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Introduction

Nous avons souhaité faire le point sur la prise en charge des malades mentaux délinquants et des condamnés particulièrement dangereux, en décrivant les nouvelles dispositions issues de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Le dispositif français existant depuis des décennies est en pleine mutation, à tous les niveaux du parcours judiciaire. L’irresponsabilité pénale pour trouble mental sera désormais prononcée devant la chambre de l’instruction et cette dernière pourra prononcer l’hospitalisation d’office qui était jusqu’alors de la compétence unique du Préfet. Des psychiatres sont amenés à exercer dans des centres médico socio judiciaires de sûreté afin de prendre en charge des détenus particulièrement dangereux à l’issue de leur peine. Enfin, les soignants exerçant en détention ou dans ces centres de rétention seront tenus de signaler aux autorités pénitentiaires tout détenu considéré comme dangereux.

L’objet de cet article est d’apporter un éclairage sur cette nouvelle législation en la mettant en perspective par rapport aux dispositifs antérieurs. Nous allons rappeler brièvement le dispositif actuel puis évoquer la loi du 25 février 2008 dans ses grands principes ainsi que les différents rapports ayant dirigé sa genèse. Enfin, nous soulignerons les modifications qu’elle entraîne dans les missions des psychiatres et les précautions déontologiques et éthiques qu’ils devront prendre.

1. Prise en charge des malades mentaux délinquants

Nous rappelons ici les procédures ainsi que les dispositifs existants jusqu’à présent pour prendre en charge les personnes atteintes de troubles mentaux et ayant commis une infraction.

Le premier élément important à considérer dans la prise en charge des auteurs d’infraction atteints de troubles mentaux est la détermination de la responsabilité pénale. C’est l’alinéa 1 de l’article 122-1 du Code Pénal (CP) qui stipule que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Cette mission est confiée au juge pénal mais il est communément admis que le juge traduira en termes de responsabilité pénale ce que l’expert psychiatre aura interprété en termes de discernement.

  • Si la personne est reconnue irresponsable pénalement, les autorités judiciaires se dessaisissent totalement au profit des autorités administratives et alors seul le préfet est compétent pour ordonner une hospitalisation d’office (HO). Ce transfert de compétences est énoncé à l’article L.3213-7 du Code de la Santé Publique (CSP). L’hospitalisation d’office qui peut être décidée n’est cependant ni une obligation, ni une conséquence du prononcé d’irresponsabilité pénale. Elle n’en est qu’une possibilité si la personne présente des troubles mentaux et porte atteinte de façon grave à la sûreté des personne ou à l’ordre public selon les termes de l’article L.3213-1 du CSP. La levée de l’hospitalisation d’office relève également du préfet mais nécessite deux décisions conformes de deux psychiatres n’appartenant pas à l’établissement et choisis par le représentant de l’état dans le département sur une liste établie par le procureur de la République, après avis de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (article L.3213-8 du CSP). Les deux expertises concordantes doivent conclure que la personne n’est plus dangereuse ni pour elle-même ni pour autrui.

  • Si la personne est responsabilisée, ses troubles psychiatriques pourront être pris en charge selon deux modalités :

    • Soit en « ambulatoire » par l’équipe de secteur de l’hôpital psychiatrique ayant passé convention avec l’établissement pénitentiaire ou par le Service Médico Psychologique Régional (SMPR) de la prison si elle en dispose.

    • Soit en hospitalisation en SMPR si la personne est consentante ou en hospitalisation d’office en hôpital psychiatrique selon l’article D 398 du Code de Procédure Pénale (CPP) si la personne n’est pas consentante.

Etant donné les difficultés des hôpitaux psychiatriques pour accueillir les détenus, la loi d’orientation et de programmation de la justice de 2002 (JORF, 2002) a prévu la création d’Unités d’Hospitalisation Spécialement Aménagées (UHSA). Ces unités, actuellement en cours de construction, seront implantées dans un hôpital psychiatrique et disposeront d’une surveillance périmétrique assurée par l’administration pénitentiaire. Elles accueilleront des détenus, dont les troubles psychiques sont incompatibles avec le maintien en détention, avec ou sans leur consentement.

La figure suivante (1) résume ces différentes possibilités.

