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Dans cet article, nous considérons l’archéologie des Malécites (Wolastoqiyik) et l’archéologie de la vallée de la rivière Saint-Jean comme des équivalents pour les fins de la recherche. La vallée de la rivière Saint-Jean est, depuis toujours, une région associée aux Malécites et elle est considérée comme faisant partie de leur territoire ancestral (Erickson 1978 ; Speck et Hadlock 1946 ; Wallis et Wallis 1957). Même si l’image historique d’un territoire tribal est un concept statique qui ne reflète pas la dynamique sociale, économique ou politique de ces peuples, le lien très étroit entre les Malécites et Wolastoq ou la belle rivière (la rivière Saint-Jean) est indéniable (Perley et Blair 2003 ; Perley, Turnbull et Allen 2000). Dans un cadre géographique plus vaste, les groupes amérindiens qui font partie de la grande famille wabanakie depuis la période histo­rique (Abénaquis de l’Est, Penobscots, Passamaquoddys, Malécites et Micmacs [Mi’gmaqs]) sont généralement considérés comme étant les occu­pants ancestraux de la région de la Péninsule maritime (fig. 1) [Snow 1978 ; Tuck 1978]. Pourtant, nous ne voulons pas proposer une vision statique des sociétés amérindiennes, nous sommes conscient au contraire que les territoires indiqués dans la figure 1 n’ont jamais été figés ou fixes. Les limites des territoires évoluent constamment pour les chasseurs-cueilleurs et la population circule aussi entre les différentes bandes (Leacock 1954 ; Mailhot 1993). De plus, le territoire traditionnel des Malécites a été fréquenté à la période historique par d’autres groupes, comme les Penobscots au sud (Speck 1940), les Iroquoiens du Saint-Laurent circulant dans l’Estuaire (Burke 2001 ; Tremblay 1998), les Innus (Montagnais) de la Côte-Nord (Moreau 1980 ; Thwaites 1897) et les Micmacs de l’Est (Pacifique 1935 ; Webster 1934).

Figure 1

Localisation des territoires historiques traditionnels des groupes amérindiens wabanakis duMaine, du Québec et des provinces maritimes. La Péninsule maritime est indiquée par le trait griset elle suit la rivière Kennebec au Maine et la rivière Chaudière au Québec, à l'ouest

Localisation des territoires historiques traditionnels des groupes amérindiens wabanakis duMaine, du Québec et des provinces maritimes. La Péninsule maritime est indiquée par le trait griset elle suit la rivière Kennebec au Maine et la rivière Chaudière au Québec, à l'ouest

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Pour l’archéologue, il peut être hasardeux de présumer qu’il y a un lien direct entre l’entité sociale et politique – reconnue à la période historique comme une tribu ou nation (par ex. Innus, Hurons, Penobscots, Malécites) – et les vestiges archéologiques trouvés dans la région identifiée à la période historique comme étant le territoire d’un groupe en particulier. Cette pratique sous-estime encore une fois la dynamique sociopolitique des premières nations avant l’arrivée des Européens. Le registre archéologique du Nord-Est américain recèle plusieurs exemples de conflits, de déplacements, de migrations et de fusions entre groupes amérindiens. Dans l’archéologie anthropologique américaniste, il existe une tradition appelée approche historico-analogique (direct historical approach), qui permet aux chercheurs d’analyser, d’interpréter et de tenter de comprendre les données ethnographiques et ethnohistoriques à partir de la période historique, puis de reculer dans le temps dans le but d’élaborer une histoire à long terme ou encore de faire la paléohistoire d’un groupe amérindien en particulier. Afin d’appliquer cette méthodologie, il faut démontrer une continuité d’occupation sur le territoire du groupe en question ainsi qu’une certaine continuité culturelle, ce qui suppose une continuité génétique implicite. Plusieurs exemples de l’approche historico-analogique existent pour le Nord-Est, par exemple pour les Onondagas (Tuck 1971), les Oneidas (Bradley 1987), les Hurons (Trigger 1987) et les Lenapes (Kraft 2001). Alors que certains auteurs se limiteront à la préhistoire récente (Bradley 1987), d’autres reculeront davantage dans le passé (ou la préhistoire) des populations amérindiennes (Kraft 2001).

Jusqu’où l’on peut reculer cette continuité culturelle dans le passé est certes une question épineuse. Dans le Nord-Est, les archéologues acceptent souvent de façon tacite une continuité entre les groupes autochtones de la période du Sylvicole ou Céramique (3000 AA à 400 AA, ou environ 1000 av. J.-C. à 1550 ap. J.-C. non étalonné) et ceux qui ont été décrits par les premiers Européens. Pour la Péninsule maritime, la situation est semblable (Rutherford 1991 ; Sanger 1986, 1987 ; Tuck 1978). Au Maine, la loi sur le rapatriement des restes humains (Statute on Indian human remains, title 22 ss 2842-B) permet d’assigner les restes à une tribu ou à un groupe en particulier jusqu’à 1000 AA. Sanger et Burke ont déjà proposé que les peuples de la fin de l’Archaïque (spéci­fiquement ceux de l’Archaïque terminal, qui débute vers 3800 AA) pourraient être les ancêtres des peu­ples historiques comme les Penobscots, les Passamaquoddys, les Malécites et les Micmacs (Burke 2000 ; Sanger 2008). Mais la continuité, culturelle ou autre, est souvent difficile à démontrer par le biais de l’archéologie. En fait, le registre archéologique est parsemé de trous, et la résolution temporelle n’est pas souvent à la hauteur de la tâche. Nous estimons, par contre, que les ruptures ou les discontinuités dans le registre archéologique seront faciles à iden­tifier en comparaison avec les ­continuités. Nous proposons ainsi que les données archéologiques pour la vallée de la rivière Saint-Jean (Maine, Québec et Nouveau-Brunswick) appuient une hypothèse de continuité d’occupation depuis au moins les trois derniers millénaires (Chalifoux, Burke et Chapdelaine 1998).

Le passé : histoire de la recherche archéologique dans le bassin de la rivière Saint-Jean

Cet article portera principalement sur l’archéologie de la haute et moyenne vallée de la rivière Saint-Jean (fig. 2). Nous avons choisi cette région pour différentes raisons : l’archéologie y est mieux documentée et nous avons une expérience personnelle dans la région. De plus, ces deux sous-régions sont moins contestées par d’autres groupes amérindiens, soit dans le passé colonial soit dans le présent, ce qui facilite notre étude, car le lien entre les Malécites et le territoire à l’étude est plus étroit. Dans le but de mettre l’archéologie de la rivière Saint-Jean en perspective, nous présenterons d’abord un historique de l’archéologie menée dans l’ensemble de la Péninsule maritime (la Maritime Peninsula de Bourque [1989] ; voir aussi Burke 2000 ; Deal et Blair 1991 ; Hoffman 1955, 1967 ; Sanger 1996a, 2003, 2006).

