Corps de l’article

1. Introduction

La délinquance sexuelle des femmes a longtemps été considérée comme un épiphénomène (Balier, 1998 ; Cédile, 2005) ou comme un accident de parcours (Poiret, 2006 ; Tardif, Lamoureux, 1999), quand elle n’était pas tout simplement déniée (Allen, 1991 ; Denov, 2004a ; Hetherton, 1999 ; Saradjian, 2010 ; Turton, 2008a). Dans cet article, nous cherchons à apporter un éclairage sur ce phénomène peu étudié. Ainsi, dans un premier temps, nous abordons l’ampleur du phénomène et quelques définitions. Dans un deuxième temps, nous présentons les mythes et préjugés entourant ce phénomène et pouvant contribuer à sa minimisation. Puis, dans un troisième temps, nous développons une compréhension du phénomène, incluant les données sociodémographiques et criminologiques, les typologies et la psychopathologie présentée par ces femmes. Dans la discussion, nous abordons ensuite les limites des recherches sur ce sujet et la notion de récidive. Enfin, dans la conclusion, nous proposons des pistes de recherches futures.

2. Ampleur du phénomène et quelques définitions

Au Québec, en 2010, 4% des personnes présumées responsables d’infractions sexuelles sont de sexe féminin (Ministère de la Sécurité Publique du Québec, 2012). Dans une étude publiée en 1995, Atkinson indique que les femmes représentent entre 2 à 5% de l’ensemble des agresseurs sexuels au Canada. En France, en 2001, il s’avère que les femmes représentent 3% des personnes mises en cause pour viol ou agression sexuelle sur mineurs (Cédile, 2005 ; Poiret, 2006). Et, selon O'Connor (1987), au Royaume-Uni entre 1975 et 1984, 1% de toutes les agressions sexuelles sur mineurs ont été commises par des femmes.

Il apparaît ainsi, selon les recherches, qu’entre 1 à 40% de l’ensemble des abus sexuels seraient perpétrés par des femmes (Elliott, 1993 ; Finkelhor, Russel, 1984 ; Finkelhor, Williams, Burns, 1988 ; Ford, 2006 ; Groth, 1979). Cet écart très important dans les études pourrait s’expliquer par la difficulté à calculer les taux d’incidence et de prévalence de ce type d’abus et du fait qu’il existe deux façons très différentes de les déterminer. La première consiste en une compilation des données officielles obtenues à partir de dossiers judiciaires ou pénitentiaires où les auteurs obtiennent en moyenne des résultats de 1 à 5% de prévalence (Syed, Williams, 1996). La seconde façon consiste en une estimation de la prévalence à partir d’études rétrospectives menées auprès de populations de victimes déjà identifiées ou bien de victimes devenues agresseurs sexuels. Les taux varient alors de 13 à 40% selon les études et la manière de présenter les résultats (Cavanagh Johnson, 1989 ; Finkelhor, Russel, 1984 ; Groth, 1979). En effet, certains auteurs ne spécifient pas systématiquement que les chiffres obtenus proviennent de populations restreintes, autrement dit, se trouvent être des pourcentages de pourcentages.

Cependant, pour d’autres auteurs, cet important écart s’expliquerait avant tout par la sous-estimation des taux d’incidence et de prévalence de ce type d’abus (Cédile, 2005 ; Kasl, 1990 ; Mathews, Matthews, Speltz, 1990 ; Poiret, 2006 ; Tardif, 2001). Ainsi, pour Barnard, Fuller, Robbins et Shaw (1989), le nombre de femmes présentant des comportements sexuellement abusifs contre des enfants serait sérieusement sous-estimé du fait que les femmes ont notamment la possibilité de masquer certains comportements sexuels inappropriés dans le cadre des soins donnés aux enfants.

Cette sous-estimation pourrait également être associée au non-dévoilement de ce type d’abus (Allen, 1991 ; Condy, Templer, Brown, Veaco, 1987 ; Kasl, 1990). En effet, les abus sexuels perpétrés par les femmes seraient plus « incestueux » par nature et, par conséquent, à la fois plus difficiles à identifier et moins rapportés par les victimes (Groth, 1979 ; Wijkman, Bijleveld, Hendriks, 2010).

Une autre explication de la non-reconnaissance ou de la minimisation des abus sexuels commis par les femmes serait la remise en cause des stéréotypes culturels traditionnels (Ford, 2006 ; Mathews et coll., 1990 ; Poiret, 2006 ; Tardif, Lamoureux, 1999). En effet, les femmes ont plutôt tendance à être vues comme nourricières, soumises, prenant soin des autres et non comme de potentiels agresseurs (Denov, 2001 ; Harrati, Vavassori, Villerbu, 2007 ; Johnson, 2007 ; Steffensmeier, Allan, 1996). Fréquemment, il arrive que les victimes ne soient pas crues lors de la dénonciation des abus, autant par leur famille que par des professionnels (Denov, 2004b). De plus, la femme n’est pas forcément vécue comme agresseur sexuel par la victime au moment de l’abus (Anderson, Aymami, 1993 ; Chevrant-Breton, 1994). En effet, dans certains milieux, dans certains contextes sociaux, pour un garçon, avoir une relation sexuelle avec une femme plus âgée peut être perçu comme une expérience éducative extrême ou même une initiation à la sexualité (Briggs, Hawkins, 1996).

Enfin, la définition même de l’abus sexuel utilisée dans les recherches aurait également un impact significatif car cela touche aux critères d’inclusion ou d’exclusion des participantes (Saradjian, 2010 ; Tardif, 2001 ; Wakefield, Underwager, 1991). Certains auteurs incluent en effet la prostitution dans la liste des délits à caractère sexuel, ce qui peut alors avoir une incidence non négligeable sur les chiffres annoncés.

Différents termes sont retenus pour qualifier les auteurs féminins d’agression sexuelle : « femmes agresseuses sexuelles » (Deschacht, Genuit, 2000), « femmes abuseuses sexuelles » (Claude, 2000), « femmes abuseures » (Tardif, 2001), « femmes pédophiles » et « femmes incestueuses » (Poiret, 2006).

Dans l’article, nous utilisons de préférence les termes de femmes agresseurs sexuels ou de femmes ayant commis des abus sexuels.

