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Depuis vingt ans, les nations autochtones du Québec et du Canada participent de plus en plus à la recherche archéologique et à la gestion de leur patrimoine archéologique. De plus, elles veulent que des membres de leur communauté soient formés à la pratique archéologique. Cependant, le degré de participation varie beaucoup selon la communauté et selon la province ou le territoire. Cette variabilité fait qu’il est difficile de faire le portrait global de la situation et de son développement à travers le Canada ou l’Amérique du Nord. Cette note de recherche se concentre donc sur la situation au Québec en termes de formation des Autochtones en archéologie, mais en ajoutant quelques exemples probants tirés du reste du Canada. Je propose la création d’un programme de formation en archéologie pour les Autochtones qui serait adapté aux réalités et aux besoins des différentes communautés.

Un besoin dans les communautés

La participation accrue des Premières Nations dans la pratique de l’archéologie, ainsi que d’autres changements récents dans ce domaine (par ex. changements dans le cadre légal ou engagement accru avec le public), fait qu’il existe maintenant un besoin réel de développer la capacité interne des communautés autochtones du Québec en termes d’archéologie. Nous parlons ici de la formation de techniciens en archéologie mais aussi, éventuellement, de chargés de projets et de gestionnaires du patrimoine (gestion des collections, permis de recherche, conservation), sans oublier la formation de spécialistes de la diffusion et de la mise en valeur. De plus, cela répond au besoin dans ces communautés de prendre en main le contrôle de leurs propres ressources culturelles (APNQL 2014). Il est donc impératif de former des archéologues autochtones ainsi que des membres de communautés autochtones qui pourront assurer la gestion et la conservation des collections archéologiques, mais aussi veiller aux aspects juridiques reliés à l’archéologie et au patrimoine.

Les défis

Il est important d’identifier les défis qui peuvent se poser dans la formation des archéologues. Certains de ces défis sont plus spécifiques à la situation autochtone. En parlant avec mes collègues à travers le Québec et le Canada, j’ai pu constater quelques défis récurrents : 1) des communautés très diversifiées avec une démographie variable, et des besoins tout aussi variables en termes d’archéologie et de patrimoine (one size does not fit all ! – voir Nicholas 2010) ; 2) des communautés souvent éloignées des centres de formation et d’éducation ; 3) le maintien (rétention) des effectifs à moyen et à long terme ; et 4) la difficulté de garantir des emplois après la formation. On peut ajouter à cette liste un élément plus technique, soit l’accréditation aux niveaux provincial et/ou national.

Tous ces défis ne sont pas limités à l’archéologie. Ils sont présents dans la plupart des programmes de formation destinés aux Autochtones et ont déjà été surmontés dans plusieurs cas, comme celui de la formation d’enseignants du primaire qui soient autochtones. De plus, je suis d’avis que les questions de financement d’un tel programme de formation – et de la langue de cette formation – ne constituent pas des défis insurmontables, du moins au niveau universitaire.

La formation : développer une expertise interne

Plusieurs archéologues professionnels québécois ont participé à la formation d’Autochtones en archéologie. Les projets et programmes ont été aussi variés que les populations ciblées et il est difficile de trouver une stratégie récurrente. Voici quelques exemples de projets qui ont mené à la formation d’Autochtones en archéologie au Québec. Cette note de recherche ne se veut pas un recensement exhaustif, mais plutôt un survol global, et je m’excuse à l’avance si j’oublie de mentionner un projet formateur. Certes, il y a eu des programmes pionniers au Québec, comme ceux de la Corporation Archéo-08 en Abitibi ou du Gouvernement de la Nation crie (ancienne Administration régionale crie) ; malheureusement je n’ai pas l’espace ici pour en faire un historique complet. À l’aide d’exemples concrets, je veux plutôt mettre en relief les principaux défis à la formation d’Autochtones en archéologie et voir quels modèles semblent fonctionner et persister (voir Chalifoux et Gates St-Pierre 2017).

