Dans son introduction à un numéro thématique de Recherches amérindiennes au Québec de 1975 sur le logement amérindien, Sylvie Vincent proposait un bref diagnostic qui ressemble étrangement à celui qu’on fait encore aujourd’hui : le logement amérindien est une « une honte nationale ». L’auteure parlait alors du manque de logements, de logements de mauvaise qualité, de logements culturellement inappropriés, avec des effets dramatiques sur la santé, sur le bien-être et sur l’acculturation. Elle suggérait deux principales voies vers des solutions : 1) repenser les modes de financement du logement et assurer la libération économique, car sans autonomie économique, le logement sera toujours dépendant de politiques externes ; 2) repenser les plans d’habitations en considérant les pratiques et les aspirations des communautés, ce qui exige que les maisons soient « conçues, construites, entretenues et financées par des Amérindiens qui ne seraient plus les mineurs de la nation […] » (Vincent 1975 : 3). L’auteure terminait sur une note utopique, en s’inspirant de Ganienkeh, une communauté mohawk de l’État de New York qui se veut complètement autonome, en suggérant qu’on pourrait (devrait ?) dire aux Amérindiens : « voici assez de terres et de rivières, de mines et de forêts pour vivre, construisez les habitations que vous voudrez » (ibid. : 3). Plus de quarante années plus tard, malgré diverses améliorations tant dans la conception, la production et la gestion de l’habitation, le logement demeure toujours un problème pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Pour ne donner que quelques chiffres, le recensement canadien de 2011 (Statistique Canada 2015) indiquait que la population ayant une identité autochtone était presque trois fois plus nombreuse que le reste de la population (11,2 % contre 4 %) à vivre dans un logement surpeuplé et que c’est sur les réserves des Premières Nations et chez les Inuits vivant dans le Nunangat que la proportion de la population affectée était de loin la plus importante, avec respectivement 27,2 % et 38,7 %. Il en est ainsi pour la population vivant dans des logements nécessitant des réparations majeures, soit 21,5 % pour la population ayant une identité autochtone contre 6,8 % pour la population non autochtone : c’est 42,7 % chez les personnes des Premières Nations vivant dans une réserve et 35,6% chez les Inuits vivant au Nunangat. Le manque de logement, et son corollaire le surpeuplement, ne s’atténue pas. Les réinvestissements récents dans le logement ne comblent pas ce déficit. Ils ne tiennent pas compte non plus des coûts de production qui augmentent au-delà de l’inflation ; de la croissance démographique qui connaît un rythme élevé, à la fois parce que les taux de fertilité dans les communautés sont élevés et que, dans le cas des réserves, des jugements sur le caractère discriminatoire d’un article de la Loi sur les Indiens ont pour effet de rétablir le droit à l’inscription au statut d’Indien pour de nombreuses femmes et leur descendance ; ni du fait que, comme partout au Canada, la proportion de ménages d’une ou deux personnes augmente. Enfin, il ne faut pas oublier que l’habitation est indissociable des infrastructures en matière d’accès, d’eau potable, de services sanitaires, d’électricité et de télécommunications, une dimension de la construction qui n’est pas toujours bien coordonnée avec l’habitation. Ce bref portrait suffit pour rappeler, quantitativement, la réalité du manque de logements sains et de ses effets chez les autochtones, au Canada (pour le Québec, voir Statistique Canada 2016 ; Latouche 2014 ; SHQ 2014), puisque les objectifs poursuivis dans le présent numéro sont d’une autre nature. En effet, ce sont davantage les pistes de solutions suggérées …
Parties annexes
Ouvrages cités
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