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Les Cellules d’Urgence Médico-Psychologiques

Au lendemain de l’attentat terroriste de la station du RER Saint-Michel à Paris, du 25 juillet 1995, le Dr Xavier Emmanuelli, secrétaire d’État à l’Action Humanitaire d’Urgence, sur instruction de M. Jacques Chirac, président de la République, créait une première « Cellule d’Urgence Médico-Psychologique » sous la direction du professeur Louis Crocq. Deux textes réglementaires (Circulaire du 28 mai 1997 et Arrêté du 29 mai 1997) prévoient et organisent, aujourd’hui, un dispositif gradué de prise en charge de l’urgence médico-psychologique au profit des victimes de catastrophes ou d’accidents collectifs impliquant un grand nombre de blessés ou susceptibles d’entraîner d’importantes répercutions psychologiques en raison des circonstances qui les entourent.

Le but de ces cellules est l’intervention rapide dans les situations d’urgence médico-psychologique d’équipes spécialisées intégrées aux équipes d’aide médicale urgente, pour prévenir, réduire et traiter les blessures psychiques et cela par une prise en charge immédiate et post-immédiate des victimes. Enfin, il s’agit aussi de préparer les relais thérapeutiques ultérieurs.

L’organisation prévoit au sommet un comité national composé de onze membres qui ont pour missions de veiller à la cohérence du dispositif, de définir les objectifs, d’évaluer l’ensemble des actions et de mettre en place une équipe pédagogique. Au niveau régional vingt Cellules Permanentes organisent les formations, assurent le soutien scientifique et technique et le soutien opérationnel du réseau interrégional par exemple par l’envoi des renforts interrégionaux. Au niveau de chaque département une cellule constituée d’un psychiatre hospitalier référent départemental et de soignants volontaires (psychiatres ; psychologues ; infirmier(ère)s), sur la base d’une formation spécifique théorique et pratique à l’intervention type C.U.M.P., assurent les interventions effectives sur le terrain départemental et peuvent être appelés en renfort au niveau national ou international. (1)

Le dispositif intégré dans les plans et les interventions de secours est activé par le S.A.M.U. Les membres des cellules agissent sous la responsabilité du psychiatre référent et dans le cadre des plans de secours sous celle du Directeur des Secours Médicaux (D.M.S.) et du Commandant des Opérations de Secours (C.O.S.) qui sont eux-mêmes sous l’autorité du Préfet.

À Pau dès 1996, avant donc la parution des circulaires de 1997, nous avions déjà mis en oeuvre des procédures et des interventions avec un groupe de psychiatres, psychologues et infirmier(ère)s volontaires du service des Urgences Psychiatriques. Ainsi, en février 1996 nous avons été sollicités et sommes intervenus dans les suites d’une avalanche ayant emporté un groupe de randonneurs en faisant plusieurs morts mais occasionnant aussi des traumatismes physiques et psychiques ; en novembre 1996 nous avons été amenés à intervenir pour réaliser un débriefing auprès de pompiers mobilisés lors d’un secours long et éprouvant. (2) C’est donc tout naturellement et dans la continuité que le groupe en place s’est formé et a intégré le dispositif en tant que cellule départementale en 1997. Depuis lors nous sommes une cellule active, ayant réalisé de nombreux exercices et de nombreuses interventions locales mais aussi nationales ou internationales ; la cellule est composée de cinq psychiatres, dix psychologues et plus de vingt infirmiers et infirmières. Nous avons, au cours des années de formation et d’intervention, développé des relations de travail très étroites avec certaines cellules de département de la région, comme celles d’Albi, Bayonne ou Tarbes.

Un Contexte bien particulier à la veille du drame

Des journées de grève et des manifestations se succèdent depuis des mois dans notre établissement. D’un côté le personnel qui, avec une grande défiance envers la direction, met en avant l’importance de la charge de travail, les insuffisances de la formation et les problèmes de sécurité ; de l’autre la direction et les tutelles qui du fait d’un important déficit financier annoncent l’amorce d’un redressement qui prévoit la suppression de 54 postes, dont une majorité de soignants.

