Dossier « Kanesatake/Oka : vingt ans après »

La crise d’Oka de 1990Retour sur les événements du 11 juillet[Notice]

  • Pierre Trudel

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  • Pierre Trudel
    Cégep du Vieux Montréal et Université du Québec à Montréal,
    Montréal

Ce texte est disponible sur Internet dans le supplément « Anniversaires historiques » de L’état du Québec 2010 (Institut du Nouveau Monde, Boréal, Montréal, p. 51-58, 2010). Nous le publions ici avec des ajouts et de légères corrections.

La crise d’Oka nous a fait brutalement prendre conscience de l’existence dans la région de Montréal de l’une des plus anciennes revendications territoriales de l’histoire du Canada. Cette crise s’est produite en 1990, à l’époque où se déroulaient des négociations constitutionnelles qui suscitaient un large débat sur la situation des « peuples fondateurs » du pays, discussions qui tenaient compte, cette fois-ci, des peuples autochtones. La littérature sur la crise d’Oka nous renvoie souvent dans le lointain passé de la revendication des terres de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes ou traite de multiples facettes de la situation globale des autochtones ; elle reflète également les divers intérêts et interprétations des nombreux acteurs politiques de cette crise. Le devoir de mémoire ne devrait cependant pas faire abstraction d’une incontournable question : qu’est-ce qui nous a précipités dans cette crise nationale, que s’est-il passé le matin du 11 juillet 1990 ? Un policier est mort lors de l’intervention de la Sûreté du Québec le 11 juillet 1990 et les Forces armées sont intervenues par la suite en remplacement de la Sûreté du Québec. Le pont Mercier, sur lequel circulent soixante-dix mille voitures par jour, est resté fermé pendant cinquante-sept jours et la crise a duré soixante-dix-huit jours. Une quarantaine de participants autochtones au conflit à Oka ont été accusés d’entrave au travail d’agents de la paix, de participation à une émeute et de port d’armes dans le but d’en faire un usage dangereux pour la paix publique. Le 3 juillet 1992, un jury a rendu un verdict de non-culpabilité. Pour avoir suivi de très près la crise d’Oka, je reste toujours un peu étonné de constater qu’au fil du temps se fabrique une certaine mémoire collective ; mémoire qui sélectionne et qui oublie. Je répondrai donc à deux questions afin de dissiper deux des malentendus qui se sont installés dans les récits de la crise, récits que l’on retrouve maintenant dans les médias, les films et les documentaires, ou encore dans la littérature plus spécialisée. Premièrement, l’enjeu principal consistait-il vraiment en un projet d’expansion d’un terrain de golf sur des terres « sacrées » pour les Mohawks et sur lesquelles se trouvait un cimetière ? Deuxièmement, est-il exact que des Guerriers de Kahnawake ont bloqué le pont Mercier dans le but de venir en aide aux Mohawks d’Oka/Kanesatake lorsque ces derniers ont été attaqués par la Sûreté du Québec à Oka ? Finalement, je reviendrai plus loin sur les circonstances de la mort du caporal Lemay. Les terres visées par le projet de développement dans la municipalité d’Oka appartenaient à l’époque en partie à la municipalité et en partie à un propriétaire privé. Le projet consistait en l’agrandissement d’un terrain de golf, mais aussi en la construction de soixante habitations. L’agrandissement du terrain de golf couvrait la plus grande superficie des terres convoitées. Cependant, à mon avis, le projet domiciliaire constituait le véritable enjeu de cette crise. Subdiviser un terrain privé et y construire soixante habitations luxueuses situées à quarante-cinq minutes du centre-ville de Montréal, résidences qui auraient été situées près d’un golf et d’une marina, avec vue sur le lac des Deux Montagnes, aurait assurément rapporté des sommes faramineuses aux promoteurs. Le petit cimetière mohawk ne constituait pas le véritable enjeu. Loin de projeter de le détruire ou de le déplacer, la Municipalité avait entamé des discussions avec le Conseil de bande, bien avant la crise, afin de l’agrandir ; ces discussions n’avaient cependant pas abouti. On ne s’entendait pas sur le lieu de l’agrandissement du cimetière. La majeure partie des terres visées par le projet de développement était constituée d’une forêt …

Parties annexes