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Un nouveau sens du lieu ? « L’effet urbain » dans les communautés du Nunavik[Notice]

  • Caroline Desbiens

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À la suite de la genèse et du développement de villages résidentiels désormais permanents, les Inuits du Nunavik vivent aujourd’hui une croissance démographique importante qui entraîne des enjeux spécifiques quant à la structuration du milieu bâti. C’est maintenant au tour des villages nordiques à faire face à des problématiques qu’on pensait réservées aux grands centres urbains : entretien d’un parc immobilier de plus en plus vaste et spécialisé ; gestion de l’expansion urbaine freinée par la morphologie du territoire ou par des contraintes environnementales liées aux types de sols (Vincent et al. 2013) ; ou même l’accès aux nouvelles technologies qui favorisent le développement des communautés en « réseau » et accélèrent l’intégration de lieux éloignées dans les espaces du quotidien. Si, dans l’état actuel de développement des villages du Nunavik, on ne saurait parler d’urbanité à grande échelle, il est possible d’identifier des facteurs d’urbanisation qui préparent de nouveaux types de relation au territoire et à la communauté, et ce à une multitude d’échelles géographiques. Devant ces phénomènes émergents, plusieurs chercheurs et gestionnaires autochtones se questionnent sur les grilles de lecture à adopter pour, dans un premier temps, comprendre les dynamiques reliées aux mutations des territoires et communautés arctiques et, dans un deuxième temps, favoriser les pratiques d’aménagement qui permettront de bien gérer une telle croissance. Même modeste, l’expansion des villages nordiques contribue, assurément, à façonner un « sens du lieu » qui mérite d’être pris en compte et mis en valeur dans l’aménagement des communautés. Ma contribution vise, bien humblement, à susciter les échanges en offrant des pistes de réflexion sur ce qu’il conviendrait de nommer à ce stade-ci « l’effet urbain » dans les villages du Nunavik. Au Québec, depuis environ une quinzaine d’années, de plus en plus de chercheurs s’intéressent à la présence et aux dynamiques des communautés autochtones en milieu urbain, en particulier les dynamiques d’appropriation et d’identification à ce milieu (Lévesque 2003 ; Peters 2000 et 2002). Les travaux en cours contribuent au décloisonnement et à l’essor des études autochtones, en plus de favoriser les collaborations entre les universités, les communautés et les organismes responsables d’élaborer des politiques ou d’offrir des services adaptés aux nouvelles réalités. Tout aussi importante, mais beaucoup moins étudiée, est la question des dynamiques d’urbanisation qu’on retrouve dans les communautés des Inuits et des Premières Nations (villages nordiques, réserves ou établissements autochtones) et la nature des territorialités qui y sont associées. Pourtant, l’analyse de ces dynamiques peut jeter un éclairage original sur le phénomène de la sédentarisation des peuples autrefois nomades et de leur relation historique à l’État colonial. Si, pour les Inuits, la transition « de l’igloo au HLM » (Duhaime 1985) entraîne d’importantes pertes en ce qui a trait aux savoirs et au patrimoine territoriaux, il faut toutefois reconnaître et surtout valoriser la part active des individus et des communautés dans le développement des façons nouvelles de s’approprier le territoire. En contexte de sédentarisation, d’expansion de l’environnement bâti et de réagencement régional, la question de l’urbanité en milieu nordique permet de définir les contours d’une « contemporanéité » (Poirier 2000) inuite et des identités qui s’expriment à travers celle-ci. Dans un numéro thématique de Études/Inuit/Studies portant sur le fait urbain chez les peuples arctiques (Kishigami et Lee 2008), l’anthropologue Susanne Dybbroe pose la question « Est-ce que l’Arctique s’urbanise vraiment ? » (Dybbroe 2008, italiques dans l’original). Pour répondre à cette question et sortir des cadres habituels de référence, Dybbroe propose d’adopter une méthode comparative et base sa réflexion sur le village de Maniitsoq, situé dans l’ouest du Groenland. La méthode comparative favorise une analyse différentielle …

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