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Introduction

Créées par la loi du 9 septembre 2002, dans le but d’assurer une plus grande égalité sanitaire entre milieux libre et carcéral, les Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA) constituent une rupture conceptuelle dans la politique française de soins psychiatriques dans la mesure où ces établissements, à la fois sanitaires et pénitentiaires, permettent désormais à la fois une réelle hospitalisation libre des détenus, mais aussi une hospitalisation sous contrainte qui ne se faisait jusqu’alors qu’en milieu libre. Objets de débats au sein de la profession psychiatrique, ces unités ont tardé à se mettre en place et, près de dix ans après la promulgation de la loi, seules trois des neuf premières UHSA prévues ont pu à ce jour ouvrir leurs portes. Compte tenu du coût important de ce projet, il apparaît probable que son déploiement restera limité et laissera ainsi persister de grandes inégalités dans l’offre de soins. De plus, si ces UHSA représentent une réelle amélioration sanitaire en offrant aux détenus une hospitalisation psychiatrique digne de ce nom, elles portent en leur sein un parti pris idéologique sécuritaire qui a fait craindre, dans le contexte politique actuel en France, un changement paradigmatique dans le traitement social de la maladie mentale. La fonction asilaire de la prison risque d'être encore longtemps prégnante...

1. Le dispositif français de soins psychiatriques aux détenus

Deux contextes sont à envisager pour comprendre la présence de personnes souffrant de troubles mentaux en détention. La personne pouvait présenter des troubles mentaux au moment même des faits délictuels ou criminels reprochés et son état psychique a été jugé compatible avec sa garde à vue, sa mise en examen puis sa détention. Dans ce cas, elle peut faire l’objet d’une détention provisoire dans l’attente d’une possible déclaration d’irresponsabilité pénale, mais peut également être condamnée après jugement si sa responsabilité pénale est finalement reconnue. Par ailleurs, la personne détenue peut avoir autrement développé des troubles au cours de son incarcération.

Avant la création des UHSA, l’offre de soins proposée aux détenus se distingue selon que ces soins se trouvent librement consentis ou sous contrainte :

  • en cas de consentement, les soins peuvent se faire :

    • soit en ambulatoire, le plus souvent sous la modalité de consultations psychiatriques, assurées par les équipes des secteurs de psychiatrie générale ou infanto-juvénile au sein des Unités de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA) dans 147 des 187 établissements pénitentiaires, sinon par les équipes des Services Médico-Psychiatriques Régionaux (26 SMPR répartis sur le territoire) dans les établissements pénitentiaires qui en hébergent ou qui disposent d’une « antenne SMPR » ;

    • soit en « hospitalisation », le plus souvent à temps partiel (hôpital de jour et/ou CATTP), au sein de ces mêmes SMPR ;

  • en l’absence de consentement et quand les troubles constituent un danger pour autrui, l’article D398 du Code de procédure pénale prévoit une hospitalisation d’office (HO D398) dans un établissement hospitalier psychiatrique, dans lequel le détenu reste sous écrous et soumis au règlement pénitentiaire, mais où le respect de ces règles et la surveillance doivent être assurés par le personnel soignant.

2. Limites du dispositif et genèse du projet d’UHSA

Au début des années 2000, différents rapports officiels (rapport Pradier, rapports parlementaires Cabanel et Floch, rapport IGAS/IGSJ, rapport Piel-Roelandt) viennent mettre en évidence les insuffisances du dispositif que nous venons de décrire, insuffisances à l’origine d’une profonde inégalité sanitaire entre milieux libre et carcéral :

  • une insuffisance globale de moyens, mais également de grandes inégalités de répartition, les SMPR concentrant deux tiers des moyens ;

  • les limites de l’hospitalisation en SMPR, qui est restreinte à une hospitalisation de jour et dans un cadre contraint aux règles pénitentiaires ;

  • les réticences des établissements de santé à recevoir des personnes détenues en HO D398, en l’absence de garde policière, ce qui se traduit par des hospitalisations écourtées, voire différées, sinon par des séjours inadaptés en chambre d’isolement, face au risque accru d’évasion ; l’impossibilité donc pour les détenus d’accéder à des soins collectifs ou institutionnels ;

  • la saturation des trop rares Unités pour Malades Difficiles (UMD), seules susceptibles d’accueillir dans un cadre sécurisé les malades mentaux incarcérés présentant une particulière dangerosité, en HO D398 ;

  • l’absence de dispositions relatives aux personnes détenues relevant d’une indication d’hospitalisation sur demande d’un tiers (refus de soins et danger pour soi-même).

La plupart des propositions de ces rapports n’a pas été retenue par le législateur, à l’exception, dans un second temps et un autre contexte, de l’augmentation du nombre d’UMD. Mais, concernant l’hospitalisation complète des détenus, se dégage globalement de ceux-ci, malgré les craintes affichées par la plupart des auteurs, l’idée, non exclusive, de créer des unités hospitalières sécurisées sur le modèle des UHSI (Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales) somatiques.

C’est ainsi que la Loi d'orientation et de programmation pour la justice (9 septembre 2002) modifie le Code de la santé publique (CSP) en stipulant que : « L'hospitalisation, avec ou sans son consentement, d'une personne détenue atteinte de troubles mentaux est réalisée dans un établissement de santé, au sein d'une unité spécialement aménagée » (article L. 3214-1), mais « dans l'attente de la prise en charge par les unités hospitalières spécialement aménagées […], l'hospitalisation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux continue d'être assurée par un service médico-psychologique régional ou un établissement de santé habilité ». Ainsi la législation française se trouve alignée sur les règles pénitentiaires européennes qui stipulent en 2006 que « les personnes souffrant de maladies mentales et dont l’état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet » (règle 12.1). Quant à l’article L. 3214-3 du CSP, il modifie les critères d’hospitalisation d’office des détenus, qui désormais doit pouvoir se faire « lorsqu'une personne détenue nécessite des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier, en raison de troubles mentaux rendant impossible son consentement et constituant un danger pour elle-même ou pour autrui » (JORF, 2002).

