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Les récits que l’on entend à propos des croyances et des pratiques issues du pentecôtisme s’arriment autour de la notion de guérison, tant celle d’individus que celle de communautés aux prises avec des comportements destructifs et avec des affiliations qui, croit-on souvent, résultent de la vie contemporaine dans de nouvelles communautés permanentes et centralisantes. Cette guérison implique deux aspects fondamentaux : la transformation régénératrice de l’identité sociale et spirituelle d’un individu et une évolution vers une autonomie accrue face à l’autorité des Qallunaats (les non-Inuits) dans tous les domaines de la vie. C’est également de cette manière que le mouvement pentecôtiste inuit prend tout son sens dans le contexte plus large du Nunavut. L’idée du Nunavut est née dans les années 1960 de la frustration des Inuits face à la détérioration de leurs conditions sociales et devant l’évidence de leur absence de contrôle sur leurs propres affaires. Tous les Inuits anglicans, laïques ou ministres, ainsi que de nombreux leaders politiques de haut rang, sont maintenant des « nouveaux chrétiens » (reborn Christians) ; ils défendent l’idée de perpétuer la morale et le mode de vie inuits traditionnels qui, croient-ils, sont incarnés dans le système de croyances chrétien.

Tant les disciples de l’approche évangélique que ses opposants appliquent, à l’intégration de nouveaux éléments dans leur vie, des principes émanant de leur passé traditionnel : le besoin d’établir de bonnes relations entre les humains, avec Dieu et avec un monde naturel sensible et de les maintenir en observant des règles de conduite strictes. En ce qui concerne les relations avec les nouveaux éléments, la définition de nouvelles règles alimente continuellement les discussions dans la communauté. Alors qu’ils sont encore attachés à leur passé chamanique et chrétien anglican, bien qu’ils acceptent de le redéfinir, les Inuits évangélistes croient que les approches religieuses ne peuvent qu’améliorer leurs relations. D’autres craignent au contraire que ces approches soient peu judicieuses, ne faisant qu’aggraver les difficultés sociales. D’un côté comme de l’autre, la question de restauration sociale est étroitement imbriquée avec celle de la transformation religieuse.

Environ cinq cents habitants résident dans le petit village inuit de Qikiqtarjuaq. L’examen de l’histoire du pentecôtisme et des perspectives qui en découlent pour cette communauté nous donne un aperçu de la vision inuite en ce qui a trait à la notion de communauté, de continuité, de changement et de renouveau social.

Le pentecôtisme global

Les croyances et les pratiques pentecôtistes[2] ont connu un essor dans l’Arctique canadien dans les années 1970 et 1980 et continuent d’accroître leur popularité chez les Inuits du Nunavut. Ceux-ci, convertis en « nouveaux chrétiens » font désormais partie d’un mouvement évangélique répandu à l’échelle de la planète et qui est considéré comme le mouvement religieux qui connaît la croissance la plus importante au monde aujourd’hui. Barret et Johnson (2003) estiment que le mouvement pentecôtiste global compte approximativement cinq cent millions d’adhérents, ce qui représente environ 25 % de tous les chrétiens. Ce mouvement dérive, depuis un peu plus d’un siècle, d’un certain nombre de mouvements religieux tels que le piétisme, l’Église morave, le Méthodisme, le Mouvement sacré (Holiness Movement) et le christianisme afro-américain. Inspirés par le très célèbre Azusa Street Revival de Los Angeles en 1906, les ministres évangélistes ont déferlé en Amérique du Nord, puis dans le monde entier (Burgess et McGee 1988 : 2).

La prépondérance de l’expérience sur une théologie plus formelle est centrale au pentecôtisme. Ainsi dans les liturgies principalement orales et participatives qui encouragent la spontanéité, les croyants expriment leur désir d’une rencontre divine avec l’Esprit Saint. L’expérience charismatique de l’immédiateté de Dieu qui en découle doit permettre une transformation curative de l’identité d’un individu alors qu’il (ou elle) prend part au renouvellement des relations spirituelles et sociales, qu’il respecte de nouvelles règles dans la vie quotidienne, qu’il reçoit de nouvelles compétences spirituelles et qu’il ressent un mieux-être accru. Le converti est encouragé à poursuivre certaines de ses aspirations à la vie moderne, telles que l’éducation formelle et le succès économique qui constituent la « nouvelle vie » (Anderson 2004 : 1-14, 188f, 201 ; Robbins 2004).

Dans leur passé chamanique, les Inuits croyaient déjà à la participation du monde des esprits aux processus de guérison, ce qui n’a pas cessé avec leur conversion au christianisme. Les missionnaires de l’Église d’Angleterre (CMS) et de diverses sociétés anglicanes (BCMS) qui oeuvrèrent au sud de la Terre de Baffin au début du xxe siècle ont insisté sur l’importance du lien avec l’Esprit Saint au moment des prières et de la liturgie.

Les efforts visant à mener une bonne vie et à assurer le bien-être de la collectivité ont toujours été directement reliés au respect des règles de bon comportement qui rapprochent les domaines religieux et social (Omura 2002 ; voir également Boas 1888 ; Rasmussen 1931 ; Saladin d’Anglure 1990). Le cadre pentecôtiste maintient des liens avec les pratiques plus anciennes du chamanisme ainsi qu’avec celles de l’anglicanisme, selon lesquelles il existe des liens étroits entre les pratiques de guérison et tous les domaines de la vie. Laugrand et Oosten (2007 : 233) avancent l’idée que « le Pentecôtisme inuit contemporain peut… être considéré comme un développement d’idées déjà familières aux Inuit ».

Le mouvement pentecôtiste global a la capacité inhérente de permettre, et même d’encourager, l’existence d’une diversité de manifestations qui interprètent et intègrent les traditions religieuses locales. En effet, nous dit Anderson « la diversité elle-même constitue une caractéristique primordiale de l’identité pentecôtiste et charismatique » (2004 : 10, 203). Cette capacité permet d’envisager tout le potentiel du pentecôtisme pour devenir un outil adapté localement ; ainsi ses adhérents peuvent modeler, au sein d’un cadre culturel existant, les processus d’adaptation et de changement menant à la modernité et aux tendances globalisantes. Tant les anciennes que les nouvelles croyances et pratiques religieuses sont investies d’une signification culturelle plus large.

Le pentecôtisme à Qikiqtarjuaq, Nunavut

L’arrivée du pentecôtisme dans le Grand Nord est survenue presque simultanément avec les actions de revendication politique et territoriale de mieux en mieux organisées et propres aux Inuits. Ces revendications découlaient des frustrations ressenties par les Inuits aux prises avec leurs conditions sociales et avec l’attitude paternaliste de l’État canadien. Elles allaient d’ailleurs mener à l’établissement, en 1999, du Nunavut, territoire inuit canadien. La création du Nunavut, ainsi que d’autres actions inuites visant à la reprise de pouvoir, a sans doute contribué à l’attrait du nouveau mouvement religieux. En effet, le mouvement pentecôtiste encourage l’indépendance autochtone, l’intégration de modes de vie inuits dans des institutions de type occidental ; en revanche, il prône l’acceptation de la modernité. Le processus d’indigénisation des institutions occidentales était déjà lié au christianisme dans le sud de la Terre de Baffin où la politique missionnaire anglicane appuyait le pouvoir autochtone (Laugrand et Oosten 2007). Les mouvements pentecôtistes vont toutefois encore plus loin en ce qu’ils déconstruisent l’autorité exercée par les premiers missionnaires non autochtones en matière de prière et de culte.

Jusque dans les années 1950 et 1960 la plupart des Inuits avaient connu la vie nomade des camps, ou peut-être avaient-ils effectué des séjours provisoires dans des communautés d’habitations plus permanentes comme celles autour des postes de traite ou des camps militaires. Depuis toujours, les variations saisonnières et la flexibilité de composition des groupes et du choix des sites de campement avaient jalonné la vie des Inuits (Stuckenberger 2006). Plusieurs facteurs, dont une situation économique difficile, les pressions politiques et le souhait d’améliorer les conditions de vie dans l’Arctique, ont poussé le gouvernement canadien à concevoir et à construire des sites résidentiels prenant la vie urbaine occidentale comme modèle. Les campements furent fusionnés et les gens adoptèrent graduellement un mode de vie sédentaire, moins structuré par la chasse et les migrations de la faune et plus lié aux activités salariées, aux horaires scolaires, à de nouvelles lois et à une nouvelle organisation sociale[3].

La vie avec ces nouveaux aspects suscita plusieurs réactions. D’une part le logement, la disponibilité de nourriture en magasin, les services de santé ont été bien accueillis. Par contre, le stress encouru à cause de la relocalisation obligatoire, des longs séjours au même endroit et de la dimension des communautés, de même que, pour les enfants, l’accès réduit au territoire et, conséquemment, au savoir traditionnel ainsi que la perte de contrôle sur plusieurs aspects de leurs vies furent perçus comme dommageables. Aujourd’hui, la plupart des communautés inuites se débattent contre des troubles sociaux des plus graves tels que le taux élevé de suicide chez les jeunes, la consommation de drogues, la violence familiale et le chômage (Stuckenberger 2005). Un développement économique lent nuit à l’établissement de ménages et de communautés autonomes alors que les coûts liés à la chasse ont considérablement augmenté avec l’usage des motoneiges et le fait de devoir parcourir de grandes distances pour se rendre à son territoire de chasse. Jose Kusugak résume ainsi la situation : « Nous avions perdu le contrôle sur de grands pans de nos vies à cause de l’arrivée d’institutions, de langues et de valeurs qui nous étaient étrangères. » (Kusugak 2000 : 28 ; voir également Hicks et White 2000 : 48-50 ; Loukacheva 2007 : 31)

Pendant les années 1960, les Inuits ont commencé à mettre sur pied des organisations interrégionales dans le but de renforcer leur impact politique et de reprendre le contrôle sur leurs vies (Blaisel et al. 1999 : 371). Ces initiatives ont mené à la création d’Inuit Tapirisat en 1971. Les Inuits des Territoires du Nord-Ouest, du Québec et du Labrador ont formulé leurs revendications territoriales et gouvernementales. Elles menèrent également en 1999 à la création du nouveau territoire, le Nunavut, qui permettait aux Inuits d’exercer un plus grand contrôle sur l’administration du territoire et de poursuivre leur objectif de développer une forte identité ethnique et culturelle au sein de l’État canadien (Dickerson 1992 : 101 ; Kublu et Oosten 1999 : 58-59 ; Canada, s.d. ; Loukacheva 2007 : 29 ; Remie 1989).