Figure 1

Prise en charge actuelle des malades mentaux délinquants

Prise en charge actuelle des malades mentaux délinquants

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2. La genèse de la loi

2.1 Le rapport de la Commission Santé Justice 2005 (Burgelin, 2005)

Ce rapport de la commission Santé Justice intitulé « Santé, Justice et Dangerosité : pour une meilleure prévention de la récidive » a été présidé par M. Burgelin, procureur Général de la Cour de cassation. La commission était composée de préfets, de magistrats, de médecins (psychiatres et urgentiste), d’un avocat, de parlementaires, d’une directrice d’établissement pénitentiaire et d’un représentant du ministère de l’intérieur. Il est organisé en deux parties. La première est consacrée aux moyens à développer afin d’améliorer l’évaluation de la dangerosité. La seconde s’intéresse aux mesures de sûreté.

  • La commission préconise, pour les personnes considérées comme dangereuses criminologiquement à l’issue de l’exécution de leur peine, la création de mesures de sûreté. Certaines pourraient s’effectuer en milieu ouvert (des propositions ont été reprises dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales (JORF, 2005) qui instaure le placement sous surveillance judiciaire), d’autres en milieu fermé dans les centres fermés de protection sociale. Ces centres accueilleraient des individus « particulièrement dangereux sur un plan criminologique », ayant commis des faits d’une gravité singulière, à la fin de l’exécution de leur peine ou à la fin d’une hospitalisation d’office intervenant suite à un non lieu, une relaxe ou un acquittement. La décision de placement dans ces structures serait prise après évaluation de la dangerosité par les équipes ressources interrégionales, pour une durée de un an renouvelable. Quant à la structure d’accueil, elle serait hybride, « ni prison, ni hôpital », dotée d’« équipes spécialisées dans la prise en charge des individus dangereux » et pourrait proposer des « actions socio-éducatives, de formation, culturelles et/ou sportives et, le cas échéant, des soins sous la forme de conventions passées avec les structures de proximité ».

  • Elle propose également la comparution des personnes jugées irresponsables pénalement en raison d’un trouble mental devant une chambre d’imputabilité du tribunal de grande instance, au cours d’une audience qui pourrait être publique. Jusqu’alors, cette décision de non lieu pour irresponsabilité pénale est le plus souvent prise par le juge d’instruction, après l’avis d’experts psychiatres, sans qu’une instance judiciaire autre n’ait pu la prononcer lors d’une audience.

2.2 Le rapport du Sénat (Goujon, Gauthier, 2006)

Suite aux vives réactions suscitées par cette proposition de centres fermés de protection sociale, la commission des lois constitutionnelles a décidé de créer une mission d’information qu’elle a confiée au Sénat afin de prolonger le débat.

Ce rapport préconise notamment la création d’unités d’hospitalisation spécialement aménagées de long séjour. Ces structures pourraient accueillir pendant la durée de leur peine, et même au-delà si leur état le nécessite, les personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux et responsabilisées. Elles seraient sous responsabilité médicale, avec une surveillance périmétrique assurée par l’administration pénitentiaire. Malgré la possibilité de maintenir une personne enfermée à l’issue de sa peine, cette proposition se distingue de celle de création de centres fermés de protection sociale par plusieurs points :

  • Elle privilégie le principe des structures médicalisées alors que les centres fermés de protection sociale n’envisageaient pas le soin comme une priorité.

  • Il n’est pas question ici des personnes irresponsabilisées, confiées aux autorités administratives et sanitaires ou des personnes présentant une dangerosité exclusivement criminologique, sans trouble mental avéré.

  • Ces structures permettraient d’éviter toute rupture dans le dispositif de soins psychiatriques offerts aux détenus.

2.3 Le rapport Garraud (Garraud, 2006)

Ce rapport, paru en octobre 2006, est le résultat d’une mission parlementaire confiée par le premier ministre à Mr Garraud, député de la Gironde, sur la dangerosité et la prise en charge des individus dangereux. Comme le rapport de la Commission Santé Justice, il est organisé en deux parties : la première est consacrée à l’évaluation de la dangerosité et la deuxième aux conséquences à tirer d’un tel constat.