Certains projets ont été entrepris et menés par les groupes autochtones. C’est le cas de l’Institut culturel Avataq qui organise des projets archéologiques au Nunavik depuis trente ans. La formation des archéologues provenant de la communauté a toujours été au centre de ces projets archéologiques. Le groupe ciblé est jeune : de 13 à 15 ans. Ces écoles de fouilles servent principalement d’outil d’apprentissage sur l’histoire et la culture des Inuits et sont ainsi des projets d’éducation, de revitalisation et de réappropriation culturelle (Desrosiers et Rahm 2015). Plus de deux cents jeunes étudiants provenant des communautés du Nunavik ont été formés en archéologie sur le terrain grâce à ces projets. Une retombée importante de ce programme a été l’impact positif sur l’assiduité scolaire et le taux de diplomation (ibid. 2015). Les projets archéologiques de l’Institut culturel Avataq peuvent être regroupés sous la rubrique plus large de l’archéologie communautaire – qui conçoit l’archéologie comme un processus de collaboration et de décolonisation où les communautés descendantes participent à part égale avec les chercheurs dans toutes les étapes de la recherche, allant du choix des questions de recherche initiales jusqu’à l’interprétation et la mise en valeur (Atalay 2012).

Un projet plus récent d’archéologie communautaire organisé par une communauté autochtone et servant à former des Autochtones en archéologie est celui du Fort d’Odanak (http://www.fort-odanak.ca/index-fra). Le projet, qui a duré cinq ans (de 2010 à 2105), était dirigé par l’archéologue Geneviève Treyvaud et piloté par le Musée des Abénakis, ainsi que par le Grand Conseil de la Nation Waban-Aki et le Conseil des Abénakis d’Odanak, avec un appui financier de Patrimoine Canada et du ministère de la Culture et des Communications. Ce projet a formé en archéologie quinze membres de la communauté et certains ont même participé au programme durant plusieurs années. Le fait que le directeur général actuel du Musée des Abénakis ainsi que la personne en charge de la gestion de toutes les collections du musée ont participé au programme d’archéologie du Fort d’Odanak en dit long sur les potentielles retombées que peut avoir la formation d’Autochtones en archéologie et en gestion du patrimoine. Chez les Cris, pour prendre un autre exemple, quatre personnes recrutées lors des projets hydroélectriques d’Eastmain et de Rupert ont été embauchées dans leurs communautés comme coordonnateurs culturels (voir Denton et Izaguirre, dans ce numéro).

Les projets collaboratifs et communautaires sont de plus en plus nombreux au Canada. S’il s’agit d’un projet archéologique dans ou près d’une communauté autochtone, alors il est souhaitable et même essentiel d’inclure les membres de la communauté autochtone dans les fouilles et de les former en archéologie et en gestion du patrimoine. Le Programme de recherches archéologiques d’Ekuanitshit est un exemple de ce type de collaboration fructueuse (voir l’article de Ouellet dans ce numéro). Le programme est financé par la Société Ishpitenitamun et appuyé par le Conseil des élus de la communauté. Il est dirigé sur le terrain par l’archéologue Jean-Christophe Ouellet. Les fouilleurs sont tous issus de la communauté d’Ekuanitshit. Sur une période de six ans (2012-2017), douze Innus ont été formés en archéologie grâce à ce programme (Jean-Christophe Ouellet, comm. pers., déc. 2017). Toujours sur la Basse-Côte-Nord, depuis l’été 2015 Archéo-Mamu, un organisme sans but lucratif co-géré par les Autochtones et les Euroquébécois de la région, a formé en archéologie quatorze Innus (François Guindon, comm. pers., fév. 2018).

Ce modèle est récurrent à travers le Canada et il devient la norme en termes d’archéologie collaborative et communautaire avec les Premières Nations. L’essentiel à retenir dans les projets qui réussissent et persistent, c’est que le programme d’archéologie doit être conçu dès le départ en collaboration et en consultation avec la communauté concernée. Les hypothèses de recherche, les sites qui seront privilégiés, les lieux à éviter, la mise en valeur des sites et des collections, la diffusion des connaissances auprès des chercheurs et des membres de la communauté concernée, tous ces facteurs doivent être pris en considération et en consultation avec la communauté en amont.

