In memoriam

Michèle Therrien (1945-2017)[Notice]

  • Frédéric B. Laugrand

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C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Michèle Therrien, linguiste et anthropologue, survenu dans la nuit du 15 au 16 octobre 2017 à Paris. Née le 12 juin 1945, Canadienne de naissance et Parisienne d’adoption, Michèle Therrien était une figure bien connue dans le Nord canadien. Après un séjour d’un an en 1969 à Salluit, au Nunavik, où elle a occupé le poste d’enseignante et appris la langue inuite, elle a défendu une thèse de doctorat à Paris qui a donné un ouvrage remarquable, Le corps inuit, publié en 1987. Professeure à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), Michèle Therrien a enseigné la langue et la culture des Inuits pendant plus de trente ans. À la fin des années 1990, elle a joué un rôle déterminant dans la collaboration que le Nunavut Arctic College a mis en oeuvre avec l’Inalco, l’Université Laval et l’Université de Leyde. Sous la responsabilité de Susan Sammons et d’Alexina Kublu, ce projet de partenariat a duré plusieurs années. Il consistait à faire venir des aînés en classe pendant plusieurs semaines afin qu’ils enseignent l’histoire et la culture aux jeunes générations. Il a donné lieu à des publications dans plusieurs séries du Nunavut Arctic College : Interviewing Inuit Elders, Perspectives on the XXth Century, etc. Michèle Therrien est également à l’origine d’un programme d’échange très fructueux qui, dès la fin des années 1980, consistait à faire circuler des étudiants français et des Inuits entre l’Europe et le Nunavut. Chaque année des Inuits se rendaient ainsi à Paris et à Leiden pour y enseigner leur langue et leur culture, et en retour des étudiants de l’Inalco séjournaient à Iqaluit. Plusieurs générations de chercheurs ont beaucoup bénéficié des savoirs de ces professeurs inuits parmi lesquels figuraient Oleepeeka Ikkidluak, Jay Arnakak, Alexina Kublu, Makee Kakee, Aaju Peter, Susan Enuaraq, Myna Ishulutak, et bien d’autres. Chacun à leur manière tous ces Inuits font aujourd’hui un travail remarquable pour la préservation et la transmission des savoirs au Nunavut. Michèle Therrien a toujours été très proche de ses étudiants, qu’elle accompagnait généreusement, et pas seulement dans leur vie académique. À l’Inalco, elle aimait faire lire et traduire le dictionnaire encyclopédique de Taamusi Qumaq qu’elle considérait être une oeuvre majeure pour les études inuites. Michèle Therrien défendait le point de vue des Inuits envers et contre tous, ne reculant devant rien. Socialement et intellectuellement très engagée, critique et pleine d’humour, elle portait volontiers des vêtements en fourrure, affichant en plein Paris sa solidarité avec les Inuits obligés de se battre pour défendre leur droit de chasse à la Commission européenne. Michèle Therrien a contribué à la vie intellectuelle des revues Études/Inuit/Studies et Études canadiennes ainsi que du Journal de la Société des américanistes où elle a siégé pendant longtemps au comité de rédaction, et elle est membre fondatrice d’IPSSAS, l’International PhD School for Studies of Arctic Societies. À ces activités s’en ajoutent beaucoup d’autres comme son travail au CNRS (France) ou pour diverses commissions scientifiques. Michèle Therrien a été l’interprète lors de la visite du président Jacques Chirac venu rencontrer Paul Okalik, au Nunavut. Elle n’a jamais cessé de contribuer aux débats sur la néologie, qu’elle affectionnait tout particulièrement pour montrer la dynamique et la précision de la langue inuite. Au sein du CERLOM (Centre d’études et de recherche sur les littératures et les oralités du monde), elle a mené des recherches à la fois ethnographiques et comparatives. Michèle Therrien a travaillé avec un grand nombre de collègues universitaires et non universitaires ainsi qu’avec de nombreux Inuits du Nunavut, du Nunavik et …

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