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La progression de l’implantation des normes de droit international des peuples autochtones est l’objet de beaucoup d’attention depuis l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) en 2007. Malgré ce nouvel outil juridique à la disposition des peuples autochtones, le respect de ces normes au sein du droit interne des États ne se fait pas sans heurts, en particulier lorsqu’il est question des projets d’exploitation des ressources. Le cas d’étude présenté par Mattieu Côté-Demers dans Processus de dialogue avec les communautés : le cas de la mine Renard analyse le processus de négociation visant à mettre en oeuvre le droit au consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) reconnu dans la DNUDPA.

Cet abrégé de recherche porte sur la négociation de l’entente Mecheshoo (2012) intervenue entre la compagnie minière canadienne Diamants Stornoway, le Grand Conseil des Cris et la communauté de Mistissini pour le démarrage d’une mine de diamants en territoire eeyou à environ 250 km au nord de la communauté de Mistissini et 350 km de Chibougamau. L’auteur avance que la négociation de l’entente Mecheshoo sur les répercussions et avantages (ERA) semble satisfaire à la majorité des critères du CPLE. Les démarches de négociation des ERA étant de plus en plus fréquentes dans le secteur minier, il y a un intérêt certain à en étudier la portée au regard de leur incidence sur le respect des droits des peuples autochtones.

Selon Côté-Demers, le recours à ces ententes privées entre promoteurs et communautés autochtones viendrait suppléer à une « absence de l’État » en matière de consultation et viserait à « stabiliser l’exploitation des ressources naturelles en territoire autochtone en acquérant le consentement des communautés concernées » (p. 30). C’est que le droit interne canadien lui-même comporte des incertitudes quant à l’application du droit à la consultation des peuples autochtones, ce qui est une source importante de conflits, comme en témoignent les nombreuses confrontations juridiques entre la Couronne et les peuples autochtones. Le livre présente à cet effet les exemples récents liés à l’industrie pétrolière de Clyde River et de Kinder Morgan pour lesquels les tribunaux sont intervenus en raison du caractère inadéquat des consultations menées auprès des communautés autochtones concernées.

L’auteur rappelle que nombre de litiges dans le secteur minier sont attribuables à la législation basée sur le système de free mining. La Cour d’appel du Yukon a par ailleurs reconnu en 2012 que le régime de free mining entre en contradiction avec les obligations de la Couronne vis-à-vis des droits ancestraux des peuples autochtones, puisque les claims miniers sont accordés sans qu’il n’y ait de consultation préalable. Cela entraîne un flou juridique : quand, par qui et comment la consultation devrait-elle être réalisée ? La jurisprudence canadienne précise que cette responsabilité revient ultimement à l’État, mais que certains aspects des procédures peuvent être délégués aux entreprises.

C’est donc ici que les Ententes sur les répercussions et avantages (ERA) apparaissent comme une solution permettant d’honorer l’obligation constitutionnelle de consulter, mais aussi d’éviter les contestations face aux projets extractifs. Les ERA sont des ententes bilatérales privées entre un promoteur et une communauté autochtone régies par le droit des contrats, qui donnent aux deux parties une certaine assurance sur le développement du projet. Elles comprennent généralement des modalités de participation aux prises de décision, des compensations, des mesures d’emploi et de formation, la mise en place de comités de suivi, la tenue d’une étude d’impact environnemental, etc. L’hypothèse de Côté-Demers est que les ERA offrent un « mécanisme compensatoire » aux lacunes du régime minier et aux failles des provisions constitutionnelles concernant les droits ancestraux des peuples autochtones.

Or, Côté-Demers pose la question : les ERA peuvent-elles réellement assurer l’expression d’un consentement préalable, libre et éclairé ? L’application du droit au CPLE est-elle un droit de veto des communautés autochtones sur l’exploitation du territoire ?

