pour lutter contre le crime pédophile. Il n’y a pas de raccourci entre neurobiologie et pédophilie, ni entre neurobiologie et inefficacité rétributive compatibiliste. Des modèles de justice qui autorisent la coexistence de la rétribution avec mesures thérapeutiques sont préférables à la rétribution exclusive. Dans la mesure où le but de la justice contemporaine est d’éliminer les origines causales du comportement pédophile non conforme aux exigences des valeurs normatives, il semble que le châtiment rétributif exclusivement basé sur l’enfermement carcéral ne soit pas nécessairement plus efficace, car il semble mettre en arrière plan l’étiologie neurobiologique de la pédophilie, laquelle favorise un traitement inhibiteur conduisant à une diminution de la récidive.

La justice rétributive exclusivement carcérale n’interprète pas la pédophilie comme étant un fait biologique, à moins qu’un accident cérébral majeur puisse être démontré comme étant la cause biologique du comportement. Aucune loi n'empêchera les crimes et le « risque zéro » n'existera jamais, dans le domaine de la récidive pédophile comme ailleurs. Mais la société ne peut pas se satisfaire de ce constat. L’abus de mesures exclusivement rétributives en milieu carcéral sans traitement ne mènera pas nécessairement à l’amélioration de la situation de la récidive. Un travail nécessite encore d’être engagé à une échelle plus large, notamment au niveau de la recherche portant sur l’étiologie neurobiologique pouvant expliquer l’origine des comportements pédophiles. Utiliser à bon escient, en combinant efficacité, sûreté et respect des droits individuels, une justice inspirée par moins de rétributivisme exclusif carcéral peut accroitre sa marge de manoeuvre contre le crime pédophile. L’instauration de la nécessité d’un traitement médico-pénal aux pédophiles s’inscrit dans une logique de gestion du risque plutôt que dans une application systématique du passage à l’acte qui caractérise une justice rétributive exclusive carcérale. « Tous les Etats de droit sont confrontés à cette injonction faite au psychiatre de mieux «prédire » ce qu’il en est du risque violent présenté par le patient et de cautionner les dispositifs qui découlent de cette évaluation » (Gravier, B., 2009). Cet éloignement du paradigme philosophique de la rétribution exclusive pour une approche fondée dans la dangerosité représente l’intérêt pour une société de se prémunir contre de tels actes répréhensibles.