Figure 2

Localisation des régions de la vallée de la rivière Saint-Jean qui sont abordées dans le texte

Localisation des régions de la vallée de la rivière Saint-Jean qui sont abordées dans le texte

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Les débuts de l’archéologie dans la Péninsule maritime

L’archéologie a eu un début plutôt précoce dans la Péninsule maritime à la fin du xixe siècle. La période entre la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle est considérée comme un âge d’or pour l’archéologie de la région (Connolly 1977 ; Snow 1968 ; Spiess 1985). Deux des plus grands archéologues américains de l’époque, Charles C. Willoughby et William K. Moorehead, ont réalisé beaucoup de recherches au Maine durant cette période (Moorehead 1922 ; Willoughby 1935, 1980). La plupart des efforts des archéologues de cette période furent consacrés aux amas coquilliers de la côte Est (Matthew 1884 ; Smith et Wintemberg 1929 ; Trigger 1986). Pour ce qui est de la moyenne vallée de la Saint-Jean, quelques descriptions de catégories d’objets archéo­logiques apparaissent pour la première fois vers la fin du xixe siècle (Bailey 1887 ; Matthew et Kain 1905 ; McIntosh 1909, 1914). L. W. Bailey sera le premier à faire mention d’objets fabriqués en « silex » dans la région du Témiscouata dans la haute vallée de la Saint-Jean (Bailey et McInnes 1889), et Warren K. Moorehead sera le premier archéologue professionnel à explorer la haute vallée de la Saint-Jean, où il trouvera au moins douze sites en 1912 et 1914 (Moorehead 1922).

Il est intéressant de remarquer que, dans les premières références aux vestiges archéologiques pour la région de la moyenne et haute vallée de la Saint-Jean, la présence de carrières ou sources de matières premières lithiques occupe une place centrale. La carrière de chert de Washademoak, au lac Washademoak (Matthew 1900), ainsi qu’une source de « silex » qui se trouverait dans la région du Témiscouata (Bailey et McInnes 1889 ; voir aussi Marie-Victorin 1918) sont indiquées dès le début des recherches archéologiques. Quand Moorehead descend la rivière Saint-Jean en 1914, il s’arrête à Edmundston où il recrute Noël Bernard et son frère, deux Malécites, pour remonter la rivière Madawaska jusqu’au lac Témiscouata (Moorehead 1922 : 233-234). Moorehead décrit leur retour en ces mots :

En deux jours, Bernard et son frère sont revenus avec le canot que nous leur avions donné et ils ont mentionné la présence d’une grande carrière de matière lithique, rapportant avec eux deux gallons de matière première. Il s’agit d’un silex foncé, presque noir, et qui semble avoir été largement utilisé par les Indiens de la rivière Saint-Jean.

Moorehead 1922 : 233-234

Par la suite, il y aura peu de recherche archéologique dans la Péninsule maritime entre 1925 et 1965 (Snow 1968 ; Spiess 1985). Comme dans le passé, les projets se con­centrent surtout sur la côte (Hadlock 1941 ; Kingsbury et Hadlock 1951), mais un projet de recherche qui a eu lieu à l’intérieur des terres est à signaler. Entre 1950 et 1962, E. Butler et W. Hadlock (1962) vont effectuer des reconnaissances dans la région de la rivière Allagash, un des plus importants affluents de la rivière Saint-Jean situé dans le nord du Maine. Ils identifient quarante sites préhistoriques sur les rives de cinq lacs, ce qui démontrera, de façon concluante, non seulement le potentiel archéologique de l’intérieur des terres, en particulier la haute vallée de la Saint-Jean, mais aussi l’ancienneté de la présence amérindienne dans cette région. Plus à l’est sur la moyenne vallée de la Saint-Jean et sur la rivière Tobique – un affluent principal de la rivière Saint-Jean situé dans le nord du Nouveau-Brunswick –, l’archéologue amateur George F. Clarke fouillera plusieurs sites pendant quatre décennies entre 1930 et 1960 (Clarke 1968). Ce dernier était souvent accompagné d’un Malécite, Noël Moulton, qui l’assistait lors des fouilles. Clarke a publié une partie des collections mises au jour dans son livre Someone Before Us (1968), et les objets sont présentement entreposés à la bibliothèque publique de Woodstock au Nouveau-Brunswick. Enfin, soulignons le cas du site côtier de Eastport fouillé par Kingsbury et Hadlock (1951) qui mentionnent la présence de matière première lithique provenant d’affleurements sur la rivière Tobique.

Le renouveau de la recherche archéologique pendant les années 1960

L’archéologie dans la Péninsule maritime, comme ailleurs en Amérique du Nord, subira un effet stimulant et mobilisateur durant les années 1960 et 1970. L’arrivée de nouveaux archéologues professionnels, munis de ­doctorats – certains avec des postes permanents dans les institutions provinciales et celles de l’État du Maine –, servira à consolider l’archéologie régionale (Shimabuku 1980 ; Snow 1968 ; Spiess 1985). Les effets sur la pratique se font sentir à l’échelle du Nord-Est et aussi dans la Péninsule maritime (Burke 2000 : 107-120). Pour l’archéologie de la vallée de la rivière Saint-Jean, quelques projets deviendront des éléments clés pour le développement d’une archéologie régionale.

Dans la haute vallée de la Saint-Jean, les interventions de Charles A. Martijn pendant les années 1960 vont changer radicalement la vision de la préhistoire du Bas-Saint-Laurent. Pendant l’été de 1964, après une intervention sur l’île Verte et dans la région de Rivière-du-Loup, Martijn commence une prospection à l’intérieur des terres dans la région du Témiscouata. Il y découvre trente-sept nouveaux sites archéologiques (Martijn 1964). Entre 1964 et 1966, il mènera trois campagnes de prospection et de fouilles et étudiera plus de quarante sites dans la grande région du Témiscouata, source principale de la rivière Madawaska, affluent majeur de la rivière Saint-Jean (Martijn 1964, 1965, 1966a, 1966b, 1966c, 1969). Dès le début de son projet, Martijn a ciblé la région du Témiscouata comme ayant un fort potentiel archéo­logique en grande partie à cause de son rôle historique, notamment par la présence du portage des Malécites entre le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent d’une part, et la rivière Saint-Jean, la baie de Fundy, le golfe du Maine et le versant Atlantique d’autre part. Comme les travaux précédents de Butler et Hadlock (1962), ceux de Martijn servaient à confirmer le fort potentiel archéologique de la vallée de la rivière Saint-Jean et la position straté­gique qu’occupait ce bassin hydrographique avant la période coloniale.

La partie supérieure de la rivière Saint-Jean qui sillonne à travers le nord du Maine depuis sa source n’a pas suscité l’intérêt des archéologues depuis que Moorehead en a fait une reconnaissance en canot, en 1914 (Moorehead 1922), jusqu’au moment où un projet de barrage fut proposé par le gouvernement fédéral américain sur la rivière Saint-Jean en amont de l’Allagash (voir fig. 2). David Sanger, récemment embauché à la University of Maine à Orono, fut engagé pour effectuer une reconnaissance de la haute vallée de la Saint-Jean dans le secteur appelé Dickey-Lincoln School (Sanger 1978). Il a combiné la reconnaissance avec des sondages et des fouilles car l’échéancier était très serré. Son équipe et lui ont trouvé trente-sept nouveaux sites archéologiques, confirmant une présence amérindienne importante. Bien que Sanger ait semblé surpris par la richesse archéo­logique de cette région intérieure et reculée, il conclura que les sites étaient en grande partie occupés pendant de courtes périodes de temps par des Amérindiens qui étaient de passage et non pas lors d’occupations permanentes du territoire (Sanger 1978: 18-19). Finalement, le barrage ne fut jamais construit et George P. Nicholas a poursuivi la recherche interdisciplinaire de Sanger pendant les années 1970 et 1980 en développant les modèles géomorphologiques basés sur les données géologiques postglaciaires. Les travaux de Nicholas ont permis de repousser encore plus loin dans le passé notre compréhension des occupations amérindiennes de la région (Nicholas 1988 ; Nicholas, Kite et Bonnichsen 1981).

