Comptes rendus

John Sutton Lutz. Makúk. A New History of Aboriginal-White Relations, UBC Press, Vancouver, 2008, 431 p.[Notice]

  • Brian Gettler et
  • Maxime Gohier

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  • Brian Gettler
    département d’histoire,
    Université du Québec à Montréal

  • Maxime Gohier
    département d’histoire,
    Université du Québec à Montréal

Contrairement à ce que son titre laisse entendre, Makúk. A New History of Aboriginal-White Relations n’est ni un ouvrage d’histoire globale sur les relations entre autochtones et non-autochtones, ni une synthèse sur l’histoire des relations entre Amérindiens et Eurocanadiens. Son objet est au contraire beaucoup plus restreint : il s’intéresse à l’intégration du travail salarié dans l’économie des communautés autochtones de la Colombie-Britannique. Cependant, le travail salarié est ici analysé sous l’angle de l’échange interculturel (makúk signifiant « échange » en pidgin chinook), c’est-à-dire dans la mesure où il génère un espace de dialogue entre deux groupes culturels distincts. À travers l’analyse de thèmes tels que la race, la famille et l’économie, l’étude de cet objet très précis s’inscrit donc dans une réflexion beaucoup plus globale sur « the displacement of Aboriginal Peoples from control of resources, the resettlement of land by people of European descent, and the partial incorporation of Aboriginal Peoples into the new Euro-Canadian economy and the modern welfare state » (p. 4). L’objectif principal de l’ouvrage consiste à remettre en cause l’idée reçue selon laquelle le peuplement de la Colombie-Britannique au xixe siècle aurait entraîné une marginalisation rapide des Amérindiens et leur exclusion de l’économie capitaliste de cette province (thèse soutenue notamment par Robin Fisher, dans Contact and Conflict, UBC Press, Vancouver, 1992). Lutz, en effet, suggère plutôt que jusqu’au milieu du xxe siècle, l’économie britanno-colombienne a été largement dépendante des travailleurs autochtones (p. 7). Cette thèse novatrice tire son originalité du pont qu’elle jette entre l’historiographie amérindienne, qui a jusqu’ici totalement négligé le travail salarié comme catégorie d’analyse (en raison notamment de son caractère soi-disant « non-authentique »), et la littérature récente sur l’histoire du travail, qui a de son côté occulté la présence des autochtones dans le marché de l’emploi, en raison de leur invisibilité dans les statistiques historiques sur le travail. Cette absence des Amérindiens dans les sources traditionnellement employées en histoire du travail (recensements, listes de paye…) s’explique, selon Lutz, non pas par leur repli sur des activités traditionnelles de chasse et de pêche, mais plutôt par la grande flexibilité qui caractérisait leur économie. Le travail salarié aurait en effet été intégré dans l’activité économique autochtone en parallèle au maintien des activités traditionnelles, créant des cycles annuels où la chasse et la pêche coexistaient en alternance avec l’emploi saisonnier dans l’industrie du bois, du cannage de poissons ou de l’agriculture commerciale. Ainsi, malgré leur importance numérique sur le marché du travail, les Amérindiens ne correspondaient pas à l’idée générale que le capitalisme industriel préconisait à cette époque, du « travailleur discipliné », attaché à un emploi fixe dont le salaire était le seul moyen de survie. Les autochtones ne sont pas les seuls, bien sûr, à échapper à cette logique idéalisée mise de l’avant par les sources historiques. Des études récentes sur le travail ont souligné la coexistence d’une économie de subsistance et d’une économie capitaliste chez les colons des campagnes canadiennes. Or, l’historiographie autochtone n’avait pas, jusqu’à ce jour, réussi à combler cette lacune épistémologique et à dépasser la dichotomie trop simpliste entre économie de marché et économie de subsistance. Lutz voit dans cette particularité historiographique l’héritage de la tradition coloniale. Dans son troisième chapitre judicieusement intitulé « Making the Lazy Indian », il souligne en effet que la colonisation européenne en Amérique du Nord s’est accompagnée du développement d’une conception stéréotypée des Amérindiens « paresseux » et « indolents ». Cette représentation, enracinée notamment dans la théorie lockéenne de la valeur (selon laquelle la valeur d’un objet est proportionnelle à la quantité de travail investi), …