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En 1604, lorsque Samuel de Champlain et le Sieur de Monts arrivèrent à l’île Sainte-Croix, ils furent accueillis par des locuteurs du malécite-passamaquoddy, qui était la langue autochtone parlée dans les bassins versants de la rivière Sainte-Croix et de la rivière Saint-Jean. Sainte-Croix fut plus tard (en 1842) reconnue comme une section de la frontière permanente entre le Canada et les États-Unis. Cette frontière entre le Maine et le Nouveau-Brunswick, formée en partie par la rivière Sainte-Croix, scinde en deux le territoire passamaquoddy et le territoire malécite.

Au cours du xviie siècle, les Français établirent des seigneuries sur les rives de la Saint-Jean, en aval, entre Fort La Tour (aujourd’hui, Saint John, Nouveau-Brunswick) et Pointe Sainte-Anne (aujourd’hui, Fredericton, Nouveau-Brunswick). La rivière était une voie commerciale importante pour les Français, de même que pour les Malécites. Vers la fin du xviiie siècle, après la déportation, les Acadiens de retour dans la région élurent domicile dans la haute vallée, près d’Edmundston. Les Québécois francophones s’installèrent le long de la rivière ainsi que dans la région de Madawaska.

Le malécite-passamaquoddy (ou passamaquoddy-malécite[1]) est une langue algonquienne qui possède deux variantes. On parle le malécite le long de la rivière Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, et le passamaquoddy à l’extrême est du Maine, dans le bassin versant de la rivière Sainte-Croix ainsi que sur le littoral situé à proximité. Il existe aussi une communauté malécite à Houlton, dans le Maine, et une communauté passamaquoddy à Saint Andrews, au Nouveau-Brunswick. Les langues les plus proches sont le micmac, à l’est, ainsi que le penobscot et l’abénaquis, à l’ouest. Parmi les dictionnaires malécites, on retrouve celui de Szabo (1981), qui présente des termes pour la plupart collectés à l’occasion d’enregistrements portant sur la tradition orale malécite, celui de LeSourd (1984), qui s’appuie surtout sur des informateurs passamaquoddys, ainsi que celui de Francis et Leavitt (2008), APassamaquoddy-Maliseet Dictionary, qui contient plus de 18 000 entrées et constitue à ce jour la collecte de termes la plus complète.

Étant donné que les Malécites et les Passamaquoddys eurent des contacts prolongés avec les colons et les missionnaires français, il n’est pas surprenant que l’on retrouve dans la langue malécite de nom­breux termes empruntés au français[2]. Réciproquement, les Français ont emprunté des termes au malécite ainsi qu’aux langues algonquiennes voisines, y compris des termes comme « toboggan » ou « tabagane » (du malécite ’tapakon), « mocassin » (makson), « wigwam » (wikuwam), « madouesse » (matuwehs « porc-épic »), et poulamon ou pounamon (punam « petite morue ») [voir les entrées correspondantes dans Poirier 1993]. Le terme « caribou » est dérivé du terme micmac qalipu, le terme apparenté en malécite étant mokalip.

Le Passamaquoddy-Maliseet Dic­tionary récemment publié (Francis et Leavitt 2008) comporte plus d’une centaine d’emprunts au français. Tous ces termes furent intégrés au passamaquoddy-malécite au cours de l’époque coloniale, à l’occasion de conversations et de transactions avec les colons acadiens ainsi qu’au cours des enseignements religieux des prêtres missionnaires. Les Malécites firent l’acquisition de noms utilisés par les colons pour évoquer les articles ménagers récemment apportés par ceux-ci, ainsi que du vocabulaire associé aux jeux de cartes, de même que de quelques expressions d’usage fréquent telles que atiyu[3], qui vient d’« adieu ». Leurs voisins de l’Est, les Micmacs, firent des emprunts du même ordre au français, comme pusu’l puna’ne – « bonjour », « bonne année », expression tra­di­tionnelle micmaque pour célébrer la nouvelle année.