Bien que l’on dise que l’autodétermination administrative fut un grand succès, le nouveau contexte créa également un défi, celui d’établir un nouveau type d’autorité censé fonctionner seulement dans l’arène politique et institutionnelle tout en demeurant efficace dans les communautés. Pour Iola Mentuq[4], ministre anglican et « nouveau chrétien » inuit, l’émancipation politique doit aller de pair avec les pratiques spirituelles dans une tentative de réconciliation de l’expérience négative du passé avec le présent :

Nous, Inuits, étions opprimés mais nous devenons forts et devons nous guérir nous-mêmes. Le gouvernement du Nunavut ne fait que panser la plaie, discutant de ces questions tant et plus, tandis que la souffrance ne cesse d’augmenter. Il y a tant d’abus et de violence. Les gens doivent se guérir, confronter les problèmes directement, à l’église et par la prière. Une partie de nos problèmes sont de nature spirituelle mais ces problèmes sont aussi reliés au passé, à nos attitudes envers le savoir et l’éducation et envers le monde qui nous entoure, à la [difficulté de] pardonner. (Entrevue avec Iola Mentuq à l’hiver 1999, notes de terrain de N. Stuckenberger)

La création du Nunavut a permis de développer une structure d’autorité autochtone et d’ouvrir le débat sur le rapport entre, d’une part, les valeurs morales et religieuses et, d’autre part, la responsabilité politique en matière de renouveau social (Laugrand et Oosten 2007 : 238 ; Stuckenberger 2007). Les chefs de file évangéliques chez les Inuits canadiens vont encore plus loin dans leur conception de la pan-autochtonie au sein du monde occidental. Dans le Covenant of the First Peoples of North America, un document signé sur la colline du Parlement le 21 juin 2006 par les ministres Arreak, Deer, Dewar et Arnaquq, qui se considéraient comme les représentants de tous les Inuits au sein des nations autochtones en général, il est dit que :

Article 2. En tant que peuples des Premières Nations d’Amérique du Nord, nous nous considérons guéris, rétablis et libérés. Nous affirmons notre désir de partager nos lieux d’habitation et nous collaborerons, entre nous et avec l’Église en Amérique du Nord, ainsi qu’avec les gouvernements et les autres nations d’Amérique du Nord. Nous marcherons ensemble dans la paix, la prospérité et la liberté et nous nous engageons à restaurer et à promouvoir l’intégrité morale, spirituelle et politique de notre territoire. Nous proclamons le besoin de guérison et de restauration de nos terres ; nous proclamons notre renaissance en Amérique du Nord ; et l’Amérique du Nord deviendra une bannière symbolisant la guérison pour toutes les nations du monde. (e-doc Covenant of the First Peoples of North America ; voir également Laugrand et Oosten 2007 : 239).

Le pentecôtisme est entièrement planétaire, en ce sens qu’il se réclame d’une vérité fondamentale qui vaut pour l’humanité entière. Ces dirigeants inuits croient qu’ils peuvent ainsi présenter leurs usages locaux en tant que modèle global de renouveau. Inversement, une participation au mouvement global implique l’intégration de nouveaux éléments, tel un système politique moderne, dans le mode de vie local. De cette façon, du point de vue de ses adeptes, le pentecôtisme fonctionne comme agent du changement qui permet que le passé ainsi que les nouveaux éléments et les nouveaux types de relations soient réévalués dans un cadre de référence culturel inuit.

La continuité et le changement dans les relations sociales et cosmologiques

On sait peu de choses de la vie des Inuits avant l’arrivée des Européens au milieu du xviiie siècle. Les descriptions anthropologiques des modes de vie inuits d’avant la venue du christianisme se fondent sur les écrits d’auteurs tels que Parry (1824), Lyon (1824), Hall (1865), Kumlien (1879) et Boas (1888). Ces premières sources décrivent une société de chasseurs exploitant les mammifères marins, le caribou, le poisson et une certaine quantité de légumes et de baies ; c’était une société qui fonctionnait selon un mode d’organisation sociale souple et saisonnier, et qui obéissait à une autorité de circonstance ou conditionnée par des tâches spécifiques.

La chasse constituait une pratique économique et technologique autant que spirituelle. Les humains, les animaux, les esprits et tout autre élément naturel possédaient une nature sensible et partageaient leurs qualités spirituelles. Les humains comptaient sur des liens fonctionnels avec leur gibier et avec d’autres êtres, liens qu’ils entretenaient en observant des règles de conduite strictes. On croyait que les conditions difficiles qui menaçaient la survie du campement, telles que la maladie, le mauvais temps ou l’absence de gibier, découlaient du non-respect des règles. Le travail des chamanes consistait donc à rétablir les liens entre humains et esprits. Dans la cosmologie inuite, la réalité physique changeante de l’Arctique ainsi que les domaines religieux et sociaux tissaient une fragile trame.

Bien des récits racontent comment les liens établis entre des règles spécifiques et les relations qu’entretenaient les humains avec d’autres êtres remontent au temps mythique, celui de la création du monde à partir de la métamorphose de divers éléments de la terre et du ciel. À chaque nouvelle transformation de la matière ou d’êtres quelconques en une diversité d’êtres, l’évolution de la société inuite exigeait d’y intégrer de nouvelles règles qui liaient la société et un univers moral et sensible. L’introduction de règles en conjonction avec l’établissement de nouvelles relations n’a jamais cessé et continue donc. Par exemple, si on considère la conversion de la société inuite au christianisme dans le sud de la Terre de Baffin au xxe siècle, plusieurs des règles qui s’appliquaient à Sedna, une déesse de la mer qui régissait les mammifères marins, ont été remplacées par des règles chrétiennes d’observation du Sabbat, tel que demandé par Dieu qui, croyait-on désormais, régissait le monde des animaux.

Ainsi, même si les règles de conduite avaient une grande importance, la société inuite n’était tout de même pas statique. Déjà au xixe siècle, la description ethnographique de Kumlien (1879) parle de modes de vie inuits affectés par des technologies introduites par les explorateurs, les baleiniers et les marchands – par exemple des bateaux de bois, des fusils et des munitions, des couteaux, des casseroles et des aiguilles. L’usage des nouvelles technologies de transport et de chasse requérait également une adaptation de la relation entre un chasseur et son gibier ou un chasseur et d’autres personnes (Damas 1988 : 113 ; Stevenson 1997 : 114 et suiv.). L’étroite connexion entre la religion, l’économie et l’organisation sociale qui y était associée s’exprimait par une structure d’autorité souple qui se combinait fréquemment avec divers domaines, tel qu’on l’a vu chez certains chefs plus charismatiques et qu’on le constate encore aujourd’hui (Blaisel et Knötsch 1995).

La fin de la Deuxième Guerre mondiale marque une époque de changements drastiques dans l’Arctique canadien, surtout en raison de la construction et de l’établissement de nouveaux villages. Même si les conditions sociales différaient grandement de celles du passé, les modes de vie inuits ont changé moins qu’on l’aurait cru. Les Inuits ont continué de chasser en conservant un modèle de liens qui remontent à l’époque nomadique, selon lequel la relation aux animaux et au monde des esprits constitue encore un aspect essentiel de la société inuite, même si elle s’articule dans un cadre chrétien. Les Inuits continuent de formuler leur perception d’eux-mêmes en termes cosmologiques qui confèrent de l’importance à Dieu, au territoire et aux animaux. C’est précisément de cela que nous discuterons dans la prochaine section, qui décrit brièvement la vie de village contemporaine (Stuckenberger 2005).

Vivre à Qikiqtarjuaq

À Qikiqtarjuaq, la chasse et autres activités de cueillette continuent d’être importantes et valorisées par la communauté. Le partage de nourritures et la consommation de denrées alimentaires locales contribuent de façon significative à la bonne nutrition, à la cohésion sociale et au sentiment d’identité culturelle (Stuckenberger 2005). Les activités de chasse varient en fonction des saisons, et en conséquence varient aussi les configurations sociales qui les encadrent. Si la permanence de résidence, d’emplois salariés et d’institutions scolaires influence la façon dont un individu mène sa vie, en revanche ces conditions ne remplacent pas complètement une vie sociale fondée sur la temporalité de l’environnement naturel. Pendant les fins de semaines et les vacances scolaires, les familles se déplacent vers leurs camps de chasse, tant au printemps qu’à l’été et à l’automne. Les sorties « out on the land » plaisent énormément aux enfants, aux adultes et aux gens plus âgés (par contre, les jeunes gens avouent souvent s’y ennuyer) parce qu’elles représentent un espace et un temps véritablement inuits. La vie d’un campement est marquée par une intensification des relations inter-familiales et ponctuée par les activités de chasse et de cueillette, ce qui entraîne la création d’une réelle connexion entre les gens, leur territoire et leur gibier. Plusieurs disent aussi y ressentir une plus grande connexion à Dieu. Les règles de conduite typiquement inuites, telles que l’obéissance à ses aînés, le contrôle de soi et la générosité, sont mieux respectées et semblent même l’être avec plaisir. Plusieurs personnes m’ont révélé à quel point elles se sentaient détendues lorsqu’elles étaient dans les camps et comment les difficultés vécues dans la communauté leur semblaient lointaines (Stuckenberger 2005, 2006).