Toujours au Maine, Butler et Hadlock (1962) avaient également identifié une série de sites archéologiques autour du lac Munsungun situé dans la vallée de la rivière Aroostook (voir fig. 2), un autre affluent majeur de la Saint-Jean. Le lac était connu pour ses affleurements de chert et ses berges regorgeaient d’objets archéo­logiques en surface. Butler et Hadlock (1962 : 25-26) décrivaient les sites comme étant le résultat de courtes occupations surtout caractérisées par des ateliers de taille. En aval du lac, sur la rivière Aroostook, Alice Wellman a fouillé un site datant de la période céramique (CP4 à CP7, 1350 AA - 300 AA) qui avait été réoccupé à quelques reprises et qui représentait sans doute plus qu’un simple atelier de taille (Wellman 1973). L’archéologue Robson Bonnichsen de la University of Maine a dirigé un programme archéologique interdisciplinaire dans la région des lacs Chase et Munsungun entre 1977 et 1981, mais le projet était surtout concentré sur les occupations très anciennes (Bonnichsen 1981, 1984 ; Bonnichsen et al. 1985 ; Bonnichsen et al. 1980). Cependant, deux sites du lac Munsungun datant de la période céramique ont été étudiés par Pauleena MacDougall Seeber (Seeber 1987). Au total, quatre-vingt-douze sites archéologiques sont inscrits sur l’inventaire des sites archéologiques du Maine pour la région du lac Munsungun. Parmi ces sites, au moins quatre ont livré de la poterie et des occupations de la période céramique et ils ont été étudiés par l’auteur (Burke 2000 : 189). Plus en aval, sur la rivière Aroostook entre Masardis et son embouchure dans la rivière Saint-Jean, on dénombre pas moins de seize autres sites archéologiques, surtout trouvés par les collectionneurs et enregistrés par l’archéologue David Putnam (Putnam, comm. pers. 2001 ; voir aussi Burke 2000, Sanger 1981).

Quelques courtes visites sur les rives de la rivière Tobique par des historiens et des archéologues ont eu lieu au début du siècle : Ganong en 1899, Moorehead en 1914, Tappan Adney dans les années 1930 et Stoddard en 1949 (Turnbull 1990 : 6-8). Mais les principales découvertes demeurent celles de George F. Clarke qui, entre 1930 et 1960, a collectionné des artefacts provenant de sites le long de cet affluent majeur de la rivière Saint-Jean (Clarke 1968). Pendant les années 1960, Richard Pearson et David Sanger, du Musée de l’Homme à Ottawa (ancien musée national), ont effectué les premières fouilles professionnelles et modernes sur les sites identifiés par Clarke (Pearson 1962 ; Sanger 1968). Le site Deadman’s Pool (CgDt-3), étudié par Sanger, a livré une technologie lithique lamellaire atypique pour la région et ses occupations datent de la fin de la période archaïque ou du début de la période céramique, une période encore mal connue dans la région (Sanger 1971, 2008 ; Turnbull 1990). Au total, on dénombre vingt-huit sites préhistoriques sur la rivière Tobique et dix autres sur la rivière Saint-Jean près de la confluence avec la Tobique (Burke 2000).

L’archéologie semble avoir pris plus de temps à s’établir le long de la rivière Saint-Jean en aval de la rivière Tobique jusqu'à Meductic. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la moyenne vallée de la Saint-Jean a été longtemps le « terrain de prédilection » de l’archéologue amateur George F. Clarke et les premiers archéo­logues professionnels à visiter la région ont été accompagnés par Clarke lui-même (Clarke 1968 : 124). Au moins trente-quatre sites préhistoriques sont connus sur ce tronçon de la rivière Saint-Jean (seize ont été inondés à la suite de la construction de barrages), et treize autres pour le secteur allant de Meductic jusqu’à Fredericton (Clarke 1968 : 67). Pendant les années 1960, Pearson et Sanger ont effectué pour le Musée de l’Homme des interventions limitées dans la région, qui étaient surtout reliées à la construction du barrage de Mactaquac (Pearson 1962 ; Sanger 1968). En 1974, l’archéologue Patricia Allen fouillera à Florenceville un petit site (CcDv-1) qu’elle associe à la période historique (Allen 1976). Après une analyse de la collection de ce site, il est possible que celui-ci révèle des éléments reliés à la préhistoire et à la période du contact (Burke 2000). Mentionnons finalement le site de Meductic qui, au cours des années, a produit de nombreux vestiges archéo­logiques mais n’a jamais fait l’objet d’une fouille archéologique systématique et professionnelle. Ce site est l’emplacement historique du village malécite de Meductic (Medoctec) situé au début du portage menant de la rivière Saint-Jean à la baie de Passamaquoddy par la rivière Eel (Cook 1985 ; Ganong 1983 [1899], 1906). Cet emplacement est bien décrit dans les documents coloniaux (Ganong 1930 ; Prins 1992 ; Raymond et Pote 1896 ; Smith 1982) [figure 3]. Meductic représente un endroit clé pour la compréhension de l’histoire (et de la paléohistoire) des Malécites, et cet emplacement a été le lieu d’occupations répétées avant l’arrivée des Européens.

Figure 3

Pierre dédicatoire datée de 1707 attestant la construction d'une église malécite à Meductic (N.-B.) par le père Jean-Baptiste Loyard

Pierre dédicatoire datée de 1707 attestant la construction d'une église malécite à Meductic (N.-B.) par le père Jean-Baptiste Loyard
(Photographie de R.R. Watson, vers 1900, n° 1987.17.1393, Musée du Nouveau-Brunswick, Saint John, N.-B.)

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La région de la basse vallée de la rivière Saint-Jean, en aval de Fredericton, ne sera pas étudiée dans cet article mais elle fait partie intégrale de l’histoire de l’archéologie des Malécites. La région des grands lacs (French, Indian, Maquapit, Grand, Washademoak) et certains bras de rivière formés par l’inondation de la basse vallée durant l’Holocène ont révélé dès le début du xixe siècle une quantité importante d’objets et de sites archéologiques (Bailey 1887 ; Matthew 1900 ; Matthew et Kain 1905 ; McIntosh 1909, 1914). Pourtant ces sites seront presque ignorés jusqu’au début des années 1970. Lors d’une reconnaissance en 1971, Chris Turnbull (1975) identifiait déjà vingt-neuf sites préhistoriques dans cette région, dont quatre avec de la poterie. Un de ces sites, Fulton Island, a livré une collection de poterie parmi les plus importantes de la vallée de la rivière Saint-Jean, qui a servi à établir une séquence chronologique régionale (Foulkes 1981). À la même époque et non loin de Fulton Island, David Sanger fouillait le site Cow Point, un important cimetière datant de l’Archaïque supérieur (Sanger 1973). Mentionnons le peu de recherche archéologique faite dans les environs de la ville de Saint John, alors que des sites archéologiques amérindiens préhistoriques et historiques y sont connus (Burley 1976 ; Ganong 1983 [1899] ; Harper 1956).

Il est clair qu’après un siècle de recherches intermittentes et la découverte de centaines de sites archéologiques amérindiens, la grande région de l’intérieur drainée par la rivière Saint-Jean témoigne d’une immense richesse archéologique. Cependant, il reste encore aujourd’hui de vastes régions largement inconnues sur le plan archéo­logique, tels le bassin versant de la rivière Fish et la portion de la vallée de la Saint-Jean entre Edmundston et les embouchures des rivières Aroostook et Tobique.