Une autre catégorie de formation en archéologie, plus « classique », est celle des écoles de fouilles (Cipolla et Quinn 2016). Les écoles de fouilles universitaires constituent un cadre privilégié pour la formation d’Autochtones en archéologie. Depuis l’été 2015, l’Université de Montréal a développé une école de fouilles sur l’île Saint-Bernard à Châteauguay. Cette école de fouilles, et le projet de recherche archéologique plus large dans lequel elle s’inscrit, a été mise sur pied avec la collaboration du Conseil mohawk de Kahnawà:ke, en tenant compte de leurs intérêts envers le patrimoine archéologique historique et préhistorique. Chaque année, deux membres de la communauté de Kahnawà:ke sont intégrés dans l’équipe pour être formés comme archéologues. Ces personnes sont désignées par la communauté elle-même. Ce modèle semble fonctionner assez bien, mais il est important de mentionner que la fouille se déroule à proximité de la communauté mohawk de Kahnawà:ke, ce qui est rarement le cas pour les écoles de fouilles universitaires (voir aussi le texte de Richard, Lesage et Plourde dans ce numéro).

Une formule gagnante est donc de déplacer l’université dans la communauté (Cipolla et Quinn 2016). Dans le cas du Sheshatshiu Archaeology Project par exemple, l’Institut du Labrador, une filiale de l’Université Memorial, est situé dans la communauté de Northwest River/Sheshatshiu, et le professeur qui dirige l’école de fouilles, Scott Neilsen, est basé dans la communauté à temps plein (Neilsen 2017, et comm. pers. 2018). L’Université Simon Fraser est allée encore plus loin, en créant un campus satellite de l’université dans la communauté secwepemc (shuswap) de la réserve de Kamloops en Colombie-Britannique (Nicholas 1997 ; Nicholas et Markey 2013). Sur une période de vingt ans, un programme basé dans cette communauté, le SCES-SFU Indigenous Archaeology Program, a permis de former des centaines d’Autochtones en archéologie, et les impacts positifs dans la communauté sont nombreux et vont bien au-delà de l’archéologie (Nicholas et Markey 2013 : 3).

Dans un contexte d’école de fouilles universitaire, les défis à surmonter sont plutôt d’ordre bureaucratique, car les universités ne sont pas très flexibles en ce qui concerne l’inscription des étudiants qui ne suivent pas un cursus traditionnel ou qui sont inscrits dans une autre institution collégiale ou universitaire (voir aussi Lefevre-Radelli et Jérôme 2017). Néanmoins, le contexte de la formation dans une école de fouilles bien rodée est idéal, car il met moins de pression sur la productivité quotidienne des étudiants-fouilleurs. De plus, le fait d’avoir des étudiants autochtones et allochtones qui travaillent ensemble et qui se côtoient de façon quotidienne est un véritable atout ; c’est un avantage qui est noté par l’expérience de plusieurs archéologues à travers l’Amérique du Nord. Les échanges entre étudiants autochtones et allochtones et le partage des connaissances sont particulièrement enrichissants, surtout lorsque cela se produit dans un environnement de respect et libre de stress, comme c’est habituellement le cas sur un terrain archéologique.

Un enjeu important dans le milieu universitaire consiste à trouver des façons d’augmenter la présence des étudiants autochtones dans les universités canadiennes. L’organisme Universités Canada (anciennement Association des universités et collèges du Canada) identifie d’ailleurs comme une de ses cinq priorités l’accès à l’éducation universitaire pour les Autochtones (https://www.univcan.ca/fr/priorites/education-des-autochtones/). Au niveau canadien, le nombre d’Autochtones qui suivent un programme universitaire en archéologie, tous niveaux confondus, continue à être très bas, mais il tend à augmenter d’année en année. Au Québec, la situation semble être moins prometteuse si l’on en juge par le faible nombre d’inscriptions. Le nombre d’Autochtones inscrits dans un programme d’anthropologie, d’archéologie, d’histoire, d’études autochtones, de gestion du patrimoine, de muséologie ou d’une discipline connexe demeure très limité. Le nombre de personnes d’origine autochtone qui ont étudié au niveau du baccalauréat ou de la maîtrise ou du doctorat en archéologie se compte sur les doigts d’une main. On peut mentionner une personne de Pikogan qui a complété son baccalauréat en archéologie à l’Université de Montréal et qui avait entamé sa maîtrise avant son décès. Sinon, nous connaissons présentement seulement trois autres personnes qui ont toutes étudié en anthropologie et archéologie à l’Université McGill : une personne inuite qui travaille comme archéologue au Nunavik et qui a étudié deux ans et demi au premier cycle en archéologie ; une personne qui est membre de la Nipissing First Nation et qui est présentement inscrite au doctorat en archéologie ; et l’ancien président de l’Association canadienne d’archéologie, Eldon Yellowhorn, qui fut le premier Autochtone du Canada à compléter un doctorat en archéologie. Ces personnes serviront de modèles et de leaders dans leurs communautés respectives, mais le défi demeure le fait que nous ne formons toujours pas suffisamment d’archéologues autochtones. De plus, le cursus universitaire actuel (baccalauréat, maîtrise, doctorat) ne fournit pas assez d’archéologues autochtones. Une première constatation qu’on peut faire c’est qu’il existe un problème lié au fait que la formation en archéologie est surtout centrée sur le cursus académique universitaire, sans envisager d’autre trajectoire ou voie d’accès à la formation et à l’emploi. Notons d’ailleurs que le premier archéologue autochtone du Québec, Daniel Weetaluktuk, a été formé en archéologie sur le terrain (McCartney 1984).