Alors que la vie contemporaine dans le village est souvent perçue comme étant à la source d’une détérioration sociale et spirituelle, elle est tout de même valorisée, surtout au moment des fêtes d’hiver, comme Noël et Pâques, alors que la plupart des membres de la communauté sont présents et qu’ils participent aux événements. Aussi, la plupart des gens ne veulent plus échanger une bonne maison chaude, des facilités de magasinage et des services de santé contre des conditions de vie qui protègent beaucoup moins bien des éléments du climat arctique. La communauté, pour bien des Inuits, est une entité totalement construite et paradoxale.

Bien que la communauté soit permanente et structurée formellement – par exemple, le design d’une maison familiale suit un modèle occidental de maisonnée plus ou moins stable, et toutes ces maisonnées relèvent d’une administration municipale qui fait elle-même partie d’une structure institutionnelle plus large –, le déplacement demeure un principe organisationnel fondamental. Ainsi, l’appartenance à une unité familiale continue d’être dynamique et encore plus resserrée par des liens familiaux et des conditions contextuelles que par la permanence de la résidence, quelle que soit l’époque.

La perpétuation d’un mode de vie nomade dans un contexte moderne ne fait pas que lier les Inuits à leur mode de vie traditionnel, il les lie aussi à ce que d’aucuns perçoivent comme une autre puissante source locale de difficultés auxquelles la communauté fait face aujourd’hui. Les adultes inuits ainsi que les aînés nous ont fait remarquer qu’environ quarante ans après la relocalisation, les liens spécifiques entre des familles et leurs sites de campement continuaient d’être reconnus et valorisés et qu’on agissait en conséquence durant les voyages de chasse saisonniers, par exemple par le choix d’un site de campement et dans le type d’interactions entre différents camps. Dans le passé, plusieurs camps entretenaient de mauvaises relations l’un avec l’autre, et certains de ces conflits se transportèrent dans la communauté actuelle. Toutefois, dans le village, on croit qu’il est malsain de prolonger ces conflits et les divisions familiales qui en découlent et qu’ils causent même du tort à la communauté (Stuckenberger 2006). On accorde ainsi une valeur négative à la continuité avec le passé lorsqu’on évoque ses aspects négatifs. Une certaine ambivalence en ce qui a trait au système de valeurs émerge en tant qu’indicateur de la complexité des notions de « bien » et de « mal » pour la société inuite ; ces notions ne semblent pas tant être définies comme des catégories morales applicables à certaines actions ou à certains êtres, mais plutôt comme des marqueurs situationnels de la convenance d’un comportement spécifique ou de relations particulières. Des discussions continuelles ont cours à Qikiqtarjuaq à propos des meilleures façons de faire les choses et d’instaurer des relations. La forme que prendra le Nunavut et l’existence du mouvement pentecôtiste sont à la fois le contexte et le contenu de ces discussions.

À Qikiqtarjuaq, le christianisme fournit le cadre principal des discussions et des actions se rapportant aux problèmes sociaux qui sont en grande partie associés aux conditions de vie actuelles. Par exemple, un groupe d’aide pour les hommes, fondé par un membre de la communauté pour aider ceux qui n’étaient pas religieux, s’est positionné explicitement hors du cadre chrétien, mais il a rencontré une forte opposition chez les dirigeants religieux qui croyaient que la « véritable guérison » ne pouvait être adjugée que par Jésus-Christ lui-même. À notre connaissance, cette initiative cessa ses activités peu après sa naissance, sans doute à cause des pressions exercées par ces chefs religieux.

Le mouvement pentecôtiste introduit la notion d’une relation personnelle directe et charismatique avec Dieu. De nouvelles règles ont été mises en place pour les Inuits qui se sont convertis, qui sont « nés à nouveau » (reborn Christians) afin de maintenir cette nouvelle relation, mais les Inuits ne croient pas tous que cela soit bénéfique pour la communauté. Si le fait de bien se comporter entraîne l’approbation de la communauté, les opposants au mouvement évangélique croient que plusieurs règles sont trop sévères, comme l’interdiction de fumer ou celle d’écouter de la musique autre que la musique chrétienne. Ils se doutent bien que ceux qui obéissent aux règles peuvent développer une attitude de jugement envers les Inuits qui ne sont pas pentecôtistes et qui ne suivent pas les mêmes consignes. On ne doit pas, dans cette société, se considérer comme supérieur aux autres. Il s’agit là d’une véritable difficulté que rencontrent les jeunes et surtout les plus jeunes « nouveaux chrétiens » dans leur communauté. Tant les prêcheurs que l’on voit à la télévision que plusieurs des dirigeants locaux les encouragent à éviter le contact avec ceux qui ne sont pas des « nouveaux chrétiens » afin d’éviter la « contamination », tant qu’ils sont novices, par des tentations et par de mauvais exemples. Cette forme d’élitisme n’est pas bien vue par la communauté et elle ajoute à l’inquiétude que les gens ressentent lorsqu’ils voient des individus qui s’isolent, un comportement que l’on conçoit comme nuisible au bien-être d’un individu. Ceux qui sont depuis longtemps convertis au nouveau christianisme insistent souvent sur le maintien de leurs liens avec l’Église anglicane ; ils demeurent quand même bien intégrés socialement et offrent de l’aide à la communauté. Néanmoins, les gens ne s’entendent pas sur la valeur que l’on doit accorder au nouveau mouvement pentecôtiste lorsqu’il s’agit d’améliorer la vie à Qikiqtarjuaq.

Le christianisme à Qikiqtarjuaq

La tradition anglicane dans l’Arctique canadien de l’Est a débuté en 1876 avec les entreprises missionnaires sur la côte est de la baie d’Hudson ; celles-ci se sont déployées vers la côte ouest de la baie en 1833 et, après 1894, dans la Terre de Baffin où le Révérend Peck a fondé une mission, à Uumanarjuaq (Blackhead Island, dans Cumberland Sound). Après plus d’une décennie d’efforts, le christianisme a converti les premiers Inuits en remplaçant Sedna, la déesse de la mer qui était responsable de la disponibilité des mammifères marins, par un Dieu chrétien, créateur des animaux pour le plus grand bien des humains dont la vocation était la chasse.

La diffusion du pentecôtisme dans l’Arctique s’est effectuée dans différentes régions dans les années 1940 et 1950. Au Québec nordique, John Spillenaar et sa femme Tyyne ont instauré l’Arctic Mission Outreach Trust Fund – autrement dit, un fonds réservé à l’établissement de missions dans l’Arctique. Gleason et Kathryn Ledyard, de l’Alliance Church qui a fait partie du réseau de Billy Graham, ont commencé à oeuvrer à Arviat en 1946, et en 1956 Kayy Gordon, membre du Glad Tidings Tabernacle à Vancouver, a fondé une Église Glad Tidings à Tuktoyaktuk, une communauté de l’Ouest, pour ensuite l’étendre plus à l’est (voir Spillenaar, s.d., et Gordon 1982).

Ces premières missions provisoires ont été suivies d’efforts plus structurés dans les années 1970. En 1974 par exemple, la Full Gospel Church de Bill Prankard a commencé à établir des infrastructures pour appuyer le nouveau mouvement en offrant de la formation pour les pasteurs et des fonds pour construire des églises et acheter les instruments de fanfare utilisés dans la liturgie pentecôtiste. À peu près à la même époque, le mouvement Canada Awakening Ministry fondé par Roger et Marge Armbruster a fourni des ressources additionnelles aux projets évangéliques dans l’Arctique, par exemple des conférences bibliques locales et régionales qui se sont avérées être des événements importants pour la prière, l’enseignement et la guérison (Gordon 1982 ; Laugrand et Oosten 2007 ; Spillenaar, s.d.) Des familles de souche qui avaient une certaine influence politique et économique ont été d’une importance cruciale pour la diffusion du mouvement dans l’Arctique canadien de l’Est ; nous pensons ici à Annie et Mark Tertiluk, des disciples de John Spillenaar, et à Pauloosie Kunilusie (Laugrand et Oosten 2007 ; Stuckenberger 2005).

Pauloosie Kunilusie participait à la Conférence biblique organisée par Kayy Gordon au début des années 1980. À cette époque, Kunilusie, né à Cumberland Sound, était un prédicateur laïque anglican, un dirigeant politique, un entrepreneur et un habile chasseur. Fort de son expérience, Kunilusie et son frère Silasie Angnako, également prédicateur laïque formé pour la fonction, ont préparé un rassemblement pentecôtiste à Qikiqtarjuaq. Les deux frères et leurs disciples ont d’abord tenu leurs rencontres dans des résidences privées, mais plus tard ils ont construit une petite cabane pour y tenir leurs services religieux.