Dans deux jours, le lundi 20 décembre, est programmée une réunion avec la Direction Régionale d’Hospitalisation qui doit nous communiquer les résultats d’un audit qui s’annonce peu favorable. Rappelant les silhouettes qui sont apparues sur le bord des routes françaises pour signaler qu’à cet endroit une personne est décédée, les personnels de l’établissement ont installé, à l’entrée de l’hôpital 54 silhouettes noires symbolisant les 54 suppressions de postes annoncées.

Essai d’un récit personnel : par l’un des acteurs et auteur de cet article

« Que se passe-t-il ? » me demande mon épouse lorsque je raccroche le téléphone qui venait de sonner quelques secondes plus tôt, à la maison, ce samedi matin du 18 décembre 2004, à 7 h 35.

Mais, il m’est quasi impossible de restituer les mots qui viennent d’entrer dans mon esprit, de propager cette folie qu’une voix familière (celle d'un ami et qui est aussi le cadre de la C.U.M.P. de Pau) vient d’annoncer.

« C’était Vincent, il faut tout de suite aller à l’hôpital, deux infirmières ont été tuées ! ».

7 h 50 avec mon épouse, psychologue à la C.U.M.P., nous sommes devant le pavillon « Les Montbrétias » où a eu lieu le drame et où s’activent déjà, de part et d’autre des cordons de sécurité, les policiers et les autorités, dans la lumière des gyrophares et un profond silence. Thierry Della, le médecin responsable de la C.U.M.P., alerté vingt minutes plus tôt, et Vincent Arques le cadre coordonnateur de la C.U.M.P. nous informent (mon épouse ; Bruno, un premier collègue infirmier déjà arrivé, et moi) de la situation.

C’est à 6 h 30 que l’équipe du matin arrive au pavillon et fait le constat de traces d’effraction ; deux soignantes entrent par le vestiaire et sont confrontées directement à la scène des crimes. Même si ce qu'elles voient et sentent est confus elles en perçoivent toute la gravité et l’horreur (Ainsi par exemple, l'une d'elle, racontera qu'elle pense avoir vu un corps décapité et qu'il lui semble avoir mis ses mains dans du sang en prenant la poignée de la porte des vestiaires). Avec les autres collègues de l’équipe elles se réfugient dans leurs voitures, devant l’unité, appellent la police, des « renforts infirmiers » et le Directeur des Soins Infirmiers qui entrent et découvrent toute la scène.

À 8 h 15 nous avons fini le premier briefing et Thierry Della nous demande de nous rendre dans le pavillon où se sont regroupées les soignantes de l’équipe du matin, tandis qu’avec le cadre coordonnateur il retourne aux Urgences pour organiser le développement de l’action de la C.U.M.P.

Ainsi, à 8 h 45 avec mon épouse, en tant que psychologue, et Bruno, l'infirmier, nous nous retrouvons à faire une tentative de « difusing » avec les 6 personnes de l’équipe du matin, dans la « salle de repos » d’un pavillon voisin des « Montbrétias », du même département, à savoir la psycho-gériatrie. En fait, il nous apparaît rapidement qu’il sera extrêmement difficile de se tenir dans le cadre théorique et cela malgré l’expérience et la formation. Elles ont surtout besoin d’informer leur famille et de répondre aux appels de leurs proches ; elles attendent de nous des informations sur leurs collègues et leurs patients de l’unité, elles ne savent pas, avec certitude, ni qui ni le nombre de morts ou de blessés ; des collègues, leur chef de service et d’autres personnes entrent et sortent de la pièce… L’état de choc est massif pour toutes et touche tout le monde mais il nous semble que nous tenons à flot. À 10 h nous leur proposons de nous arrêter là, pour l’instant, et de nous revoir en fin de matinée.