L’archéologie « moderne » des Malécites

Depuis les années 1980, la recherche archéologique dans le bassin de la rivière Saint-Jean a pris deux nouvelles directions : 1) des projets de recherche, étalés sur plusieurs années et ciblés sur une région en particulier, et 2) des projets ponctuels d’archéologie préventive surtout reliés à la construction de barrages hydroélectriques et à la réfection des routes. Les projets de recherche ont servi à consolider nos connaissances dans les régions déjà étudiées auparavant et aussi à stimuler de nouvelles approches interdisciplinaires en archéologie. L’archéologie préventive a surtout servi à combler certains vides géographiques et temporels dans l’état de nos connaissances. Une première bibliographie régionale a été produite en 1986, signe d’une certaine maturité de la discipline (Turnbull et Davis 1986).

Les projets de Charles A. Martijn au Témiscouata ont jeté les bases pour une archéologie qui persiste jusqu’à nos jours avec la création au Témiscouata d’un nouveau parc national qui placera l’archéologie au centre de l’inter­prétation du paysage. Vingt ans après les réalisations de C. A. Martijn, Pierre Desrosiers a fait un recensement des sites connus dans la région du Témiscouata qui a rappelé son riche potentiel archéologique (Desrosiers 1986). Un projet triennal (1991-1993) de recherche de l’Université de Montréal entrepris par Claude Chapdelaine en 1989 a permis la réalisation de la première synthèse archéologique de la région (Chalifoux, Burke et Chapdelaine 1998) ainsi que plusieurs mémoires de ­maîtrise (Bisson 1990 ; Burke 1993 ; Chalifoux 1993 ; Jost 1995). Ce projet a permis de mettre en valeur le rôle central de la région comme un carrefour qui reliait les groupes de l’Estuaire avec ceux du Maine et des provinces maritimes, de même que les liens privilégiés entre le Témiscouata et la vallée de la Saint-Jean et l’importance des carrières de chert du lac Touladi dans l’occupation de la région pendant la préhistoire (Burke 2000, 2001, 2007 ; Burke et Chalifoux 1998 ; Chalifoux et Burke 1995 ; Chalifoux, Burke et Chapdelaine 1998 ; Chapdelaine et Kennedy 1990).

La firme Ethnoscop inc., composée alors de Pierre Dumais, Gilles Rousseau et Jean Poirier, a également établi un projet de recherche archéologique dans la région du Témiscouata au début des années 1990 (Dumais, Poirier et Rousseau 1994, 1998). Complémentaire à celui de l’Université de Montréal, ce projet utilisait un modèle géographique et géomorphologique qui ciblait surtout l’occupation humaine sur les anciennes terrasses (Dumais et Poirier 1998 ; Dumais, Poirier et Rousseau 1998). Ce projet a mené à la découverte du plus ancien site de la région à Squatec (Dumais, Poirier et Rousseau 1993 ; Dumais et Rousseau 2002), mais il a aussi permis la découverte de sept nouveaux sites sur la rivière Madawaska, incluant des sites de l’Archaïque supérieur ou terminal (Dumais, Poirier et Rousseau 1994, 1998). Un nouveau projet triennal (2004-2006) de l’Université de Montréal dirigé par l’auteur a été mené dans la vallée de la rivière Madawaska et autour des lacs Pohénégamook, Baker, Long et Meruimticook (Burke 2005, 2006b, 2008). Ce projet visait la reconstitution de l’environnement de la région durant l’Holocène et l’étude de l’adaptation à long terme de groupes amérindiens à cet environnement depuis la fin de l’Archaïque. Très peu de nouveaux sites ont été trouvés, mais un deuxième site amérindien de la période du contact fut identifié. Un site fascinant, CjEd-5, datant autour de 1000 AA a été fouillé et a révélé les vestiges d’un rituel associé au sacrifice de bifaces en chert de Ramah (Burke 2006c). Une carotte prélevée dans le lac Beazley, situé environ à 10 km à l’est de la ville de Dégelis et à 7 km au nord-est du site CjEd-5, a fourni de nouvelles données sur le climat et la végétation dans la haute vallée de la Saint-Jean et sur son rôle dans l’occu­pation du territoire durant l’Archaïque et la période céramique (Burke et Richard 2010). Les projets d’archéologie préventive au Témiscouata n’ont pas permis la découverte de nouveaux sites (Ethnoscop 1983), mais la réfection du barrage du lac Témiscouata a permis la fouille d’un site important de l’Archaïque terminal (Brunet 2009 ; Dumais, Poirier et Laliberté 1996 ; Ethnoscop 1994).

Les efforts pionniers de recherche interdisciplinaire qui ont eu lieu au Maine dans la haute vallée de la Saint-Jean et dans la région du lac Munsungun pendant les années 1970 et au début des années 1980 n’ont malheureusement pas été poursuivis. Les données se retrouvent surtout dans des rapports inédits (Bonnichsen 1981 ; Bonnichsen et al. 1980 ; Nicholas 1988 ; Nicholas, Kite et Bonnichsen 1981 ; Sanger 1978), et les recherches archéologiques effectuées depuis ont livré peu de nouveaux résultats. Cependant, les modèles proposés par ces chercheurs sont toujours applicables pour les occupations plus anciennes (le Paléoindien et l’Archaïque ancien et moyen). Les travaux de Dumais, Rousseau et Poirier (Dumais et Poirier 1998 ; Dumais, Poirier et Rousseau 1993, 1998 ; Dumais et Rousseau 2002), ainsi que ceux de Dickinson et Jeandron (1998) sur des sites anciens associés aux paléo-rivages du lac postglaciaire Madawaska, représentent une continuité de l’application de ce type de recherche pour la région.

L’énorme région du nord du Maine qui comprend le bassin versant de la rivière Fish – soit huit grands lacs et de nombreux petits lacs qui se jettent dans la rivière Saint-Jean à Fort Kent – demeure presque inconnue du point de vue archéologique. L’archéologue David Putnam a travaillé à quelques reprises dans la région mais très peu de sites sont enregistrés dans l’inventaire de l’État du Maine (Putnam, comm. pers. 2001). L’auteur a mené deux courtes campagnes de reconnaissance dans cette région en 2002 et en 2003, ce qui lui a permis d’identifier au moins une quinzaine de sites, tous datant de la fin de l’Archaïque et de la période céramique (Burke 2002). Quelques sites préhistoriques ont aussi été trouvés dans le nord-est du Maine grâce à des projets d’archéologie préventive (Buchanan, Subin et Petersen 1991 ; Petersen et al. 1995 ; Will, Moore et Clarke 1997). La majorité de ces sites n’a pas livré de matériel diagnostique et les ­rap­ports de terrain ne contiennent pas d’analyses très détaillées. Cependant, l’auteur a examiné toutes ces collections dans le cadre de son doctorat et il considère que la majorité de ces sites date de la période céramique (Burke 2000 : 132-133). Dans la vallée de la rivière Saint-Jean, entre Edmundston et les embouchures des rivières Aroostook et Tobique, la situation est aussi peu reluisante. À l’intérieur de ce secteur qui fait presque 100 km de long, seulement cinq sites préhistoriques archéologiques sont répertoriés. Trois sites représentent des découvertes fortuites d’un seul artefact en surface (CiEb-1, ChEa-1, CkEa-1), un site à Grand-Sault est identifié dans la publication de Bailey (1887 : Pl. III, 2 et 3) par la découverte de deux pilons en pierre bouchardée, et un site au nord de la ville d’Edmundston, sur les rives du lac First, est possiblement très ancien (Dickinson et Jeandron 1998).