Nous avons constaté que les gens de Qikiqtarjuaq avaient des réticences à discuter de l’histoire un tant soit peu turbulente du mouvement pentecôtiste dans leur communauté. Par conséquent notre survol de la question manque parfois de détails. Au début, la nouvelle Église s’est butée à une grande résistance, certaines personnes croyant que ce nouveau mouvement était de nature chamanique ou même satanique. On dit qu’il arrivait régulièrement que des gens lancent des pierres sur le bâtiment. Par contre, la nouvelle approche en attirait d’autres. Par exemple, certains éprouvaient de la curiosité alors que d’autres avaient des visions ou se rappelaient des expériences passées positives, tandis que plusieurs se disaient insatisfaits de l’Église anglicane. Certains y auraient adhéré par loyauté familiale ou par alliance, mais il n’y a pas d’indication exacte du nombre d’adhérents à propos de ces derniers. La famille immédiate de Pauloosie Kunilusie avait d’abord manifesté son désaccord[5].

Les opposants à la nouvelle foi avertissaient les gens de se tenir loin des évangélistes venus du sud et de leurs disciples inuits, disant qu’ils les soupçonnaient d’être de faux prophètes créant de la confusion, comme il est dit dans la Bible, jusqu’à « la fin des temps ». Le pasteur laïque Pauloosie Angmarlik se rappelle ainsi cette époque :

J’ai dit à mon évêque… que je voulais comprendre l’autre Église… Si je devais un jour aller vers l’autre Église, j’aimerais d’abord connaître leurs règles… l’évêque a dit que c’était bien d’y aller juste pour écouter… Notre évêque m’a cependant dit que si l’autre Église voulait tenir des sessions de prière chez nous, elle ne le pourrait pas. (Entrevue avec Pauloosie Angmarlik, Pangnirtung, printemps 2000)

Graduellement, l’opposition contre la nouvelle approche s’affaiblit. Les pratiques de l’Église anglicane englobèrent graduellement plus de nouvelles idées et les prédicateurs laïques du Nunavut devinrent des « nouveaux chrétiens ». À Qikiqtarjuaq, l’Église anglicane offrait chaque dimanche une variété de services allant de la liturgie traditionnelle matinale à des rencontres de plus en plus charismatiques en après-midi et en soirée. De cette manière, ceux qui voulaient demeurer des anglicans traditionnels ou qui voulaient demeurer anglicans tout en embrassant les nouvelles approches – c’est le cas de la majorité à Qikiqtarjuaq – ont très bien pu se sentir à l’aise dans l’Église anglicane.

À la fin des années 1980, Pauloosie et Silasie ont démissionné dans des circonstances qui ne nous sont jamais apparues clairement mais qui ont peut-être à voir avec des désaccords quant à l’autorité dans cette famille. Mais le petit bâtiment devint le petit magasin de Pauloosie. En 1989, le fils de Silasie, Billy Arnaquq, entreprit sa formation au Ross Maracle’s Native Bible College (Deseronto, Ontario) et fut ordonné pasteur le 13 avril 1996. Grâce à l’aide financière du Roger Armbruster’s Harvest Field Ministry et de Bill Prankard, il construisit la Katissivik Full Gospel Church à Qikiqtarjuaq. Billy Arnaquq se considère comme un pasteur itinérant plus que comme un pasteur local. Sa réputation de pasteur évangélique se répandit bien au-delà de Qikiqtarjuaq et il participa même à des voyages missionnaires en Israël et dans le nord de la Russie (voir également Fieguth 2000, 2002).

En 1999 et en 2000, à l’époque de notre recherche de terrain, cette Église comptait parmi ses membres les parents et les soeurs de Billy Arnaquq, ainsi que le maire, Lootie Toomasie, et quelques autres personnes. La plupart des gens demeurèrent quand même membres de l’Église anglicane et se rendaient occasionnellement aux services dominicaux et à d’autres cérémonies telles que des consécrations, des baptêmes dans l’Esprit Saint ou des mariages. C’est l’Église anglicane qui, en 1999 et 2000, semblait être au centre des activités pentecôtistes, alors que la Full Gospel Church était fréquentée assidument lors des cérémonies formelles tenues par des Inuits pentecôtistes, Billy Arnaquq étant le seul pasteur ordonné de cette communauté. Son Église devint un centre régional, national, voire international. À Qikiqtarjuaq, cela ne fait donc pas de sens de parler de dénominations ou d’appartenance à une Église lorsqu’on discute du pentecôtisme. Le discours local se penche sur des questions de comportement et non sur des questions d’appartenance institutionnelle.

La société inuite et sa vie religieuse

On voit partout à Qikiqtarjuaq des références au christianisme, dont les deux églises sont les plus visibles. L’église St. Michaels and All Angels a été construite en même temps que le nouveau village, alors que l’église Katissivik Full Gospel l’a été vers la fin des années 1990. Dans tous les édifices publics, des Bibles ont été placées bien en évidence, et des affiches et des images aimantées (comme celles que l’on place sur le frigo) illustrant des proverbes chrétiens décorent les murs de bureaux, de salons, de chambres à coucher et de cuisines. Les réunions du conseil de village débutent par une prière, plusieurs se réunissent pour étudier la Bible, la plupart des maisonnées possèdent des CD et des DVD réalisés par des missions évangéliques. Au moment où il y a le plus de monde dans la communauté, soit en automne et en hiver, les services religieux du dimanche sont bondés. Les événements qui ponctuent le cycle de vie, comme le baptême, le mariage et les funérailles, sont intimement liés au cadre chrétien. Tous les membres de la communauté inuite ont été baptisés dans l’Église anglicane mais plusieurs l’ont été comme adulte, à la manière dite charismatique. Seuls quelques nouveau-nés sont emmenés à la Full Gospel Church pour y être consacrés plutôt que baptisés.

Ces églises constituent des espaces où se développe une identité sociale, parce qu’elles assument des fonctions sociales dans un contexte religieux. Elles fournissent aussi une bonne opportunité à ceux qui désirent s’engager véritablement. Par exemple, les services sont fréquemment menés par des prédicateurs laïques, des bénévoles s’occupent de l’école religieuse du dimanche (Sunday school) et de la musique durant la liturgie. Plusieurs groupes sociaux se consacrent à l’enseignement, à l’entraide ou à la socialisation en général. De telles activités offrent un contexte dans lequel un individu peut avoir une fonction sociale. Dans la société inuite, une fonction sociale est liée à la question du statut social et, conséquemment, avec la confirmation de l’identité sociale d’une personne.

Il existe une autre façon de concevoir comment la participation dans un contexte religieux contribue à former l’identité d’une personne. En effet, les pratiques de guérison, telles que la confession lors des services dans l’une ou l’autre église, la réception de prières, l’exorcisme et le baptême d’un prosélyte dans la foi pentecôtiste, entraînent, dans chaque cas une transformation de l’identité, endommagée par une mauvaise conduite, de l’individu. Cette transformation constitue un élément central de la vision inuite contemporaine de renouveau communautaire, vision qui était déjà présente dans les processus chamaniques de guérison. Les performances chamaniques étaient souvent publiques et impliquaient la participation de l’auditoire qui devait, par exemple, écouter et reconnaître les confessions d’un patient.

La combinaison d’éléments individuels et communautaires dans les processus de guérison ont été bien décrits, entre autres par Knud Rasmussen qui avait observé des séances de guérison chez les Aivilingmiuts de Southampton Island en janvier 1923 (1929 : 131-142). Oosten a analysé le déroulement de ces événements et montré que les confessions et l’auto-accusation d’un patient étaient reçues avec bienveillance par l’auditoire qui lui souhaitait une véritable guérison de son problème. Cela est particulièrement significatif parce, que dans la société inuite du passé ou d’aujourd’hui, ceux qui font preuve de mauvaise conduite sont en général ignorés. Un patient toutefois redevient une personne qui compte aux yeux des autres. Ainsi le rituel a des conséquences sociales et cosmologiques qui permettent la réintégration d’une personne, en éloignant d’elle tout obstacle nuisant à sa guérison (Oosten 1989 : 337).

Le fait qu’une transformation dans le cadre d’une action religieuse soit pertinente socialement, exige qu’une communauté entière s’engage dans la pratique de guérison et soutienne le chef religieux qui la pratique. Les conflits qui émergent autour des enseignements religieux et des pratiques revêtent en conséquence une très grande importance. Ils peuvent entraîner l’échec de la restauration d’un individu et de la société. Bien des disciples de l’approche pentecôtiste cherchent à trouver un terrain d’entente plutôt qu’à créer des catégories qui auraient pour effet de diviser. Mary Killiktee, soeur de Billy Arnaquq, proclamait haut et fort que « c’est l’Esprit qui pénètre les coeurs et que les différences de dénominations n’ont aucune importance ».

Loie Mike, la première femme inuite à être ordonnée ministre anglicane et « nouvelle chrétienne », a servi à Qikiqtarjuaq en 1998 avant de retourner à Pangnirtung. Elle s’est attardée à la notion d’unité. Elle percevait les changements dans les croyances et les pratiques chrétiennes comme annonçant une transformation guidée au bon moment par le divin, parallèlement à l’accroissement de l’indépendance des Inuits chrétiens qui développaient leur foi au-delà des enseignements et des livres de culte des missionnaires anglicans non autochtones. Ainsi, elle conçoit la conversion dans une continuité – et même comme une ranimation de l’autonomie religieuse des Inuits d’avant l’arrivée des Européens – plutôt que comme un changement, en ajoutant que les premiers ministres inuits ordonnés avaient été élevés dans une tradition patriarcale de soumission qui a eu autrefois son utilité mais qui ne fait maintenant que du tort :

Je lis présentement un livre fort intéressant au sujet du [Révérend Peck]. Il pensait : « Pauvre Inuk, il ne connaît rien. » Alors il faisait tout pour eux, même leur donner une langue écrite. Puis, vous savez, ce savoir sur le christianisme, cette première vie chrétienne grandit, puis il nous quitta. Mais nous croyions que ceux qui viendraient après lui seraient comme lui. Alors, tous les prêtres qui lui succédèrent ont été comme ceci : faites ci, faites çà, c’est ça qu’il faut que vous fassiez. C’est une tradition…

Le traditionalisme est une religion morte pour les vivants. Depuis longtemps, depuis plus d’une centaine d’années en fait, l’Église de cette communauté, celles de Pangnirtung et de presque partout ailleurs, ont agi selon le livre de liturgie. On vivait avec lui et pour lui. Les gens faisaient tout selon ce livre et si quelque chose sortait de ce qui était dicté par ce livre, ce n’était pas considéré comme venant de l’Église. Les gens disaient qu’il s’agissait de faux enseignements…

On ne s’attend pas à ce qu’un arbre ait la même [hauteur] tout le temps. Il pousse. La parole de Dieu dit aussi qu’il nous poussera des branches sur lesquelles même les oiseaux viendront nicher. Eh bien, il faut que cela commence avec un nid, puis un autre, puis un troisième. Ils finissent par se rejoindre.