En ce qui concerne l’influence des prêtres, le malécite fit l’acquisition de la terminologie associée à la messe, aux offices ainsi qu’aux pratiques religieuses. À noter également que plusieurs patronymes malécites qui existent encore sont dérivés de noms de saints en français, noms qui furent attribués par les prêtres aux paroissiens malécites à l’occasion de leur baptême.

Chose intéressante, les termes qui signifient « français » en malécite ont en réalité été empruntés à l’anglais, comme on peut le voir dans le tableau 1. À l’opposé, le mot micmac aqalasie’w, qui signifie « anglais », provient du terme français « anglais », alors que le mot « français » wenuj est d’origine algonquienne. Il s’agit d’un terme apparenté au malécite wenuhc, « un Blanc ». Alors que les Micmacs différenciaient les Anglais à l’aide d’un terme français, les Malécites appelaient à la fois les Français et les Anglais (ikolisoman, de « Englishman ») à l’aide de leur dénomination anglaise. Ils utilisaient aussi des termes anglais en guise de référents ethniques ou raciaux, par exemple le mot elisomen, « irlandais », et polahkomen, « d’origine africaine », issu de l’anglais black man.

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Adapter le français aux sons et à la structure du malécite

Lorsque des termes sont adoptés par une langue, les sons se modifient pour correspondre non seulement aux consonnes et aux voyelles de la langue qui les adopte, mais aussi aux patterns d’accentuation. Par exemple, le malécite ne possède pas certains sons du français, notamment ceux qui sont représentés par les lettres f, j, r, et v, donc il leur substitue les sons de son propre répertoire qui leur sont les plus apparentés. LeSourd (1993, 2007) et Sherwood (1986) offrent des descriptions détaillées de la phonologie malécite. Le tableau 2 en résume les caractéristiques principales et présente les voyelles du malécite à l’aide de l’orthographe standardisée. La lettre o représente le son schwa dont le symbole linguistique est ə. La mention « localisation dans la bouche » fait référence à la position de la langue lorsque le son est émis.

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Les consonnes du malécite sont présentées dans le tableau 3. Les lettres h, l, m, n, w, et y représentent des sons assez similaires à ceux du français ; on prononce le h avant une voyelle, et il reste cependant muet ou à peine audible avant une consonne dont il influence la réalisation phonétique. Le son l est vélarisé dans toutes les positions, et w est moins labialisé qu’en anglais (LeSourd 1993). Deux lettres de l’orthographe standardisée, c et q, semblent constituer des combinaisons de sons qui peuvent aussi être considérées comme des phonèmes en tant que telles, à l’instar des consonnes obstruentes k, p, s, et t, puisqu’elles présentent une variation parfaitement identique (LeSourd 1993 : 36-37). La consonne c est une affriquée alvéopalatale (c,?), telle qu’elle est prononcée dans le terme italien cello. La consonne q représente le son kw, qui est en fait k prononcé avec labialisation. Dans le tableau 3, « Point d’articulation » indique l’emplacement où se produit l’obstruction ou le rétrécissement du chenal dans l’appareil phonatoire au moment où le son est émis.

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L’apostrophe (’) marque l’existence d’une consonne initiale que l’on ne prononce plus. On ne l’écrit qu’en début de mot, et seulement avant un c, k, p, q, s, ou avant un t, lorsqu’il est placé avant une voyelle. L’apostrophe indique que la consonne qui la suit est préaspirée et dévoisée, et ce, à cause de l’effet persistant de la consonne élidée.

En ajustant les sons des mots français d’origine et en les conformant à sa propre phonologie, le malécite suit un schéma régulier. Le son du r français est remplacé par le l malécite. Le j et le ch français deviennent s en malécite, dont le son varie entre s et z. Le f et le v français sont devenus p en malécite, variant entre p et b. Ainsi, Marie devient Máli ; François,Polánsuwe ; Robert, Lúpal ; marchand, málsan ; la crème, láhkolem. Dans ces mots en particulier, les sons ont changé et l’accent tonique (indiqué par l’accent aigu dans ces exemples seulement) a reculé d’une syllabe vers le début du mot, marquant la prééminence du pattern d’accentuation habituel des mots originellement issus du malécite. Cette langue possède une accentuation particulière[4].