3. Contexte pénal

La prise en compte des évolutions pénales des dernières années a le double intérêt de permettre de mieux comprendre certaines des raisons qui ont amené à une surreprésentation des troubles mentaux en milieu carcéral, de même que d’appréhender comment les psychiatres, experts comme traitants, ont été de plus en plus sollicités par la justice. Elle apparaît également nécessaire à la compréhension du contexte sécuritaire dans lequel le projet d’UHSA s’est concrétisé et à l’appréhension de la crispation qui a pu toucher la profession psychiatrique face à l’impression d’une instrumentalisation de sa pratique par la justice, dans une confusion toujours plus grande entre psychiatrie et justice, entre soins et peines. Nous ne ferons ici que les citer :

  • le nouveau Code pénal de 1992, qui intègre, par le deuxième alinéa de son article 122-1 sur la responsabilité pénale en cas de troubles mentaux, la notion d’altération du discernement ;

  • la loi du 4 mars 2002 qui exclue des aménagements de peine pour cause médicale les troubles mentaux ;

  • le « traitement en temps réel » des petits délits par des procédures rapides, en particulier la comparution immédiate, premier vecteur d’entrée en prison depuis 2005 (CNCDH, 2007) ;

  • la lutte contre la récidive, notamment les « peines planchers » et la multiplication, souvent en réaction à des faits-divers hypermédiatisés, de mesures de contrôle à visée préventive : le « suivi socio-judiciaire » et l’ « injonction de soins », la « surveillance judiciaire des personnes dangereuses » et dernièrement la « rétention » et la « surveillance de sûreté » ;

  • la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, qui met fin au non-lieu pour trouble psychique et prévoit désormais la comparution en audience publique devant la chambre de l'instruction, de même que la possibilité de mesures de sûreté, notamment une hospitalisation d’office.

Enfin, un projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines arrive au terme de sa discussion au Parlement au moment de notre rédaction (février 2012). Dans sa version définitive, il prévoit notamment « la mise en place d’un outil partagé, valable pour tous les condamnés, le diagnostic à visée criminologique (DAVC), actuellement expérimenté », ainsi que « la création de trois nouvelles structures d’évaluation nationales, sur le modèle des centres de Fresnes et de Réau ». Il conçoit également la création de plus de 24 000 nouvelles places de prison d’ici à 2017 ainsi que celle d’un nouvel établissement de 95 places « pour accueillir les détenus qui souffrent de graves troubles du comportement sans pour autant relever de l’internement psychiatrique, sur le modèle de l’actuel établissement de Château-Thierry.» (Assemblée nationale, 2012)

4. Où en est-on dix ans après la loi dite Perben ?

Comme le stipule la circulaire DHOS du 16 juillet 2007 relative aux modalités de financement des UHSA, « la création de 17 UHSA d’une capacité totale de 705 lits en deux tranches a été retenue. La première tranche de travaux concernant 9 unités pour une capacité totale de 440 lits débutera en 2007. La seconde tranche de 8 unités pour une capacité totale de 265 lits est prévue à compter de 2010 » (ministère de la Santé, 2007).

Les implantations des unités de la première tranche visent à couvrir l’ensemble des Directions Régionales des Services Pénitentiaires de la métropole et concernent donc les agglomérations de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Orléans, Paris, Toulouse et Rennes.

Mais à ce jour, près de dix ans après la promulgation de la loi, seules trois des neuf unités de la première tranche ont ouvert leurs portes : à Lyon tout d’abord, où après le retard dans la parution du décret nécessaire à son ouverture et de la circulaire relative au fonctionnement des UHSA (Barbier et al., 2010), la première unité a été inaugurée en mai 2010 au sein du Centre Hospitalier « Le Vinatier » à Bron ; au sein du CH Gérard Marchant de Toulouse ensuite, en janvier 2012 ; au sein du centre psychothérapique de Nancy-Laxou enfin, début mars 2012. Les six autres unités ne verront quant à elles pas le jour avant le deuxième semestre 2012 au mieux (Barbier et al., 2010) et sans doute plutôt en 2013 ou 2014 (Watremetz, 2012). Mais ce retard est tout de même à relativiser au regard de celui qu’a pu lui-même accuser le programme des UHSI (IGAS/IGSJ, 2011).

5. Description du projet d’UHSA

5.1. Principes

Proche du projet établi au préalable par les différents acteurs de la mise en place de l’unité lyonnaise, la circulaire interministérielle du 18 mars 2011 relative à l’ouverture et au fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées affirme qu’au sein de celles-ci, « les soins aux personnes détenues sont dispensés dans les mêmes conditions que dans les autres unités d’hospitalisation de l’établissement de santé », ce qui repose sur deux principes fondamentaux. Le premier est la primauté du soin, même si la personne détenue demeure sous écrou pendant son hospitalisation et se trouve, de ce fait, soumise à des règles particulières restreignant sa liberté d’aller et de venir et de communiquer. Le second est une double prise en charge, à la fois sanitaire et pénitentiaire, afin d’assurer un accès aux soins dans un cadre sécurisé (BO Santé, 2011).

Régies par le Code de la santé publique, les UHSA donnent lieu à l’établissement d’une convention entre les différentes autorités en charge de leur fonctionnement. Une évaluation des dispositifs par les autorités compétentes est prévue dès la mise en service des premières unités « dans la perspective notamment de la mise en oeuvre de la deuxième tranche du programme des UHSA ».