Malgré une richesse archéologique incontestable (Clarke 1968 ; Sanger 1968, 1971) et la présence d’une communauté malécite importante, la vallée de la rivière Tobique et la région autour de son embouchure demeurent peu connues et encore moins étudiées. Une étude de Turnbull (1990) a permis une réévaluation des collections de la région de l’embouchure de la rivière Tobique contribuant ainsi à renouveler l’intérêt pour l’archéologie des Malécites. Au début des années 1990 David Keenlyside, du Musée canadien des civilisations, mènera, en collaboration avec la communauté malécite de Tobique, une campagne de prospection et de fouilles archéologiques sur la rivière Tobique et autour des embouchures de l’Aroostook et de la Tobique (Keenlyside 1992, 1993 ; voir aussi McEachen 1996). Keenlyside se concentrera sur les sources de matières premières (chert et rhyolite) de la vallée de la rivière Tobique et il visitera certains des sites déjà connus par les collectionneurs. Son équipe et lui effectueront des fouilles sur un nouveau site, probablement ancien, situé sur une haute terrasse à la confluence des rivières Aroostook et Saint-Jean (Keenlyside, comm. pers. 1996). Malheureusement, ce projet prometteur restera sans suite, mais les collections mises au jour lors des fouilles demeurent au Musée canadien des civilisations à Gatineau. Lucy Wilson, archéologue à l’Université du Nouveau-Brunswick (Saint John), et l’auteur ont effectué une prospection de deux jours sur la rivière Tobique en 2006 afin d’étudier la géologie locale et de tenter d’identifier la source du chert de Tobique, mais sans succès. Le projet se poursuit avec des analyses pétrographiques et géochimiques (Gauthier 2008). Un collectionneur local, Darren Giberson, de Wapske, possède une imposante collection d’artefacts provenant des sites de la vallée de la rivière Tobique qui devrait être cataloguée et photographiée bientôt.

La situation de l’archéologie dans la moyenne vallée de la rivière Saint-Jean est comparable à celle de la Tobique. Malgré une quantité impressionnante de sites amérindiens (préhistoriques et historiques) qui sont connus depuis au moins un demi-siècle (Clarke 1968), l’état des connaissances archéologiques dans ce secteur de la vallée ne semble pas avoir progressé depuis la fouille du site Whitemarsh Creek par Patricia Allen (1976). Quelques interventions préventives ont permis de surveiller l’état de conservation de certains sites déjà connus, mais peu de nouveaux sites ont été découverts (Jason Jeandron, comm. pers. 2005, voir aussi les rapports d’inter­ventions au bureau des Services d’archéologie, Fredericton, N.-B.). Cette situation est particulièrement surprenante car la région, densément peuplée, est facile d’accès et elle est près de la capitale administrative et du campus universitaire. De plus, la communauté malécite de Woodstock habite la région. Une autre communauté malécite se trouve du côté américain, à Houlton, Maine, à seulement 18 km de Woodstock, sur la rivière Meduxnekeag, un affluent de la rivière Saint-Jean. Un site archéologique trouvé non loin de cette communauté a été analysé par l’auteur et il est étroitement associé aux sites de la vallée de la Saint-Jean (Burke 2000 : 313 ; Cranmer et Spiess 1993). Une note plus positive pour l’archéologie de cette région est la création du Maliseet Advisory Committee on Archaeology pendant les années 1990. Cet organisme permet aux archéologues de consulter les communautés malécites de la rivière Saint-Jean avant d’entreprendre des projets archéologiques, créant ainsi plus d’occasions de collaborations entre les premières nations et les archéologues.

La basse vallée de la Saint-Jean souffre aussi d’une certaine carence sur le plan de l’activité archéologique. Dans le cadre de son doctorat, Susan Blair (2004b : 23) expliquait que pour cette région il n’y avait toujours en 2004 qu’un seul rapport archéologique publié, celui de Sanger (1973) pour le site Cow Point, et un seul article scientifique sur la source de chert de Washademoak (Black et Wilson 1999). À ces deux publications, pourrait s’ajouter le mémoire de maîtrise d’Helen Foulkes (1981) et quelques travaux de reconnaissance (par ex. Turnbull 1975). Une situation, certes, étonnante, car il existait une connaissance, bien que sommaire, du potentiel archéo­logique et de l’importance historique de la région depuis la fin du xixe siècle. Le projet archéologique de Jemseg, relié à la construction de l’autoroute transcanadienne, a permis de revitaliser l’archéologie dans la basse vallée en créant des occasions favorables à la recherche interdisciplinaire et professionnelle, créant du même souffle de nouveaux partenariats entre archéologues et Malécites (Blair 2004a, 2004b ; Perley et Blair 2003). Finalement, le mémoire de maîtrise de Vincent Bourgeois mérite d’être souligné pour l’archéologie de la vallée de la rivière Saint-Jean, car il s’agit d’une première tentative en vue de créer une séquence céramique propre à cette région (Bourgeois 1999 ; voir aussi Petersen et Sanger 1991).

Le présent : que savons-nous de l’histoire ancienne des Malécites à travers l’archéologie ?

Que savons-nous aujourd’hui de l’archéologie de la rivière Saint-Jean à la période pré-contact et des ancêtres des Malécites ? Pour résumer les premiers cent vingt-cinq ans de cette archéologie, nous avons vu qu’il y a des régions assez bien étudiées sur le plan archéologique, certaines moins, et d’autres pour lesquelles nous ne connaissons encore rien ou très peu. Les régions qui recèlent le plus grand nombre de sites archéologiques préhistoriques sont le Témiscouata (Québec), Munsungun et la haute vallée de la rivière Saint-Jean en amont de l’Allagash (Maine), ainsi que la moyenne vallée de la Saint-Jean incluant la Tobique (Nouveau-Brunswick) [voir fig. 2]. La qualité des connaissances archéologiques pour ces régions varie beaucoup. Pour le Témiscouata, il existe une synthèse régionale, plusieurs articles et chapit­res d’ouvrages publiés, des études spécialisées (en palynologie, tracéologie, pétroarchéologie, géo­morphologie et géophysique), plusieurs maîtrises et un doctorat, ainsi que de nombreux rapports de fouille ­disponibles au ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec. Pour les régions du Munsungun et de la haute vallée de la rivière Saint-Jean en amont de l’Allagash, alors qu’il y a eu plusieurs interventions de la part d’archéologues professionnels et des équipes interdisciplinaires universitaires, la publication d’articles demeure limitée – la majorité des données se trouvant dans des rapports inédits disponibles au bureau du State Historic Preservation Officer, Augusta, Maine. De brèves synthèses sont disponibles et elles se concentrent surtout sur les périodes plus anciennes du Paléoindien et de l’Archaïque ancien (Bonnichsen 1984 ; Nicholas 1988 ; Sanger 1978). La moyenne vallée de la Saint-Jean et la vallée de la rivière Tobique au Nouveau-Brunswick sont des régions très riches en sites archéo­logiques préhistoriques. Malgré cette richesse archéo­logique et même s’il existe maintenant une première séquence chronoculturelle basée sur la poterie de la région, aucune synthèse régionale n’a encore été publiée (Bourgeois 1999 ; voir aussi Rutherford 1991 ; Turnbull 1990).

Dans la région de la basse vallée de la rivière Saint-Jean, même si le secteur des lacs Jemseg-Indian-French-Maquapit-Grand semble bien étudié, cette région est vaste et n’a donné lieu à aucune synthèse (voir Blair 2004a, 2004b ; Rutherford 1991). Cette situation est d’autant plus surprenante que la présence malécite à la période historique est bien documentée pour cette région (Erickson 1978 ; Ganong 1904 ; Leavitt 1995 ; Mechling 1958-1959 ; Trueman 1966 ; Wallis et Wallis 1957 ; Webster 1934). Il existe présentement trois communautés malécites sur ce territoire (Kingsclear, St. Mary’s et Oromocto). Encore aujourd’hui, de grands secteurs de la rivière Saint-Jean demeurent presque inconnus ou ­inexplorés par les archéologues. C’est également le cas pour les secteurs suivants : le chenal principal entre Edmundston et la confluence des rivières Aroostook et Tobique dans la haute vallée ; le secteur partiellement inondé par un barrage hydroélectrique entre Meductic et Fredericton dans la moyenne vallée ; et le secteur entre le lac Washademoak et la ville de Saint John.