3. Mythes et préjugés

Selon Pauzé et Mercier (1994), peu de chercheurs se sont intéressés à comparer les conséquences pour les victimes d’agressions sexuelles en fonction du sexe de l’agresseur, notamment parce que les agresseurs sexuels sont majoritairement des hommes. D’un autre côté, dans de nombreuses études portant sur l’inceste, autrement dit l’abus intrafamilial, même si les auteurs n’ont pas insisté sur ce point, ils notent la présence significative d’agresseurs féminins, la mère ou la grand-mère notamment (Laviola, 1992).

Ainsi, au-delà du fait que les hommes commettent un nombre plus élevé d’abus sexuels que les femmes, une des questions centrales qui se dégage est la suivante : « Pourquoi autant de difficultés à accepter qu’une femme puisse commettre un abus sexuel ? ». Certains chercheurs ont tenté d’apporter des explications à cette interrogation. Pour Tardif et Lamoureux (1999), il s’agit d’un double tabou qui s’appuie non seulement sur la résistance à reconnaitre les manifestations sexuelles mais également les conduites agressives chez la femme. De même, l’idéalisation de la fonction maternelle expliquerait le déni qui entoure l’idée qu’une femme puisse abuser sexuellement d’un enfant (Hetherton, 1999 ; Tardif, Lamoureux, 1999). En effet, dans nos sociétés contemporaines, le rôle social de la femme l’amène à être proche des enfants car elle occupe souvent la position de figure parentale principale (Faller, 1995 ; Tardif, Lamoureux, 1999).

Ainsi, encore aujourd’hui, les stéréotypes entourant l’homme et la femme contribuent à entretenir le mythe que seuls les hommes peuvent être responsables d’abus sexuels (Hetherton, 1999 ; Tardif, 2001), ce qui signifierait que certains comportements ne peuvent pas être commis par une femme (Allen, 1991). Cela tend alors à nier la capacité des femmes à prendre le contrôle et à exercer un quelconque pouvoir sur un autre individu (Hetherton, 1999 ; Tardif, 2001). Pour Harris (2010), ceci serait lié au discours de certains mouvements féministes qui ont eu tendance à uniquement montrer les femmes comme victimes de violence de la part des hommes et non comme de possibles agresseurs.

De plus, lorsqu’il existe une acceptation, aussi minime soit-elle, de la possibilité qu’une femme puisse commettre un abus sexuel, cela peut alors être perçu comme une tentative déplacée de séduction ou comme une expression affective excessive (Hetherton, 1999 ; Tardif, 2001). Et, si la victime est un garçon, du fait du besoin de préserver la masculinité, l’abus peut alors être considéré comme une initiation à la sexualité ou une expression affective inadéquate, que ce soit par la victime elle-même, par son entourage, voire même par certains professionnels (Denov, 2001 ; Holmes, Offen, Waller, 1997 ; Saradjian, Hanks, 1996 ; Tardif, 2001). De plus, certains garçons agressés sexuellement par une femme sont susceptibles d’avoir des réactions physiques durant l’abus. Ils peuvent alors se questionner sur leur consentement et en venir à se demander s’ils ont réellement subi une agression sexuelle (Sarrel, Masters, 1982).

Enfin, selon certains préjugés, les abus sexuels perpétrés par les femmes seraient moins traumatisants pour la victime (Denov, 2004b ; Hetherton, 1999 ; Poiret, 2006). Or, il semblerait que, d’une part, la rareté du phénomène peut au contraire contribuer à exacerber des réactions traumatiques chez les victimes qui ont l’impression d’être des cas uniques, isolés ou qui sont confrontées au scepticisme ou à la banalisation des faits par leur entourage (Chevrant-Breton, 1994 ; Tardif, 2001). Et, d’autre part, il apparaît que les abus sexuels perpétrés par les femmes peuvent être aussi sérieux et intrusifs que ceux des hommes (Finkelhor et coll., 1988 ; Saradjian, Hanks, 1996 ; Tardif, 2001). En effet, les agressions sexuelles commises par les femmes apparaissent similaires à celles des hommes quant aux gestes posés, à savoir la présence de violence, de pénétrations anales et vaginales ainsi que de masturbations réciproques (Claude, 2000). De même, les femmes peuvent tout autant que les hommes éprouver de la satisfaction à voir leur victime souffrir et utiliser des armes ou avoir recours à la force au cours des abus (Tardif, 2001). Pour Tardif (2001), il est donc primordial que ces préjugés soient reconnus et dépassés afin de pouvoir offrir l’aide et les services adaptés aux victimes de ce type d’abus. Puis, une fois cette réalité acceptée et prise en compte, doit venir le temps de l’exploration de ce phénomène chez les femmes agresseurs.

Afin d’apporter une vision plus globale de ces femmes et de permettre également une meilleure compréhension de leur fonctionnement, dans un premier temps, nous rapportons les principales données sociodémographiques et criminologiques ressortant des études en faisant la distinction entre les femmes adultes et les adolescentes. Puis, dans un deuxième temps, nous présentons les principales typologies proposées par les auteurs. Enfin, nous explorons les recherches traitant plus spécifiquement de la psychopathologie de ces femmes.

4. Compréhension du phénomène

4.1 Données sociodémographiques et criminologiques

En 2008, 52 personnes de sexe féminin sont considérées comme auteurs présumés d’infractions sexuelles au Québec (Ministère de la Sécurité publique, 2010). On retrouve 35 femmes de 18 ans et plus (67,3%) et 17 jeunes filles de moins de 18 ans (32,7%). Les femmes adultes forment le groupe ayant le plus souvent commis les abus avec l’aide de complices (26 %), ce qui ne correspond toutefois qu’à neuf des 35 auteurs présumés (Ministère de la Sécurité publique, 2010).

4.1.1 Chez les femmes adultes

Concernant l’âge moyen au début des abus, il est de 31,3 ans selon Tardif (2001). Ces données rejoignent celles de Claude (2000) en France qui indique que l’âge moyen de la femme agresseur sexuel au moment du premier abus est de 30 ans, s’échelonnant de 20 à 40 ans.