Il reprend l’idée de mesures de sûreté en milieu fermé mais avec certaines modifications. Les personnes visées seraient des auteurs de crimes contre les personnes, ayant purgé une peine de réclusion criminelle, n’ayant pas été condamnés à une peine de suivi socio judiciaire et n’ayant bénéficié ni d’une libération conditionnelle, ni d’une mesure de surveillance judiciaire et présentant une dangerosité criminologique persistante et particulièrement forte. L’idée sous jacente reste le constat, établi par Kensey, que les sorties sèches ( c’est-à-dire sans aménagement de peine) sont plus pourvoyeuses de récidive que les sorties aménagées (Kensey, 2005). La mesure serait prise par le tribunal d’application des peines, après une expertise sur la dangerosité de l’intéressé par la « commission pluridisciplinaire d’évaluation de la dangerosité ». La durée serait initialement illimitée mais nécessiterait un réexamen annuel obligatoire. La structure devrait être une structure fermée non pénitentiaire de type administratif avec une triple tutelle (administration des ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Santé). Cette mesure ne serait donc pas applicable aux personnes irresponsabilisées, qui restent hors du champ judiciaire même à l’issue de leur hospitalisation d’office.

Ces trois rapports illustrent la volonté des législateurs de modifier le dispositif présent depuis des décennies en apportant deux modifications majeures. D’une part, le souhait de faire comparaître en audience les auteurs d’infraction atteints de troubles mentaux, et d’autre part, la volonté de réinstaurer des mesures de sûreté basées sur un constat de dangerosité. La loi du 25 février 2008 matérialise ces aspirations.

3. Loi n°2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (JORF, 2008)

3.1 Contexte

Cette loi, présentée par le garde des Sceaux dès fin novembre 2007 en conseil des ministres, fait écho à deux évènements majeurs qui ont marqué les affaires judiciaires ces derniers mois : le non-lieu pour irresponsabilité pénale pour troubles mentaux ordonné dans l’affaire R Dupuy et la récidive de F Evrard déjà condamné à plusieurs reprises pour des infractions à caractère sexuel. Ainsi, deux objectifs principaux sont visés par cette loi. Il s’agit tout d’abord d’instaurer une mesure de rétention de sûreté pour « assurer la prise en charge de personnes condamnées pour des crimes commis contre les mineurs, et qui restent particulièrement dangereux à leur libération ». Ensuite, il est question de rendre « plus cohérent, plus efficace et plus transparent » le traitement par l’autorité judiciaire des auteurs d’infractions déclarés pénalement irresponsables en raison d’un trouble mental (Dati, 2007). Nous ne pouvons que regretter que soient traitées dans un même texte de loi la question des criminels les plus dangereux et celle des malades mentaux irresponsabilisés puisqu’elle tend, une fois de plus, à contribuer à l’amalgame fréquent entre malade mental et criminel dangereux.

3.2 Les dispositions relatives à la rétention de sûreté et à la surveillance de sûreté

3.2.1 : Le champ des infractions

Cette mesure de rétention de sûreté concerne les personnes condamnées à une peine d’au moins quinze ans de réclusion criminelle pour meurtre, assassinat, actes de torture ou de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration commis sur un mineur ou les mêmes infractions commises avec circonstances aggravantes sur les majeurs. Il s’agit ainsi de renforcer le dispositif actuel qui comprend l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, le suivi socio judiciaire et le placement sous surveillance judiciaire. Depuis le début des débats parlementaires, le champ des infractions pour lesquelles cette mesure est applicable n’a cessé de s’élargir (Herzog-Evans, 2008).

3.2.2 : Les conditions d’application

  • Personne condamnée pour une infraction appartenant au champ des infractions sus-citées.

  • Personne présentant à l’issue de sa peine, une « particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elle souffre d’un trouble grave de la personnalité ». Cette nouvelle notion de particulière dangerosité, présentée comme un critère infaillible conditionnant un enfermement potentiellement illimité, peut laisser perplexe eu égard à la fragilité scientifique consubstantielle des expertises en matière psychiatrique et psychologique (Mbanzoulou, 2008). D’autre part, de quelle dangerosité s’agit-il : psychiatrique ? criminologique ? pénitentiaire ?