Les compagnies privées d’archéologie devront également jouer un rôle central et décisif dans la formation de futurs archéologues autochtones au Québec. Ces compagnies ont déjà formé sur le terrain des dizaines de techniciens autochtones en archéologie depuis le début des projets hydroélectriques dans le nord du Québec à partir de la fin des années 1970. Certaines compagnies ont cumulé une expérience considérable au fil des années en ce qui concerne la collaboration avec les groupes autochtones. La firme Archéotec, par exemple, a formé de nombreux fouilleurs attikameks, cris et innus, dont certains ont plus d’une décennie d’expérience sur le terrain (Ly 2010). En 2017, dans le contexte de projets urbains sur l’île de Montréal, les compagnies Arkéos et Ethnoscop ont formé et intégré dans leurs équipes des jeunes Mohawks à la suite d’une entente avec le Conseil mohawk de Kahnawà:ke.

Au Québec, le bassin de candidats autochtones potentiels qui pourraient suivre une formation en archéologie n’est pas énorme, qu’ils soient francophones ou anglophones. Les personnes qui vivent déjà en milieu urbain seront plus portées à suivre un cursus universitaire ou collégial, ou encore un programme mis sur pied par un musée national ou provincial (voir par ex. Syms 1997). J’estime que les programmes en études autochtones dans les universités, ainsi que la formation offerte au collège Kiuna, pourront constituer des points de départ logiques pour ces candidats. Par contre, ce seront les projets d’archéologie communautaire menés dans ou à proximité des communautés autochtones qui risquent d’être les plus efficaces en termes de formation et de développement d’expertises en archéologie et en conservation du patrimoine au sein des groupes autochtones du Québec.

L’accréditation : un enjeu majeur

Dans les années à venir, la question de l’accréditation deviendra un enjeu majeur dans la formation des Autochtones en archéologie. La raison est simple : pour pratiquer l’archéologie au Québec, il faut obtenir un permis délivré par le ministère de la Culture et des Communications, comme le stipule le Règlement sur la recherche archéologique. Pour obtenir un tel permis, il faut produire une démonstration que le postulant possède une formation professionnelle reconnue. De plus, une personne embauchée comme archéologue par une compagnie ou une institution doit aussi posséder un niveau d’expérience reconnu dans le domaine. Or, au Québec, l’accréditation professionnelle des archéologues n’a jamais été clairement normalisée ni officialisée. Ainsi, le Règlement sur la recherche archéologique découlant de la Loi sur le patrimoine culturel (chap. P-9.002, r. 2.1) demande un « dossier de qualification » pour tout membre d’une équipe qui n’est pas technicien, c’est-à-dire pour les personnes responsables de l’intervention archéologique (section II.3a, Délivrance d’un permis de recherche archéologique). Cependant, les critères d’admissibilité ne sont pas très précis ; le postulant doit simplement soumettre un dossier « incluant sa formation scolaire ou universitaire et ses expériences pertinentes en ajoutant […] la liste de ses publications scientifiques, la liste des organismes pour lesquels il a travaillé depuis la fin de sa formation et le statut qu’il y a occupé » (section II.3a, le formulaire utilisé pour une demande de permis reprend les mêmes critères), sans que soit précisé comment ces différents critères sont évalués et comptabilisés. Ainsi, l’évaluation de ces dossiers par les employés du ministère manque de transparence et peut être sujette à interprétation.