5.2. Architecture

L’architecture type des UHSA distingue trois zones (ministère de la Santé, 2007). Une zone de soins, dite « zone d’hospitalisation », constituée de deux ou trois unités de soins, qui ne doivent pas dépasser une vingtaine de lits chacune (en plus d’une chambre d’isolement, ou plutôt de soins intensifs à Lyon), lieux de soins et de vie des patients détenus, comprenant cours et jardins. Une zone mixte, pénitentiaire et hospitalière, regroupant d’une part la « zone d’entrée et de contrôle », unique, placée sous l'autorité des personnels pénitentiaires et composée d’un poste de contrôle central protégé, d’un sas d’accès piétons et d’un sas d’accès véhicules ; d’autre part la « zone commune » constituée de locaux spécifiques pénitentiaires (le « poste de contrôle des circulations », situé à l’entrée de la zone d’hospitalisation et chargé de gérer les accès, et les « locaux de parloirs »), mais également de locaux communs réservés aux personnels hospitaliers et pénitentiaires (inexistants à l’UHSA lyonnaise). Et un périmètre de sécurité extérieur au bâtiment principal d’une largeur suffisante et destiné à prévenir toute évasion, intrusion, communication ou envoi d’objet depuis l'extérieur.

5.3. Fonctionnement et missions respectives

Cette même circulaire du 18 mars 2011 précise le fonctionnement de l’UHSA, au sein de laquelle permanence et continuité des soins sont assurées par une équipe soignante pluridisciplinaire. Elle explicite que, comme dans toute unité psychiatrique, les personnels hospitaliers assument aussi bien leur mission soignante que la sécurité à l’intérieur de l’unité de soins, en s’appuyant sur le règlement intérieur de l’établissement de santé et en pouvant « faire appel au personnel pénitentiaire pour des interventions ou missions ponctuelles dans les unités de soins ». De même, il leur incombe « de signaler immédiatement au directeur de l’établissement de santé et au responsable pénitentiaire de l’UHSA l’absence irrégulière d’un patient », ainsi que « tout manquement grave au règlement intérieur » au directeur de l’établissement de santé, ou encore « toute disparition de matériel » cette fois directement au personnel pénitentiaire. De plus, « le personnel de santé est amené à accompagner les personnes détenues dans le cadre de leurs déplacements au sein de l’UHSA ».

Le personnel de surveillance assure quant à lui hors la sécurisation du sas d’entrée et de la zone des parloirs (par la vérification des autorisations d’accès à l’UHSA et le respect des mesures de sécurité préalables à toute entrée) : dans la zone de soins et d’hébergement, dans une présence sporadique, « la fouille des locaux, le contrôle des équipements et aménagements spéciaux » (cour, grilles, terrain de sport), mais aussi des interventions au sein des unités de soins fondées « sur l’alarme déclenchée par le personnel soignant, selon des procédures déterminées dans la convention locale » (3 à 5 interventions de ce type par mois, en 2011, à l’UHSA lyonnaise) ; et à distance, la validation des effectifs des détenus, sous réserve des indications transmises par les soignants matin, midi et soir ; la commande, depuis le poste de contrôle sécurisé, des accès et liaisons d’une unité de soins à l’autre ; le contrôle des caméras de vidéosurveillance des abords et des locaux de l’UHSA.

La « coordination institutionnelle entre les acteurs intervenant au cours de l’hospitalisation d’une personne détenue en UHSA » fait partie intégrante du projet, au travers de « réunions pluridisciplinaires de travail en vue de favoriser la concertation entre les acteurs de santé et pénitentiaires » et d’une « commission de coordination locale », présidée par le préfet du département.

Au sein de l’UHSA, les patients détenus bénéficient « des dispositions relatives aux droits des malades et à la qualité du système de santé » mais restent soumis aux « règles particulières restreignant leur liberté de circuler et de communiquer et à la réglementation pénitentiaire notamment en matière de discipline ». Mais contrairement au fonctionnement habituel des établissements pénitentiaires, le droit de communication ou de visite peut être l’objet de contre-indication médicale, de même que l’accès à la télévision ou l’usage du tabac, soumis eux-mêmes respectivement aux usages hospitaliers et à la réglementation sanitaire. Les manquements au règlement intérieur relèvent de l’autorité du chef de l’établissement de santé et ceux à la règlementation pénitentiaire de l’autorité du chef de l’établissement pénitentiaire de rattachement de l’UHSA. Dans ce deuxième cas, « l’opportunité des poursuites appartient au chef de l’établissement pénitentiaire dans lequel la personne détenue est incarcérée » mais « toutefois, aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée par la commission de discipline plus d’un mois après les faits ni pendant l’hospitalisation ».

5.4. Public concerné

Concernant les personnes accueillies au sein des UHSA, cette même circulaire précise qu’il s’agit « exclusivement des personnes détenues des deux sexes souffrant de troubles psychiatriques et nécessitant une hospitalisation, avec ou sans consentement » mais « sont concernées les personnes hébergées par l’établissement pénitentiaire de façon continue ou discontinue, ce qui inclut les personnes incarcérées, les personnes semi-libres, les bénéficiaires de permissions de sortie et de placements extérieurs avec surveillance de l’administration pénitentiaire » (BO Santé, 2011), sans exclure également les personnes bénéficiant de certains aménagements de peine (bracelet électronique), ce qui n’est pas sans poser difficultés.

Les UHSA sont également amenées à accueillir des mineurs, par exception au principe pénitentiaire de séparation des détenus majeurs et mineurs. Mais la circulaire précise que « lorsque leur intérêt le justifie, les personnes détenues mineures peuvent être hospitalisées dans un établissement de santé autorisé en psychiatrie et habilité à accueillir des patients en soins sans consentement ».