En plus de changements opérés dans les sons et ­l’accentuation, certains noms du français ont été incorporés à des verbes malécites. Le malécite, à l’instar d’autres langues algonquiennes, a pour caractéristique d’incorporer des noms et des syntagmes nominaux à des verbes, de sorte que, par exemple, un locuteur utilisera un seul mot (un verbe) pour dire « lave-toi les mains », « fabrique un panier » ou « glisse sur la glace », sans prononcer les mots « mains » ou « panier » ou « glace » à l’aide d’un nom distinct. En fait, de nombreuses notions conceptualisées en français par des noms (un pas, une tempête, une année, un champ) sont exprimées en malécite seulement à l’aide de verbes. Il semblerait que les locuteurs ne conceptualisent pas de tels phénomènes sur le plan linguistique comme s’il s’agissait de « choses » mais plutôt comme « se produisant » ou « se prolongeant » dans le temps ou dans l’espace.

C’est ainsi que, par exemple, l’emprunt lexical messe, qui désigne une activité qui se déroule dans le temps, devient le verbe olomeske ‘il célèbre la messe’, avec l’ajout du dérivatif verbal -hke. De la même manière, le nom « communion » a été incorporé au verbe malécite ­kumuniyewiw ‘il/elle reçoit la communion’. En fait, à seulement une exception près, le malécite n’emprunte que des noms au français. Cela est peut-être dû au fait que les verbes du malécite ont une telle capacité d’adaptation à des significations nouvelles qu’il ne s’est pas avéré nécessaire de recourir aux verbes français. Le malécite a tout de même emprunté à l’anglais quelques verbes ayant trait à des notions nouvelles, par exemple les mots divorce, act (au théâtre), bid et renege (aux cartes), charge (pour une pile), start (pour une voiture) ou encore certaines expressions idiomatiques de l’anglais telles que care comme dans I don’t care for that colour (le malécite a recours a ses propres verbes pour d’autres significations du mot care).

De la même manière, le seul emprunt direct d’un verbe français attesté dans le dictionnaire fait partie des verbes du malécite formés à partir de « confesser », dans le sens religieux du terme (« confesser » dans d’autres contextes est exprimé à l’aide de verbes malécites dans le sens de « dire de soi » ou « révéler quelque chose »). En adoptant le mot « confesser », les locuteurs ont simplement eu besoin d’ajouter la terminaison verbale appropriée en malécite afin d’achever la formation du verbe : kuhpehsewiw ‘il/elle va se confesser’ ; kuhpehsewikotahsu ‘il/elle joue le rôle de confesseur’ ; ’kuhpehsewatomon ‘il/elle confesse quelque chose (un péché, etc.)’.

Comme le montrent bien les exemples précédents, les emprunts au français se rapportent à trois catégories : la vie quotidienne, l’Église et les noms de personnes. Les deux derniers sont intimement liés.

La vie quotidienne

Un grand nombre d’aliments nouveaux, d’unités de mesure et de pratiques, que les Malécites ont appris avec l’arrivée des Européens, n’avaient pas d’équivalents dans leur propre expérience. Ils ont alors adopté les nouveaux termes français (tab. 4). Lorsqu’ils pouvaient trouver un équivalent en malécite, ils avaient l’option de l’utiliser ou de le reformuler, afin de signifier qu’il s’agissait de quelque chose de nouveau. Par exemple, pour la couleur « coeur » aux cartes, les locuteurs utilisaient simplement le mot malécite psuhun, qui faisait référence au « coeur » d’une personne ou d’un animal. Dans ce cas précis, une autre adaptation était nécessaire : le genre grammatical de psuhun est « inanimé » (comme le sont beaucoup d’autres parties du corps) mais, en tant que couleur de carte, le mot est « animé », à l’instar de tous les autres termes associés aux cartes dans le tableau 4. Comme en français, le genre grammatical des noms ne correspond pas nécessairement au genre « réel » de leurs référents (pour une discussion plus complète au sujet du genre en malécite, se reporter à Francis et Leavitt 2008 : 13-14).