En ce qui concerne les abus physiques et sexuels subis dans l’enfance, Deschacht et Genuit (2000) ont mené une étude sur 69 délinquantes sexuelles emprisonnées en France entre 1985 et 1998 qui ont fait 134 victimes. Ces femmes ont des antécédents de violences physiques subies dans 45% des cas et de violences sexuelles subies dans 35% des cas durant l’enfance ou l’adolescence. Selon Tardif (2001), le facteur de victimisation le plus fréquent est l’abus sexuel (78% des femmes) suivi de l’abus physique (33% des femmes).

En ce qui a trait à l’âge moyen et au sexe des victimes, Faller (1987), dans une étude portant sur 40 femmes (dont trois adolescentes), ayant abusé sexuellement de 63 enfants au total, rapporte que les victimes étaient jeunes au moment de la dénonciation des faits, 6,4 ans en moyenne, et que les deux-tiers sont des filles. Selon Claude (2000), la grande majorité des victimes sont des enfants prépubères, le plus souvent de sexe féminin. Mathews, Matthews et Speltz (1989), dans une étude portant sur 16 femmes référées au programme externe « Genesis II Female Sex-Offender Program » et ayant agressé sexuellement 47 enfants et une femme adulte, rapportent que six de ces femmes ont agressé des enfants des deux sexes. De son côté, McCarty (1986), dans son étude sur 26 femmes incestueuses faisant partie d’un programme spécialisé de traitement des agresseurs intrafamiliaux, indique que 52% des femmes ont agressé des filles, 35% ont agressé des garçons et 10% ont agressé des enfants des deux sexes. Brown, Hull et Panesis (1984) ont quant à eux étudié 20 dossiers de femmes agresseurs sexuels issus des fichiers des services de probation du Massachusetts et il apparaît que la victime était masculine dans seulement 23,5% des abus.

Concernant le nombre de victime et leur lien avec l’agresseur, Faller (1987) rapporte que 60% des femmes ont abusé d’au moins deux enfants et les trois-quarts d’entre elles ont agressé les enfants dans un contexte familial polyincestueux. En effet, la très grande majorité de ces femmes étaient les mères d’au moins une des victimes. Selon Claude (2000), presque toutes les femmes rencontrées et évaluées avaient agressé leurs propres enfants, mais quelques unes ont également commis des abus extrafamiliaux sous la contrainte d’un coabuseur. L’enfant abusé est le plus souvent l’aîné ou l’enfant le plus âgé vivant au domicile familial. Pour une majorité des femmes, les abus s’étalent sur une période de deux à quatre ans. Dans l’étude précédemment citée de Tardif (2001), 44% des femmes ont eu des relations incestueuses uniquement avec leur fille et 44% uniquement avec leur fils. Une femme, en plus d’abuser son fils, a agressé sexuellement un neveu et une nièce. Enfin, une seule femme a abusé sexuellement d’enfants des deux sexes dans un contexte de mère-substitut (gardienne). Selon l’étude de Brown, Hull et Panesis (1984), les femmes agresseurs sexuels connaissaient toutes leurs victimes, que ce soit un membre de leur famille, un ami ou une connaissance. De plus, il est indiqué que la violence ou, du moins, l’usage de la force était souvent utilisée avant, pendant ou après l’agression sexuelle, que la femme soit seule ou accompagnée d’un complice.

Concernant la compréhension des abus perpétrés, Mathews et coll. (1989) rapportent que 13 des 16 femmes (81%) ont déclaré que leur passage à l’acte s’expliquait, soit par les abus qu’elles-mêmes avaient subis, ou bien par la dépendance à leur conjoint ou, au contraire, du fait du rejet de ce dernier. Sept femmes (44%) auraient été forcées par leur conjoint à commettre les abus. Toutes les femmes ont rapporté avoir vécu dans un climat de peur et ont parlé des menaces et des abus physiques qu’elles subissaient de la part de leur partenaire. Cependant, quatre femmes (25%) considéraient leur acte comme étant l’expression de leur amour, envers les victimes pour trois d’entre elles, et envers son mari pour l’autre. La plupart des femmes déclaraient que l’excitation sexuelle n’avait pas été une motivation principale.

4.1.2 Chez les jeunes filles de moins de 18 ans

Concernant l’âge moyen au début des abus, il est de 11,9 ans pour les adolescentes selon Tardif (2001). Aux États-Unis, Fehrenbach et Monastersky (1988) rapportent quant à eux un âge moyen de 13,6 ans pour des jeunes filles de 10 à 18 ans.

En ce qui concerne les abus physiques et sexuels subis dans l’enfance, Cavanagh Johnson (1989) a publié une étude portant sur 13 filles âgées de quatre à 13 ans qui ont eu des comportements sexuels problématiques envers d’autres enfants. Il en ressort que toutes ont été précédemment abusées sexuellement et que 31% ont également été physiquement abusées (dont 85% par un membre de leur famille). Tardif (2001), quant à elle, mentionne que le facteur de victimisation le plus fréquent est l’abus sexuel (60% des adolescentes) suivi de l’abus physique (53% des adolescentes).

En ce qui a trait à l’âge moyen et au sexe des victimes, Fehrenbach et Monastersky (1988) indiquent qu’hormis une victime adulte, toutes les victimes sont des enfants de 12 ans et moins avec une moyenne d’âge de 5,2 ans. Les victimes sont plutôt des filles (57,1%) et deux adolescentes ont agressé des enfants des deux sexes. Pour autant, dans la recherche de Tardif (2001), la majorité des victimes sont des garçons (60%).

En ce qui a trait au lien avec la victime, selon Tardif (2001), il s’agit d’abus intrafamiliaux pour plus de la moitié des adolescentes (53%) ainsi que d’abus dans un contexte de gardiennage (27%). Les autres adolescentes ont agressé des voisins (20%) ou un inconnu (7%). Fehrenbach et Monastersky (1988) indiquent que l’agresseur connaissait sa victime et la majorité des agressions ont d’ailleurs eu lieu dans un contexte de gardiennage. Il est à noter que dans cette étude, aucune des adolescentes n’avait de complice ou coabuseur.