5.5. Coûts

La circulaire DHOS du 16 juillet 2007 relative au financement des UHSA nous précise que « le coût pour la réalisation d’une opération de construction d’une UHSA (hors plan d’équipement médical et mobilier, et hors coûts de sécurisation) est estimé dans une fourchette de 6 000 000 € à 7 600 000 € pour une UHSA de 40 lits et de 10 000 000 € à 11 400 000 € pour une UHSA de 60 lits.[…] S’y ajoute le coût de l'équipement médical et mobilier, à hauteur de 536 000 € pour une UHSA de 40 lits et de 798 000 € pour une UHSA de 60 lits ». Les coûts des travaux de sécurisation et de fonctionnement des UHSA ne sont pour leur part pas précisés dans cette circulaire. Pour l’UHSA de Lyon, « le coût annuel de l'unité pour le ministère de la Santé est évalué à 7 millions d'euros » (Barbier et al., 2010) ou plus précisément « neuf millions d’euros annuels, dont sept en personnel » (Boëton, 2011). Tout comme pour la construction, ces coûts sont supportés à 85% par le secteur sanitaire et à 15% par l’Administration Pénitentiaire. A titre de comparaison, le coût de fonctionnement d’une UMD de 40 lits est évalué entre 6 et 7 millions d’euros par an.

5.6. Evaluation

Compte tenu des coûts ainsi mis en jeu, il est prévu, dès la mise en service des premières unités du programme, une évaluation des dispositifs par le ministère de la Santé en association avec le ministère de la Justice, « afin de vérifier les conditions de fonctionnement des UHSA et de nourrir d’éventuels ajustements concernant le fonctionnement ou les moyens attribués, dans la perspective notamment de la mise en oeuvre de la deuxième tranche du programme des UHSA ». Cette évaluation se base sur des indicateurs d’activité, des indicateurs populationnels et des indicateurs relatifs au séjour des patients détenus.

Les données recueillies à l’UHSA lyonnaise pour l’année 2011, à savoir la première année à pleine capacité d’accueil, permettent de mettre notamment en évidence :

  • une répartition sensiblement égale entre hospitalisations consenties et sous contrainte ; un taux d’occupation proche de 90% (et même supérieur au dernier trimestre) pour une file active de 295 patients ; une durée moyenne de séjour d’environ 60 jours et une médiane autour de 30 jours ; plus de 90% d’entrées programmées et donc moins de 10% en urgence, même si une entrée sur cinq est réalisée dans les suites d’une hospitalisation d’office D398 ; 

  • une population de patients jeunes (70% ont entre 20 et 40 ans), souffrant majoritairement de troubles psychotiques (plus de 70%), prévenus pour plus d’un tiers ;

  • 84% d’hommes, pour deux tiers concernés par une procédure correctionnelle (60% des cas pour des atteintes aux personnes) et donc un tiers par une procédure criminelle, à répartition équivalente entre crime sexuel et crime de sang ;

  • 12% de femmes, soit une proportion bien supérieure aux 5% de femmes incarcérées dans la région, à répartition presque équivalente entre procédure correctionnelle (60% d’atteintes aux biens cette fois) et criminelle (quasi-exclusivement des crimes de sang) ;

  • 4% de mineurs, dont moins d’une fille pour cinq garçons, ceux-ci étant plus souvent concernés par des procédures criminelles (de sang exclusivement) ;

  • un décès par suicide ;

  • des établissements pénitentiaires d’origine situés majoritairement à proximité directe de l’UHSA (en région Rhône-Alpes pour 60% des cas), en particulier pour un quart la maison d’arrêt de Lyon-Corbas (notamment 10% de patients issus directement du SMPR), ce qui s’explique notamment par l’effet attractif, pour certaines autorités judiciaires ou pénitentiaires, de cette prison, compte tenu de l’offre de soins psychiatriques à proximité ;

  • plus de trois quarts de sorties par retour dans l’établissement pénitentiaire d’origine, plus de 10% dans un autre établissement pénitentiaire (en particulier la maison d’arrêt de Corbas située à proximité de l’UHSA) et plus de 10% également dans un établissement sanitaire psychiatrique (dont près de la moitié en SMPR) ;

  • sur 45 patients ayant bénéficié d’une levée d’écrou en cours d’hospitalisation, 17 sont retournés à domicile, cinq ont été hospitalisés de manière consentie et 23 sous contrainte, dont quatre après avoir bénéficié d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental ; pour autant, sept autres patients restaient dans l’attente d’une telle déclaration début 2012, avec une incidence patente sur la durée moyenne de séjour ;

  • deux patients détenus seulement ont pu bénéficier d’un aménagement de peine.

6. Quelle amélioration pour les soins psychiatriques aux détenus ?

6.1. Des améliorations attendues

En lien avec les difficultés décrites précédemment dans les rapports ayant motivé la mise en place du projet, la création des UHSA permet enfin des conditions d’hospitalisation dignes de ce nom pour les détenus souffrant de troubles mentaux : une hospitalisation au sens propre du terme, prioritairement libre (50% des cas à Lyon, l'objectif du ministère étant de 80%), mais aussi sans consentement, ces soins sous contrainte désormais appropriés, dans le respect de la dignité de ces personnes, n’impliquant plus un recours inadapté à l’isolement ou une prise en charge expéditive comme dans beaucoup de services de secteur de psychiatrie générale.