Le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTMDÉT), pour sa part, possède des exigences beaucoup plus détaillées pour les trois échelons d’archéologues qu’ils peuvent embaucher comme contractuels (archéologue responsable de l’intervention, archéologue-assistant et technicien-archéologue). Cependant, ces exigences varient selon le niveau de responsabilité que la personne devra assumer, allant d’un technicien-archéologue junior (20 semaines d’expérience pratique en archéologie ou un minimum de 30 crédits contributoires à un baccalauréat spécialisé en archéologie, plus 10 semaines d’expérience pratique) à un responsable d’intervention (baccalauréat spécialisé en archéologie, avoir rédigé un rapport de recherche archéologique et posséder 80 semaines d’expérience) [Julie Milot, MTMDET, comm. pers., janv. 2018]. Ces exigences ne sont malheureusement pas disponibles pour le grand public et ils apparaissent uniquement dans « les devis contractuels utilisés pour les appels d’offres de services professionnels pour les expertises archéologiques » (Julie Milot, MTMDET, comm. pers., janv. 2018). Ces appels d’offre apparaissent dans le site officiel du Gouvernement du Québec (https://www.seao.ca/index.aspx). Ajoutons que ces exigences standards sont sujettes à modification par le Ministère selon les spécificités de chaque projet (Julie Milot, MTMDET, comm. pers., janv. 2018).

L’Association des archéologues professionnels du Québec (AAQ) a établi une liste de critères pour adhérer à l’association (http://www.archeologie.qc.ca/devenir-membre/comment-devenir-membre/), mais cette adhésion n’octroie pas automatiquement une reconnaissance officielle de la part du gouvernement québécois. Selon les règlements de l’AAQ, un archéologue se définit ainsi : « toute personne possédant la formation théorique, méthodologique, technique et éthique nécessaire pour entreprendre et mener à bien une étude archéologique, quelle que soit sa spécialisation » – ce qui est, somme toute, assez vague (Règlements de l’AAQ, annexe 1, section 1 - Définitions et interprétations). La situation est donc loin d’être normalisée au Québec en ce qui concerne l’accréditation des archéologues et les exigences requises pour pratiquer l’archéologie. Les critères nécessaires pour exercer le métier d’archéologue sont mieux définis chez nos voisins ontariens par exemple, où c’est le ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport qui émet les permis, mais aussi les licences d’archéologue (http://www.mtc.gov.on.ca/fr/archaeology/archaeology_licensing.shtml).

Pour revenir au propos initial de cette note de recherche, c’est-à-dire la formation des Autochtones au Québec en archéologie, il me semble que, si le système de formation pour les archéologues autochtones demeure aussi peu formalisé, il en résultera que des archéologues auront des niveaux d’expérience et de connaissance très variables. C’est d’ailleurs souvent le cas dans un domaine qui, comme l’archéologie justement, s’est professionnalisé depuis peu de temps. Il me semble donc qu’une solution consisterait à mettre en place un système de certificats pour la formation des archéologues autochtones au Québec. Pour ce faire, il faudra la collaboration du gouvernement provincial (ministère de la Culture et des Communications) et des associations professionnelles (AAQ) pour que ce certificat soit reconnu et permette de travailler dans le domaine de l’archéologie au Québec. La participation des firmes privées sera également essentielle, car elles sont les principaux employeurs en archéologie dans la province et même à travers l’Amérique du Nord.