4.2 Typologies, catégorisations et autres tentatives de regroupement

Plusieurs auteurs indiquent que les classifications utilisées pour décrire les profils des hommes semblent inadéquates lorsque transposées aux femmes (Atkinson, 1995 ; Claude, 2000 ; Tardif, 2001). Selon eux, il appert ainsi indispensable d’étudier la déviance sexuelle spécifiquement chez la femme et non en comparaison avec celle des hommes. Certaines équipes se sont d’ailleurs attachées à développer des procédures spécifiques pour étudier la délinquance sexuelle des femmes. En Belgique, une procédure de recherche portant spécifiquement sur les femmes auteurs d’agression sexuelle incarcérées a ainsi été mise en place depuis 1998 à l’aide d’un questionnaire d’investigation clinique (QICPAAS) et de tests projectifs (Rorschach et TAT) (Claude, 2000). Et à Minneapolis dans le Minnesota, a été créé dès 1985 un programme externe spécifiquement adressé aux femmes agresseurs sexuels, le « Genesis II Female Sex-Offender Program » (Mathews et coll., 1989). Des programmes de ce genre ont ensuite pu servir de base à la construction de typologies spécifiques aux femmes agresseurs sexuels.

Pour le développement des typologies en question, il s’avère que la très grande majorité des auteurs se sont surtout intéressés au lien entre l’agresseur et la victime, aux abus sexuels subis par l’agresseur durant son enfance ainsi qu’à la psychopathologie des femmes agresseurs sexuels. En effet, selon certains auteurs, plus de 25% des personnes ayant vécu des abus physiques ou sexuels vont à leur tour perpétrer des comportements de maltraitance envers autrui (Kaufman, Ziegler, 1989). Cependant, bien que la victimisation sexuelle soit habituellement considérée comme un facteur de risque pour une éventuelle délinquance sexuelle ultérieure, le lien de causalité entre les deux n’a jamais été réellement prouvé (Bifulco, 2006). Certains auteurs considèrent ainsi qu’avoir été soi-même abusé dans l’enfance, ou avoir des antécédents psychiatriques, ne sont pas des critères discriminants en ce qui a trait à la délinquance sexuelle (Mathews et coll., 1989 ; O’Connor, 1987).

Plusieurs classifications ou typologies ont été proposées pour mieux cerner le profil des femmes ayant commis des agressions sexuelles afin de déterminer non seulement les raisons et les processus associés au passage à l’acte (Bickley, Beech, 2001), mais également afin de pouvoir, par la suite, mettre en place des stratégies de traitement spécifiques (Faller, 1987 ; Mathews et coll., 1989, 1990 ; Vandiver, Kercher, 2004). Nous présentons ces typologies par ordre chronologique, de la plus ancienne à la plus récente.

Widom (1978), dans une recherche portant sur 66 femmes incarcérées au Awaiting Trial Unit du Massachusetts Correctional Institution, a tout d’abord proposé une classification en quatre types : le « psychopathic » qui décrit des femmes hostiles, impulsives, agressives et peu socialisées, le « secondary » ou « neurotic offender » qui ressemble au premier type mais où les femmes sont plus anxieuses, déprimées et plus portées à éprouver de la culpabilité, l’« overcontrolled offender » où les femmes nient le problème et ont un niveau élevé de contrôle d’elles-mêmes et enfin, le « normal criminal » qui décrit des femmes hostiles et tendues mais qui ne sont pas impulsives et qui présentent peu de psychopathologie.

Sarrel et Masters (1982) ont ensuite présenté une typologie en quatre catégories qui se distinguent notamment par le recours ou non à la force au moment de l’abus. La première catégorie, « forced assault » comprend l’usage de contraintes physiques, de menaces de violence physique ou les deux. La seconde, « baby-sitter abuse », consiste en la séduction d’un jeune garçon par une femme ou une jeune fille plus âgée avec laquelle il n’a pas de lien familial. La troisième catégorie, « incestuous abuse » est l’abus sexuel d’un garçon mineur par une femme de sa famille. Enfin, la quatrième catégorie, « dominant woman abuse » désigne une approche sexuelle agressive d’une femme adulte auprès d’un homme adulte, qui intimide ce dernier voire même le terrifie sans qu’il y ait eu directement l’utilisation de la force physique. Cependant comme les auteurs le font eux-mêmes remarquer, ces catégories ne sont pas exclusives et il est fréquent qu’une femme se retrouve dans plus d’une catégorie.

McCarty (1986) propose une typologie en fonction du modus operandi, selon que la femme a agi seule ou avec un complice, qu’elle a illustrée avec l’étude précédemment citée portant sur 26 femmes incestueuses. Trois catégories en ressortent : l’« Independant Abuser », la « Co-Offender Abuser » et l’« Accomplice-Colluded Abuser ». La première, la femme indépendante, désigne une mère monoparentale qui utilise sexuellement sa fille (âgée de six ans en moyenne) qu’elle perçoit comme une extension d’elle-même. Ces femmes ont généralement été sexuellement agressées dans l’enfance et ont fréquemment de sérieux problèmes émotionnels. La seconde catégorie regroupe les personnes extrêmement dépendantes qui présentent un fonctionnement social marginal. Elles agissent avec un partenaire masculin qui les domine. Une histoire d’abus sexuels dans l’enfance ressort également, plus de la moitié présentent une intelligence limite et la plupart ont un important besoin d’être prises en charge. Toutes ont été très négligentes envers leurs enfants et elles ont agressé autant leurs fils que leurs filles. Enfin, la troisième catégorie comprend les femmes qui ne commettent pas directement d’agression sexuelle mais qui, soit sont de connivence en ce qui concerne les abus, soit les ignorent. Ce sont des personnes plus fonctionnelles que celles de la catégorie précédente mais également très dépendantes. La plupart de ces femmes présentent une intelligence moyenne, toutes sont employées à l’extérieur de la maison et la victime des abus se trouve le plus souvent être leur fille aînée (âgée de 13 ans en moyenne).