Bien qu’attendues, ces améliorations n’en apparaissent pas moins cruciales, en particulier pour la prise en charge des crises suicidaires, qui constituent une inquiétude à la fois pour l’Administration Pénitentiaire, pour laquelle le chiffre des suicides en prison constitue un baromètre des insuffisances, mais aussi et surtout en termes de santé publique. En effet, le nombre de suicides chez les personnes écrouées a à nouveau augmenté ces dernières années atteignant le chiffre de 121 en 2010 (OIP, 2012) et un taux de 19 pour 10 000 personnes, là où il était, à nombre de personnes incarcérées équivalent, de 4 pour 10 000 en 1945 et, à son pic en 1996, de 26 pour 10 000 (InVS, 2011). A titre de comparaison, en population générale, le taux de suicide était évalué en France à 1,5 pour 10 000 en 1950 et, après une augmentation jusqu’à 2,6 pour 10 000 en 1985, il retombait à un taux corrigé de 1,7 pour 10 000 en 2006 (taux qu’il convient de multiplier par environ 1,5 pour les seuls hommes, qui, on le sait, représentent plus de 95% de la population carcérale). Ces chiffres mettent malheureusement en évidence l’inefficacité des mesures pénitentiaires prises en réponse aux rapports des psychiatres Jean-Louis Terra fin 2003 et Louis Albrand début 2009 sur la prévention du suicide des personnes détenues et, dans ce contexte, la nécessité de transférer la responsabilité de la politique de prévention du suicide en milieu carcéral du Ministère de la Justice à celui de la Santé apparaît plus que jamais d’actualité, alors que les Règles Pénitentiaires Européennes de 2006 en réaffirment le principe. Si la question du dépistage reste évidemment problématique, notamment au sein des établissements pénitentiaires bénéficiant de trop rares consultations psychiatriques, de même que la question prépondérante des conditions de détention, la possibilité de recourir désormais à une hospitalisation assortie d’une surveillance clinique continue devrait permettre une prise en charge bien plus adaptée des personnes en crise suicidaire.

6.2. Différents projets médicaux pour un plateau technique enrichi

Au-delà de ses améliorations attendues, on note que le projet médical des UHSA n’est pas contraint par le contenu de la circulaire relative à leur fonctionnement, qui précise uniquement la nécessité de permanence et de continuité des soins (accueil possible 24h/24, 7j/7) assurée par une « équipe soignante pluridisciplinaire », et qu’ainsi une liberté certaine est laissée aux responsables de ces structures dans les choix d’orientation des soins.

Ainsi à Lyon, le projet médical de la première UHSA, qui comprend 60 lits répartis en trois unités équipées de 20 lits et d’une chambre de soins intensifs chacune, distingue clairement les publics accueillis au sein de chacune d’elle. L’une des unités, dite de « crise et observation » se consacre aux soins intensifs, principalement dans les cas de décompensations psychotiques aiguës, les chambres y étant généralement fermées pour la nécessité des soins et les mouvements et activités des patients relativement limités. La deuxième dite de « soins individualisés » accueille plus volontiers les décompensations dépressives, notamment sur fond de troubles de la personnalité, ainsi que les femmes et les mineurs. La troisième, quant à elle dite de « resocialisation », vise plutôt à préparer la sortie d’hospitalisation, voire la libération, en favorisant la vie et les activités collectives.

Dans le projet lillois qui comportera lui-même 60 lits, une même répartition en trois unités est prévue, mais celles-ci se voient doter d’affectations différentes : la première « à vocation d’accueil et de crise (hommes et femmes) et unité d’hospitalisation pour femmes et mineurs » accueillera sur 12 lits mixtes (+1 chambre d’isolement) les situations de crise « appréhendée comme situation interactive, conflictuelle et instable, transitoire, manifestant une rupture de l’homéostasie psychique à déterminisme divers, pas forcément psychopathologique » et donc afin d’ « hospitalisation de brève durée (3 à 5 jours) pour prise en charge (thérapie) brève ou pour évaluation diagnostique avant une orientation adéquate » et sur 6 autres lits des femmes et des mineurs « avec des troubles psychiatriques avérés de nature diverse » ; la deuxième « à vocation de soins communautaires » recevra sur 24 lits des hommes uniquement présentant « des pathologies psychiatriques impliquant des soins à orientation «biopsychosociale», dans une perspective d’alliance thérapeutique avec des projets individualisés » ou encore « des troubles addictifs […] à condition qu’ils adhèrent à un projet de soins » ; la troisième enfin « à sûreté renforcée », répartis en « 8 lits de soins attentifs pour des patients avec des troubles psychiatriques perturbant gravement leurs capacités relationnelles et pouvant représenter un danger pour eux-mêmes et autrui » et « 10 lits pour des patients dont les capacités relationnelles sont perturbées, mais pour autant susceptibles d’évoluer vers un projet de soins » (+1 chambre d’isolement). Par rapport au fonctionnement de l’UHSA lyonnaise, ce projet semble plus tranché dans ses orientations, d’un côté vers l’accueil d’urgence ou en tout cas de crise, d’un autre vers « la resocialisation et la réhabilitation », mais il distingue pour sa part clairement hospitalisation libre et sans consentement et fixe a priori le nombre de lits pour femmes et mineurs.

S’il prône à son tour l’idée de soins individualisés, le projet médical de l’UHSA du CHD Georges Daumézon de Fleury-les-Aubrais, d’une capacité de 40 lits, reste plus flou dans l’affectation de ses deux unités de 20 lits, prévoyant un parcours de soins adapté suite à une séquence d’observation, au cours de laquelle « le patient demeure isolé du reste du groupe, en fonction de son état et de la confirmation du diagnostic », avec recours éventuel à des « chambres réservées aux personnes nécessitant une surveillance rapprochée (cinq à six lits par unité et une chambre d’isolement) ». Il ne précise pas non plus les conditions d’accueil des femmes et des mineurs.