Entre 8h 30 et 10h, au Service d’Accueil et d’Admission en Urgence, point de commandement et de ralliement, la C.U.M.P. s’est rapidement organisée matériellement et étoffée en infirmier(ère)s et psychologues qui sont dirigés vers deux cites d’intervention principaux: les pavillons de psycho-gériatrie et les autres pavillons de l’établissement. Il se discutait et se préparait, déjà, par ailleurs l’accueil des familles des victimes.

Dès 10 h, l’information est sur tous les médias, y compris le fait que « l’une des victimes a été décapitée et que l’autre a été affreusement mutilée ». Les membres du personnel, en repos ce matin là, arrivent de plus en plus nombreux, spontanément. On apprend aussi qu’il y a des suspects entendus par la police et parmi eux des patients de notre établissement.

À 10 h 30, la C.U.M.P. fait un premier briefing interne. Nous faisons le point sur les informations disponibles, les actions menées et en cours ; nous listons les « victimes », les « impliqués » et les personnes choquées à qui il faudra proposer notre aide ; nous répertorions les lieux d’intervention et enfin nous répartissons les rôles.

Ainsi, à 11 h avec mon épouse nous retournons voir le « groupe de l’équipe du matin des « Montbrétias ». Nous croisons alors devant le pavillon l’un des policiers ayant fait les premières constatations et que nous dirigeons alors vers un point de consultation. Le soutien débuté le matin peut se poursuivre tant bien que mal.

À la même heure l’accueil des familles et l’annonce directe des décès est faite par le Directeur des Soins en présence du Procureur, du Préfet, et de représentants de la C.U.M.P. comme simples soutiens, soutien qui apparaît en l’occurrence très utile.

11h 30 Le Ministre de la Santé, M. Philippe Douste Blazy, arrive sur place, pénètre dans les locaux, rencontre une famille de victime encore à l’hôpital. Il rencontre également les représentants du personnel et la direction.

Les médias font leur travail avec les avatars classiques (leur fascination parfois pour le morbide, la diffusion sans vérification ni réflexion des propos de quidams qui n'attendaient qu'un tel moment pour se mettre en scène, les amalgames et les approximations sans parler des insinuations sur les responsabilités et la culpabilité de tel ou tel) et nous « informent » sur le fait que des suspects (dont certains sont des patients de notre établissement), sont entendus par la police, mais sans plus de résultats. Comme d'autres collègues, mais peut être plus particulièrement du fait que je suis responsable d’une Unité de Soins Intensifs Psychiatrique qui prend en charge entre autre des patients dangereux ou pour d’autres raisons que j’ignore alors, je reçois un appel d’un inspecteur de police, me demandant de me rendre au commissariat de Pau, le lendemain matin, pour « apporter [mon] aide…dans la réflexion des enquêteurs sur l’étude d’un profil de suspect ».

Tout au long de la matinée les employés de l’établissement, en repos ou en retraite, sont arrivés sur place, en foule, et se recueillent devant le pavillon. Le Dr Marc Passamar et l’équipe C.U.M.P. d’Albi nous proposent spontanément leur aide. Leur intervention est planifiée et organisée dans sa forme pour débuter dès lundi. Les équipes de Tarbes et Bayonne nous contactent et viendront également prêter main forte.

L’après-midi, les membres de la C.U.M.P. de Pau sont une trentaine à accueillir les collègues en demande d’aide. Le premier groupe des intervenants, celui du petit matin, prend une ou deux heures de recul. Il est question d’aller chez soi, prendre une douche, de s’occuper à faire quelques bricoles, de couper un temps son téléphone… mais très vite nous sommes de retour.

Un grand mouvement de solidarité se met en place pour renforcer les équipes, en particulier de nuit. Ce mouvement s’étendra aux retraités de l’établissement qui reprendront du service et à des personnels, volontaires, bénévoles, d’autres hôpitaux de la région.