Le cas de la mine Renard serait un exemple somme toute réussi de dialogue entre Stornoway et la communauté crie de Mistissini. Le succès de cette ERA serait attribuable d’un côté au « choix de l’entreprise minière d’adopter dès le départ une approche axée sur la conciliation et le dialogue » (p. 18), et d’un autre côté aux capacités et aux ressources institutionnelles développées par les Cri-e-s depuis la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ) en 1975. Côté-Demers recense environ une vingtaine de critères opérationnalisant le CPLE et présente un portrait nuancé des limites et des avantages des ERA pour son obtention. On retiendra que la création de comités de suivi est ce qui aurait permis à la minière Stornoway de maintenir ouvert le dialogue tout au long du processus, favorisant la co-construction de l’entente Mecheshoo.

Les entorses au CPLE observées par le chercheur concernent le manque de consultation au moment de l’exploration, l’existence d’une clause de confidentialité limitant le partage de l’information, la fin des travaux de l’étude d’impacts socio-environnementaux après la signature de l’accord et l’absence de pouvoir décisionnel pour les Cri-e-s. En effet, les différents comités ne disposent que d’un pouvoir de recommandation, ce qui vient clarifier que la communauté ne dispose pas d’un droit de veto sur l’autorisation des projets.

Par ailleurs, le présupposé qui traverse l’ouvrage d’un État « censé occuper le rôle d’un arbitre neutre afin de défendre les intérêts des Canadiens » (p. 29) manque de lecture critique. Omettre de considérer les intérêts de l’État dans le cas de la mine Renard place dans l’ombre un acteur central au projet, considérant les quelques centaines de millions investis par ce dernier pour l’acquisition de 29 % des parts et pour la construction de l’infrastructure routière qui y mène. Dans une étude sur le même sujet des mines de diamants, cette fois-ci aux Territoires du Nord-Ouest, Hall (2013) arrive à des conclusions fort différentes sur le rôle de l’État : celui-ci est un acteur proactif de l’extraction des ressources dont les intérêts convergent avec ceux des entreprises. La caractérisation de son rôle comme celui d’un arbitre dans la négociation des ERA vient masquer le système de relations coloniales qui oeuvre à son avantage.

Aussi, une présentation du contexte des négociations ayant mené à la signature de la CBJNQ ou de la DNUDPA donnerait un portrait plus juste des conditions dans lesquelles les peuples autochtones ont à faire valoir leurs droits. Rappelons que la CBJNQ fut négociée de justesse alors que la construction des barrages d’Hydro-Québec en Eeyou Istchee était déjà amorcée, et que les iniquités de cette convention furent l’objet de batailles juridiques continues jusqu’à la Paix des Braves en 2002 et à l’Entente sur la gouvernance de la nation crie en 2017. L’adoption de la DNUDPA est quant à elle le résultat d’au plus vingt années de pressions à l’international de la part des représentant-e-s autochtones. L’État canadien s’y est obstinément opposé et fut l’un des derniers États à l’appuyer en 2016, une décennie après son adoption dans le reste du monde. Ainsi, l’approche de Côté-Demers selon laquelle les ERA permettent de corriger des mécanismes institutionnels défaillants à reconnaître l’égalité en droits des groupes sociaux présente des limites importantes pour comprendre le changement social. L’hypothèse que le succès de l’entente Mecheshoo repose en partie sur l’approche bienveillante de l’entreprise minière en l’absence d’une intervention de l’État n’apporte pas d’éclairage pertinent à l’« asymétrie des relations de pouvoir » (Laforce et al. 2009) qui structure cet espace de négociation politique, et ignore en même temps l’historique de luttes qui mène à l’institutionnalisation des droits des peuples autochtones.

Enfin, le choix de confier l’édition aux firmes de services-conseils en acceptabilité sociale Transtaïga et CBleue est pour le moins questionnable. Il est spécifié que l’ouvrage s’adresse aux professionnel-le-s de l’industrie qui sont en relation avec les communautés et, à cet effet, la publication est truffée d’encadrés et de mots-clés en caractères gras pour un repérage rapide de ce qu’est une « bonne pratique » d’entreprise. Présentée de cette façon, on peut se demander dans quelle mesure l’obtention du CPLE est envisagée comme ayant vraiment à voir avec la reconnaissance du droit des peuples autochtones à l’autodétermination. On semble plutôt y transformer le CPLE en une sorte de certification à obtenir pour poursuivre l’exploitation.