La révérende Mike se rappelait son parcours de ministre anglicane « nouvelle convertie » et elle le donne en exemple du déroulement de cet inéluctable processus divin :

J’ai donné entre 8 et 10 ans au Christ. J’ai vécu une renaissance il y a environ 8 ans alors que je commençais à être vraiment attirée par le ministère. Pendant quatre ans, j’ai repoussé l’idée d’une femme ministre anglicane. Mais je savais bien en qui je croyais, mon Seigneur, mon Sauveur. Je Lui ai dit : « Ma vie t’appartient. Fais-en ce que Tu veux. » Et c’est encore vrai aujourd’hui… Un vieil homme [Noah Angakaq] a connu le Révérend Peck et il m’a dit, lorsque je m’apprêtais à partir pour l’ATTS [Arthur Turner Training School], que nous allions probablement vouloir faire tout autrement que les autres prêtres qui étaient venus auparavant.

L’image de la croissance évoquée par Loie Mike a des liens tant avec l’iconographie chrétienne (celle de l’arbre) qu’avec la notion inuite de croissance à partir d’un âge infantile immature vers l’âge de l’autonomie sociale et spirituelle adulte, image que l’on extrapole à toute la société, sevrée du paternalisme des Blancs (pour une discussion de la transformation pentecôtiste de l’image et de la condition infantiles, voir Stuckenberger 2007). Son exemple dénote aussi l’importance de la tradition anglicane aux yeux des Inuits ; de fait, Mike ne s’est pas convertie dans le but de devenir une ministre du mouvement évangélique. La flexibilité qui permet l’adaptation aux nouvelles approches et la loyauté des adhérents en même temps que le respect de l’autorité dévolue aux coutumes ancestrales, montre à quel point la notion d’unité discutée ci-haut a de l’importance.

Un autre exemple illustre le caractère fondamental de cette idée d’unité en ce qui a trait au renouveau communautaire et à la constitution de la communauté même, notamment la célébration de Noël et de Pâques, les deux plus grandes fêtes communautaires du village. L’ancienne manière anglicane semble le mieux s’adapter à tous les membres de la communauté à l’occasion de ces rituels de renouveau social et cosmologique. Cela est semblable à ce qui se passait lors des grands rassemblements de l’ère pré-chrétienne, aux saisons où la population était concentrée en un lieu, soit tard à l’automne, en hiver et au début du printemps. L’unité dont il est question vaut pour les vivants mais aussi pour les ancêtres qui, près d’un siècle auparavant, avaient adopté le christianisme anglican et qui se reconnaissent dans l’approche anglicane (Stuckenberger 2005 : 142 et suiv., 147 et suiv.).

Les ancêtres sont présents de trois manières très importantes. D’abord, la société inuite du sud de la Terre de Baffin assure sa continuité en transmettant à un nouveau-né le nom d’une personne décédée. Ce nom évoque le défunt ainsi que d’autres homonymes qui l’ont précédé, mais il représente également le réseau social du défunt, dont la nouvelle personne fera partie, remplaçant en quelque sorte l’homme ou la femme décédée. En deuxième lieu, les Inuits ont, tout récemment, bien expliqué leur notion d’inummariit (un véritable Inuit). Laugrand (2002b) a analysé cette notion qui revêt une grande importance politique et il démontre comment les Inuits l’utilisent pour négocier et pour créer et exprimer leur identité dans le cadre de la vie communautaire et politique moderne. La notion d’inummariit permet aussi de comprendre la logique de la pratique inuite d’indigénisation de nouveaux éléments, telles que des structures politiques ou des technologies, les intégrant dans leur vie en les isolant de leur origine extérieure tout en les incorporant dans le système de valeurs inuites qui dicte la manière correcte de faire et d’utiliser les choses. En troisième lieu, les ancêtres sont également présents parce que les aînés qui ont été élevés avec ces ancêtres, qui vivaient la même vie qu’eux, sont associés à la société d’aujourd’hui. Cela explique qu’en plus du respect implicite que l’on doit témoigner aux aînés, il est d’une importance cruciale de leur plaire durant les grandes fêtes communales, les comportements traditionnels assurant une continuité avec le passé.

En même temps, ce n’est pas tant l’approche anglicane plus ancienne évoluant vers l’approche pentecôtiste qui fait l’objet de discussions à propos des problèmes sociaux ayant cours dans la communauté en dehors des périodes de grandes fêtes. Les Inuits convertis disent souvent que leur vie « passée » a atteint un cul-de-sac et qu’ils se sentaient incapables de réparer leurs relations sociales et spirituelles brisées en ayant recours aux seules pratiques anglicanes. La Full Gospel Church présente le baptême dans l’Esprit Saint comme étant une opportunité de changer radicalement l’identité d’une personne – un renouveau de sa vie, nouant de nouveaux liens, levant les obstacles au maintien de ces liens ou à la création de nouveaux liens. Ce rituel qui permet l’émergence d’une nouvelle identité inclut le respect des nouvelles règles qui s’appliquent aux nouveaux modes de relation avec Dieu.

Toutefois, distinguer entre les gens qui suivent telle ou telle règle semble créer un certain malaise chez les opposants à ce mouvement et ravive le sens du danger chez les adhérents lorsqu’ils voient que les « nouveaux chrétiens » adoptent une attitude de jugement envers ceux qui ne suivent pas ces règles. Ainsi que dans d’autres pratiques pentecôtistes, tout comme la liberté d’exprimer ses émotions durant un service, l’absence relative de contraintes sur les enfants dans l’église et le mode extatique de liturgie sont souvent vus comme signalant le danger pour les adeptes de devenir trop « religieux ». Cette expression signifie qu’une personne devient si absorbée par le monde spirituel qu’elle ne parvient plus à départager les domaines sociaux des domaines non sociaux de la vie courante.

Par exemple, un chasseur très respecté et opposé aux nouvelles manières m’a avoué, les yeux brillants, qu’à leur retour, les gens partis quelques jours auparavant à une conférence biblique au Nunavik « prieraient pour nous si intensément, et ils seront si absorbés par ce qu’ils auront appris qu’ils prieront encore plus fort. Puis, à l’église les gens s’étreindront et s’embrasseront beaucoup ». Les Inuits pentecôtistes s’objecteraient à cette vision du chasseur mais en même temps ils accepteraient l’idée d’un réel danger. Le pasteur Billy Arnaquq pensait que certaines personnes n’étaient que « visions et excitations » rendant ces pratiques vides et conséquemment imprévisibles et dangereuses. On considère que ceux qui sont trop religieux risquent de se retirer de la vie sociale et de se perdre dans le monde des esprits. Les jeunes gens surtout, et les néophytes, risquent d’être emportés par leur excitation, ce qui entraînerait une détérioration plutôt qu’une amélioration de leurs relations. La conséquence sociale peut être grave, comme en fait preuve cette histoire, et d’autres semblables, provenant de Kivitoo, un village voisin.

L’attitude « trop religieuse » des fidèles rappelait à certains un soulèvement religieux survenu à Kivitoo pendant l’hiver 1921-22, durant lequel Neahkoteah s’est identifié à Dieu, et une autre personne du même camp, à Jésus. Son zèle religieux entraîna Neahkoteah à tuer trois personnes mais il fut lui-même exécuté par les membres du camp (Blaisel et al. 1999). Aujourd’hui, la perception de ce genre de danger associé au pentecôtisme n’est pas exclusive à Qikiqtarjuaq. Par exemple Christopher Trott (1997, 2002), qui étudia le pentecôtisme du nord de la Terre de Baffin, a trouvé des gens qui faisaient référence à un mouvement prophétique perturbateur à Admiralty Inlet en 1964.

Ainsi, trouver la bonne formule de comportement religieux n’est pas simplement un problème théorique puisqu’il a, selon les Inuits, de réelles conséquences sur le bien-être des individus et de leur famille, sur leur statut social et leur identité ; on pense même que cela influence la disponibilité de gibier pour les individus et la communauté en général. Les dirigeants religieux demeurent des guides particulièrement significatifs en matière de navigation dans les relations cosmologiques. S’ils se trompent, les dommages seront importants.