Il serait intéressant d’envisager un programme divisé en modules afin de permettre le maximum de flexibilité pour les participants, incluant des modules théoriques et des modules de terrain, tous cumulatifs. Il faudra y inclure des éléments de formation liés au contexte légal de l’archéologie au Québec, des aspects éthiques de la pratique, de la mise en valeur, du partage des connaissances, de la consultation, de la gestion des sites et collections et de la conservation des artéfacts. Comme je l’ai mentionné plus haut, des modèles existent déjà ailleurs au Canada, modèles dont nous pourrions nous inspirer. Un premier modèle de programme en archéologie pour les autochtones est en train d’être mis sur pied par le Centre des Premières Nations Nikanite de l’Université du Québec à Chicoutimi (http://nikanite.uqac.ca/programmesspecialises/). Il consiste en cinq cours en archéologie, incluant une école de fouilles (Éric Langevin, comm. pers., fév. 2018 ; Gauthier 2017). Un programme en archéologie pour les Autochtones devra inclure la perspective autochtone du passé et du patrimoine archéologique, les traditions orales et la participation des aînés (un comité de pilotage devra inclure au moins 50 % de membres autochtones). D’ailleurs, l’inclusion de ces perspectives autochtones serait sans doute salutaire pour tout programme de formation d’archéologues au Québec et Canada. La formation offerte par certains modules pourrait être suivie à distance, tandis que d’autres pourraient idéalement se dérouler dans les communautés ou sur le territoire ancestral, avec les aînés. Une étape parallèle consisterait inévitablement à normaliser l’accréditation de tous les archéologues au Québec, incluant les archéologues autochtones. Il faudra aussi trouver une façon de reconnaître la valeur de l’expérience et des connaissances non archéologiques de certaines personnes (par ex. savoir traditionnel, traditions orales, connaissance du territoire). Pour ce faire, il sera également nécessaire de travailler de concert avec le ministère de la Culture et des Communications et l’AAQ. J’espère qu’il sera possible d’envisager la possibilité de définir plus d’une seule trajectoire qui mènerait à l’accréditation d’un(e) archéologue, tant pour un/une technicien(ne) que pour un/une chargé(e) de projet.

Les débouchés

Les débouchés en archéologie n’ont jamais été nombreux, mais cela ne peut aucunement constituer un prétexte pour ne pas former d’archéologues autochtones. Si on se fie à certains exemples tirés de partout au Canada, ces personnes deviendront des acteurs importants dans leurs communautés, peu importe s’ils poursuivent en archéologie ou non (Denton et Izaguirre, dans ce numéro ; Nicholas 2010). Ces archéologues seront des défenseurs du patrimoine et ils seront aussi des médiateurs et traducteurs de leur culture. Il revient à la communauté archéologique de faire une place à ces archéologues issus des communautés autochtones. Les firmes d’archéologie privées seront les principaux acteurs de ce nouveau défi. Ces compagnies peuvent garantir des emplois à un certain nombre d’archéologues autochtones, pour ainsi assurer une mise en place et une pérennisation de l’archéologie autochtone. Par exemple, une firme d’archéologie en Ontario s’est engagée récemment à embaucher les archéologues, incluant bien sûr les archéologues autochtones, issus d’un programme de certificat en gestion des ressources archéologiques en cours d’élaboration par l’Université Trent (Bill Fox, comm. pers., nov. 2017).

Les associations professionnelles et les gouvernements constitueront également des parties prenantes de première importance. En Ontario, la régularisation d’un système de surveillants de chantiers archéologiques (monitors) permet depuis dix ans l’embauche de plusieurs autochtones dans le cadre de projets en archéologie préventive (DeVries 2014 ; Ontario Ministry of Tourism and Culture 2010). Plusieurs programmes de formation ont été mis sur pied par les Premières Nations de l’Ontario (Six Nations, New Credit, Curve Lake, Chippewa of the Thames), avec l’appui parfois de la Province ou de l’Association des archéologues de l’Ontario (OAS). Ces programmes visent spécifiquement à former des surveillants autochtones pour les chantiers archéologiques de la province. Il est important de noter qu’en général ces surveillants ne participent pas directement aux travaux archéologiques, comme les inventaires et les fouilles. À mon avis, le surveillant ne peut pas remplacer un ou une archéologue autochtone pour ce qui est de la contribution au projet ou aux interprétations par exemple. Par contre, ce rôle, qui est plutôt celui d’un observateur, peut représenter pour certains individus un premier pas vers une formation d’archéologue de terrain.

