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À leur arrivée au Canada en 1841, les Oblats de Marie-Immaculée ont dirigé leur apostolat vers les secteurs qui n’étaient pas érigés en paroisse et se sont vu attribuer, entre autres, les missions dites « indiennes ». Ce faisant, ces missionnaires se sont disséminés sur un territoire immense, couvrant la presque entièreté de la partie nord du continent. Les Oblats de Marie-Immaculée ont donc accumulé une vaste expérience de première main sur le quotidien de nombreuses communautés autochtones au Canada et ce, sur plus de cent cinquante ans. La congrégation des Oblats de Marie-Immaculée a aussi pour caractéristique une tradition documentaire et archivistique, ainsi qu’une volonté de recherche et de diffusion des connaissances. Ainsi, les Oblats de Marie-Immaculée comptent parmi leurs rangs des archivistes qui ont colligé la documentation volumineuse produite par leurs missionnaires, des historiens qui ont documenté l’histoire de leur propre congrégation et de ses oeuvres, ainsi que des prêtres chercheurs qui ont participé à l’accumulation de connaissances empiriques et à la diffusion de celles-ci. L’accessibilité des archives de leur congrégation aux chercheurs laïcs ainsi qu’une longue tradition universitaire (Université Saint-Paul) sont des exemples de cette volonté de recherche, de diffusion et de collaboration soutenue avec des chercheurs externes à leurs propres rangs.

Le Symposium consacré à l’histoire des missions oblates auprès des Premières Nations qui s’est tenu à Ottawa en 2013 serait un autre exemple d’une telle collaboration. Comme l’explique dans le chapitre introductif M. Pierre Hurtubise, o.m.i., détenteur de la Chaire de recherche en histoire religieuse du Canada de l’Université Saint-Paul, les Oblats sont arrivés à un point tournant : ils ne peuvent plus, à eux seuls, continuer à documenter l’histoire de leur propre congrégation. Désormais, ils doivent compter sur des chercheurs laïcs pour poursuivre le travail. Les actes du Premier Symposium consacré à l’histoire des missions oblates auprès des Premières Nations est la résultante de cet effort de collaboration avec des chercheurs et institutions externes, un effort qui n’est certes pas nouveau, mais qui redouble maintenant d’intensité. L’objectif avoué de l’ouvrage consiste donc, selon l’organisateur, à explorer les thématiques de recherche susceptibles d’être abordées dans un avenir rapproché par des chercheurs externes afin qu’« en bout de ligne, la rédaction d’une histoire générale des missions oblates auprès des Premières Nations devienne envisageable ». En plus de l’organisateur, sept chercheurs se sont donc prêtés à cet exercice de réflexion, dont six laïcs. L’ouvrage qui en résulte regroupe un total de huit chapitres en français ou en anglais, rédigés par les participants du Symposium. Le recueil cartonné de 247 pages est produit et distribué par l’Université Saint-Paul. Les huit chapitres sont suivis d’une bibliographie thématique de 45 pages, compilant les publications portant sur différents aspects de l’histoire des missions oblates auprès des autochtones.

Les trois premiers chapitres sont liés directement au thème proposé et concernent surtout les avenues de recherche prometteuses sur l’histoire des Oblats auprès des Premières Nations. Ainsi, Pawel Zajac effectue une étude historiographique des publications oblates dans le contexte des missions destinées aux Premières Nations et extrapole des réflexions sur une approche historique à privilégier à l’avenir. Pour sa part, Raymond Huel examine les thèmes de recherche qui pourraient être abordés pour documenter le rôle des Oblats dans les provinces de l’Ouest. Sa liste inclut, entre autres, le financement des missions, les relations avec le gouvernement fédéral, les congrégations féminines qui ont parfois oeuvré de concert avec les Oblats, notamment dans le domaine de l’éducation, le rôle des frères convers, ainsi que le travail des Oblats dans des langues autres qu’autochtones. Marie-Pierre Bousquet enchaîne avec un article, exploratoire lui aussi, qui constitue le pendant oriental du chapitre précédent. Ainsi, elle propose de nouveaux thèmes de recherche encore inexploités sur les missions indiennes de l’est du Canada, susceptibles d’être étudiés à partir des archives oblates. Elle classifie cette liste de sujets d’étude en trois grandes catégories : l’approche biographique, l’approche thématique et l’approche idéologique. Elle note au passage des mentions intrigantes qu’elle a repérées dans les archives oblates et qui mériteraient une attention plus soutenue.

