Réflexion de recherche

Pensée amérindienne et cinémaEssai de réflexion et d’analogie : la nation maxakalie du Brésil[Notice]

  • Ana Carolina Estrela da Costa

…plus d’informations

  • Ana Carolina Estrela da Costa
    Programme de doctorat en anthropologie sociale, Université de São Paulo (PPGAS/USP)
    Estrela@gmail.com

  • Traduit du portugais brésilien par
    Sylvie Gradel
    Erick Nascimento Vidal

Porter notre réflexion sur le cinéma autochtone en relation à la pensée amérindienne représente certes un défi théorique, mais cette réflexion n’a pas la prétention de comprendre et d’y lier toutes les multiplicités et les complexités de la représentation d’un monde. « Comme en linguistique, la recherche des écarts différentiels constitue l’objet de l’anthropologie » (Lévi-Strauss 1973 : 81), l’exercice de cerner des différences ou des ressemblances ne vise toutefois pas ici à catégoriser ou à enfermer des groupes ethniques dans leurs cultures respectives. Ainsi, à la manière d’un découpage photographique ou cinématographique qui, par son mouvement, défile des images changeantes, il faut porter attention à la différence comme productrice d’un monde et ce, dans la perspective d’un possible lien à d’autres mondes. L’anthropologie, comme le cinéma, est l’expérience esthétique et philosophique d’une altérité partagée entre ceux qui voient, ceux qui sont vus et ceux qui donnent à voir. On peut donc dire que la littérature anthropologique est constituée d’une série de rencontres et de réflexions qui produisent des cadrages successifs s’imbriquant les uns les autres. À l’instar de la transformation inévitable que traversent le spectateur et la spectatrice, l’expérience cinématographique ne se perçoit ni ne se répète de la même façon, et l’anthropologie voit chez les êtres humains des paysages à plusieurs strates. En dépit de l’approche canonisante de l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss dans le milieu académique actuel, il s’avère qu’il est l’un des grands navigateurs de l’anthropologie moderne. Sa plus grande contribution consiste en un système complexe déployant les canaux ou plutôt les rivages mouvants des mythes amérindiens. Lévi-Strauss démontre qu’il existe une différence marquée entre la science dite occidentale et la pensée indigène : une pensée très sophistiquée, liée à la présence des corps et au partage d’expériences sensibles et ce, à contre-pied d’une pensée scientifique s’appuyant sur certains postulats d’origine chrétienne (Lévi-Strauss 2007 [1962]). La pensée occidentale reste plutôt attachée à des mécanismes de représentation et de substitution, tous deux se recoupant en des formes politiques. Cette « science du concret » de la pensée indigène (ibid.) se produit et se vit par l’expérience sensible. En Amérique du Sud, cette expérience se reformule dynamiquement selon les variations d’un schéma étudié par Eduardo Viveiros de Castro (2002 et 2006) selon lequel des points de vue produisent des corps de même qu’ils sont eux-mêmes produits par ces corps (Taylor et Viveiros de Castro 2006). La logique fondamentale de ce mécanisme dit « perspectiviste » énonce que les rapports entre deux termes conduisent nécessairement à ce que ces derniers changent ou s’altèrent. L’une des conséquences les plus profondes de ce perspectivisme se traduit par l’impossibilité d’un sujet à concevoir le monde, tout le reste du monde, comme un ensemble d’objets à dévoiler et à catégoriser. Ce sont plutôt les rapports dynamiques d’une expérience sensible qu’interrogent les ethnographies consacrées à l’étude des cosmologies, de la vie rituelle et politique, des représentations et de la production d’images en ce lieu qu’on appelle les Terras Baixas (Basses Terres) d’Amérique du Sud, en Amazonie au nord du Brésil. Les analyses des mythes dans la pensée mythologique amérindienne chez Lévi-Strauss font ressortir les connexions en jeu entre de multiples éléments sensibles. Ces connexions sont toujours en mouvement, elles se repositionnent, elles modifient leurs dimensions ; elles sont sujettes à la variation, à la mutation, mais pas à n’importe quelle condition. Ces compositions infinitésimales, disons à la manière de Gabriel Tarde (2007 [1910]), se créent un cadre où la construction des plans, leurs découpages et leur enchaînement deviennent des scènes exprimant leurs manières de voir le monde. Différents axes se recoupent, s’entrecroisent et …

Parties annexes