  • La mesure ne pourra être envisagée que si la Cour en prévoit la possibilité au moment du jugement.

  • Le conseil constitutionnel, même s’il a estimé que la rétention de sûreté (ce qui n’est pas le cas de la surveillance de sûreté) n’était « ni une peine, ni une sanction », a considéré que « toutefois… eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction », elle ne pouvait rétroagir (Conseil constitutionnel, 2008). Elle ne pourra donc s’appliquer qu’à des personnes ayant commis des faits à partir du 26 février 2008 et remplissant ces conditions.

  • D’autre part, elle ne peut être prononcée que si le condamné a pu bénéficier, durant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge et de soins adaptés à son état et que ceux-ci n’ont pas permis d’amoindrir sa dangerosité. Pour définir les modalités de prise en charge propres à chaque condamné, la loi prévoit, dans l’article 717-1A, que dans l’année suivant la condamnation définitive, la personne doit être placée dans un service spécialisée au moins six semaines durant lesquelles une évaluation pluridisciplinaire permet de définir un parcours d’exécution de peine individualisé.

3.2.3 : La commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté

Cette commission est formée de professionnels d’horizons bien différents : le président est le président de la chambre à la cour d’appel, puis il y a deux experts psychiatres et psychologues, un avocat, le préfet de région, le directeur inter régional des services pénitentiaires et un représentant d’une association d’aide au victime. Cette commission reçoit le dossier complet du détenu : copie du réquisitoire définitif, de la décision de condamnation, des expertises psychiatriques, psychologiques et médicales disponibles, des rapports d’enquêtes sociales, des rapports d’incidents disciplinaires et elle dispose également d’un pouvoir général d’investigation (Mbanzoulou, 2008). La loi prévoit qu’un an avant la fin de la peine, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté demande que la personne soit placée dans un service spécialisé pendant au moins six semaines afin de procéder à cette évaluation de cette dangerosité. La commission peut alors rendre deux conclusions

  • Si elle estime que la rétention sûreté est le seul moyen de prévenir la récidive dont la probabilité est particulièrement élevée, elle propose au procureur Général de saisir une juridiction régionale composée de magistrats de la Cour d’appel (un président de chambre et deux conseillers) qui devra se prononcer sur la nécessité d’y recourir, au moins trois mois avant la date de libération prévue. La décision devra être motivée et faire suite à un débat contradictoire, possiblement public, au cours duquel le condamné est assisté d’un avocat. La décision sera valable un an mais elle pourra être prolongée selon les mêmes modalités tant que la dangerosité et le risque de récidive persistent. La personne retenue sera placée dans un centre socio médico judicaire de sûreté sous double tutelle ministérielle (justice et santé) dans lequel « lui sera proposé, de façon permanente, une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de la mesure ». La décision de cette juridiction régionale sera susceptible de recours devant la juridiction nationale de la rétention de sûreté. Au bout d’un an, si la rétention de sûreté n’est pas prolongée mais si la personne présente toujours des risques, la juridiction régionale peut, par la même décision et selon la même procédure, placer la personne sous surveillance de sûreté pendant un an renouvelable. Cette surveillance de sûreté comprend les mêmes obligations que la surveillance judiciaire (en particulier l’injonction de soins et le placement sous surveillance électronique mobile). Si la personne ne respecte pas les obligations de la surveillance de sûreté, le président de la juridiction régionale peut ordonner en urgence son placement provisoire en centre socio médico juiciaire de sûreté.

  • Si elle estime que les conditions de rétention de sûreté ne sont pas remplies (c'est-à-dire si la rétention de sûreté n’est pas l’unique moyen de prévenir la récidive) mais que le condamné parait néanmoins dangereux, elle renvoie le dossier au juge d’application des peines qui pourra décider d’un placement sous surveillance judiciaire. Ce placement, défini dans la loi de décembre 2005 (JORF, 2005), est limité dans la durée mais pourra, selon certaines conditions, être suivi d’un placement sous surveillance de sûreté.

La figure 2 illustre le dispositif de rétention de sûreté.

