Réflexion sur le droit et les autochtones

À la défense des droits culturelsRéponse à Jean Leclair[Notice]

  • Avigail Eisenberg

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  • Avigail Eisenberg
    Programme sur la gouvernance autochtone, Département de science politique, Université de Victoria, Colombie-Britannique

  • Traduit de l’anglais par
    Martin Hébert

Avec la décision R. c. Van der Peet [1996], la Cour suprême du Canada a commencé à interpréter les droits ancestraux comme essentiellement liés à la protection du caractère distinct des cultures des peuples autochtones. Dans cette perspective, les juges ont défini un critère, dit critère de la « partie intégrante de la culture distinctive », que la Cour a appliqué dans cette cause et dans plusieurs décisions subséquentes pour déterminer si une pratique autochtone (p. ex. la chasse, la pêche, le commerce) constitue un droit protégé par le paragraphe 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette approche de la Cour reflète une tendance de plus en plus marquée dans les décisions politiques et légales un peu partout dans le monde, qui consiste à interpréter les droits à la lumière de dimensions de l’identité comme la culture, la nation, la langue, l’autochtonie, le genre, et ainsi de suite. Au cours des trente dernières années, les luttes politiques fondées sur l’identité se sont intensifiées, et des gouvernements, à tous les paliers ou presque, ont adopté des provisions constitutionnelles ou des mesures légales visant à reconnaître et protéger les identités individuelles et collectives. Plusieurs philosophes politiques ont soutenu que l’identité peut fournir des bases solides et légitimes pour la définition et la protection des droits. Les gens ont souvent un lien identitaire fort avec leur langue, leur culture, leur territoire, leur religion, et dans certains cas ces liens ont été injustement ignorés et réprimés par les États-nations contemporains. L’identité peut être une manière efficace de mettre en évidence la discrimination, l’irrespect et d’autres formes de marginalisation subies par des groupes. Dans certains cas, les politiques de l’État dénigrent volontairement certaines identités. Même les politiques qui se disent neutres quant à diverses dimensions de l’identité (p. ex. culture, religion, genre) ont souvent comme effet d’exclure des personnes sur des bases identitaires. Dans plusieurs conflits contemporains, l’identité s’est avérée un puissant facteur de mobilisation politique, et les analyses qui tiennent compte des dimensions identitaires ont joué un rôle important dans le dévoilement des biais culturels ou autres dans les lois et les politiques publiques. Pour ces raisons, les théoriciens du multiculturalisme et de la reconnaissance se sont souvent montrés optimistes quant à la capacité des mobilisations politiques fondées sur l’identité de contribuer à mettre en évidence les injustices subies par certains groupes. D’un autre côté, l’intensification des revendications identitaires et de l’action politique fondée sur l’identité génère un nombre croissant de critiques qui soutiennent que la culture et les autres facettes de l’identité posent de grands risques lorsqu’elles deviennent la base de luttes pour l’égalité et la liberté. Trois de ces risques, souvent associés aux revendications identitaires, sont abordés par Jean Leclair : 1) l’essentialisme, ou le risque qu’une revendication identitaire figera dans la loi ou les politiques publiques des stéréotypes fondés sur des visions statiques, étroites et nostalgiques de l’identité d’un groupe ; 2) la domestication, ou le risque que des luttes politiques présentées en termes identitaires viendront masquer les rapports de pouvoir entre les groupes dominants et marginalisés en réduisant, par exemple, une situation de domination sociale à une question de différence culturelle ; et 3) les manipulations par les experts et les élites, ou le risque que des groupes vulnérables se trouvent manipulés, que leur identités soient déformées, par des experts extérieurs au groupe comme des sociologues, des historiens, des anthropologues, ou encore par des élites internes au groupe comme les aînés et autres leaders communautaires qui, appelés à expliquer l’identité d’un groupe devant les tribunaux, définiront cette identité de manière opportuniste en fonction de leurs propres …

Parties annexes