Parmi les emprunts intéressants, il y a aussi le mot malécite emereqe, qui est attesté chez les locuteurs de la nation tobique du Nouveau-Brunswick. Il provient à l’origine de l’acadien « maringouin ». Ce mot est peu commun car il conserve le son r d’origine, qui n’existe pas en malécite, et parce qu’il désigne un insecte pour lequel il existait déjà un nom en malécite : le mot cossu, dérivé d’un radical qui signifie « percer ». Emereqe a apparemment été adapté localement et exclusivement à Tobique, peut-être au cours d’un contact prolongé avec des bûcherons, des pêcheurs ou des trappeurs acadiens. Le malécite a emprunté un autre mot à l’acadien français : « la picote [noire] » qui fait référence à « la variole » (lahpihkut), maladie inconnue jusqu’à la période du contact.

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Les locuteurs du malécite ont emprunté au français le mot « marteau », bien qu’ils aient fait usage de marteaux depuis des milliers d’années. Apparemment, les marteaux faits d’acier étaient à ce point nouveaux qu’ils justi­fiaient l’usage d’un autre nom, maltu, « masse », et de sa forme diminutive maltuhsis, pour désigner un marteau de menuisier.

Un lien avec le français peut probablement expliquer l’origine du mot malécite pour parler du « riz », ’aptelomultineweyal, qui signifie littéralement ‘plusieurs choses qui font rire’. Il s’agit vraisemblablement d’une traduction (et non d’un emprunt) du français « riz », provenant de sa sonorité proche avec une forme du verbe « rire » : « je/tu ris », « il/elle rit ».

Les locuteurs du malécite eurent aussi recours à la traduction à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle qui a enrichi leurs propres discussions au sujet du jeu et, qui plus est, ne pouvait être comprise par les équipes adverses. Parmi les 120 termes propres au baseball répertoriés dans Francis et Leavitt (2008 : 9-10 et passim), seulement cinq sont des emprunts à l’anglais. Les autres sont des utilisations issues de la créativité du vocabulaire malécite : « amortir (la balle) » est rendu par « arrêter la balle en la frappant » ; un « arrêt-court » par « celui qui attrape avec rapidité » ; et « frapper un coup de circuit » par « faire le tour ».

Église et religion

Les emprunts linguistiques au français les plus fréquents sont des termes en lien avec la religion catholique, et tout particulièrement l’Église catholique romaine, qui furent largement adoptés par les Malécites au début de l’époque coloniale. On retrouve également la plupart de ces termes religieux dans la langue penobscotte ­voisine, parlée plus à l’ouest. Il en est de même pour plusieurs autres emprunts au français mentionnés dans cet article. Le tableau 5 contient des mots utilisés à l’occasion de la messe. On ne saurait déterminer par quel processus le mot « patriarche » est devenu l’équivalent du mot « prêtre ». Tout comme kumuniyewiw et olomeske, littaniye est un verbe dérivé d’un nom français.

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À titre de comparaison, le tableau 5 inclut également d’autres exemples de termes malécites portant sur la ­terminologie de l’Église, exemples qui témoignent de l’usage ingénieux du vocabulaire malécite préexistant par les locuteurs malécites. Plusieurs de ces mots sont dérivés du verbe imiye ‘il/elle prie’ appliqué à de nouveaux concepts tels que « eau bénite » et « Noël ».

Sainte Anne, Sitan en langue malécite, est une figure importante pour les Malécites, les Passamaquoddys et les Micmacs. Les Malécites attribuèrent promptement son nom à deux colonies françaises. Il s’agit d’une part de Sainte-Anne-de-Beaupré, au Québec, dont ils sont toujours nombreux à visiter la basilique chaque été, le 26 juillet ; ils la connaissent sous le nom de Sitank, une forme locative qui signifie ‘chez sainte Anne’. D’autre part, il y a aussi Sitansisk, ‘chez la petite sainte Anne’, à Fredericton au Nouveau-Brunswick, une colonie connue durant la période coloniale sous le nom de Pointe Sainte-Anne.