Faller (1987) a élaboré une typologie plus élargie en cinq catégories à partir de 40 cas de femmes adultes. La première catégorie est celle de la femme chef de famille monoparentale (« Single-Parent Abuser ») qui agit seule. La seconde est celle de la femme qui agresse plusieurs enfants dans un contexte polyincestueux avec un partenaire intime (souvent le père ou le beau-père) sur plusieurs générations (« Polyincestuous Abuser »). Une majorité des femmes de l’étude (29 cas) se retrouvent dans cette catégorie dans laquelle l’homme est le plus souvent l’initiateur des abus et où la femme est décrite comme peu encline à commettre les abus, contrainte et impliquée dans moins d’activités sexuelles que son partenaire masculin. Puis, la catégorie de la femme agresseur sexuel psychotique (« Psychotic Female Perpetrator ») qui a des pulsions libidinales incontrôlées et celle de l’adolescente agresseur sexuel (« Adolescents Perpetrators »). Enfin, la dernière catégorie concerne les femmes qui agressent sexuellement dans un contexte autre que la situation de garde (« Noncustodial Abuse »). Ces femmes ont des difficultés d’ordre psychologique et social. On retrouve pour la moitié d’entre elles des problèmes mentaux, que cela soit de la déficience intellectuelle ou un trouble psychotique. Plus de la moitié ont un problème de dépendance aux substances psychoactives et près des trois-quarts ont maltraité leurs victimes d’autres manières en plus des abus sexuels. Cependant, comme le font remarquer Le Bodic et Gouriou (2010), la typologie de Faller (1987) est elle aussi essentiellement descriptive et les catégories n’ont pas de critères de définition homogènes. Les catégories renvoient en effet tour à tour au type de lien existant entre l’agresseur et sa victime, à la présence ou non d’un complice, ou bien au fonctionnement mental. Une femme peut donc se retrouver dans deux, voire même dans trois catégories à la fois.

La classification la plus connue est sans nul doute celle de Mathews et coll., élaborée en 1989 et révisée en 1990, qui est utilisée dans de très nombreuses recherches. C’est une classification qui comprend deux catégories principales, selon que la femme agit seule « Self-Initiated Offenses » ou qu’elle est accompagnée par un ou plusieurs coabuseurs « Accompanied Offenses ». Ces catégories sont ensuite subdivisées en fonction du type d’abus commis et de la relation entre l’agresseur et sa victime.

Lorsque la femme agit seule, « Self-Initiated Offenses », il y a deux sous-catégories. Tout d’abord, la sous-catégorie « Intergenerationally Predisposed Female Offender » qui se rencontre tant chez les adultes que chez les adolescentes et qui désigne des femmes dont l’histoire personnelle est faite de traumatismes affectifs, relationnels, parfois même physiques et sexuels importants[1]. Puis la sous-catégorie « Female Offenders Who Predominantly Abuse Males », elle-même subdivisée en deux : les adultes « Teacher/lover » et les adolescentes « Experimenter/exploiter ». Le sous-type « Teacher/lover » regroupe les femmes considérant être dans une relation sexuelle amoureuse avec des enfants pubères ou des adolescents et niant le côté délictuel de leur comportement. Le sous-type « Experimenter/exploiter » concerne les adolescentes qui exploitent un garçon plus jeune. Les abus ont souvent lieu dans des situations où l’agresseur est la gardienne de la victime.

Puis, lorsque la femme est accompagnée par un ou plusieurs coabuseurs « Accompanied Offenses », il y a à nouveau deux sous-catégories. Tout d’abord la sous-catégorie « Male-Coerced Female Offender » qui est la plus fréquemment rapportée par les études (Claude, 2000 ; Faller, 1987 ; Mathews et coll., 1989 ; McCarty, 1986). Les abus sexuels sont ici perpétrés dans des situations familiales polyincestueuses où la femme est contrainte à abuser sexuellement de ses propres enfants, par son partenaire intime. À l’origine, Mathews et coll. proposaient une distinction entre « Coerced » (contrainte) et « Accompanied » (accompagnée) (cité dans Atkinson, 1995). Selon elles, la femme contrainte par un homme participe à contrecoeur aux abus par peur des représailles, alors que la femme accompagnée participe plus activement aux abus, le plus souvent dans le but de retenir son partenaire. Enfin, il y a la sous-catégorie « Psychologically disturbed » où les femmes présentent des caractéristiques psychotiques.

La classification de Mathews et coll. (1989, 1990) est encore la plus utilisée à l’heure actuelle. Cependant, quelques modifications y ont été apportées (les trois catégories initiales « Teacher/lover », « Predisposed » et « Male-Coerced » ont notamment évolué vers les cinq catégories précédemment présentées), que ce soit par les auteurs elles-mêmes ou par d’autres chercheurs. Nathan et Ward (2002) ont également proposé d’ajouter un sous-type à la catégorie « Accompanied Offenses ». En effet, pour ces auteurs, les femmes agissant avec un homme peuvent être motivées par la jalousie et la colère et pas seulement forcées à commettre les abus. Ils ont nommé cette nouvelle sous-catégorie « Rejected/revengeful ».

Cependant, les mêmes questionnements que pour la typologie de Faller (1987) subsistent. En effet, chez Mathews et coll., (1989), les catégories ne réfèrent pas systématiquement aux mêmes dimensions, ce qui montre à quel point il est difficile de classer les individus en fonction du type de délit et de tenter ensuite d’en déduire des profils psychologiques (Le Bodic, Gouriou, 2010).

Vidon (1998) a, pour sa part, réparti les femmes en deux groupes distincts à partir de 34 dossiers d’expertises psychiatriques et médicopsychologiques. D’un côté, les femmes ayant commis un abus sexuel extrafamilial et, de l’autre, les femmes ayant un commis un abus sexuel intrafamilial. Ce dernier groupe est subdivisé en trois sous-groupes : participation active avec la présence d’un partenaire intime, abus avec le partenaire intime et des connaissances et abus du partenaire envers les enfants que la femme ne pouvait pas protéger. Cette typologie s’éloigne quelque peu des typologies précédentes en axant principalement les critères d’inclusion et d’exclusion sur le contexte des abus. Cependant, cela implique alors que des femmes abusant dans un contexte intrafamilial ne peuvent pas abuser dans un contexte extrafamilial et inversement. Or, les écrits indiquent que de tels cas de figure existent et pas uniquement de manière anecdotique (Poiret, 2006). De plus, dans ces trois sous-groupes des abus sexuels intrafamiliaux, il y a toujours la présence d’un partenaire, ce qui ne se retrouve pas forcément dans les recherches (Faller, 1987 ; Mathews et coll., 1989 ; Poiret, 2006 ; Tardif, 2001).

Saradjian et Mignot (1999) se sont inspirées des catégories de Mathews et coll. (1989) et ont retenu les critères d’âge de la victime et la présence ou non d’un partenaire dominant pour déterminer trois catégories principales. La première catégorie, celle des « abuseuses prédisposées », regroupe les femmes qui abusent sexuellement de jeunes enfants, la seconde, les « abuseuses initiatrices », est celle des femmes qui abusent sexuellement d’adolescents et la troisième, celle des femmes qui sont contraintes par un partenaire masculin à commettre un abus sexuel. Les femmes qui ne correspondent pas à ces critères sont considérées « atypiques ».

