La pensée métisse comme méthodologie de création : organiser un chaos identitaire[Notice]

  • Lydia Mestokosho-Paradis

Mes origines autochtones ont eu une ascendance sur ma pratique artistique. Elles ont également influencé le regard porté par les spectateurs sur mes oeuvres. J’avais l’impression que ces origines prenaient le dessus sur ce que je voulais dire, créant ainsi un sentiment d’aliénation. C’est ici qu’à émergé ma première problématique : il me fallait déterminer ce qui, en dehors de mes origines, qualifiait mon travail, lui donnait valeur dans le monde de l’art contemporain. Puis, mon questionnement s’est déplacé vers l’importance de trouver l’équilibre entre mes identités : comment les métisser par mon art ? J’ai plusieurs identités. Je voyage entre elles, sans jamais vraiment réussir à les faire cohabiter. C’est ce sentiment d’être fragmentée qui a motivé ma recherche artistique. Le sujet de mon essai portait sur le chaos identitaire qui m’habite, lié chez moi à la fois à ma condition métisse et à mon identité de femme. Mon identité est incomplète, partagée entre ma culture innue et ma culture québécoise, n’étant ni tout à fait l’une ni tout à fait l’autre. Ma quête prend racine dans toutes les petites situations que j’ai vécues et qui ont confronté mon identité. Comme, par exemple, lorsque j’ai déménagé pour mes études secondaires, j’ai eu le sentiment d’être divisée pour la première fois. Pour les Innues, j’étais devenue une Blanche, pour les Blancs j’étais une Innue. J’avais la désagréable impression de n’être considérée que partiellement, d’être constamment et uniquement l’Autre nation. Si au départ je croyais n’avoir qu’une identité, elle s’est rapidement multipliée. De plus, cette distance imposée par ma scolarité a créé une coupure avec ma communauté. Mon sentiment d’appartenance venait d’être ébranlé, une faille était maintenant créée, annonciatrice de grands questionnements. J’éprouvais de la difficulté à me situer, comme si le choix de mon identité ne m’appartenait pas. Lors de mes études en art, j’étais constamment confrontée à une catégorisation systématique de mon travail. Cet étiquetage ethnique dont j’étais l’objet me dérangeait. Mes oeuvres étaient évaluées en fonction de mes origines, et non des sujets que je voulais exprimer tels que la transmission, la fragilité, la nostalgie et l’hommage aux savoir-faire de mes deux grands-mères, l’une innue et l’autre canadienne. Les messages esthétiques que j’avais à coeur de transmettre devenaient invisibles derrière la question identitaire. De plus, j’étais toujours associée à une seule de mes identités : celle d’être autochtone. Mes oeuvres sont donc le résultat d’une tentative d’organisation de cette confusion, d’un chaos identitaire. Mon origine métisse a été l’élément déclencheur de ma recherche-création, et par elle ma conception du métissage s’est transformée. Dans les lignes qui suivent je raconterai ce cheminement par le biais des oeuvres qui l’ont nourri. Lorsque j’ai amorcé ma maîtrise, mon intention était d’acquérir des connaissances reliées aux savoir-faire traditionnels pour que les spectateurs puissent établir un contact avec la culture innue. La majorité des informations que reçoit le grand public provient des livres d’histoire et des médias. Ces informations sont pour la plupart négatives et erronées, et je voulais exprimer un message positif sur ma culture. Pour la réalisation de l’oeuvre Teueikan Umanituma : animer l’inanimé (fig. 1), j’ai travaillé autour du thème de l’illusion apparente, cette situation où une image négative prédomine et dissimule le réel, ici l’illusion d’une culture fausse, construite de l’extérieur par les médias et l’histoire coloniale, et qui est tenue pour vérité. Ainsi, je voulais présenter au monde et aux jeunes de ma communauté une version de nos traditions. J’ai constaté, à travers le processus de création, que j’avais moi-même des lacunes dans ma compréhension de mon héritage innu : il me manquait des connaissances en regard des …

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