Là où les premiers prêtres français eurent l’influence la plus durable, ce fut dans l’attribution de prénoms chrétiens à l’usage des Malécites. Les prêtres utilisèrent des noms de saints en français pour remplacer les noms que les gens avaient utilisés auparavant, et ils firent cela d’une manière à ce point systématique que toute trace de ces anciens noms a aujourd’hui été presque entièrement perdue. Le tableau 6 montre la manière dont les locuteurs malécites ont adapté les noms français. Plus tard, lorsqu’ils commencèrent à utiliser des noms anglais, les équivalents malécites perdurèrent sous cette même forme, à quelques exceptions près. Le nom anglais Robert, par exemple, est toujours communément rendu par Lupal et par Lapot, ce dermier terme étant emprunté de l’anglais ; encore aujourd’hui, David est rendu par Tapot en malécite mais par Tepit en passamaquoddy. Par ailleurs, la prononciation française des noms reste la même : Ahtuwen pour Anthony, Piyel pour Peter, Kolel pour Clara, Teles pour Theresa, et ainsi de suite. Bien que les noms aient été imposés au départ par les prêtres, les gens se les sont appropriés en les transformant en mots malécites uniques.

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Au début du xixe siècle, plusieurs noms de baptême masculins malécites et passamaquoddys étaient couramment utilisés comme patronymes. Avant cela, les enfants utilisaient souvent le nom de leur père comme nom de famille officieux, et c’est par ce biais-là que le patronyme s’est transformé au fil des générations[5]. Par exemple, le fils de Sapatis pouvait être connu sous le nom de Piyel Sapatis, et sa fille, quant à elle, sous le nom de Makolit Piyel. Encore aujourd’hui, une femme du nom de Mary pourrait porter le surnom Mali Susehp, qui rappelle son propre prénom et celui de son père ou de son mari.

Avec l’usage croissant de documents sous la forme de registres paroissiaux et de recensements gouvernementaux, l’usage ancien qui consistait à utiliser le prénom du père fut remplacé par le système moderne de patronymes permanents. Bien que leur orthographe ait été anglicisée, les patronymes conservent leur étymologie française d’origine. Dans le tableau 7, on retrouve Polans qui est une forme abrégée de Polansuwe.

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Dans les registres paroissiaux, on peut constater l’usage de ces patronymes malécites qui étaient à l’origine des noms de baptême (Mi’kmaq-Maliseet Institute 1998 : 212, 270, traduit ici de l’anglais : dans les documents originaux, on retrouve les termes français « sauvagesse » et « sauvages » qui seraient de nos jours considérés comme injurieux).

Noel, Marie Annebaptized: 1831.8.13 age/­birthdate: 3 weeks parents: François Noel and Elizabeth Jean Baptiste priest: F Sirois register: St. Basile, Madawaska witnesses: Paul Theriot and Marie Anne Louis [notes: ‘sauvagesse’]

Xavier, Louisbaptized: 1833.9.15 age/­birthdate: 1 mo parents: Pierre Xavier and Elisabeth Paul priest: R Mercier register: St. Basile, Madawaska witnesses: Louis Xavier and Josephte [sic] Jean Jacques [notes: ‘sauvages’ from Tobick]

L’usage courant des emprunts

L’extrait suivant (voir encadré), tiré de la tradition orale, illustre à la fois l’usage de mots français et malécites (pahtoliyas, imiyewikuwam, imiyewp, nutonahket) et la place de choix accordée à l’Église par les communautés et cultures malécites et passamaquoddys. Ce récit présente aussi deux emprunts à l’anglais d’usage courant : sonte, ‘it is Sunday’ et upokkut, ‘overcoat’ ; ce vêtement est toutefois mentionné en premier lieu à l’aide du mot malécite ­opsqons. De même que plusieurs récits issus de la tradition orale, celui-ci vise à instruire les gens, entre autres, au sujet de l’usage adéquat du pouvoir. Toutefois, au lieu d’évoquer les conflits de Koluskap avec des ennemis malins, il narre la rencontre d’un prêtre avec le Diable qui porte souvent un long manteau dans les récits, afin de dissimuler son sabot. La teneur du récit s’est adaptée avec le temps pour rester d’actualité, mais le message demeure inchangé.