À 19 h, nous faisons un nouveau point au cours duquel il est retenu que : nous assurerons les accueils de toute personne ou groupe demandeur d’un soutien psychologique et cela jusqu’au lundi matin avec pour relève dans cette tâche l’équipe d’Albi ; qu’à partir de lundi, l’équipe de Pau allait poursuivre le travail C.U.M.P. dans un rôle purement logistique ; que la communication avec les médias serait assurée par le seul médecin responsable de la C.U.M.P. et éventuellement un remplaçant averti. Mais nous parlons peu de nos sentiments et de nos émotions !

La nuit suivante, la police patrouille dans l’établissement ; les équipes de veille sont passées à 3 au lieu de 2. Comme quelques autres confrères médecins ou psychologues, je passe une partie de la nuit à l’hôpital et plus particulièrement dans les trois unités de mon département avec le besoin et le désir de solidarité. Dans certains lieux et chez certaines personnes le discours cette nuit là est véritablement celui de l’état de choc. Le ton est alors accusateur ou péremptoire, les remarques, les réflexions et parfois les jugements sont à l’emporte pièce et accusateurs de la politique des soins, des tutelles et des psychiatres. Sont évoquées les restrictions en moyens et en personnels, la sous évaluation de la dangerosité par les psychiatres et les tutelles, la désinstitutionnalisation, les nouvelles molécules psychotropes et les nouvelles stratégies thérapeutiques… Et je rentre épuisé.

Le lendemain matin, dimanche 19 décembre, toute la France est au courant des « évènements de Pau ». L'information se fait alors avec parfois des détails sordides et inutiles (sauf à aller dans le sens d'alimenter la fascination face à l'horreur) qui ne pouvaient que blesser, plus encore, les proches des victimes. Cette information charriait aussi des déclarations critiquables surtout en un temps aussi proche du choc et à ce stade de la connaissance et de la compréhension de ce qui avait pu se passer.

Certes, les témoignages de solidarité saturent les téléphones et fax des Urgences mais la solidarité peine à pallier les arrêts de travail face au besoin de renforcer, en hommes, les équipes et surtout celles de nuit. Il s’installe, sur l’établissement et au-delà même, un climat fait soit d’effroi et même de terreur ou alors de psychose avec suspicion et discours réactifs, et cela d’autant plus que des suspects sont relâchés…

Pour nous à la C.U.M.P., dans ce début de psychose, les demandes de soutien psychologique s’étendent alors aux familles, et en particulier aux enfants des administratifs qui résident dans l’hôpital mais aussi jusqu’aux enseignants de l’Éducation Nationale qui déjà se préoccupent de pouvoir faire face aux peurs et angoisses des écoliers palois à la rentrée prochaine.

Dès 9 h les intervenants de la C.U.M.P. arrivent au Service des urgences et y prennent des informations sur la situation puis partent en intervention, plus particulièrement auprès des personnes du service de psycho-gériatrie et des témoins directs de la scène du crime. Pour ma part tandis que j’attends d’aller au commissariat il m’échoit de recevoir en débriefing les deux policiers qui entrèrent les premiers, avec les soignants appelés en renfort, et qui firent les premières constatations. Et, là encore, malgré toutes les théories et formations en méthodologie sur les débriefings psychologiques, la tâche est ardue. Ainsi par exemple au dernier moment je me retrouve seul à mener le débriefing ; le talkie-walkie de l’un d'eux grésille puis il reçoit l’ordre se rendre sur une intervention, confirmant mon soupçon, qu’ils ne sont pas de repos mais en service actif, comme le laissait supposer le fait qu'ils soient en uniforme… Il reste alors à faire au mieux.

