Comptes rendus

Entre deux mondes, Amérindiens et Européens sur les côtes de Guyane, avant la colonie (1560-1627), Gérard Collomb et Martijn Van Den Bel (dir.). Éditions CTHS – La librairie des cultures, Paris, 2014, 318 p.[Notice]

  • Boris Marlin

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  • Boris Marlin
    Chargé d’enseignement en droit international, Université de Guyane, Cayenne

Le littoral guyanais tient une place importante dans l’histoire des voyages exploratoires menés par les Européens en Amérique méridionale aux xvie et xviie siècles. Gérard Collomb, anthropologue, et Martijn Van Den Bel, archéologue, ont réalisé un remarquable travail de traduction (de l’anglais, du néerlandais et de l’italien) et de présentation scientifique (notes explicatives et bibliographie) de quinze textes et documents iconographiques (cartes, relevés, dessins) jamais réunis dans une édition en français. Depuis le journal de bord de Christophe Colomb, les récits de voyage sont, en effet, l’occasion de comprendre « la rencontre des deux mondes » à travers des textes aux styles variés relatant l’expérience européenne (Colomb 2002). Les témoignages directs qui nous sont offerts reflètent bien la diversité des Européens, parfois méconnus, ayant sillonné les côtes guyanaises à l’époque. On retiendra notamment les expéditions réalisées ou commanditées par Walter Ralegh (ou Raleigh), « aventurier » aux multiples facettes, connu notamment pour avoir pris possession du Guyana et introduit le tabac en Angleterre. Les explorateurs anglais fournissent ainsi la majorité des textes sur la région des Guyanes : Lawrence Keymis, Thomas Masham et Léonard Berry, John Ley, les frères Leigh, John Wilson, Robert Thornton, Robert Harcourt, Unton Fisher. Les auteurs de cet ouvrage ont également choisi les témoignages de marchands hollandais souvent liés à la Compagnie des Indes Occidentales : Abraham Cabeliau, Lourens Lourensz, Jesse de Forest (texte original en français), ainsi que Jan van Rijen connu pour sa tentative d’implantation dans la région de l’Oyapock. On soulignera aussi l’apport du récit de Jean Mocquet, un « grand voyageur » au style riche et précis qui occupe une place centrale dans l’ouvrage. Enfin, l’Espagnol Rodrigo Pérez de Navarrete, administrateur colonial aux Antilles, nous livre, vers 1560, un témoignage précurseur sur la côte guyanaise depuis l’Orénoque. Si, d’une certaine manière, on retrouve dans la plume de ces explorateurs une « écriture conquérante » c’est-à-dire la vision unilatérale d’un « nouveau monde » à découvrir et à conquérir, le contexte guyanais est bien singulier. Pendant un siècle et demi, le littoral régulièrement fréquenté par les Européens qui se disputent les faveurs des Amérindiens semble ne jamais devoir subir les effets d’une conquête coloniale. L’ouvrage place donc la « question de l’autre » (Todorov 1991) dans un espace-temps favorable à une certaine dynamique interculturelle liée cependant à la nécessité stratégique européenne de bien comprendre pour mieux dominer. En ce qui concerne « la vision de l’autre », les voyageurs européens des Guyanes s’attardent d’abord sur l’apparence physique et l’organisation sociale des Amérindiens. Leur nudité, parfois perçue comme un signe de sauvagerie (188), est fréquemment relevée (119, 188 et 248). L’observateur européen ne manque pas de donner des informations sociales ou culturelles sur l’organisation familiale, l’artisanat (vannerie, hamac), l’habitat, ou encore l’alimentation basée sur le manioc ou le maïs (152, 171 et 203). La polygamie est soulignée comme une distinction fondamentale avec les Européens (77). L’existence de règles coutumières particulièrement répressives est mentionnée (91-92, 157 et 247). Les pratiques spirituelles et autres « rituels païens » sont décrits (127 et 247-249). Par ailleurs, les différences linguistiques entre Amérindiens sont bien repérées car elles permettent de distinguer les divers groupes ethniques (197). Généralement, les explorateurs des Guyanes établissent deux distinctions fondamentales entre les Amérindiens. La première oppose les peuples du littoral qui sont fréquentables et ceux de l’intérieur particulièrement « sauvages » ou « étranges » (87-90 et 249). La seconde observation, très habituelle, concerne l’anthropophagie réelle ou supposée des peuples rencontrés, laquelle constitue un autre curseur entre les « sauvages » et les « civilisés », les « bons » et les …

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