Même si d’autres régions du bassin de la Saint-Jean ont démontré un certain potentiel archéologique, elles demeurent moins connues, et la densité des sites enregistrés y est minimale. On parle ici du bassin versant de la rivière Fish, de la rivière Allagash et de la rivière Aroostook au Maine, ainsi que la vallée de la rivière Madawaska au Québec et au Nouveau-Brunswick. Presque toutes nos connaissances pour ces régions se trouvent dans les rapports archéologiques inédits. Rappelons que la communauté malécite de Madawaska, située à Edmundston, occupe un endroit considéré comme un ancien lieu de rassemblement pour les Malécites de la vallée de la rivière Saint-Jean (Albert 1982 ; Erickson 1978 ; Johnson et Martijn 1994 ; Pawling 2010 ; Saint-Vallier 1856). Pourtant, nous ne connaissons rien à propos des occupations préhistoriques de l’embouchure de la rivière Madawaska.

Finalement, n’oublions pas la région de la côte sud de l’estuaire du Saint-Laurent qui a aussi démontré un potentiel archéologique mais où les interventions archéologiques ont été peu nombreuses jusqu’à ce jour. La communauté malécite de Viger (Cacouna) occupe cette région qui fait partie du territoire ancestral des Malécites (Johnson 1994, 1995 ; Johnson et Martijn 1994 ; Prins 1986). Quelques sites sont connus sur la côte sud, surtout dans les régions du Bic et de Kamouraska grâce aux efforts de l’archéologue Pierre Dumais pendant les années 1970 et 1980 (Dumais 1978, 1988). Un site unique d’art rupestre est aussi connu dans la région de Cacouna (Arsenault 2006). Cependant, ce sont les îles de la rive sud, en face de la côte du Bas-Saint-Laurent, l’île aux Corneilles, l’île Verte et l’île aux Basques qui ont été le mieux étudiées d’un point de vue archéologique. La majorité des occupations préhistoriques et historiques amérindiennes trouvées sur les îles est associée aux Iroquoiens du Saint-Laurent et à leurs ancêtres (Martijn 1969 ; Tremblay 1993a, 1993b, 1995, 1998, 1999).

Si nous examinons toutes les données archéologiques disponibles touchant la vallée de la rivière Saint-Jean, incluant les découvertes fortuites, les collections d’amateurs, les reconnaissances par des équipes de professionnels, les interventions d’archéologie préventive et les fouilles dans le cadre de projets de recherche, nous pouvons évaluer les données, les synthétiser et essayer de dresser un portrait de l’archéologie de cette région en 2010.

  • Les premières occupations de la région datent de la période paléoindienne (par ex. Munsungun, Maine et Squatec, Québec). Les périodes de l’Archaïque ancien et moyen (environ 9000 à 5500 AA) demeurent très mal connues et nous ne savons pas si la région a été abandonnée et réoccupée par d’autres groupes. Cependant, les données environnementales indiquent que la région n’était pas moins accueillante que les régions avoisinantes de la Péninsule maritime déjà occupées à cette période (Burke et Richard 2010). Le bassin versant de la Saint-Jean semble être connu et fréquenté dans sa totalité à partir de l’Archaïque supérieur, vers 5500 AA, et nous suggérons que le territoire sera occupé de façon plus ou moins permanente à partir de l’Archaïque terminal (environ 3800 AA) [Burke et Richard 2010 ; Chalifoux, Burke et Chapdelaine 1998 ; voir aussi Sanger 2008 ; Tuck 1991]. La présence amérindienne à la fin de l’Archaïque et au début de la période céramique, jusqu’à 2150 AA, n’est pas très visible, faute d’objets diagnostiques et de datations radiométriques (Blair 2004b ; Turnbull 1990). Les occupations de la préhistoire récente (de 2150 AA au Contact) sont les plus nombreuses et couvrent tout le territoire. Par contre, ces occupations n’ont livré que rarement de la poterie et elles sont souvent difficiles à dater de façon plus précise.

  • Dans l’ensemble, la majorité des sites trouvés est le résultat d’occupations de courtes durées par des petits groupes de chasseurs-cueilleurs ayant une grande mobilité. Les sites ne présentent généralement pas de foyers ou d’habitations, peu ou pas de restes fauniques ou végétaux, alors que la stratigraphie culturelle (superpositions d’occupations répétées) est généralement absente. Cela veut dire que les ancêtres des Malécites semblent avoir maintenu un mode de vie mobile, se déplaçant sur de vastes territoires en fonction d’un cycle annuel visant l’exploitation de ressources variées dans des environnements diversifiés à différentes périodes de l’année. Quelques sites plus grands qui semblent avoir été occupés à plusieurs reprises ou qui représentent des lieux de ­rencontre sont néanmoins connus. Par exemple, mentionnons les sites suivants : Big Black dans la haute vallée de la Saint-Jean, Davidson (CkEe-2) au Témiscouata, La Pomkeag sur l’Aroostook, CeDw-3, 4 et 8 à l’embouchure de la rivière Tobique, les grands sites de Woodstock et Meductic dans la moyenne vallée, ainsi que Fulton Island et Jemseg dans la basse vallée de la rivière Saint-Jean. Dans les régions où il y a de grands lacs, les sites se trouvent surtout autour de ces plans d’eau (par ex. au Témiscouata, à Munsungun, autour des lacs du bassin de la rivière Fish, et près des lacs French-Indian-Maquapit-Grand de la basse vallée de la Saint-Jean). Dans les régions dépourvues de lacs, les sites se trouvent le long de la rivière principale (par ex. Madawaska, Aroostook, Tobique, et la haute et moyenne vallée de la Saint-Jean).

Grâce à l’archéologie du pré-contact de la haute et moyenne vallée de la rivière Saint-Jean, les archéologues ont identifié certains éléments qui caractérisent cette vallée et la rendent unique sur le plan de l’archéologie de la Péninsule maritime, et même du Nord-Est.

  • La position stratégique de la haute et moyenne vallée qui permettait le lien par portages et rivières entre le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent d’une part, et la vallée de la Saint-Jean, la baie de Fundy, le golfe du Maine et le versant Atlantique d’autre part, est décrite depuis longtemps par les historiens (Caron 1980 ; Ganong 1906 ; Marie-Victorin 1918). Le système des portages de la haute vallée a été étroitement associé aux Malécites, et le portage des Sept-Lacs au Témiscouata est appelé, encore aujourd’hui, portage des Malécites. De plus, la découverte et l’utilisation des portages par les Français et les Anglais durant la période coloniale étaient possibles grâce aux connaissances des Malécites (par ex. Campbell 1937). L’archéologie a permis d’établir que les occupants de la haute et moyenne vallée de la Saint-Jean ont eu des interactions avec les groupes de l’Estuaire du Saint-Laurent, de la basse vallée de la Saint-Jean et de la baie de Fundy tout au long de la préhistoire récente (Burke 2001 ; Chalifoux et Burke 1995 ; Chalifoux, Burke et Chapdelaine 1998). Ces interactions étaient assurées par un vaste réseau social basé sur l’échange et les liens familiaux qui permettaient la circulation de matériaux et denrées de même que de personnes entre l’axe laurentien et le versant Atlantique (Burke 2000).