À 11 h je me rends au commissariat et j’entrevois en passant dans le couloir, en audition, l’un de mes patients, sorti depuis peu. Il avait été hospitalisé sous la contrainte après avoir, dans son délire, effectué une démonstration d’art martial avec un sabre, dans la rue, comme Bruce Lee dont il pense, parfois, être le fils. Puis ce sont les questions du Procureur et des inspecteurs qui espèrent avoir un « profil » et plus précisément des arguments en faveur ou non de la piste d’un patient psychiatrique. Ils espèrent aussi que je puisse leur désigner un ou des suspects parmi les patients que je connais. La posture est alors compliquée et la crête étroite entre le secret professionnel du médecin et l’aide à apporter, en tant que citoyen, à la police et la justice dans l’arrestation d’une ou plusieurs personnes ayant commis deux meurtres et capables d’une récidive.

En début d’après-midi, mon épouse et moi-même, après une dernière discussion avec les collègues de la C.U.M.P., qui nous y encouragent, nous décidons de ne plus repousser notre départ pour l’Alsace, à l’autre bout de la France, prévu initialement pour samedi matin, pour rejoindre nos familles, pour les fêtes de Noël. Mais l’ambivalence est grande et douloureuse entre rester et partir. Certes, le lendemain les renforts d’Albi, et Bayonne arrivent ; nous sommes épuisés ; nos collègues palois sont en nombre…et puis notre présence là- bas est importante. Mais qu’il est difficile de partir !

Le voyage en deux étapes se fait à l’affût des flashs d’information à la radio qui revient sans fin sur l’horreur, le choc, la psychose et le fait que s’il y a des suspects il n’y a toutefois aucune piste sérieuse. Le séjour se déroulera dans une atmosphère singulière faite du sentiment de ne pas être tout à fait là, dans une ambivalence toujours présente et presque physique.

Suite du récit

À partir du lundi matin, le 20 décembre, les réunions entre la direction les médecins et les représentants du personnel se multiplient. Dans l’établissement et la région la tension est forte avec les polémiques sur les causes de ce drame et la psychose à la pensée d’un meurtrier toujours inconnu et dans la nature. D’autant que d’autres personnes en garde à vue sont relâchées et qu’il n’y a toujours ni piste ni explication.

La C.U.M.P. de Pau assure maintenant la logistique technique et pratique, tandis que les collègues de la C.U.M.P. d’Albi et de Bayonne prennent le relais du soutien psychologique auprès des personnes ou groupes demandeurs. Certains intervenants, du premier jour, et qui restent plus particulièrement sur le pont « craquent ».

La tâche est rude et grande tandis que la théorie sur l’intervention médico-psychologique s’avère vite reléguée par la force du nombre, la singularité et la particularité des demandes. Ainsi, pour exemple ce « re-débriefing » du groupe constitué des 80 membres du service de psycho-gériatrie qui ne se quittaient pratiquement plus depuis 48 h. Il était préconisé en théorie de faire trois ou quatre groupes mais il fut impossible de les séparer ! Et puis lors d’une séance de débriefing de groupe, un Aide Soignant du service où a eu lieu le drame « décompense », laisse entendre qu’il pourrait être le coupable…. cela le conduit jusqu’en garde à vue…avant d’être disculpé. Et, au-delà des « impliqués » au sens premier et théorique du terme, les demandes d’aide ne tarissent pas car chacun dans l’établissement est touché.

Les équipes de nuit sont visitées par les psychiatres, psychologues et infirmier(ère)s des C.U.M.P.

Il n’y a toujours pas d’arrestation.

Mardi 21 décembre, le travail se poursuit et les collègues de Tarbes viennent nous aider.

Il est décidé, et annoncé, que l’action des C.U.M.P. prendrait fin le jeudi soir après la cérémonie religieuse officielle qui aurait lieu dans la chapelle de l’établissement. Un relais par des psychologues du privé, via l’assurance de l’établissement, est d’ailleurs évoqué par la direction. Pour notre part, nous avions contacté des confrères libéraux qui se sont engagés à donner des réponses en urgence pour des personnes que nous leur adresserions dans ce cadre du relais des C.U.M.P.