Mais au-delà de ces quelques divergences, les UHSA consacrent la possibilité pour les détenus souffrant de troubles mentaux d’accéder à des soins collectifs ou institutionnels jusqu’à présent bien difficiles à mettre en oeuvre au sein des SMPR. Les différents projets intègrent en effet, de manière plus ou moins privilégiée, les perspectives de réhabilitation par le biais d’activités socio-thérapeutiques impliquant, dans des locaux adaptés, l’intervention d’ergothérapeute, psychomotricien, art-thérapeute ou encore moniteur sportif.

7. Limites du projet

7.1. Limites économiques et conséquences sur les capacités d’accueil des UHSA

Si officiellement, à ce jour, la limitation du programme des UHSA n’est pas évoquée, son coût, particulièrement difficile à supporter en ces temps de rigueur économique, laisse craindre une mise en place cantonnée aux neuf unités de la première tranche. Ainsi, les UHSA n’auraient plus qu’une vocation interrégionale et ne feraient que renforcer les inégalités géographiques déjà déplorées avant leur élaboration.

Par ailleurs, la limitation des capacités d’accueil des UHSA aux 440 lits de la première tranche ne permettrait sans doute pas de mettre fin au recours aux hospitalisations « libres » en SMPR ainsi qu’aux HO D398 en secteur de psychiatrie générale et ce dans les mêmes difficultés précédemment décrites. Elle compromettra de fait le fonctionnement même des UHSA, dont la saturation rapide dans ce contexte amènera aux mêmes dérives que dans d’autres structures psychiatriques : augmentation des durées d’attente avant prise en charge, durées de séjour dictées par des considérations extra-cliniques comme la nécessité de place, diminution des capacités de rayonnement extrarégional dans un privilège des enjeux locaux et donc renforcement un peu plus grand des inégalités géographiques.

7.2. L’accueil des personnes détenues de manière discontinue

Comme nous l’avons vu précédemment, la prise en charge dans les UHSA concerne finalement l’ensemble des personnes détenues, au sens de l’article 50 du CPP, incluant donc les personnes hébergées dans un établissement pénitentiaire de manière discontinue. Il est regrettable que l’interpellation de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire (ASPMP) à ce sujet, par la voix de sa présidente, dès février 2010 n’ait pas été entendue et que l’esprit des travaux préparatoires n’ait pas été respecté. En effet, comme le rappelle le Dr Paulet, l’UHSA a été pensée pour des personnes incarcérées de manière continue, les personnes en semi-liberté, en chantier extérieur ou en permission de sortie étant, pour leur part, « accompagnées vers la liberté et incitées à utiliser les dispositifs de droit commun dont les services de soins de population générale » (Paulet, 2010). Il convient donc que, de la même manière que pour les mineurs, « lorsque leur intérêt le justifie, les personnes hébergées de manière discontinue puissent être hospitalisées dans un établissement de santé autorisé en psychiatrie et non nécessairement en UHSA (ou en UHSI pour les aspects somatiques) ».

Au-delà du principe, qui porte en soi le risque de filière de soins ségrégative, et même si ces détenus hébergés de manière discontinue représentent une part minime de la population pénale, on comprendra également que, compte tenu de leur capacité d’accueil restant limité, les UHSA ne peuvent guère se permettre d’accueillir un public élargi de la sorte. Nous préciserons qu’à ce jour, aucun détenu hébergé de manière discontinue n’a été accueilli au sein de l’UHSA lyonnaise.

7.3. Limites cliniques : l’accueil des « grands fous »

S’il est possible d’imaginer que dans la majorité des cas, la durée moyenne de séjour en UHSA ne devrait excéder quelques semaines à quelques mois, quel que soit le motif d’hospitalisation, les conditions environnementales dans lesquelles le patient, redevenant principalement détenu au décours de ce séjour, va être amené à poursuivre son incarcération, laissent courir le risque accru d’une rechute ou d’une récidive à plus ou moins long terme de la pathologie psychiatrique, surtout psychotique. Ceci laisse donc augurer, pour les patients les plus lourdement atteints, le risque d’une difficulté, voire d’une impossibilité, de s’affranchir des UHSA. De tels patients seraient au « mieux », pour le fonctionnement de celles-ci, soumis à des allers-retours entre leur lieu de détention, sans doute plutôt leur SMPR de rattachement, et l’UHSA ; au pire, ils seraient incapables mêmes de sortir d’hospitalisation en UHSA, à l’instar de certains patients « chroniques » de nos secteurs de psychiatrie générale. On imagine donc aisément que dans un tel contexte, ce d’autant plus que de tels patients seraient condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement, les équipes des UHSA subiraient les difficultés liées à l’accueil de patients chroniques, difficultés à la fois soignantes, en terme de projet de soins, mais aussi purement administratives, dans le sens où, comme à l’hôpital psychiatrique, de tels patients réduiraient de fait les capacités d’accueil de ces unités.

7.4. Les soins imposés en détention: une double contrainte ?

En laissant désormais la possibilité de soigner sous contrainte en milieu pénitentiaire, selon une sorte de double contrainte, les UHSA soulèvent un réel problème éthique que le Dr Dubret résume ainsi :

  • voilà des sujets qu’on a jugés suffisamment lucides pour qu’ils assument la responsabilité pénale de leurs comportements délinquants ;

  • mais dont on découvre, une fois qu’ils sont incarcérés, qu’ils ne disposent pas de la lucidité suffisante pour consentir aux soins psychiatriques dont ils ont besoin ;

  • ainsi leur aptitude à repérer la loi n’aurait d’égale que leur inaptitude à repérer leur maladie

Dubret, 2008

Mais ce raisonnement sophistique nous semble confondre responsabilité pénale et aptitude à consentir aux soins, oubliant aussi trop facilement l’éventualité que des troubles puissent apparaître en cours d’incarcération. Quotidiennement, les psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire sont confrontés à des situations cliniques qui, au-delà d’une convocation souvent réalisée par l’administration pénitentiaire, invoquent leurs valeurs humanistes. Et comme le soulignent dans leur rapport de 2001 les Drs Piel et Roelandt, « la double peine ne serait-elle pas plutôt de ne pas donner de soins à quelqu’un qui en nécessite ? » (Piel and Roelandt, 2001)

Pour autant, pour citer à nouveau le Dr Dubret, « la seule solution conforme à l’éthique est d’organiser des réponses soignantes en amont de la prison et de ne plus accepter l’incarcération des malades mentaux comme une fatalité ou un mal nécessaire » (Dubret, 2008) et c’est bien là l’enjeu des réformes dont les UHSA restent à ce jour orphelines.

