Comptes rendus

Les Anicinabek, du bois à l’asphalte. Le déracinement des Algonquins du Québec, Marie-Pierre Bousquet (préface de Maurice J. Kistabish). Éditions du Quartz, Rouyn-Noranda, 2016, 336 p.[Notice]

  • Denise Piché

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  • Denise Piché
    École d’architecture, Université Laval, Québec

Marie-Pierre Bousquet, bien connue pour la finesse de ses travaux anthropologiques sur les Algonquins d’aujourd’hui, signe ici un ouvrage majeur, et même un modèle pour l’étude des communautés amérindiennes dans leur réalité et leur imaginaire contemporains. Dans son avant-propos, elle mentionne qu’à son arrivée au Québec, au début des années 90, elle fut surprise de la pauvreté de la documentation sur le monde des réserves et des établissements, mis à part quelques articles sur quantité de problèmes sociaux et sanitaires. La situation s’est certes un peu améliorée depuis, mais le chemin à parcourir reste encore important : que connaît-on des rapports à l’espace au sein des communautés comme lieu d’expression et d’évolution de l’identité redéfinie de l’intérieur ? S’appuyant sur sa thèse de doctorat et sur plus de vingt ans de côtoiement des Algonquins, et plus particulièrement de la communauté de Pikogan, Les Acininabek, du bois à l’asphalte allie une synthèse de leur histoire territoriale et sociale à un examen soigné des communautés contemporaines à travers le vécu et le perçu des différentes générations qui vivent ensemble, mais qui ont des rapports différents à l’espace géographique et social. Pour bien rendre compte du livre, il m’apparaît nécessaire de passer en revue les thèmes qui y sont traités. La première partie porte sur la modification de l’espace symbolique algonquin avec le passage du nomadisme à la sédentarisation et sur les revendications des communautés pour reprendre le contrôle sur leur devenir. Son premier chapitre confronte l’histoire officielle et celle des Algonquins en mettant l’accent sur leur vie, leurs connaissances et leurs croyances antérieures au contact avec les Français, sur les transformations apportées par les contacts subséquents et, brièvement, sur la constitution de chacune des bandes algonquines. Le chapitre suivant décrit le territoire traditionnel dans ses limites, ses caractéristiques géographiques et climatiques, son réseau hydrographique tel qu’il fut exploité pour les déplacements, sa toponymie, son mode d’affectation en territoires familiaux et ce qu’il est devenu avec la mise en tutelle et le découpage territorial (Québec / Ontario ; Abitibi / Témiscamingue / Outaouais). Le troisième chapitre est consacré au passage du nomadisme à la sédentarité lors de la création des réserves et des pensionnats, ainsi qu’à la quête actuelle d’auto-prise en charge en matière d’éducation, de santé, de langue et de retissage des liens entre les générations. Le dernier chapitre de cette section examine la diversité des statuts et des communautés, les réseaux et les rapports de pouvoir qui se créent entre les bandes et les associations, et comment les Algonquins s’autodésignent selon leur appartenance et statut respectifs et en rapport à la désignation de l’Autre. La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse aux rapports à la réserve, à la ville et au bois, les trois contextes spatiaux au coeur de l’identité spatiale contemporaine des Algonquins. Comment vit-on aujourd’hui ces univers ? Comment cherche-t-on à y sauvegarder la culture malgré les cassures vécues à travers le temps et le fossé entre les générations ? Le regard est ici ethnographique. L’auteure parle de la vie dans la réserve, un monde imposé et relativement clos, mais réapproprié ; de l’habitation dans les petites villes régionales ou encore de leur fréquentation ; et des migrations vers la grande ville. Le « bois », objet du deuxième chapitre de cette partie, demeure le monde idéal, le lieu indien par excellence, même pour ceux qui n’y vont plus beaucoup : c’est à la fois une fiction identitaire et une réalité qui « symbolise la lutte […] contre l’assimilation et l’autonomie économique pour l’avenir » (p. 200). Le troisième chapitre s’intéresse à la vie quotidienne dans l’espace moderne à …

Parties annexes