Et toujours pas d’arrestation.

Mercredi 22 décembre : Rien de nouveau, en rien…

Jeudi 23 décembre. À 15h c’est la cérémonie religieuse dans une chapelle de l’établissement mais qui ne peut difficilement contenir plus que la famille proche, les collègues directs et les officiels (Sachant qu’on a oublié les syndicats dans la liste des officiels) Des membres de la C.U.M.P. sont aux côtés de l’antenne du SAMU et des Pompiers. L’émotion est énorme et contenue.

À 18 h 30, après une nouvelle réunion pour faire le point, la direction nous informe qu’elle n’a pas mis en place les relais avec son assurance et les « psychologues du psycho-trauma » du privé. Nous reprenons donc du service avec un renfort de Bayonne et de Toulouse.

Et toujours pas d’arrestation.

Vendredi 24 décembre. Nous constatons pour la première fois une diminution du nombre des demandes de consultation. Le Dr Franck, coordonnateur régional, venant de Toulouse assure une permanence durant le week-end.

Avec les quelques consultations ultérieures en plus, les C.U.M.P. auront pris en charge plus de 400 personnes en une semaine. L’offre d’aide et l’activité ont été continues, 24h/24, pendant huit jours.

Réflexions et questionnements

Bien évidemment cette expérience ouvre sur de nombreuses réflexions et des questionnements qu’il ne sera pas possible d’aborder ici dans leur ensemble, d’autant que ce travail obéit à une dynamique qui n’est pas encore, aujourd’hui, épuisée.

D’ailleurs, avec la principale interrogation qui nous a été faite dans les jours qui ont suivi la fin de notre intervention, se pose la question même de la dynamique du travail de réflexion. Cette question est certes venue dès les premières heures dans l’esprit des membres de la C.U.M.P. mais cette question n'a pas trouvé alors le temps et l'espace pour se développer comme cela nous semble normal aujourd’hui au regard de ce qu’est, en substance, la phase de début d’une situation de crise majeure et au regard des arguments développés dans la suite de cet article. Cette question s’est surtout reposée par la suite, après la phase d’intervention effective, et si nous y avons répondu dans le cadre de notre propre débriefing technique elle reste encore sujette à discussion théorique pour les C.U.M.P. en général.

En effet, l’interrogation première et principale qui nous est venue et que nous avons reformulée, était et de savoir si, « appelé à intervenir selon le scénario (décrit ci dessus) classique et logique, fallait-il endosser nos chasubles de la C.U.M.P., c'est-à-dire exercer notre fonction d’aide médico-psychologique d’urgence en situation de catastrophe, en sachant que nous serions confrontés à une situation atroce, dont la particularité est qu’elle concerne nos collègues et qu’elle est survenue au sein même de notre communauté, de notre lieu de travail ? » Les développements de cette interrogation pouvant se formuler, entre autre, alors par : « pourquoi la C.U.M.P. « locale » n’aurait pas dû intervenir ? » et « pouvions nous faire autrement ; faire autre chose et quoi ? ».

C'est par les développements proposés à l’interrogation principale qu'il convient, nous semble-t-il, d'aborder le problème. Concernant les éléments de la thèse de la non intervention, par des personnes de la C.U.M.P. « locale », il s'agit bien évidemment du fait que nous étions des « impliqués » dans ce drame et ce choc. En effet, comme nous avons essayé de le faire ressentir, par le récit du vécu de certains d’entre nous, nous étions dans cette histoire appelés à intervenir et répondre à la demande d'aide psychologique auprès d'un groupe, d'une « famille professionnelle » dont nous faisons partie nous même avec le même potentiel à être touché par le choc. Plus encore l'intervention même nous mettait au plus proche de l'événement dans ce lieu qui est celui de notre quotidien et auprès de ces personnes qui sont nos collègues, nos chefs ou nos subordonnés et parfois nos amis. Dès lors se posaient, entre autre, les questions de la distance dans la relation d’aide et notre propre prise en charge.