Vandiver et Kercher (2004) ont, quant à elles, développé une typologie en six catégories, typologie ultérieurement validée par Sandler et Freeman (2007). La première catégorie est celle des femmes agressant uniquement des jeunes garçons dont l’âge moyen est de 12 ans (« Heterosexual nurturers »). La deuxième est celle des femmes qui sont portées à agresser principalement des jeunes filles entrant dans l’adolescence (« Noncriminal homosexual offenders »). La troisième catégorie est celle des femmes qui agressent majoritairement des jeunes garçons de 11 ans en moyenne et qui sont susceptibles d’être également impliquées dans d’autres types de délit, à caractère sexuel ou non (« Female sexual predators »). La quatrième regroupe les femmes qui agressent de très jeunes enfants (âgés de sept ans en moyenne), autant des garçons que des filles, qui sont leurs propres enfants pour la moitié d’entre elles (« Young adult child exploiters »). La cinquième est celle des femmes qui ont déjà été arrêtées plusieurs fois et qui s’intéressent à des victimes plus âgées, le plus souvent de sexe féminin, qu’elles forcent parfois à se prostituer (« Homosexual criminals »). Cette catégorie est cependant quelque peu différente des cinq autres car il s’agit ici de prostitution et elle s’apparente de ce fait beaucoup moins aux abus sexuels concernés par cet article. Enfin, la sixième catégorie regroupe des femmes qui agressent d’autres femmes adultes, le plus souvent dans une situation de relation conjugale homosexuelle violente (« Aggressive homosexual offenders »).

Enfin, Harris (2010) a procédé à un regroupement des différentes typologies et études existantes et a ensuite déterminé quatre zones de convergence : les femmes qui abusent des garçons adolescents, les femmes qui abusent des jeunes enfants (des deux sexes), les femmes qui agissent avec des coabuseurs et enfin, les femmes qui abusent des adultes. Cette dernière catégorie est une des plus rares et des moins documentées dans la littérature scientifique.

Ainsi, comme nous venons de la voir, plusieurs recherches sur la délinquance sexuelle féminine se sont attachées à proposer des typologies pour regrouper, classer les femmes en fonction, soit de leur lien avec la victime, de la présence ou non d’un coabuseur, ou bien encore en fonction des abus traumatiques subis dans leur enfance.

Cependant, les chercheurs semblent s’être rendus compte des limites de ce type de classification qui ne permet pas de situer l’ensemble des femmes et qui est parfois trop diffus, une femme pouvant aisément se retrouver dans plusieurs catégories à la fois (Le Bodic, Gouriou, 2010). De plus, de nombreux critères différents sont pris en compte pour la définition des catégories. Ainsi, chez plusieurs auteurs, on retrouve des catégories basées sur le lien entre l’agresseur et la victime, sur l’âge de la victime et sur la psychopathologie de l’agresseur comme seul critère d’inclusion.

Certains auteurs ont alors décidé de s’intéresser spécifiquement à la psychopathologie de ces femmes dans le but de parvenir à dépasser les difficultés liées aux typologies.

4.3 Psychopathologie

Wolfe (1985 ; cité dans Mathews et coll., 1989) souligne à partir d’une étude portant sur 12 femmes agresseurs sexuels faisant partie d’un programme externe spécialisé dans l’évaluation et le traitement des agresseurs sexuels que, comparées à des hommes agresseurs sexuels, certaines femmes excusent leurs comportements en raison de leur dépendance à leur partenaire, rationalisation rarement utilisée chez les hommes. Cependant, tant les femmes que les hommes font preuve de déni, de projection et de minimisation et, tout comme les hommes, les femmes utilisent rarement la force physique mais plutôt la contrainte.

De même, Metzner (1988 ; cité dans Mathews et coll., 1990) rapporte que les femmes qui commettent des abus sexuels présentent souvent des troubles de la personnalité dépendante, limite, passive-agressive ou évitante[2].

D’autres auteurs indiquent que les femmes qui commettent des abus sexuels se caractérisent par une histoire de vie traumatique, violente et une personnalité qualifiée de fragile. Elles ont à la fois une représentation idéalisée du rôle maternel et une représentation d’elle-même en tant que mère fortement dévalorisée. Leurs représentations du rôle féminin sont pauvres et elles sont carencées au niveau des modèles identificatoires féminins. Les rôles maternels et féminins sont très clivés et ne peuvent coexister sans conflit. Par rapport à leur enfant, elles se décrivent comme peu protectrices, peu affectives et manquant d’autorité (Claude, 2000 ; Léveillée, Trébuchon, 2011).

Claude (2000) constate également qu’une très grande majorité des femmes ont agi dans un contexte de violence exercée par leur partenaire et présentent une problématique de dépendance et de passivité. Ce sont des femmes avec une estime de soi très faible, qui vivent une grande solitude affective et qui sont matériellement et émotionnellement très dépendantes de leur partenaire. Ces femmes apparaissent conscientes du délit mais présentent une baisse de l’empathie pour leur victime au fur et à mesure des abus. Très peu de femmes ont commis seules des actes de maternage abusif suivis d’actes plus clairement sexualisés. Lorsque c’est le cas, c’est le fait de femmes présentant des troubles relationnels graves, une carence affective précoce et un vécu traumatique d’abus sexuels et physiques les prédisposant aux abus sexuels dans un mécanisme d’identification à l’agresseur avec une forte ambivalence vis-à-vis de l’enfant. Les actes sont commis sur un mode impulsif et liés aux difficultés rencontrées par le couple parental. On retrouve un vécu de honte et de souffrance par rapport aux gestes posés qui peut ensuite entraîner des passages à l’acte autoagressifs (automutilation ou tentative de suicide). Les quelques autres femmes présentent un tableau qualifié de psychopathique. Elles ont un comportement égocentrique, manipulateur et séducteur. Elles adoptent de nombreuses stratégies d’évitement et font preuve d’une absence d’empathie envers la victime qui est alors rendue responsable des abus par ses attitudes de provocation.