Figure 2

Dispositifs de rétention de sûreté et de surveillance de sûreté

Dispositifs de rétention de sûreté et de surveillance de sûreté

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3.3 : Dispositions relatives aux réductions de peine

Jusqu’à présent, la loi conditionnait l’octroi de réduction de peine supplémentaire ou d’une mesure de libération conditionnelle pour les personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel à un suivi psychiatrique. En effet, la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs stipulait que

sauf décision contraire du juge d’application des peines, aucune réduction supplémentaire de la peine ne peut être accordée à une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio judiciaire est encouru, qui refuse pendant son incarcération de suivre un traitement qui lui est proposé par le juge de l’application des peines.

JORF, 2007

Désormais, la loi du 25 février 2008 prévoit de plus le retrait des réductions de peine si la personne, condamnée pour meurtre ou assassinat, torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle commis sur un mineur, refuse durant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé par le juge d’application des peines sur avis médical.

3.4 Dispositions modifiant le code de santé publique

La loi oblige maintenant les soignants à déroger à la règle du secret médical puisque l’article 8 prévoit que

dès lors qu’il existe un risque sérieux pour la sécurité des personnes au sein des établissements mentionnés au premier alinéa du présent article [les établissements de rétention de sûreté], les personnels soignants intervenant au sein de ces établissements et ayant connaissance de ce risque sont tenus de le signaler dans les plus brefs délais au directeur de l’établissement en lui transmettant, dans le respect des dispositions relatives au secret médical, les informations utiles à la mise en oeuvre des mesures de protection. Les mêmes obligations sont applicables aux personnels soignants intervenant au sein des établissements pénitentiaires.

3.5 Dispositions relatives aux auteurs d’infraction pénalement irresponsables en raison d’un trouble mental

Il ne s’agit pas de contester le principe de valeur supra législative selon lequel les personnes atteintes d’un trouble mental aliénant sont irresponsables pénalement. Cependant la loi apporte des modifications procédurales quant au prononcé et aux conséquences de l’irresponsabilité pénale pour troubles mentaux.

Les dispositions concernent principalement les juridictions d’instruction qui, jusqu’alors, pouvaient prendre une décision d’ordonnance de non-lieu qui stoppait la procédure avant toute comparution devant un tribunal. La procédure est désormais la suivante. Dès que le juge d’instruction en charge de l’affaire estime, à la fin de son information judiciaire, qu’il est susceptible de faire application de l’alinéa 1 de l’article 122-1 du code pénal, il en informe les parties et le procureur de la République. Ces derniers peuvent alors demander la saisine de la chambre de l’instruction qui doit statuer à l’issue d’une audience publique et contradictoire. A cette audience, le président ordonne soit d’office, soit à la demande de la partie civile ou du ministère public, la comparution personnelle de la personne mise en examen si l’état de cette dernière le permet. Comme lors d’un procès classique, l’avocat de la partie civile est entendu en premier, puis le ministère public prend ses réquisitions et enfin la personne mise en examen et son avocat présentent leurs observations. Des témoins peuvent également être entendus.

La chambre de l’instruction peut alors prendre une des trois décisions :

  1. Si elle estime qu’il n’y a pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen d’avoir commis les faits, elle prononce un non-lieu.

  2. Si elle estime qu’il y a des charges suffisantes et qu’il ne peut pas être fait application de l’article 122-1 du code pénal, elle ordonne un renvoi devant la juridiction de jugement compétente.

  3. Si elle estime que les charges sont suffisantes et que le premier alinéa de l’article 122-1 est applicable, alors elle rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par lequel elle :

    • déclare qu’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits reprochés.

    • déclare la personne irresponsable pénalement en raison d’un trouble mental ayant aboli son discernement.

    • renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel compétent pour qu’il se prononce sur la responsabilité civile (les dommages et intérêts) si la partie civile le demande.