L’autorité pentecôtiste et la guérison

Les services religieux de type pentecôtiste apportent un contraste évident aux pratiques anglicanes plus anciennes. Les services anglicans suivent une liturgie formelle et se déroulent sur un ton prédéterminé alors qu’un service pentecôtiste dure souvent plusieurs heures, dont la majorité se déroule en chants maintes fois répétés, jusqu’à ce que les gens soient saturés du pouvoir qui amène un chanteur au plus près de l’Esprit Saint. C’est le meneur qui décide du moment où changer de chant, et chaque nouveau chant mène à une extase croissante et à des manifestations de la présence de l’Esprit Saint, par exemple dans les épisodes de glossolalie, de danse, de cris, de pleurs et de sensations de « bénédiction par le feu sacré ». Les gens sont invités à l’autel afin d’y témoigner, de se confesser ou de demander de l’aide par la prière ; parfois des gens demandent, ou bien on leur propose, l’exorcisme de démons qui résident dans leurs corps. Vers la fin du service, les chants deviennent plus doux et calmants, sortant la congrégation de son expérience charismatique et la ramenant à la réalité quotidienne.

Les dirigeants

Ce modèle de service religieux privilégie la spontanéité plutôt que la formalité. Cela exige que les novices effectuent une rupture avec leur comportement religieux antérieur et, graduellement, avec d’autres aspects de leur vie jugés inappropriés dans la nouvelle perspective. À cet effet, les dirigeants jouent un rôle important puisqu’ils fournissent les contextes sociaux et religieux aux différentes étapes vers la « guérison » ou la transformation en « nouveau chrétien », tout en travaillant sur le maintien des nouvelles relations. Les dirigeants religieux guident l’expérience charismatique des membres de la congrégation et, en d’autres occasions, ils prient également pour les gens, leurs maisons, ils exorcisent les mauvais esprits et organisent des camps de guérison. Ils doivent être particulièrement habiles à maintenir le contrôle tout en interagissant, mais sans se laisser obnubiler par le monde spirituel.

L’habileté à garder le contrôle au sein du domaine des esprits et à maintenir leur fonction de médiateur a toujours été très importante pour les Inuits, chrétiens comme pré-chrétiens. Un chamane, lorsqu’il devait affronter des esprits non humains, devait se départir de son moi social, adopter une identité non humaine et aller et venir entre les différentes catégories d’êtres. Ainsi, Boas (1888) décrit ce processus de dé-socialisation qu’il a observé lors d’une fête pour Sedna. Cette même compétence est également pertinente dans le contexte inuit chrétien, comme en fait preuve l’anecdote suivante. Lors des célébrations de Noël à Qikiqtarjuaq en 1999, Pauloosie Kunilusie, un aîné, a remporté le concours « Personne drôle » parce qu’il avait donné une performance hilarante à un auditoire hystérique partagé entre la fuite et le rire. Il fut le seul compétiteur qui, bien qu’il ait débordé des limites du comportement social ordinaire, n’avait pas joué la carte du non-humain, de la créature quasi animale que les autres compétiteurs avaient choisie ; il demeura lui-même tout en se ridiculisant en public – le ridicule étant une condition embarrassante socialement que les Inuits évitent normalement (Stuckenberger 2005 : 187-191). Sa performance et son premier prix illustrent comment sa capacité de composer avec le non-humain est tout de même reconnue et demeure d’une grande pertinence pour la communauté, étant maintenant articulée dans un cadre chrétien.

Si un dirigeant religieux ne doit pas se laisser dominer par le monde spirituel, le niveau de contrôle et la forme qu’il prend sont sujets à controverse parmi les chefs religieux évangélistes à Qikiqtarjuaq. Le pasteur Billy Arnaquq, par exemple, nous a dit qu’il avait appris à parler « en langues » silencieusement, et qu’il pouvait se mettre en état de le faire, ou de cesser de le faire, instantanément, plutôt que d’être emporté contre son gré. Cependant, d’autres répondent que l’Esprit Saint doit se mouvoir librement et que le contrôle par les humains risque d’entraver son autorité. Cela équivaudrait exactement à l’ascendant de la liturgie sur l’autorité de l’Esprit Saint, ce qui souligne la différence d’avec la pratique anglicane plus ancienne. La manière correcte d’établir des relations est cruciale pour le succès du travail du chef spirituel. Toutefois, avant d’accepter l’autorité spirituelle, un dirigeant doit apprendre à distinguer les différents esprits et savoir comment s’adresser à chacun d’eux individuellement. On croit que les mauvais esprits apparaissent sous une forme déguisée afin de tromper un croyant inexpérimenté et de l’entraîner vers le désastre.

Pour qu’un dirigeant soit accepté, il est également important qu’il ou elle fasse preuve du grand désir d’aider les autres et qu’il ou elle mène une vie de telle sorte que son affirmation d’être devenue une « meilleure personne » grâce à sa conversion soit crédible. La prétention non fondée au titre de dirigeant crée une situation sérieuse. Les Inuits craignent qu’une telle personne cause un tort social et spirituel considérable à ses disciples en créant de la confusion et en instaurant des liens nuisibles et inadéquats avec le monde des esprits. De guider les gens qui veulent établir une connexion avec Dieu exige un savoir véritable, de l’expérience et des relations qui fonctionnent bien. Parce que l’expression de la vérité est de la plus haute importance, les gens demeurent sceptiques devant les affirmations des dirigeants et discutent entre eux à leur sujet plus souvent qu’à propos d’autres gens. Plusieurs chefs, bien qu’ils collaborent entre eux et soient des amis, semblent tout de même rivaliser pour leur statut.

Guérir et renaître

L’Église anglicane offre des opportunités de confession, de repentir et de pardon mais elle n’offre pas un semblable rituel public de transformation radicale, comme le Baptême dans l’Esprit Saint. Chaque prosélyte ressent différemment sa transformation d’« ancien soi » en « nouveau chrétien » ; toutefois, les récits à Qikiqtarjuaq suivent tous un modèle semblable. Ils racontent comment la transformation d’une « vie ancienne » en « vie nouvelle » se fait en plusieurs étapes. Souvent on fait référence à une révélation importante, reçue en rêve ou lors d’une vision, et qui concerne les malheurs découlant d’un choix de vie impliquant des comportements inadéquats et des relations qui se dégradent. Les récits racontent comment cette intuition mène ensuite à un grand désir de changer et aux premiers ajustements qui affectent la conduite, la pratique religieuse et le choix de relations sociales.

Le prosélyte travaille ensuite avec les chefs religieux qui l’aident à se préparer au baptême dans l’Esprit, et à laisser « l’ancien soi mourir » (Sami Qappik, dans Stuckenberger 2005 : 90). Lorsqu’il sort de l’eau baptismale, le prosélyte a une nouvelle identité ; les relations sociales et spirituelles antérieures sont remplacées par de nouvelles connexions, plus évidentes, et un engagement à respecter les nouvelles règles. Pour expliquer la transformation de « la vieille vie » en « nouvelle vie », la Révérende anglicane Loie Mike, qui a travaillé à Qikiqtarjuaq entre 1988 et 1999 et qui habite maintenant à Pangnirtung, utilise l’image d’une « famille », alors que les bouleversements dans la vie d’une personne sont dus au non-respect des règles[6] :

Avant l’existence du Péché, nous étions comme Dieu, parce nous étions faits à l’image de Dieu. [À cause du Péché] l’Esprit qui pouvait faire vivre les hommes comme Dieu est mort. Lorsque vous renaissez, vous êtes ramenés au paradis. Une nouvelle vie commence… Lorsque, bébés, vous êtes baptisés, vous êtes ramenés dans la famille de Dieu. Lorsque vous avez grandi, vous vous êtes rebellés. Vous devez donc naître de nouveau dans l’Esprit. Lorsque vous avez été baptisés, vous êtes complètement revenus à la famille de Dieu… Vous ne pouvez pénétrer dans le royaume de Dieu que par des bonnes oeuvres. Il vous faut être né de nouveau. (dans Stuckenberger 2005 : 90)

Sami Qappik, un chef anglican et pentecôtiste qui s’adresse surtout à des jeunes, a explicité ainsi la question de la « mort » :

Le vieux soi meurt, la vieille personne meurt. Si vous juriez, à cause de petites erreurs ou par colère, cela meurt tranquillement. Le vieux soi est crucifié. Le baptême symbolise la mort de l’ancienne vie et la nouvelle vie advient. Je ne peux pas l’exprimer en mots. (dans Stuckenberger 2005 : 90)

On croit que c’est le comportement qui donne sa substance au soi individuel. Les mauvaises actions mènent à la détérioration de l’individu, comme le ferait la maladie. Le rituel du baptême est comparé à une expérience de la mort qui conclut le processus, non comme état final, mais comme condition préalable et première étape de la « renaissance ». Si le « vieux soi » qui en résulte est emporté, un « nouveau soi », nettoyé des effets des mauvaises actions, se construit dans le processus de transformation. La croyance au fait qu’une personne puisse être guérie en changeant son identité sociale et cosmologique a déjà été décrite par des auteurs comme Boas (1888 : 612 ; 1907 : 494 et suiv.), Nelson (1990 : 289) et Rasmussen (1931 : 150) pour des groupes inuits du détroit de Davies et de Pond Inlet, ainsi que pour les Netsiliks et pour les régions autour du détroit de Béring. Une façon de composer avec la maladie et autres afflictions consistait à changer le nom de la personne. Cela la rendait « nouvelle » en ce qui a trait à ses identités sociales et cosmologiques.

Un baptême dans l’Esprit à Qikiqtarjuaq, le 19 janvier 2000

Même si les gens ne changent pas leur nom à Qikiqtarjuaq, même pour « guérir » leurs identités sociales, le baptême des adultes dans l’Esprit Saint célébré le 19 janvier 2000 montre comment la reconstruction pentecôtiste de l’identité est effectuée. À Qikiqtarjuaq, ce rituel ne peut qu’être mené par Billy Arnaquq ou en allant consulter des ministres évangéliques ordonnés. Cependant, plusieurs autres dirigeants participent à la préparation des prosélytes. Des jeunes gens dans la vingtaine et la trentaine se sont préparés depuis plusieurs semaines pour cet événement.