Deschacht et Genuit (2000) mentionnent des antécédents de carences affectives, éducatives et sociales, qui ont entraîné un développement psychoaffectif perturbé avec des distorsions dans les processus identificatoires (grande immaturité psychoaffective). Ces femmes ont une personnalité peu structurée, dépendante et influençable. Leur vie sexuelle est chaotique, parfois émaillée de violence, et caractérisée par la multiplicité des partenaires. Elles présentent une importante dépendance vis-à-vis de leur partenaire avec une attitude qualifiée de docile, passive et soumise. Certaines femmes ont une problématique de l’image et du rôle maternel avec une méconnaissance ou un déni de la distribution des rôles dans la relation parents/enfants. Elles se montrent incapables de mettre des limites ou des interdits, ce qui entraîne une certaine incapacité à percevoir le caractère déviant de leurs comportements délictueux.

Tardif (2001), quant à elle, s’est plus particulièrement intéressée à l’étude de la relation mère-enfant, homme-femme ainsi qu’au contexte familial lié à la victimisation. Selon elle, le parcours développemental de ces femmes montre la présence de carence, de victimisation et de perturbation de leurs relations avec leurs parents qui sont susceptibles d’avoir pu modifier leur intégration psychique des fonctions maternelles et relationnelles. Les multiples perturbations de la sphère relationnelle et familiale associées à une dynamique d’abus ont pu ainsi bouleverser l’intégration de la fonction « maternante » et du rapport homme-femme. Cela a entraîné des difficultés dans la constitution de l’identité maternelle et de l’identité sexuelle féminine. De plus, la dimension agressive, allant parfois jusqu’aux pulsions homicides, montre un conflit profond et primitif dans la relation à autrui chez ces femmes. Et selon plusieurs auteurs, une perturbation majeure de la relation mère-enfant serait un élément déterminant dans le phénomène des abus sexuels perpétrés par les femmes et les adolescentes (Claude, 2000 ; Deschacht, Genuit, 2000 ; Tardif, 2001). Pour Tardif (2001), tout ceci tend à empêcher ces femmes et ces adolescentes d’intégrer les fonctions habituellement associées à la relation au conjoint et à l’enfant. Le passage à l’acte sexuel vient alors marquer et signer ce conflit.

Tardif, Auclair, Jacob et Carpentier (2005), dans leur étude portant sur 13 femmes et 15 adolescentes agresseurs sexuels, ont indiqué que, chez les femmes, 30,8% présentaient un trouble de la personnalité limite, 15,4% présentaient un trouble de la personnalité limite associé à un trouble dysthymique, 30,8% une dépression et un trouble de la personnalité dépendante et 15,4% un trouble de la personnalité dépendante uniquement. Chez les adolescentes, 33,3% présentaient un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, 26,7% un trouble dysthymique, 26,7% un trouble des conduites et 20% un état de stress post-traumatique.

Harrati et coll. (2007) soulèvent dans leur analyse exploratoire de la dynamique de 13 femmes agresseurs sexuels certaines particularités psychopathologiques et psychocriminologiques. Les auteurs rapportent d’une part, la défaillance du cadre familial d’origine dans l’insuffisance ou l’absence d’un univers protecteur et structurant et, d’autre part, la répétition de ces problématiques dans la famille actuelle. Les auteurs mettent en évidence un fonctionnement psychique défaillant pour l’ensemble des femmes. En effet, leur fonctionnement se caractérise par un registre défensif archaïque marqué par un recours prépondérant à l’évitement et à l’inhibition, ainsi que par la précarité des assises narcissiques relevant d’une défaillance des identifications féminines et d’une instabilité de l’intégration de la représentation de soi et de l’objet. Les multiples abus subis dans leur enfance empêcheraient l’intériorisation de leur propre fonction maternelle. Et les femmes rejoueraient alors cette victimisation en s’identifiant tour à tour au parent agresseur et à la victime.

Enfin, Turton (2008b) émaille ses écrits de récits de femmes agresseurs pour mieux illustrer ses propos. L’auteur rapporte un déni de la gravité des gestes posés, le comportement est alors expliqué soit par le fait d’avoir été sous l’emprise de l’alcool ou d’avoir été soi-même abusée dans l’enfance, soit par le fait que c’est de la faute de la victime car elle le désirait ou bien encore la personne se retranche derrière l’excuse des soins d’hygiène. Parfois, il arrive que l’enfant soit perçu comme l’extension du propre corps de l’agresseur ou encore que la femme se justifie en expliquant vivre une véritable relation amoureuse avec l’enfant.

5. Discussion

La présentation de l’ensemble de ces études permet de mieux comprendre les caractéristiques et le profil des femmes qui commettent des agressions sexuelles, tant au niveau de l’ampleur réelle du phénomène, des données sociodémographiques et criminologiques, des typologies, que de leur psychopathologie.

Nous abordons ensuite les limites des recherches sur le sujet ainsi que la notion de récidive. Enfin, nous proposons des pistes de recherches futures.

5.1 Limites inhérentes aux recherches

Depuis quelques années, le sujet de la délinquance sexuelle des femmes semble mobiliser de plus en plus de chercheurs. La plupart tentent de comprendre, de trouver des explications à de tels comportements et proposent des typologies, le plus souvent dans la lignée de ce qui a été fait chez les hommes depuis plusieurs années (Gannon, Rose, Williams, 2009).

Cependant, ce qui est pertinent pour comprendre les hommes ne l’est pas forcément chez les femmes (Claude, 2000 ; Tardif, 2001), du fait notamment que les abus sexuels perpétrés par les femmes sont en majorité intrafamiliaux ou réalisés en présence d’un complice masculin, ce qui n’est pas nécessairement le cas chez les hommes (Tardif, 2001).

De plus, les axes de comparaison utilisés pour les hommes ayant commis des agressions sexuelles intègrent plus de critères, du fait, notamment, d’une connaissance plus approfondie du phénomène et de la taille des échantillons, ce qui permet l’utilisation de traitements statistiques plus sophistiqués (Tardif, 2001). En effet, chez les femmes, la petitesse des échantillons et leur hétérogénéité rendent difficile la généralisation et la diffusion des résultats des différentes études (Grayston, De Luca, 1999 ; Nathan, Ward, 2002). Certains auteurs insistent notamment sur la difficulté à généraliser les résultats des études sur les adolescentes agresseurs sexuels étant donné que celles qui sont référées par les autorités ou qui sont amenées à suivre un programme spécifique sont celles qui ont commis des agressions sexuelles plus graves, plus visibles. Il y aurait donc un nombre important, un chiffre noir, de la délinquance sexuelle des adolescentes qui serait passé sous silence du fait que certains comportements, comme l’exhibitionnisme notamment, sont jugés moins sévèrement pour les femmes que pour les hommes (Fehrenbach, Monastersky, 1988).