8. Quelle articulation avec le secteur de psychiatrie générale ?

En effet, le projet d’UHSA se contentant de pallier les nécessités liées à la présence de plus en plus problématique de malades mentaux en prison, il est accusé de complaisance, de cautionnement de cet état de fait. Pour le Dr Dubret notamment, 

développer au sein du système pénitentiaire un dispositif d’hospitalisation psychiatrique permettant de prendre en charge les pathologies les plus lourdes, sans chercher à remédier en amont à cet afflux derrière les barreaux des prisons de personnes souffrant de maladie mentale, c’est à coup sûr prendre le risque d’amplifier ce mouvement

Dubret, 2008

8.1. Vers la création d’une filière de soins ségrégative ?

L’une des grandes craintes suggérées par la création des UHSA est qu’elles n’amènent donc à terme à une ségrégation des malades mentaux incarcérés, dont le parcours de soins ne pourrait rejoindre celui des autres malades mentaux habituellement suivis dans les secteurs de psychiatrie générale et infanto-juvénile.

Derrière cette inquiétude, on voit apparaître logiquement la question de l’articulation entre la psychiatrie de secteur et ces nouvelles structures. Pour autant, il nous semble que cette appréhension n’est pas plus grande après qu’avant la création des UHSA. On se rappellera notamment que les UHSA sont appelées à ne pas être autre chose que des unités fonctionnelles d’hospitalisation complète au sein des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire et que donc ainsi elles relèvent des mêmes exigences que les SMPR en terme de coopération avec les autres secteurs de psychiatrie. Mais on se souviendra également que ces SMPR sont pour la plupart dotés de structures de consultations postpénales, extra-pénitentiaires, à l’image des CMP des secteurs classiques, structures qui pourraient elles-mêmes être particulièrement visées par cette critique sur la ségrégation. Mais leur intérêt n’est pourtant pas remis en cause d’un point de vue thérapeutique, puisqu’elles permettent une continuité des soins, dans l’attente d’un possible relais sur des secteurs de psychiatrie générale qui, pour leur part, le plus souvent surchargés, sont peu à même de répondre à une demande de soins ambulatoires parfois urgente compte tenu des imprévus des procédures judiciaires et pénitentiaires, et qui sont aussi malheureusement parfois assez réticents à l’idée de prendre en charge un public dont ils n’ont pas l’habitude.

Il nous semble finalement que le problème de la ségrégation relève surtout de la capacité de la psychiatrie « post-désinstitutionnalisation » à accueillir des patients difficiles, aux comportements potentiellement violents, héboïdophrènes, paranoïaques, voire psychopathes, qui, quand ils ont pu y entrer, n’ont pu trouver un environnement suffisamment cadrant au sein de l’hôpital psychiatrique, et n’ont en fin de compte pu venir aux soins qu’entre les murs d’une prison.

Les raisons en sont connues et pour certaines pourtant salutaires. Les services de psychiatrie générale se sont ouverts, dans l’esprit du secteur, vers l’extérieur et vers la cité ; malheureusement, ce mouvement ne s’est pas accompagné d’une ouverture d’esprit populaire au sein de notre société, qui paradoxalement n’a jamais été aussi psychiatrisée, et la figure du fou apparaît, peut-être plus encore qu’avant, dans notre société individualiste et avec la surmédiatisation irresponsable de pourtant rares faits-divers, associée dans l’imaginaire collectif à la violence et au crime. Ces services se sont également féminisés, cette ouverture et cette féminisation ayant rendu l’accueil des patients présentant des troubles du comportement plus difficile ou moins tolérable. Ils ont perdu surtout un grand nombre de lits, et souvent aussi de moyens humains, sans que pour autant les secteurs social et médico-social puissent offrir suffisamment d’alternatives, laissant ainsi, d’un côté, à la rue, des patients précaires dont la problématique psychosociale ne peut plus être accueillie dans ce qui n’est plus un asile, de l’autre côté, à l’hôpital, sans perspective de sortie, des patients lourdement atteints, à l’autonomie ou l’adaptation sociale trop médiocre pour entrer dans les critères de prise en charge des structures existantes.

Ainsi en ne permettant pas l’accueil de ces patients difficiles, la psychiatrie publique les condamne à la véritable ségrégation que constitue l’incarcération, où leur coût pour la société apparaît finalement moins élevé que s’ils étaient pris en charge de manière adaptée en psychiatrie. Une partie de la société, mais peut-être également, et malheureusement, de la profession psychiatrique, se satisfait sans doute implicitement de cette situation, ce d’autant que ces individus se trouvent de cette manière relégués loin de son regard, derrière les murs des prisons.

8.2. Renforcer les moyens des secteurs psychiatrique et médico-social

Il convient donc, dans ce contexte, et c’est bien là l’une des limites du projet, uniquement sécuritaire et décontextualisé, qui a sous-tendu la création des UHSA, de remédier rapidement à la crise de la psychiatrie publique française.