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Ce récit, qui mêle les sensibilités de l’Église catholique romaine et celles des Malécites-Passamaquoddys, témoigne de l’ingéniosité des locuteurs pour mettre à profit les emprunts et les intégrer à leur langue, à son vocabulaire, à sa façon d’exprimer des idées et à son sens de l’humour. Les personnages ainsi que les éléments du récit (le prêtre et l’enfant de choeur, le pardessus, le chapelet, et l’église en tant que telle) sont tous des emprunts ou des inventions (voir tab. 5), alors que le reste est exclusivement malécite.

Avec la venue des colons et missionnaires fran­çais, le verbe malécite wikhike, qui signifiait à l’origine « il/elle dessine » a acquis une signification additionnelle « il/elle écrit » (qui a été plus tard élargie pour inclure « il/elle prend des photos »). Dans le récit rapporté ici, le Diable et le prêtre tentent tous deux d’exercer ce nouveau pouvoir : le premier écrit tandis que le second lit ­wikhikonossis, ‘un petit livre’ (nom dérivé du même verbe).

Le conteur décrit les mouvements dans l’espace à l’aide de verbes malécites particulièrement concis. En utilisant le verbe utkuwal ‘il/elle s’approche de lui/d’elle’, le prêtre dit ’pahkamok kutkuwan ‘approche-toi de lui par en arrière’, ce que fait à la lettre l’enfant de choeur : ahasit utkuwan ‘il s’approche de lui par en arrière’. Le verbe sakhessik ‘il entre soudain dans le champ de vision’ aide l’auditeur à imaginer le feu s’élevant du trou dans le plancher de l’église. Le trou lui-même (-alok-) est conceptualisé comme faisant partie d’un événement complexe, il est ainsi intégré au verbe qui décrit l’événement, tuwalokessu.

L’humour malécite, pour le moins satirique, est perceptible dans yalapehpusultuwok, qui signifie littéralement ‘ils regardent autour d’eux, en décochant des mouvements rapides’, un terme qui fait écho au mouvement du Diable lorsqu’il regarde autour de lui, ’tiyalapin, et prend des notes.

Le recours aux emprunts et au cadre de la messe dominicale témoigne en soi du talent du conteur à adapter la tradition orale et à y incorporer la terminologie et les valeurs nouvelles de l’Église. Le fait que le prêtre ait recours au chapelet et à l’eau bénite, symboles du pouvoir spirituel pour réduire le Diable au silence, n’est pas sans rappeler les exploits de Koluskap, « le héros culturel » de la tradition orale malécite-passamaquoddy. Dans l’un de ces récits, par exemple, Koluskap fit porter sa ceinture à son oncle Tortue, et cela à l’avantage de ce dernier, pour lui donner des pouvoirs surhumains.

Les récits, l’adoption de termes français liés au foyer et à l’Église, ainsi que l’adaptation de noms français témoignent de la manière dont les locuteurs du malécite-passamaquoddy ont négocié certains changements culturels engendrés par le contact avec les colons de la Nouvelle-France. Ils ont assimilé de nouveaux mots et les ont transposés dans leur langue à eux, ils ont inventé des façons d’exprimer des idées européennes à l’aide de mots malécites-passamaquoddys et ont enrichi leur identité distincte en créant des noms et patronymes qui leur appartiennent en propre. Cette époque où de nombreux mots furent empruntés au français fut limitée dans le temps, et pourtant ces mots constituent un héritage que les locuteurs du malécite utilisent encore aujourd’hui.