Les quatre chapitres suivants sont plutôt le produit d’une réflexion déjà amorcée. En ce sens, ils correspondent moins à l’exploration de thèmes à privilégier à l’avenir et montrent plutôt l’intérêt que suscite déjà, dans le milieu de la recherche universitaire, la question de la rencontre entre Oblats et Premières Nations. Ainsi, dans un chapitre co-écrit par Marie-Pierre Bousquet et Anny Morissette, les auteures tentent d’évaluer le sens profond des objets donnés aux missionnaires par les autochtones. Pour sa part, Frédéric Laugrand montre que les missionnaires oblats n’étaient pas que de simples exécutants des directives qui étaient formulées par leur congrégation. Certains missionnaires sont ainsi devenus passionnés des personnes qu’ils côtoyaient au quotidien, effectuant de véritables compilations ethnographiques. Ils ont également été des acteurs de transformation, des interprètes culturels, obtenant des dispenses exceptionnelles pour rendre un canon davantage adapté à la norme culturelle locale. Ils ont eux-mêmes parfois été profondément transformés par leur expérience, riche en enseignement sur l’humanité. Le chapitre suivant est écrit par Timothy Foran, qui affirme que les Oblats ont entretenu des relations complexes avec les Métis, ces derniers ayant agi comme des sortes d’agents de liaison entre les missionnaires oblats et les Premières Nations. Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage est écrit par Diane Lamoureux qui expose succinctement le travail des Oblats dans l’édition d’ouvrages en langues autochtones, ainsi que l’enseignement scolaire en langues autochtones.

Si les objectifs de l’organisateur étaient essentiellement pragmatiques et semblaient surtout centrés sur la façon de trouver une formule de publication adaptée à la nouvelle réalité des Oblats, les participants, eux, ont offert des contributions poussant la réflexion bien au-delà, montrant que le phénomène de la rencontre entre missionnaires et autochtones au Canada constitue en lui-même un sujet d’intérêt déjà manifeste dans le milieu universitaire. Le potentiel de recherche est immense et semble à ce jour à peine exploité. Pour cette raison, il semble dommage que ces actes soient voués à une diffusion aussi restreinte : l’ouvrage n’est disponible qu’à l’Université Saint-Paul, et le site Internet de la Chaire ne le publicise pas, ce qui le rend quasi invisible pour le public. Par le fait même, on peut se demander si la réponse à l’interrogation initiale de l’organisateur ne se trouve pas là : la diffusion des connaissances sur l’histoire de la rencontre entre Oblats et autochtones passe peut-être, à court terme, par le milieu universitaire. Cette formule aurait par ailleurs l’avantage de porter un regard externe sur la question des missions en contexte autochtone, un besoin plus pressant depuis les révélations faites au public sur les pensionnats. Les Oblats de Marie-Immaculée ont colligé une masse documentaire considérable sur les missions indiennes. Ils tendent aussi la main aux chercheurs universitaires. Cette offre de collaboration n’est pas à négliger.

Bien que difficile à obtenir, l’ouvrage sera intéressant pour les chercheurs souhaitant s’initier à la question des missions oblates en contexte autochtone. La bibliographie thématique à la fin de l’ouvrage est effectivement très utile pour amorcer de telles recherches et prouve, encore une fois, le souci de compilation documentaire des Oblats.