  • La haute et moyenne vallée de la rivière Saint-Jean est particulière aussi pour sa richesse en matières premières lithiques. En fait, trois sous-régions possédant des matières de bonne qualité pour la fabrication d’outils se trouvent dans la région de notre étude : Munsungun (Maine) avec le chert Munsungun, Témiscouata (Québec) avec le chert Touladi, et Tobique (Nouveau-Brunswick) avec le chert et la rhyolite de Tobique. L’utilisation de ces matériaux était vitale pour la survie des groupes de chasseurs-cueilleurs et ils ont été échangés parmi les ancêtres des Malécites de la vallée de la rivière Saint-Jean et aussi avec des groupes occupant l’Estuaire du Saint-Laurent, la basse vallée de la Saint-Jean et la Baie de Fundy (Burke 2000). Les régions de Munsungun, Témiscouata et Tobique ont produit des dizaines de sites où ces matériaux ont été taillés ainsi que des carrières préhistoriques, une situation assez rare dans le nord-est de l’Amérique du Nord (Burke et Chalifoux 1998 ; Clarke 1968 ; Keenlyside 1992 ; Pollock, Hamilton et Bonnichsen 1999). L’étude des collections archéo­logiques provenant de ces ateliers de taille et de ces carrières a permis de mieux comprendre la technologie lithique des ancêtres des Malécites (Burke 2000, 2007 ; Burke et Chalifoux 1998 ; Eid 2009 ; Hottin 2009).

Le futur : pour une archéologie des Malécites

Après cent vingt-cinq ans de découvertes archéo­logiques, nos connaissances sur l’archéologie du territoire malécite demeurent inégales, chose peu surprenante pour un territoire si vaste. Cela est le résultat de nombreux facteurs : une emphase de la recherche sur les occupations de la zone côtière aux dépens de celles de l’intérieur des terres ; un manque d’archéologues professionnels engagés à titre permanent dans les institutions régionales ; des projets de recherche visant des périodes ou des milieux très différents (par ex. hautes terrasses ciblées pour les sites très anciens) ; l’accessibilité parfois difficile au territoire ; la destruction des sites (par ex. barrages ou urbanisation) ; la visibilité réduite des sites (petits sites sans structures ou poterie) ; la visibilité et l’accessibilité réduites des sites ensevelis sous les alluvions ; l’absence récurrente d’objets diagnostiques sur les sites. Notons que ces facteurs pourraient également s’ap­pli­quer à plusieurs autres régions de l’Amérique du Nord.

Certaines sous-régions, comme le Témiscouata, semblent être suffisamment étudiées sur le plan archéo­logique pour permettre aux chercheurs de formuler des questions ou des hypothèses de recherche plus précises car le « laboratoire » est suffisamment riche. D’autres régions demeurent cependant un mystère et n’ont pas encore révélé leur potentiel. Quant à la recherche archéologique de base – celle qui est destinée à comprendre l’histoire culturelle d’une région à travers le temps –, nous suggérons de combler les vides géographiques par des inventaires (côte sud de l’Estuaire, bassin des rivières Fish et Aroostook, ainsi que la vallée de la rivière Saint-Jean entre Edmundston et Tobique). Dans la même foulée, il est important de continuer à bâtir sur les connaissances archéologiques des régions mieux connues (haute vallée de la Saint-Jean, Munsungun, Témiscouata, Tobique, et la moyenne vallée jusqu’à Meductic, Jemseg et les lacs de la basse vallée). Ces régions recèlent les données archéologiques et environnementales nécessaires pour générer une deuxième génération de questions archéologiques, et il faudra s’appuyer sur les séquences culturelles de ces régions pour mieux comprendre l’histoire à long terme des ancêtres des Malécites.

Des questions d’ordre régional ont déjà été identifiées par les chercheurs, et ces pistes de recherche méritent d’être poursuivies et approfondies. Quel était le rôle de la poterie parmi les groupes de chasseurs-cueilleurs qui occupaient la vallée de la rivière Saint-Jean au cours de la préhistoire (Bourgeois 1999 ; Deal, Morton et Foulkes 1991 ; Petersen et Sanger 1991) ? Quels étaient les schèmes d’établissement de ces groupes à travers le temps (Chalifoux, Burke et Chapdelaine 1998 ; Dumais 1979a, 1979b) ? Quelle était la relation entre les groupes de la côte du golfe du Maine et ceux de l’intérieur (Burke 2000 ; Petersen 1996 ; Sanger 1996a, 2003) ? Comment identifier et expliquer la transition entre l’Archaïque et la période céramique (Blair 2004b ; Sanger 2008 ; Turnbull 1990) ? Quelle était la relation entre les ancêtres des Malécites et leurs voisins à l’ouest et à l’est (Bourgeois 1999 ; Petersen 1990) ? Comme nous l’avons mentionné plus haut, les questions reliées aux échanges, aux interactions, aux voies de communication, à la technologie lithique et aux sources de matière première lithique sont toutes des pistes déjà bien étudiées mais qui pourraient obtenir davantage de réponses. Tous ces thèmes pourraient aussi bénéficier de recherches plus ciblées dans le cadre de mémoires de maîtrise et de thèses de doctorat.

Un thème de l’archéologie des Malécites qui ressort de notre analyse historique est l’absence de recherche sur la période coloniale dans la vallée de la rivière Saint-Jean. Nous parlons ici spécifiquement de l’archéologie des ­villages et des campements amérindiens datant des xviiexviiie et xixe siècles et non pas de sites d’implantation coloniaux européens comme le fort La Tour à Saint John, Nouveau-Brunswick. Nous connaissons surtout les lieux traditionnels de rencontre des Malécites comme Madawaska (Edmundston), Tobique, Woodstock et Meductic qui sont devenus des villages historiques, mais ces lieux sont méconnus sur le plan archéologique. Tous ces en­droits contiennent les vestiges archéologiques ­d’occupations répétées datant de la fin de l’Archaïque. Pourtant, aucun de ces endroits n’a été systématiquement fouillé avec des techniques modernes par des archéo­logues professionnels. Cette situation pourrait représenter une occasion unique pour les archéologues de la région, d’autant plus que plusieurs de ces sites sont menacés par le développement urbain ou l’érosion.

Les documents historiques peuvent nous aider à combler l’énorme vide dans nos connaissances archéo­logiques pour la période coloniale mais il faut utiliser ces sources de façon critique et avec un oeil ­d’ar­chéologue. Nous savons par exemple que ces textes peuvent ­parfois être remis en question et même rejetés dans le cas de la région de la Péninsule maritime. Le modèle de saisonnalité et de transhumance entre la côte et l’intérieur des groupes amérindiens rencontrés au cours du xviie siècle dans le Golfe du Maine qui apparaît dans les textes historiques français a souvent été cité par les historiens et les archéologues. Mais ce modèle a également été remis en question par les données archéo­logiques de la préhistoire récente (Bourque 1973 ; Sanger 1982, 1996a, 1996b ; Stewart 1989). Nous estimons qu’il y a plusieurs textes qui pourraient nous fournir des pistes sur la localisation probable de nouveaux sites historiques malécites (Albert 1982 ; Ganong 1983 [1899], 1904, 1906, 1930 ; Raymond 1943 ; Saint-Vallier 1856 ; Trueman 1966 ; Webster 1934) auxquels pourraient s’ajouter d’autres sources comme des rapports d’arpenteurs, ces derniers étant souvent accompagnés sur le terrain par des Malécites (Treat 2007).