Une autre difficulté est le fait que de nombreuses études traitant des femmes agresseurs sexuels sont avant tout des études sur les victimes (Finkelhor, Russel, 1984). Un nombre bien plus faible de recherches porte directement sur les femmes agresseurs (Claude, 2000 ; Harrati et coll., 2007 ; Tardif, 2001).

5.2 La récidive

Malgré que la délinquance sexuelle des femmes soit encore relativement méconnue, le nombre d’études s’intéressant à la récidive est en constante augmentation depuis quelques années (Bader, Welsh, Scalora, 2010 ; Johansson-Love, Fremouw, 2006 ; Sandler, Freeman, 2009).

Ainsi, Cortoni et Hanson (2005) rapportent 1% de récidive sexuelle sur une période de cinq ans avec un échantillon de 380 femmes agresseurs sexuels. De même, Sandler et Freeman (2009) observent un taux de récidive sexuelle de 1,8% sur une période de cinq ans avec un échantillon de 1466 femmes agresseurs sexuelles. Toutefois, ces résultats sont à considérer avec prudence car ils intègrent également les femmes condamnées pour avoir amené un mineur à se prostituer ou pour avoir profité financièrement de la prostitution d’un mineur. En 2010, Bader et coll. rapportent un taux de récidive sexuelle de 17,5% sur une période de 10 ans avec un échantillon de 57 femmes ayant agressé sexuellement des enfants. Enfin, en 2010, Cortoni, Hanson et Coache ont mené une méta-analyse regroupant sur 10 recherches distinctes (deux articles scientifiques, deux rapports gouvernementaux, quatre présentations lors de conférences et deux sources officielles de données sur la récidive) regroupant 2490 femmes sur une durée moyenne de suivi de 6,5 ans. Les résultats indiquent alors un taux de récidive sexuelle d’environ 3%.

6. Conclusion

Ainsi, il apparaît de manière saillante que la délinquance sexuelle des femmes, très longtemps méconnue et niée, commence lentement à émerger à la conscience collective. Il semble y avoir une volonté de plus en plus marquée de la part des professionnels de briser cette « culture du déni » (Denov, 2001) et de plus en plus de chercheurs s’intéressent à cette problématique même si certains écueils persistent. En effet, au départ, beaucoup d’études et de stratégies étaient calquées sur celles des hommes. Or, il apparaît aujourd’hui que les typologies et les approches utilisées pour les hommes ne sont pas forcément adaptées à la délinquance sexuelle de la femme qui semble avoir sa spécificité propre (Claude, 2000 ; Tardif, 2001).

Malgré tout, un certain tabou entoure encore la criminalité sexuelle chez la femme. Pourtant, les abus sexuels perpétrés par les femmes existent et refuser cette réalité équivaut à la fois à nier les conséquences parfois dramatiques pour leurs victimes mais également à empêcher la prise en charge des victimes et des agresseurs. Ainsi, Kelley, Brant et Waterman (1993) insistent sur l’importance, pour les cliniciens amenés à évaluer des enfants victimes d’abus sexuels, de rester ouverts à la possibilité que l’agresseur soit une femme. Car si les professionnels ne reconnaissent pas les abus perpétrés par les femmes comme potentiellement sérieux et dommageables pour les victimes, aucune mesure ne sera alors prise pour aider ces victimes (Denov, 2004b).

Denov (2004b) rapporte à ce propos avoir constaté que la majorité des victimes d’inceste de la part de leur mère relient leurs problèmes de consommation d’alcool et/ou de drogue, leur dépression, leurs idéations suicidaires, leurs tentatives de suicide, leur manque de confiance envers les femmes et leur inconfort vis-à-vis de la sexualité, aux abus subis. De plus, certaines recherches démontrent qu’il pourrait exister un lien entre les abus sexuels subis durant l’enfance et un risque potentiel de perpétrer des abus sexuels sur des enfants ultérieurement (Johnson, 2007). La victimisation sexuelle est d’ailleurs souvent le point de départ dans l’investigation des expériences précoces des délinquants sexuels (Bifulco, 2006). Or, il semble qu’un des facteurs de risque les plus importants pour la délinquance sexuelle ultérieure est le fait d’avoir été abusé sexuellement par une femme (Salter et coll., 2003).

Cette méconnaissance persistante quant à cette réalité d’abus sexuels féminins pose également des problèmes aux intervenants confrontés à ces femmes agresseurs quand arrive le temps de les prendre en charge et d’intervenir avec ces dernières. Problèmes à la fois au niveau de l’évaluation du risque mais également dans le type de traitement thérapeutique à proposer (Ford, 2009).

De plus, il appert que la sanction judiciaire et populaire est très différente entre un homme et une femme agresseur sexuel. En effet, il ressort de différentes études que les femmes ont pu rester en contact avec leurs victimes ou avec des victimes potentielles même après le dévoilement des abus sexuels (Johnson, 2007).

Enfin, dans le cadre de recherches ultérieures, il serait important de s’attacher à développer nos connaissances sur la délinquance sexuelle des femmes et, pour ce faire, de ne pas toujours utiliser les grilles de lectures développées pour la délinquance sexuelle des hommes. En effet, que ce soit en termes de compréhension, d’évaluation ou de traitement, la délinquance sexuelle féminine semble avoir certaines spécificités propres qu’il apparaît important de souligner (Gannon, Rose, Cortoni, 2010). De même, il serait pertinent d’établir une distinction claire entre les femmes et les adolescentes qui commettent des abus sexuels car une meilleure compréhension de leur dynamique pourrait sûrement permettre d’adapter plus spécifiquement leur prise en charge suite au délit. Des instruments de mesure tels que les grilles actuarielles, les tests objectifs et projectifs pourraient ainsi présenter une complémentarité pertinente pour évaluer ces femmes.