    • prononce s’il y a lieu une ou plusieurs mesures de sûreté. Ces mesures de sûreté pourraient être : interdiction d’entrer en relation avec la victime de l’infraction ou de certaines personnes désignées, interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné, interdiction de détenir ou de porter une arme, interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale spécialement désignée, annulation ou suspension du permis de conduire. Enfin, elle peut prononcer au titre de mesure de sûreté, par décision motivée, une hospitalisation d’office s’il est établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure que les troubles mentaux de l’intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou .portent atteinte de façon grave à l’ordre public. La levée de cette hospitalisation dépend du préfet, après décisions de deux experts psychiatres (selon l’article L.3213-8 cité dans le chapitre 1). Il s’agit alors dans ce cas d’une judiciarisation partielle de la mesure d’hospitalisation d’office qui jusqu’à présent, ne pouvait relever uniquement des autorités administratives représentées par le préfet.

La figure 3 résume ce parcours :

Figure 3

Déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

Déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

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4. Le Rapport Lamanda (Lamanda, 2008)

Le président de la République, suite à la décision de non rétroactivité de la mesure de rétention de sûreté affirmée par le Conseil Constitutionnel, a confié au premier président de la Cour de cassation, M. Lamanda, la rédaction d’un rapport afin de formuler « toutes propositions utiles d’adaptation de notre droit pour que les condamnés, exécutant actuellement leur peine et présentant les plus grands risques de récidive, puissent se voir appliquer un dispositif tendant à l’amoindrissement de ces risques. »

Ce rapport est organisé en deux parties. La première est consacrée au risque et développe notamment les limites de l’évaluation (« On saura sans doute évaluer les possibilités d’un risque de récidive, mais pourra-t-on jamais anticiper avec certitude un passage à l’acte ? ») et les limites de la prise en charge médicale (« Mais la médecine et les techniques psychothérapeutiques sont-elles habiles à prévenir efficacement la réitération d’un forfait ? »). La seconde partie étudie de manière très approfondie tous les dispositifs existants afin de lutter contre le risque de récidive (inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, suivi socio judiciaire, libération conditionnelle, surveillance judiciaire, placement sous surveillance électronique mobile, rétention et surveillance de sûreté). Elle met en évidence la rigidité et les lacunes de ces dispositifs et propose d’y remédier. Les principales recommandations de ce rapport (23 au total) consistent à :

  • Renforcer les moyens des juridictions et des services concernés : renforcer les effectifs des services de l’application des peines ou bien encore ajouter dans les missions de l’administration pénitentiaire et du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) une mission de prévention de la récidive.

  • Combler les lacunes relevées dans le dispositif législatif : l’arsenal législatif prévu pour contrôler les criminels dangereux se développe depuis quelques années par strates successives, qui se combinent entre elles mais qui donnent lieu à un dispositif complexe, rigide et en partie lacunaire. Par exemple, certaines personnes, malgré la violation de certaines obligations d’une mesure de sûreté comme la surveillance judiciaire, ne pourraient être soumises à la surveillance de sûreté.

  • Donner une impulsion nouvelle à la recherche criminologique : La criminologie n’est pas une science suffisamment reconnue en France comme elle peut l’être par ailleurs, au Canada par exemple. Il importerait de favoriser son enseignement et de prévoir l’acquisition de la qualification de criminologue clinicien qui n’est pas une profession reconnue en France ;

  • Généraliser la prise en charge médico-socio-éducative et psychologique dès le début de l’exécution de la peine.

