Rêver son habitat est-il un luxe ou une nécessité ? À Montréal, comme dans la majorité des grandes villes au Canada et ailleurs, les questions d’itinérance et d’accès au logement sont d’une actualité humaine inquiétante. Selon le Réseau canadien de recherches sur l’itinérance (RCRI), l’itinérance comprend une variété de situations d’hébergement, regroupant les personnes sans abri, les personnes utilisant les refuges d’urgence, les personnes logées provisoirement et dont l’hébergement est temporaire, et les personnes à risque d’itinérance (Patrick 2015). Alors que le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) nomme l’exclusion comme étant un des principaux enjeux sur ce point (RAPSIM 2003), on remarque que les débats sociaux, culturels et politiques qui décortiquent et solutionnent les aspects financiers et programmatiques du problème le font souvent à l’écart des personnes qui sont directement concernées de façon quotidienne. En matière d’aménagement, les concepteurs sont encadrés par des budgets et des règlements stricts, ce qui limite le potentiel d’inclusion des futurs occupants aux étapes de la conception et de la réalisation d’un projet. L’absence de processus de design participatif mène souvent à des divergences entre le produit (le logement, l’habitat) et les besoins réels ou perçus des individus. Ces divergences sont encore plus marquées lorsqu’il s’agit des besoins de personnes venant d’autres milieux, qui peuvent vivre un écart culturel important lorsqu’elles se retrouvent dans un grand centre urbain comme Montréal. Les repères sociaux et culturels ne sont tout simplement pas les mêmes. Notamment, dans le cas des personnes autochtones, le « système de valeurs et de conception du monde […] diffère de celui des non-autochtones » (Patrick 2015), ce qui crée, entre autres, des ruptures affectives, économiques et culturelles importantes qui contribuent aux phénomènes d’exclusion et de marginalisation (RCAAQ 2008). Dans sa revue de littérature portant sur l’itinérance autochtone au Canada, Patrick (2015) note la distinction entre les concepts de « logement » et de « chez-soi » dans le cas des personnes autochtones en milieu urbain. Notamment, le contraire du terme « itinérance » serait, non pas « logement », mais plutôt « chez-soi » pour souligner « l’importance des liens sociaux souvent associés aux notions de famille et de soutien social » (Klodawsky 2006 et Watson 1988 cités par Patrick 2015). Que ce soient les agences gouvernementales, les bailleurs de fonds ou les professionnels du design, nous avons tendance à laisser à des experts la résolution de problématiques complexes liées à la création de logements, plutôt que de chercher des collaborations constructives avec les citoyens les plus affectés. Et si l’expert était justement le futur occupant ? Avec la volonté d’explorer le potentiel de l’imaginaire dans la recherche de solutions concrètes à ces problématiques, nous avons abordé le projet « Espace de rêve / Dream home » comme exercice de recherche-action en design, de démocratisation de l’architecture et de réappropriation du droit de rêver en grand. Avec la collaboration d’artistes-participants sans adresse fixe ou en situation de précarité et des médiateurs culturels et intellectuels de l’organisme Exeko, nous avons proposé une série d’ateliers d’idéation et de co-création dans l’objectif principal d’illustrer le concept du chez-soi, cet espace rêvé où l’on se retrouve et se recueille. D’ailleurs, afin de nous éloigner du symbole chargé des mots « maison » ou « logement », nous avons rapidement privilégié les termes « chez-soi » et « espace » dans ce projet. Cela n’empêchait toutefois pas d’avoir comme objectif secondaire de dresser un portrait des besoins et des souhaits des personnes sans domicile fixe en matière de logement, soit une sorte de banque de données « réelles » d’occupants potentiels. En arrimant …
Parties annexes
Ouvrages cités
- Bell, Bryan (dir.), 2005 : Good Deeds, Good Design: Community Service Through Architecture. Actar Publishers, New York.
- Bohm, Martha, Joyce Hwang et Gabrielle Printz, 2015 : Beyond Patronage: Reconsidering Models of Practice. Princeton Architectural Press, New York.
- Patrick, Caryl, 2015 : L’itinérance autochtone au Canada : revue de la littérature. Le rond-point de l’itinérance, Toronto. http://rondpointdelitinerance.ca/sites/default/files/L_itinérance_autochtone_au_Canada.pdf (consulté le 31 mai 2017).
- RAPSIM (Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal), 2003 : Comprendre l’itinérance. http://www.rapsim.org/docs/comprendreLitinerance.pdf (consulté le 31 mai 2017).
- RCAAQ (Regroupement des centres d’amitié autochtone du Québec, 2008 : Mémoire sur le phénomène de l’itinérance chez les autochtones en milieu urbain du Québec. Présenté dans le cadre des Audiences publiques de la Commission des affaires sociales sur le phénomène de l’itinérance. http://www.rcaaq.info/images/stories/docs/memoire_itinerance.pdf (consulté le 31 mai 2017).