Comme le soulignait notamment en 2002 le rapport Piel-Roelandt, la sectorisation psychiatrique n’a pas été achevée et reste très inégale suivant les départements. Il apparaît ainsi nécessaire de donner aux secteurs les moyens de mener à bien cette démarche, ce qui passe, sur le plan humain, par une revalorisation des professions psychiatriques, médicales et infirmières. Le mouvement de désinstitutionnalisation et la fermeture des lits en psychiatrie doivent surtout pouvoir être stoppés, au moins tant que des alternatives crédibles à l’hospitalisation ne peuvent être proposées par le secteur médico-social, les pouvoirs publics et leurs politiques gestionnaires se devant de comprendre que les investissements réalisés dans ce secteur sont de potentielles économies pour l’hospitalisation, autrement plus coûteuse.

A ce sujet, le gouvernement Fillon a fini par présenter, le 29 février 2012, un nouveau plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015, intitulé « Prévenir et réduire les ruptures pour mieux vivre avec des troubles psychiques ». Maladroitement révélé deux mois à peine avant les élections présidentielles, ce plan se révèle être malheureusement « un simple assemblage de thèmes et de recommandations régulièrement déclinés depuis quinze ans sans qu'il soit donné réellement les moyens de les mettre en oeuvre » (Clavreul, 2012). En effet, s’il prône en particulier « le développement d'alternatives à l'hospitalisation dans les zones trop peu pourvues, qui sont souvent celles suréquipées en structures d'hospitalisation complète, qui doivent donc être transformées », ce plan « ne comporte pour le moment aucun financement contrairement au premier plan santé mentale 2005-2008 », faisant craindre que « dans un contexte économique que personne n’ignore, aucun engagement [ne soit] pris dans ce plan pour modifier vraiment le cours des choses » (Bilhaut, 2012).

8.3. Améliorer le recours aux unités fermées : USIP et UMD

Malgré tout, pour préserver son ouverture vers la cité et pouvoir envisager l’achèvement du processus de désinstitutionnalisation, il apparaît également nécessaire que la psychiatrie puisse se doter des structures nécessaires à l’accueil des patients, qu’ils soient ou non détenus, présentant un risque particulier de commission de faits de violence.

Il est à regretter qu’en privilégiant les UHSA, le législateur n’ait pas retenu l’intérêt des Unités de Soins Intensifs Psychiatriques (USIP), qui dépasse d’ailleurs la seule prise en charge des patients violents et offre un cadre plus sécurisé que dans les services ouverts désormais habituels. Malgré l’existence des UHSA et d’autant plus si leur déploiement reste limitée, la pertinence de telles structures fermées nous semble rester pleine et entière, notamment pour un accueil de proximité, dans des conditions acceptables, des détenus en HO D398. Il conviendrait que d’autres structures de ce type, actuellement rares (sept seulement à Nice, Lyon-Bron, Eygurande, Montpellier, Pau, Paris et Prémontré) (Le Bihan et al., 2009), puissent compléter le dispositif sanitaire actuel avec une procédure d’admission moins lourde que pour les UMD et peut-être que leur coût, modéré face à celui des UHSA, séduira à l’avenir le législateur en mal de financement.

Quant aux UMD, dans une optique restant sécuritaire, elles sont les seules des structures existantes à avoir arrêté l’attention de nos dirigeants face notamment aux difficultés d’hospitalisation des détenus souffrant de troubles mentaux. En effet, les quatre UMD historiques, chroniquement sursollicitées, ont pu être complétées dès 2008 par une nouvelle unité à Plouguernével et, suite au plan de sécurisation des établissements psychiatriques annoncé par le Président de la République en décembre 2008, quelques jours seulement après l’assassinat d’un étudiant à Grenoble par un schizophrène, quatre autres unités ont pu voir le jour ces derniers mois à Lyon-Bron, Albi, Eygurande et Chalons en Champagne, une cinquième devant prochainement ouvrir ses portes à Sotteville-lès-Rouen. Le nombre total de lits en UMD va ainsi passer de 387 avant 2008 (Barbier et al., 2010) à près de 600 en 2012.

Conclusion

Comme d’autres structures de soins en milieu pénitentiaire avant elles, les Unités Hospitalières Spécialement Aménagées doivent faire face à de nombreuses critiques qui, si elles invitent à toujours repenser la possibilité, et sous quelles conditions, de soigner en prison, ne doivent pas faire oublier que ces unités constituent une réelle et salutaire avancée sanitaire pour les détenus, qui pourront enfin profiter de soins psychiatriques hospitaliers adaptés à leur pathologie. Pour autant, en privilégiant, à travers ce programme, la prise en compte unique des conséquences de la prévalence accrue de troubles mentaux en milieu carcéral, le législateur n’a nullement cherché à en traiter les causes, pourtant connues et rapportées, relevant à la fois de la procédure pénale, des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, mais aussi des institutions psychiatriques. Afin d’éviter de possibles dérives discriminatoires, il semble donc désormais indispensable de soutenir ces réformes, notamment de promouvoir le secteur psychiatrique en lui offrant les moyens d’accueillir la souffrance psychique dans des lieux adaptés, quelle que soit sa forme. Dans le contexte économique que nous connaissons, la remise en cause de l’État providence apparait malheureusement comme un renoncement aux valeurs humanistes ayant fondé notre République, de même que la discipline psychiatrique, valeurs qui avaient pourtant trouvé un nouvel élan au décours de la Seconde Guerre mondiale en permettant notamment l’entrée de la psychiatrie en prison. Il semble donc nécessaire de ne pas faire preuve d’amnésie en ne cédant pas au piège de l’autoritarisme et du repli sécuritaire et identitaire. Face à ses préoccupations, les psychiatres, à l’interface entre santé, justice et corps social, se doivent de garder la plus grande vigilance afin que leur discipline ne soit pas l’objet d’une instrumentalisation de la part d’instances dirigeantes appuyées sur une population en quête de sens.