5 Les rapports psychiatrie justice dans le contexte de loi du 25 février 2008

5.1 Soins psychiatriques et dangerosité

L’injonction de soin du suivi socio judiciaire crée par la loi de 1998 est une des premières mesures alliant sanction et soin utilisée par la justice, de façon légitime, mais parfois illusoire, afin de limiter les risques de récidive. La loi de rétention de sûreté prévoit une prise en charge médicale, socio éducative et psychologique dans les centres médico-socio-judicaires.pour les personnes les plus dangereuses Ainsi, nous entrons dans cette nouvelle ère de « religion obsessionnelle du soin » (Herzog-Evans, 2008). Tous les pays qui développent un droit pénal sécuritaire utilisent cette « illusion d’un traitement du crime » comme pour se déculpabiliser des sanctions de plus en plus lourdes (Senon, 2008) Il semble important de rappeler le rôle du psychiatre qui prend en charge des délinquants. Ce travail, qui n’est pas le traitement de la délinquance, « consiste à accomplir avec son patient le long et difficile travail d’élaboration psychique, à lui permettre de repérer son fonctionnement mental, son mode relationnel et ses conséquences (et le cas échéant d’y remédier). C’est ce travail qui contribuera, peut être et de surcroît, à la prévention de la récidive » (Paulet, 2006). Cette position est réaffirmée par la commission d’audition sur la prise en charge de la psychopathie qui rappelle que « le traitement, qui repose sur un long travail d’élaboration psychique, ne peut avoir la prévention de la récidive pour premier objectif, même s’il peut y contribuer » (HAS, 2006). Il semble indispensable de pondérer la confiance parfois excessive que peut porter la société au psychiatre. Cette loi ne rendra pas accessible aux soins certains profils résistants, elle ne fournira pas les outils thérapeutiques qui n’existent pas pour certains d’entre eux, et qui plus est, elle ne créera pas les nombreux psychiatres nécessaires. A ce jour, aucune étude validée ne permet de déterminer avec certitude que la seule action sur le psychisme puisse avoir une incidence sur le risque de violence (HAS, 2007). La psychiatrie doit en ce sens revendiquer les limites de ses moyens d’action mais aussi les limites de son savoir (Albernhe, 1997) Elle doit également revendiquer les principes fondamentaux de son action en particulier dans ce type particulier d’intervention (Dubret, 2006) :

  • Il ne peut pas y avoir de soins sans indication médicale. Cela suppose d’avoir identifié un trouble et de savoir que les soins peuvent avoir un impact sur ce trouble.

  • Il ne peut pas y avoir de soins pénalement ordonnés sans consentement. Même s’il n’est pas libre et éclairé, étant donné son caractère alternatif à une peine supplémentaire, tout l’enjeu de la prise en charge sera de faire en sorte que la personne s’approprie ses soins.

  • Il ne peut pas y avoir de soins sans secret médical. Cet espace de confidentialité est indispensable et le patient doit en être convaincu. Il existe notamment pour que les thérapies puissent fonctionner (Herzog-Evans, 2008). La loi de février 2008, en obligeant les médecins à informer le directeur de l’établissement pénitentiaire en cas de risque pour la sécurité, pourrait mettre à mal ce principe.

5.2 Irresponsabilité pénale et dangerosité

Si cette loi a le mérite de poser la question non résolue du risque de la récidive liée à la dangerosité intrinsèque d’un individu, elle tend à réaliser l’amalgame entre les concepts de dangerosité (qu’elle pousse du côté de la maladie mentale) et d’irresponsabilité pénale dans le cadre d’un trouble mental (qu’elle tend à associer à la dangerosité). La pathologie mentale n’est que rarement pourvoyeuse de dangerosité. Par exemple, les malades mentaux représentent, selon les pays, entre 1 auteur d’homicide sur 20 et 1 sur 50 (Senon, 2008). Mais dans ces derniers cas, cette dangerosité est malheureusement spectaculaire et incompréhensible ce qui la rend médiatique. Cette dangerosité là secondaire à la pathologie mentale est certainement plus accessible aux soins qu’aux mesures de répressions et d’enfermement. Mais souvent l’enfermement est nécessaire. La dangerosité existe le plus souvent en dehors de la pathologie mentale. Cependant il faut reconnaître que dans un certain nombre de cas, même s’il ne s’agit pas de pathologie au sens classique du terme, les processus psychiques conduisant au passage à l’acte témoignent pour le moins d’un trouble de la personnalité et font considérer, aux yeux du corps social, le délinquant comme un malade mental. La croyance populaire confond crime fou et crime d’un fou, et cette loi, en prenant dans un même texte des dispositions concernant les personnes dangereuses et les personnes irresponsabilisées en raison d’un trouble mental, renforce cet amalgame.

6 Conclusions

Nous avons décrit le nouveau cadre de loi dans lequel doit désormais se situer le soin psychiatrique dans la prise en charge des malades mentaux délinquants et des détenus particulièrement dangereux. La prise en charge de ces patients devrait faire l’objet d’une réflexion collective et décloisonnée, associant des professionnels de la santé et du droit. Il aurait été intéressant que des médecins, étant donné leur implication dans ces dispositifs, puissent participer davantage à l’élaboration de ce nouveau texte.