Le fait de subir une transformation ne va pas sans risque. Par exemple, le novice est-il réellement prêt à abandonner son ancien mode de vie ? Si on considère le taux élevé d’usage de drogue et de suicide chez les jeunes, la question de la préparation est sérieuse. Le programme du chef et sa rigueur dans la préparation des jeunes, sa compréhension de la situation particulière de l’individu et l’acceptation finale des candidats sont soumis à un examen scrupuleux. Une femme d’âge moyen, elle-même « nouvelle chrétienne », nous a fait remarquer :

S’ils [les jeunes gens] ont reçu le bon message, pourquoi voudraient-ils retourner à la boisson et aux drogues ? Leur plus gros problème, c’est qu’ils se sont sentis bien dans leur peau pendant un petit moment, vous savez, après s’être purifiés ou autre chose du genre, mais ils ont encore tous ces problèmes dans la tête et il leur reste à composer avec.

Un jeune homme qui a été baptisé ce jour-là m’a raconté son histoire qui illustrait bien cette question. Avant d’être sauvé une première fois, il a eu une vision lors de laquelle il s’agenouillait devant la croix, et le sang de Jésus coulait sur lui. Puisqu’il avait consommé de la drogue depuis de nombreuses années, il voulait arrêter parce qu’il sentait qu’il pouvait être sauvé. Bien qu’il ait été très emballé à l’idée d’être sauvé, il sentait encore le besoin de consommer de la drogue. Il s’aperçut qu’il devenait imprudent et qu’il pouvait tout aussi bien recommencer à consommer. Peu après, il a réalisé qu’il s’était de nouveau « perdu ». D’avoir brisé son nouvel engagement religieux, il se percevait comme ayant échoué et sa vie devint encore pire. Mais un jour, il assista à un service religieux où le prédicateur, qui lui semblait parler au nom de l’Esprit, a demandé à tout le monde de s’approcher pour prier. Le chef lui indiqua spécifiquement que c’était son jour pour être sauvé de nouveau. On avait prié pour lui. et de nouveau il assista à l’étude de la Bible et aux cercles de prière et se prépara pour son baptême.

Parce qu’il était probablement sensible à la fragilité de plusieurs des candidats, le pasteur Billy Arnaquq a fait venir un grand nombre de parents et d’amis des prosélytes dans l’église. En assumant le rôle de représentant de la communauté, il a d’abord confirmé la validité de la cérémonie et l’auditoire a affirmé son approbation par sa présence même.

Ensuite, la « réalité » et les bénéfices du baptême furent confirmés par des témoignages de membres des familles de plusieurs des novices[7]. Par exemple Jacopie Kuksiak, père d’un novice, raconte la chose suivante :

J’avais l’habitude de prier Dieu en lui demandant ses conseils et je priais constamment, mais Il ne m’a pas écouté. J’ai été fâché contre Dieu et je Lui ai demandé pourquoi Il ne me répondait jamais. Après avoir dit ça, la peur m’est venue et cette peur a été dirigée vers moi et vers d’autres. Si je suis pour être comme cela, fâché contre Dieu, alors je ne suis rien pour Lui, je n’ai plus aucun pouvoir. Et j’ai commencé à craindre Dieu et j’ai dit : « Fais ce que Tu veux de moi, de ma famille, de mes enfants » […] Ma femme était à Iqaluit et je n’avais aucun plan, quel qu’il soit, et j’ai entendu dire qu’il y aurait un service de baptême. Et sans y réfléchir, je me suis levé, je suis allé à l’église et j’ai quasiment sauté dans l’eau. Le baptême est une très bonne chose. Je n’ai jamais dit à mes enfants de faire ceci ou cela. J’ai juste attendu qu’ils fassent leur choix. (dans Stuckenberger 2005 : 93)

Après que plusieurs eurent témoigné de leur expérience du baptême (voir Stuckenberger 2005), Arnaquq a présenté sa conclusion en relatant comment la condition physique d’un individu affecte sa conduite morale :

Pour ceux qui sont baptisés, Dieu guérit. Mon beau-père Pauloosie avait coutume d’endurer des démangeaisons, et du mucus sortait de cet endroit et c’était dégoûtant ; cela ne guérissait pas. Après qu’il ait été baptisé, le même soir, il fut guéri. Il ne le remarqua pas tout de suite, mais le vit lorsqu’il alla au lit. Ce problème perdurait depuis son adolescence et cela devenait de plus en plus sérieux au fil des ans, mais cela a guéri en quelques heures après son baptême. Ce problème n’est plus jamais revenu. La vieille vie se défait et la nouvelle fait surface. (dans Stuckenberger 2005 : 95)

Ainsi, rassurés que leur quête sociale et spirituelle compte, les prosélytes furent appelés l’un après l’autre à venir au grand bassin plein d’eau devant l’autel. Tout en prononçant les formules baptismales, Arnaquq et ses deux assistants plongeaient chacun d’eux dans l’eau, invoquant par là la mort. En sortant de l’eau, chacun levait les mains, criait, pleurait et riait. Les assistants, émus, se joignirent aux expressions de joie des novices qui allèrent ensuite dans une petite pièce se revêtir de vêtements secs. Le service débuta avec un dernier chant et une prière.

Le baptême réintègre les prosélytes dans la société en levant tous les obstacles qui bloquent la voie à la guérison. Un individu peut recommencer dans le nouveau cadre de la relation cosmologique pentecôtiste avec Dieu. Toutefois, comme dans le cas d’un enfant que l’on perçoit comme étant extrêmement vulnérable et nécessitant des soins et une éducation, on croit que l’adulte qui a vécu une « renaissance » doit apprendre à améliorer l’envergure, la sécurité et l’efficacité de son contact avec le monde des esprits (Stuckenberger 2007).

Le lien au passé et le lien au monde

L’expérience du baptême implique l’octroi de certains dons par Dieu : la capacité de distinguer les esprits, de parler en langues, de mieux exercer un contrôle sur soi-même, une conscience accrue et une acuité visuelle qui vont au-delà de la réalité physique, ce qui permet à l’individu de voir dans l’âme des autres ou de voir les anges, des diables et des démons ; de plus, certains ont reçu la capacité de guérir, de discerner entre les bons et les mauvais esprits et de prophétiser.

Benjamin Kunilusie, un jeune homme de Qikiqtarjuaq, parle de sa capacité de voir des êtres spirituels :

Un jour, il y avait trois jeunes hommes à une rencontre d’étude de la Bible et ils voulaient être sauvés. Lorsque Koanie Kunilusie [un prédicateur anglican-pentecôtiste à Qikiqtarjuaq] exorcisa le mauvais esprit d’un des jeunes hommes qui ne savait même pas qu’il était possédé, le diable sortit de lui et il ressemblait à un serpent. Il passa à côté de moi et c’est là que j’ai pu le sentir, puant plus que les égouts ou les ordures.

Ceux qui sont sauvés peuvent voir le diable en quelqu’un tout comme la petite flamme que vous recevez dans votre coeur lorsque vous êtes sauvés. Ils peuvent voir les mauvais esprits et, pendant qu’ils prient, ils peuvent les attraper et les enlever d’une personne. Par contre, ces mauvais esprits s’accrochent à la personne qu’ils possèdent. C’est la raison pour laquelle les gens ressentent des crampes musculaires et sont comme morts après un exorcisme. Ensuite ils pleurent. Vous pouvez voir qu’une personne est possédée par un mauvais esprit lorsque ses yeux sont rouges et inversés vers le haut et qu’elle tremble. Elle tremble parce que les mauvais esprits craignent les gens qui sont sauvés. Le diable a plusieurs assistants qui sont partout et qui tentent de vous faire faire des mauvaises actions ou de vous faire fumer ou boire. Les mauvais esprits et les anges sont partout.

(Notes d’entrevues, Qikiqtarjuaq, printemps 2000)

Le don de « vision » est d’une grande importance sociale et spirituelle parce que les esprits malveillants interfèrent souvent avec la vie des humains. Cette croyance remonte à une lointaine tradition inuite. Dans le passé, les chamanes et leurs esprits-gardiens affrontaient les esprits malveillants afin de guérir quelqu’un dans la communauté, pour changer les conditions météorologiques ou pour assurer le succès à la chasse (voir par exemple Rasmussen à propos d’Igloolik, 1929 : 144-147 ; Laugrand, Oosten et Trudel 2000).

Laugrand et Oosten (2007) ont comparé le pentecôtisme inuit avec le chamanisme et ont démontré leur grande ressemblance, par exemple quant à l’importance accordée aux expériences extatiques, à la guérison spirituelle, à la dévotion enthousiaste, à la confession publique, à la possession par les mauvais esprits, à l’exorcisme, aux manifestations de l’Esprit Saint dans le corps et le langage d’une personne, ainsi que concernant les règles strictes qui ne doivent pas être enfreintes (ibid. : 242). Cette ressemblance évoque plusieurs opinions ambivalentes. Alors que la plupart des ministres pentecôtistes s’opposent aux traditions chamaniques, les aînés, surtout, qui ont connu le travail des chamanes, trouvent que certaines pratiques pentecôtistes rappellent ces traditions (ibid. : 230 ; voir également Stuckenberger 2005). Bien des Inuits anglicans traditionnels pensent que c’est précisément la ressemblance entre les deux traditions religieuses qui montre qu’après tout le pentecôtisme n’est pas chrétien puisqu’il ne reconnaît pas le chamanisme.