Nous étions par ailleurs (du moins directement en ce qui concerne les médecins) « impliqués » au sens où durant toute l’intervention, et même dans les semaines au-delà, le ou les coupables présumés pouvaient être un patient de notre établissement et même un patient de l’un d’entre nous de la C.U.M.P. Dans une atmosphère de psychose nous était alors renvoyée la question de notre implication, au sens de notre place et notre responsabilité dans : l’évolution des pratiques de soins aux patients dangereux ; l’expertise que nous avions et exercions sur cette question ; notre participation à la politique en santé mentale vécue comme de plus en plus pauvre et négligée. Nous étions également « impliqués » sur la question de notre collaboration avec la police et la justice et du secret médical, question récurrente, nous mettant toujours dans une posture où la seule et dernière ressource est la conscience éthique personnelle à défaut d’une réponse tranchée consensuelle et explicite dans nos guides professionnels.

Concernant la question de ce qu’il aurait fallu faire, l’examen des scénarios alternatifs qui étaient à notre disposition ne manquera pas de plaider dans le sens de ce que nous avons fait à défaut de pouvoir dire « décidé ». Ainsi il suffit d’essayer d’imaginer le vécu des personnels de l’établissement et celui des membres de la C.U.M.P. si sur place, devant l’unité des Montbrétias, nous avions répondu, le samedi matin à huit heures, qu’il faudra attendre l’arrivée d’ici deux jours ou même seulement d’ici demain des membres des cellules des autres départements ?

Comme nous le disions plus haut ce questionnement sur la décision de répondre « présent » renvoie directement à la question de la dynamique de l’intervention d’urgence, intervention qui par essence même est, dans son temps initial surtout, de type quasi « réflexe ». Cette attitude et ce comportement concernent le professionnel et le technicien du soin mais est opérante aussi sur le plan personnel humain au sens où porter secours et aide est un « réflexe normal et naturel » d’un humain en capacité d’avoir des affects positifs lorsqu'il est confronté à la détresse d’un autre humain. Ainsi, si la réflexion sur la question de l’engagement et de l’action apparaît, sur un plan intellectuel, pertinente à distance de l’évènement pour nourrir la théorie et si cette question doit trouver alors une réponse qui fera partie du bagage de formation des professionnels, elle apparaîtra, probablement, à tout un chacun, sans substance voire dangereuse au temps du début de l’action.

Nous avons donc répondu par notre présence et notre action.

Mais, dès le premier temps possible à une prise de recul, nous avons engagé ce processus de réflexion sur la pertinence de poursuivre seul, ou avec de l’aide, ou de passer le relais. Aidé en cela par l’initiative spontanée de nos collègues et amis des C.U.M.P. voisines nous avons opté pour le passage de relais dès que possible, c'est-à-dire en l’occurrence à la quarante-huitième heure. Cette initiative et cette stratégie nous sont apparues très vite, et encore aujourd’hui, une excellente chose pour ne pas dire salutaire. Et le terme n’est probablement pas exagéré lorsque l’on considère la durée et la densité des interventions qu’une telle catastrophe, un tel drame réclame.

Pour autant ce désengagement partiel n’a pas été chose facile avec un vécu ambivalent, pour certain au moins, de soulagement et de culpabilité. Soulagé de la fatigue physique mais soulagé aussi moralement, relativement à la charge de travail et le double impact de la confrontation à l’horreur. Impact direct et impact par la confrontation au vécu de ce tiers tellement semblable. Coupable ne serait-ce que par essence même de la psychologie « normale » de tout humain face aux limites de son pouvoir, limites vécues comme stigmates d’une faute ancienne réactualisée.

Quoi qu’il en soit et pour clore provisoirement la réflexion sur ce point, il nous semble, aujourd’hui, sincèrement et avec humilité, que nous avons fait, simplement, du mieux que nous pouvions.