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Suzy BasileD’abord merci d’avoir accepté de me recevoir. Je voudrais discuter avec vous du Plan Nord et de ses retombées pour les Abitibiwinniks de Pikogan. Quel est votre point de vue au sujet de Plan Nord ?

Bruno Kistabish — On est les éternels oubliés. On est allés rencontrer le ministre responsable des Affaires autochtones encore une fois cette semaine. Ça ne date pas d’hier, les rencontres. Dans le Plan Nord, ils ne parlent pas des Algonquins. On leur a dit que le Plan Nord et la route 109 qui s’en va à la Baie James, c’est juste devant chez nous. Nos territoires sont là [il montre sur une carte la région située au nord de Pikogan] et au nord du 49e parallèle. Donc, ils ne peuvent pas nous tasser du revers de la main. Il faut qu'on soit là.

Steve Rankin — Le Ministre nous a déjà demandé « Pourquoi est-ce qu’on vous consulterait, vous les Algonquins ? » On veut être reconnus sur le territoire. En ce moment, on est là, mais on n'est pas là. Lorsque les compagnies arrivent, elles savent qu’il y a des Algonquins, mais il n’y a rien qui leur dit qu’on a des droits.

B.K. — L’ancienne Chef [Alice Jérôme] a même assisté à une réunion sur le Plan Nord sans y avoir été invitée. Elle a tout de même réussi à se présenter et à faire deux interventions. Il faut être là, on n'a pas le choix. Le Plan Nord, c’est notre territoire.

S.B. — Qu’est-ce que vous comptez faire pour vous assurer d’être entendus dans le Plan Nord ? Avez-vous une stratégie ?

B.K. — On rencontre le ministre Kelley [responsable des Affaires autochtones] au sujet des mines et on abordera également le sujet du Plan Nord. On n'a pas le choix si on veut être partie prenante de tout ça, il faut être visibles. C’est fini l’histoire du Peuple invisible ! [référence au documentaire de Richard Desjardins et Robert Monderie portant sur les Algonquins, Le Peuple invisible]. On ne travaille pas seuls, Lac Simon est également de la partie. On est prêts à aller de l’avant avec nos revendications, on ne peut plus attendre.

S.R. — On est neuf communautés algonquines au Québec pour faire une revendication globale. On a deux conseils tribaux, l’unité est difficile à atteindre.

S.B. — Donc, les impacts du Plan Nord pour vous sont au niveau de la nation anicinape [Algonquine] en entier, pas seulement au niveau de la communauté de Pikogan ? Voudriez-vous faire une action plus globale que pour votre communauté uniquement ?

B.K. — Pour le Plan Nord, on a des chevauchements territoriaux avec Lac Simon et Timiskaming First Nation, alors on invite ces communautés à négocier avec nous. On fait la même chose au sujet des mines, on y va selon les territoires familiaux.

S.B. — Avez-vous eu des discussions avec la nation crie ou la nation atikamekw ?

B.K. — On a des discussions avec la nation crie depuis quand même plusieurs années. On a des dossiers territoriaux en cours de discussion avec eux. On leur demande de reconnaître qu’il s’agit d’un territoire algonquin. La toponymie est là pour le prouver. On a récemment fait parvenir une lettre à la Grande Chef de la nation atikamekw pour planifier des rencontres. Ils nous diront quelles sont les communautés touchées par le Plan Nord. Notre intention est de rencontrer tous ceux qui sont touchés par le Plan Nord, d’ici aux Innus de Matimekush [Schefferville].

S.B. — Qu’espérez-vous retirer du Plan Nord, si vous y trouvez votre place, autre que des emplois ?

B.K. — Si les Blancs voient juste le côté monétaire du Plan Nord, on voit aussi du développement et des emplois pour nos jeunes, mais également des projets concrets, des emplois et des entreprises durables. On parle donc de redevances, de formation et de tout ce qui peut découler d’une entreprise à long terme.

Tom Mapachee — Des projets durables, dont les jeunes vont pouvoir bénéficier dans l’avenir.