Les gens affirment souvent qu’ils voient une continuité positive entre les valeurs ancestrales du passé, hautement valorisées, et celles du présent dans le fait que les entités spirituelles, notamment les anges, étaient inconnues des chamanes. C’étaient les bons chamanes. Mais les « mauvais chamanes » qui ne travaillaient que pour leur propre bénéfice avaient recours à des démons. James Arreak, pasteur de l’église pentecôtiste à Iqaluit, soutient qu’il y a un lien inhérent avec les ancêtres et que le christianisme a été établi indépendamment des enseignements des missionnaires blancs. Il se trouve donc à ancrer fermement dans la tradition inuite la foi chrétienne ainsi que l’affirmation pentecôtiste de la possibilité d’un lien direct avec Dieu : « Plusieurs récits de la tradition orale racontent que les chamanes allaient dans le monde des esprits pour investiguer la réalité de Dieu (le Dieu chrétien). Ils en revenaient en disant “Wow”. » (Weber 2004)

Dans leur discours sur les nouvelles pratiques pentecôtistes, les Inuits ne s’entendent pas sur la définition de leur passé préchrétien et chrétien en rapport avec leur présent. Comme l’ont déjà démontré Laugrand et Oosten (2007) pour d’autres communautés inuites de l’Arctique canadien de l’Est, l’ambiguïté des valeurs associées au passé est également devenue un élément structural du discours à Qikiqtarjuaq, en intégrant les deux modèles dominants de morale : le mode de vie traditionnel inuit et la modernité dans le cadre d’un christianisme et d’une société inuits. D’une certaine façon, à Qikiqtarjuaq, la définition du présent est liée à la définition du passé.

Conclusion

Les notions de changement et de continuité sont des outils de description et d’analyse complexes et éphémères. Plusieurs facteurs importants – connus, inconnus ou de coïncidence – doivent être pris en considération si l’on veut faire émerger la forme des processus en question. Si quelque chose peut être décrit comme étant du changement, on doit se demander pour qui cela représente un changement et de quel changement il s’agit. S’agit-il d’une variante ? d’un développement ? d’une amélioration ? d’une révolution ? Les Inuits utilisent une notion de changement dans leur discours qui accorde une grande importance au comportement approprié – un outil de mesure appliqué aux discussions sur le passé autant que sur le présent et à la relation entre eux. Le changement discuté ici vise l’introduction du mouvement pentecôtiste dans l’Arctique canadien de l’Est et, plus particulièrement à Qikiqtarjuaq.

Une des caractéristiques principales du discours sur le pentecôtisme à Qikiqtarjuaq concerne l’ambiguïté des valeurs du passé en relation au présent. Cette ambiguïté n’est pas typique de Qikiqtarjuaq ; Laugrand et Oosten (2007) l’ont également vérifiée dans d’autres communautés de l’Arctique canadien de l’Est. Et ce qui est de la plus haute importance dans ce discours, c’est la question de savoir si oui ou non les pratiques pentecôtistes constituent un réseau de relations sociales et cosmologiques appropriées et si elles le font de manière appropriée.

Bon nombre de problèmes sociaux ont prévalu à Qikiqtarjuaq ces dernières années et les gens cherchent des solutions, souhaitant guérir aussi des expériences traumatisantes du passé. Dans ce contexte, on parle du pentecôtisme en termes de transformation religieuse qui permet la restauration sociale des individus et de la vie communautaire. Toutefois, le mouvement pentecôtiste n’offre pas la possibilité de revenir aux relations du passé ; il entraîne l’amélioration des nouvelles relations avec Dieu, ce qui devrait mener éventuellement à de meilleures relations en général, notamment entre membres d’une famille ou de la communauté, avec la nation moderne et avec le monde entier.

La transformation religieuse d’un individu lui permettant de développer des relations charismatiques est marquée par l’introduction de nouvelles règles, comme la sobriété complète, qui sont considérées comme essentielles au maintien de ces nouvelles relations. Le mouvement pentecôtiste dans son ensemble encourage la diffusion de ces règles partout dans le monde. Par contre, même si elles se ressemblent partout, la notion de règles peut varier d’une culture à l’autre. Dans le contexte inuit, les règles morales ont une dimension cosmologique, et des règles spécifiques sont associées à des relations spécifiques telles qu’elles se sont élaborées au fil de l’histoire et depuis l’époque mythique. Cette dimension cosmologique des règles de conduite renforce l’importance des nouvelles règles et relations introduites par le mouvement pentecôtiste et demeure au centre des discours locaux portant sur des questions comme celle de la nature des liens entre les personnes et avec le monde des esprits, constituées et maintenues par le respect de ces règles. Ces relations suivent-elles le système de valeurs associé au mode de vie inuit ? Comment les nouvelles pratiques arriment-elles le présent au passé préchrétien et chrétien ? Quelles sont les conséquences pour la communauté de l’intégration de ces nouvelles relations ? Aident-elles à guérir les gens et à améliorer la vie communautaire ou ajoutent-elles aux difficultés ?

Dans le processus d’évangélisation, les coutumes religieuses passées – chamaniques ou anglicanes traditionnelles – doivent être surpassées mais pas perdues ; le « nouvel homme » ou la « nouvelle femme » a besoin, d’un point de vue pentecôtiste, de redéfinir sa position vis-à-vis du passé. Le passé n’est pas une notion abstraite pour les Inuits mais elle est constitutive de la société. La société inuite se perpétue, par exemple, par la manière d’assigner un nom à une personne et par la grande valeur accordée aux pratiques des ancêtres. De se perpétuer en tant que société ne veut cependant pas dire que la société inuite est statique. On attache beaucoup d’importance à l’amélioration des conditions de vie, tant par l’innovation technologique que par l’intégration de nouveaux éléments dans tous les domaines de la vie. Quand même, les Inuits n’ont pu contrôler tous les changements qu’ils ont vécus ; ainsi la construction des nouveaux villages et la relocalisation sur de nouveaux sites ont été imposées aux Inuits par des forces extérieures. On pense, dans les communautés, que ces changements forcés ont causé bon nombre des graves problèmes sociaux alors qu’en même temps ils ont aussi contribué à faire apprécier des conditions de vie plus aisées et sécuritaires. Comme autre exemple, on pense aussi que les horaires d’école nuisent aux coutumes de chasse inuites et au transfert des connaissances traditionnelles alors que plusieurs personnes voient les bienfaits d’une éducation formelle pour les enfants. La vie communautaire contemporaine comporte bien des valeurs ambivalentes.

Le mouvement pentecôtiste vise à « guérir » les gens qui subissent une vie détériorée à cause d’événements et de choix émanant du passé, tels que les ruptures dans la vie des camps et la relocalisation vers des communautés permanentes, ou encore l’usage d’alcool. Il vise également le maintien simultané de modes de vie locaux et de la modernité en vue de « réparer » ainsi les conditions de vie dans les communautés contemporaines tout en les intégrant dans un tout global. L’école comme institution par exemple, a perdu de sa connotation négative et de son caractère étranger grâce au discours pentecôtiste sur la bonne vie communautaire ; ainsi, il s’agissait d’éloigner l’institution des expériences douloureuses du passé colonial et de l’intégrer dans un nouveau cadre, celui de la vie chrétienne.

Toutefois, les gens ne s’entendent pas sur la valeur du nouveau mouvement pentecôtiste lorsqu’il s’agit de redéfinir leur passé dans le contexte d’une modernisation et d’un nouveau réseau de relations cosmologiques. L’existence de conflits n’est toutefois pas acceptable parce qu’ils contribuent à la détérioration de la vie de la communauté. Les gens ont réussi à trouver une façon de composer avec les désaccords entre les opposants du mouvement pentecôtiste et ses disciples, en intégrant les nouveaux éléments dans le cadre plus ancien de l’Église anglicane et par l’usage constant d’anciennes formes de liturgie utilisées également au moment des grands festivals communautaires, notamment à Noël et à Pâques. L’unité se crée dans la pratique et on évite les polarisations. Ainsi, en travaillant à l’encontre des missions évangéliques décrites ci-dessus, les pratiques pentecôtistes sont redéfinies selon le mode de vie inuit plus ancien. De cette manière, on trouve une continuité dans un discours permanent sur la façon correcte de faire les choses et dans la manière d’éviter l’institutionnalisation du nouveau mouvement.

En ce qui concerne les relations qui sont constituantes de la vie communautaire contemporaine et d’une globalité plus générale, la question demeure ouverte de savoir si le pentecôtisme aide ou non à les choisir, à les établir, à les intégrer culturellement et à les maintenir. Le mouvement pentecôtiste soutient les efforts des Inuits, qui cherchent à gagner plus d’indépendance politique et culturelle vis-à-vis de la dominance des Blancs. En même temps, ce mouvement relie ses disciples aux processus de globalisation et à quelques-unes des institutions modernes de la vie communautaire contemporaine, comme l’école ou l’autorité gouvernementale qui, croit-on, ont contribué à créer ces mêmes problèmes que les pratiques pentecôtistes veulent « guérir ». Les Inuits sceptiques s’inquiètent en imaginant les dangers potentiels qui résultent des pratiques pentecôtistes, comme l’attribution de valeurs ambivalentes au passé et aux éléments de modernisation, ou comme la possibilité d’isolement politique causé par une position centrale assignée à la foi dans la politique, ce qui risque de nuire dans des contextes nationaux ou internationaux, comme vis-à-vis du gouvernement canadien ou du Conseil inuit circumpolaire, qui ne sont pas nécessairement d’accord avec la fusion du politique et du religieux.