Dans un monde idéal, chaque nation du Québec aurait son archéologue autochtone et son équipe d’archéologues autochtones. C’est en partie le cas aux États-Unis, où chaque nation reconnue au niveau fédéral a droit à un Tribal Historic Preservation Officer (THPO, http://www.achp.gov/thpo.html). Cette personne n’est pas toujours un archéologue de formation, mais elle est responsable du patrimoine culturel et des projets archéologiques réalisés sur le territoire géré par la nation. Si nous parvenons à former suffisamment d’archéologues et de gestionnaires du patrimoine dans les communautés autochtones du Québec et du Canada, alors ce ne sera qu’une question de temps avant que chaque communauté ou nation puisse bénéficier d’une personne-ressource et d’une équipe issues de la communauté qui veillera à la protection du patrimoine archéologique et culturel de celle-ci.

Principaux partenaires

La liste des partenaires éventuels dans l’élaboration d’un programme de formation autochtone en archéologie nous semble relativement facile à dresser. Le défi sera plutôt de mobiliser et d’organiser tous ces partenaires au sein d’un même projet et vers un but commun : la formation d’archéologues autochtones au Québec. Voici une liste préliminaire de partenaires éventuels :

  • les instituts, conseils et gouvernements autochtones (par ex. Gouvernement de la Nation crie, Grand Conseil de la Nation Waban-Aki, Mohawk Council of Kahnawà:ke, Institut culturel Avataq, Bureau du Nionwentsïo de la nation huronne-wendat, etc.) ;

  • les aînés des communautés autochtones ;

  • l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) ;

  • les universités québécoises offrant un programme en archéologie et/ou en études autochtones, et l’Institution Kiuna ;

  • le ministère de la Culture et des Communications, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et le Secrétariat aux affaires autochtones ;

  • l’Association des archéologues du Québec (AAQ) ;

  • les firmes privées d’archéologie ;

  • les gestionnaires des collections archéologiques, principalement les musées et les municipalités ;

  • le Réseau Archéo-Québec.

Éventuellement, il serait également intéressant d’envisager de travailler avec d’autres partenaires, à l’échelle canadienne, qui seraient intéressés à participer à la mise sur pied d’un programme national et multilingue (langues autochtones + anglais et français) menant à une accréditation nationale. Du côté des universités canadiennes, on peut penser à la First Nations University of Canada et l’organisation Indspire (http://indspire.ca/) comme partenaires éventuels. Pour ce qui est des associations nationales, les partenaires logiques sont l’Association canadienne d’archéologie et l’Assemblée des Premières Nations. Enfin, en ce qui a trait à la diffusion des connaissances et à la valorisation publique d’une formation archéologique pour les Autochtones, le réseau Aboriginal People’s Television Network (APTN) pourrait jouer un rôle de premier plan (voir par exemple l’émission Wild Archaeology, http://aptn.ca/wildarchaeology/).

Conclusions

Pour résumer, il faut plus d’archéologues autochtones au Québec et au Canada, et c’est ce que les Premières Nations demandent à travers le pays. Il faut faire en sorte que les communautés autochtones puissent produire leur propre archéologie et gérer leur propre patrimoine archéologique. Il nous revient à nous, archéologues professionnels, de mettre sur pied un programme de formation et d’accréditation pour ces futurs archéologues autochtones, de la même manière que nous l’avons fait pour les membres de la société euroquébécoise. Cependant, il faudra qu’un tel programme soit flexible et qu’il reflète les réalités autochtones, en offrant notamment des formations dans les communautés elles-mêmes, et sans imposer un système rigide comme il en existe trop souvent dans les universités. C’est aussi à nous, archéologues professionnels, que revient le devoir de faire une place équitable aux archéologues autochtones. Les compagnies d’archéologie privées seront des partenaires indispensables dans cette démarche, car elles représentent les principaux employeurs dans le domaine. Peut-être qu’un jour on aura une compagnie d’archéologie autochtone comme il en existe déjà en aviation, foresterie, construction, et autres domaines. L’accréditation de collègues archéologues autochtones demandera une démarche concertée et inclusive au sein de la communauté archéologique québécoise qui permettra aussi de reconnaître l’expérience et le savoir traditionnel non archéologiques de nos collègues autochtones. Pour cela, il nous faudra l’appui du ministère de la Culture et des Communications et de l’Association des archéologues professionnels du Québec. En 2017, l’AAQ a accepté dans ses rangs les premiers membres issus des communautés autochtones, ce qui est un excellent signe pour le futur d’une archéologie autochtone au Québec.