S.R. — D’être informés et de pouvoir donner notre accord au sujet des projets qu’ils feront. Ce projet de Plan Nord représente tout un impact pour nous, un grand changement. Au moins, il faudrait pouvoir donner notre accord.

S.B. — Avez-vous prévu une série de consultations auprès de votre communauté au sujet du Plan Nord ?

B.K. — Justement, on prévoit une assemblée générale bientôt. On doit partager nos idées avec les gens qui nous ont élus. On ne veut pas nécessairement aller devant les tribunaux et demander des injonctions et faire des manifestations, mais ce sont des éventualités qu’il ne faut pas négliger.

S.R. — Ce sont les moyens financiers qui nous manquent. On reçoit de l’argent des programmes et il faut donner des services. On n'a rien pour nous développer. On a besoin de biologistes pour surveiller le territoire et voir les impacts qu’il y a sur la nature, par exemple.

S.B. — Utilisez-vous des moyens spéciaux pour consulter les jeunes, les aînés, les femmes de la communauté ?

S.R. — Pour le moment, on consulte les gens lors des assemblées générales. Il est bien certain qu’il faudrait trouver les moyens d’être plus précis dans nos consultations. On tente d’établir une entente avec une compagnie minière avant que les travaux débutent, et puis une autre vient s’installer et puis tout devient urgent. C’est ce qui est arrivé avec Osisko [pour le projet Canadian Malartic]. Les deux jugements de la Cour suprême, Taku River et Haida, ne sont pas appliqués. Le Québec émet des permis et on n'est pas consultés. Le ministère des Ressources naturelles devrait venir ici pour faire une consultation et non pas seulement nous informer. Il faut qu’on arrive à obtenir une entente cadre, quelque chose comme la Paix des Braves.

S.B. — Donc quand il y a des rencontres sur le Plan Nord, vous n’êtes pas nécessairement convoqués ?

S.R. — Non, on tente au mieux de nous tenir informés et on envoie des lettres quand il y a des dossiers urgents, au sujet de la foresterie ou des mines. Dans ces lettres, on fait référence au Plan Nord et on s'assure que le Premier ministre du Québec est au courant de notre présence.

S.B. — Est-ce que la pression de la jeunesse est forte ?

B.K. — Oui. Quand tu as la moitié de ta population [Pikogan compte environ 500 résidants] qui a moins de 25 ans, ça fait de la pression. Ces jeunes n’ont peut-être pas la même patience que nous. Ils ont une autre vision.

David Kistabish — Nos droits n’ont pas été définis, ni cédés. C’est la différence entre nous et les nations conventionnées qui se retrouvent impliquées dans le Plan Nord. On est un peu les Gaulois dans tout cela !

S.B. — Quelle est la position actuelle de Pikogan au sujet du territoire ?

S.R. — Pikogan se retrouve dans une situation très particulière. On fait partie du traité #9 (Ontario) et ce fait est souvent oublié. Une communauté algonquine du côté ontarien voudrait être incluse dans les ententes prises avec les compagnies minières situées au Québec. La Convention de la Baie James, qui éteint nos droits, a aussi des répercussions importantes sur nous, tout comme la colonisation de l’Abitibi débutée au siècle dernier. Et maintenant, il y a le Plan Nord.

B.K. — Notre « réserve » devait être située là où est situé le village de Rapide-Danseur aujourd’hui [près du lac Duparquet]. Imaginez 34 milles carrés au lieu de 1 mille carré, ce qu'on a aujourd’hui. On a été repoussés et ce territoire a été donné aux colons [Blancs]. Il y a aussi le projet d’implantation d’une 10e communauté crie [Washaw Sibi] tout près de Pikogan. On a appris qu’ils avaient procédé à l’achat de terrains par les journaux locaux. Ils sont supposés venir nous rencontrer à ce sujet.

S.R. — On a des préoccupations au sujet de l’accès et de la division des territoires familiaux. Près de 85 % des membres de Pikogan sont ou pourraient être reconnus par la Convention de la Baie James. On craint une déchirure et des divisions dans la communauté.

S.B. — Mikwetc !