Un document fascinant qui mériterait d’être étudié plus en détail est une carte qui se trouve dans les documents associés à l’historien Francis Parkman, au Massachusetts Historical Society (Parkman 1855). En fait, cette carte a déjà été reproduite par Ganong (1906) et celui-ci avait sans doute consulté les Parkman Papers du Massachusetts Historical Society ; elle apparaît dans le volume 30 à la page 326 et est identifiée comme suit : « Carte de la rivière St. Jean, Et des missions parmy les Abenaquis, 1699, Paris, par Guillaume De Rozier » (fig. 4). La carte avait été copiée en France par Benjamin Perley Poore, agent historien pour le Commonwealth du Massachusetts, à partir d’une carte que possédait un certain M. Estancelin. Les seules marques sur la carte sont des points qui ­indiquent vraisemblablement des villages amérindiens ; des établissements européens et quelques toponymes et portages sont aussi nommés. Sur la figure 4, j’ai reproduit les points qui apparaissent sur la carte de De Rozier pour la haute et moyenne vallée de la rivière Saint-Jean, avec les toponymes associés tels qu’ils apparaissent sur la carte. J’ai consulté la copie faite à partir de l’original de la carte de De Rozier à Boston et j’en ai fait des photocopies et des photos. La carte originale présentant une certaine déformation cartographique liée à la projection, les points doivent être placés sur une carte actuelle avec un certain degré d’interprétation et d’imprécision. Notons la présence d’au moins dix-neuf villages, dont un à la confluence des rivières Allagash et Saint-Jean, un sur la rivière Fish, trois sur l’Aroostook, un sur la rivière Eel (riv. Medoctec sur la carte), deux sur la Saint-Jean entre Edmundston et Tobique et onze dans la moyenne vallée. Le seul site qui porte un nom est Asanatok, près du Grand-Sault. On peut se demander si Asanatok est le nom malécite pour cet étonnant endroit stratégique sur la rivière Saint-Jean. Des points apparaissent aussi près des villages de Woodstock et Meductic. La rivière Tobique n’apparaît pas sur la carte.

Figure 4

Villages amérindiens tels qu'identifiés et indiqués par des points (à gauche) à partir de la carte de la rivière Saint-Jean réalisée par Guillaume De Rozier (1699) et recopiée par Benjamin Perley Poore (voir détails, à droite)

Villages amérindiens tels qu'identifiés et indiqués par des points (à gauche) à partir de la carte de la rivière Saint-Jean réalisée par Guillaume De Rozier (1699) et recopiée par Benjamin Perley Poore (voir détails, à droite)

(Détails du facsimilé de la Carte de la Riviere St. Jean et des missions parmy les Abenaquis, carte manuscrite de Guillaume De Rozier, 1699. Francis Parkman Papers, vol. 30, p. 326. Massachusetts Historical Society. Reproduit avec la permission de la Massachusetts Historical Society)

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Une archéologie historique des Malécites nous permettrait de faire le pont entre la « préhistoire » (définie par les archéologues) et « l’histoire » des Amérindiens par le biais de la culture matérielle. L’archéologie des xviie, xviiie et xixe siècles ­permettrait de mieux comprendre la réorganisation du monde malécite après le contact, d’identifier les modes de résistance à l’invasion européenne mais aussi l’adoption et l’intégration de la culture matérielle européenne dans l’univers culturel malécite (fig. 5 à 7). Elle pourrait même remettre en question ou aider à comprendre de façon plus critique les données ethnohistoriques trop souvent prises pour acquises. Cette archéologie des Malécites de l’histoire récente pourrait aussi être plus proche des intérêts des communautés malécites contemporaines et elle aiderait ainsi à établir des liens plus étroits entre les archéologues et les différentes communautés. Le Maliseet Advisory Committee on Archaeology offre déjà une structure pour développer ces collaborations au Nouveau-Brunswick. De plus, la présence ­d’archéologues qui vivent et oeuvrent dans la vallée de la Saint-Jean est nécessaire pour assurer ces collaborations. Au Nouveau-Brunswick, il y a trois archéologues préhistoriens qui oeuvrent en milieu universitaire (Fredericton et Saint John), ainsi que cinq autres archéologues à temps plein au bureau des Services archéologiques du gouvernement provincial à Fredericton, sans compter les professionnels en archéologie préventive. C’est pour cette raison sans doute que les collaborations entre Malécites et archéologues sont plus nombreuses au Nouveau-Brunswick. Au Maine, un seul archéologue habite et travaille dans le nord de l’État dans le comté d’Aroostook. Il s’agit de David Putnam de la University of Maine à Presque Isle, qui a déjà collaboré avec les Malécites du Maine dans le cadre de projets dans la région. Au Québec, on peut compter sur la présence du Fort Ingall à Cabano et sur la Société d’histoire et d’archéologie du Témiscouata pour assurer une certaine visibilité à ­l’archéologie dans cette vaste région de l’intérieur.

Figure 5

Intérieur d'une cabane en bois chez les Malécites, près du fleuve Saint-Jean, N.-B.

Intérieur d'une cabane en bois chez les Malécites, près du fleuve Saint-Jean, N.-B.

(Aquarelle de Robert Petley, vers 1840. Collection John Clarence Webster Canadiana, n° W5943, Musée du Nouveau-Brunswick, Saint John, N.-B.)

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Figure 6

Guide malécite et son canot sur la lac Témiscouata, Québec, vers 1865

Guide malécite et son canot sur la lac Témiscouata, Québec, vers 1865

(Photographie de George Thomas Taylor, n° 1987.17.1458, Musée du Nouveau-Brunswick, Saint John, N.-B.)

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Figure 7

Indiens (Malécites) en train de fabriquer des torches

Indiens (Malécites) en train de fabriquer des torches

(Tiré de Roberts 1882 : 774)

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L’engagement du grand public est également important car c’est ensemble que les communautés amérindiennes, eurocanadiennes et américaines de la vallée de la rivière Saint-Jean pourront veiller à la protection du patrimoine archéologique. Mentionnons que la région de la haute vallée du la Saint-Jean bénéficie déjà de trois histoires régionales accessibles au grand public qui incluent une mention de l’archéologie des Malécites (Bear-Nicholas 1989 ; Craig et al. 2009 ; Fortin et Lechasseur 1993). En plus, la Péninsule maritime est très privilégiée d’avoir deux programmes pédagogiques qui ont été développés pour enseigner l’histoire et la culture des Amérindiens et qui incluent l’archéologie (Leavitt 1995 ; Maine Indian Program & A.F.S.C. 1989). Dans le Bas-Saint-Laurent, le nouveau Parc national du Lac-Témiscouata présente ­l’archéologie préhistorique régionale comme élément central des activités d’interprétation – ce qui représente un élément novateur pour les parcs du Québec. Par contre, il est triste de constater que le plan directeur de ce parc ne mentionne qu’à deux reprises les Malécites (MDDEP 2008) et qu’aucune collaboration ou consultation avec les communautés malécites de la région ne soit envisagée.

Enfin, la formation éventuelle d’archéologues issus de communautés malécites serait à envisager. L’embauche de jeunes Malécites sur des projets archéologiques devrait se faire de façon systématique afin de favoriser l’émergence d’une expertise autochtone locale. À cet égard, mentionnons l’embauche de Karen Perley, une Malécite de Tobique, comme archéologue permanente dans les Services archéologiques du Nouveau-Brunswick à Fredericton. Le futur de l’archéologie sur les Malécites semble prometteur, et il y a certes de la matière à étudier, mais il faudra travailler de concert avec les premières nations afin d’assurer la pérennité de ce patrimoine à travers les générations futures.