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Les Premières Nations entretiennent des liens spéciaux avec leurs territoires ancestraux depuis des temps immémoriaux. Cette relation particulière avec la terre se traduit par un sentiment de responsabilité envers le territoire. Les Premières Nations appartiennent au territoire et en ont reçu la responsabilité de gestion et de gardiennage. De ce fait, elles ont le devoir de participer aux décisions qui concernent l’exploitation du territoire et son utilisation, dans le but d’apporter une perspective de pérennité des ressources.

Les récents projets du gouvernement du Québec en matière de développement des ressources naturelles, du Plan Nord au nouveau régime forestier, nous obligent à faire face à nos responsabilités et à affirmer de façon plus ferme notre intention de devenir des partenaires incontournables au développement du territoire.

Le contexte juridique

En 2011, on ne peut plus définir les Premières Nations sur la simple lecture de la Loi sur les Indiens. Les conseils des Premières Nations (ou « conseils de bande ») ne sont plus de simples agences administratives dont les pouvoirs sont uniquement ceux qui sont délégués par le gouvernement fédéral. Bien qu’elles conservent ce lien historique et législatif avec le gouvernement canadien, et plus particulièrement le ministre des Affaires indiennes, les Premières Nations forment de plus en plus des gouvernements assumant la responsabilité de gestion des affaires publiques de leur communauté et de leur nation.

Les Premières Nations ne doivent donc pas être assimilées à des municipalités. Le pouvoir de leurs conseils est issu des collectivités qu’ils représentent. La source de la souveraineté actuelle (c’est bel et bien de souveraineté qu'il est question) des Premières Nations est la souveraineté préexistante, c’est-à-dire antérieure à l’arrivée des Européens. Dans son rapport qui date de 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones a rappelé que le Canada et les États-Unis étaient tous deux fondés sur le partage de la souveraineté :

À ses débuts, le système impérial britannique avait une structure tripartite : la Couronne impériale, les colonies et les nations indiennes. De nos jours, le Canada est un État indépendant, constitué lui aussi d’un système tripartite qui comprend le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les peuples autochtones.

[…]

Le paradoxe ainsi soulevé est celui de la Couronne et des nations indiennes exerçant simultanément des droits souverains à l’égard des mêmes terres. Tout en partageant le territoire, elles partageaient la souveraineté d’une façon unique, propre à la situation nord-américaine. Une telle relation ne connaissait aucun précédent. Avec le recul, nous pouvons y reconnaître le prototype fédéral qui allait voir le jour d’abord aux États-Unis, puis au Canada : des gouvernements rattachés au même territoire, mais y exerçant des pouvoirs différents ou partagés.

Surtout, au-delà de la Loi sur les Indiens et des textes constitutionnels, les Premières Nations sont soumises à un ordre juridique distinct, dont les fondements remontent aux ordres juridiques préexistants et que l’on pourrait qualifier de « droit autochtone ». À cette souveraineté préexistante, il faut ajouter que les Premières Nations du Québec n’ont jamais cédé leurs titres et leurs droits sur leurs territoires ancestraux. Or, depuis 1973, la Cour suprême du Canada a réitéré à maintes reprises que l’occupation ancestrale du territoire par les Premières Nations leur confère, en droit canadien, un titre sous-jacent au titre de la Couronne. En conséquence, les provinces canadiennes ne détiennent pas, et n’ont jamais détenu, des droits exclusifs sur les terres publiques dont elles se disent propriétaires. Leur droit de propriété est subordonné au titre aborigène (ou titre indien) et aux autres droits ancestraux. De même, les provinces ne peuvent légalement tirer des revenus des terres publiques grevées d’un titre aborigène. Les revenus provenant de ces terres sont réservés, en toute logique, aux Premières Nations détentrices du titre aborigène sur les terres publiques.

La Loi constitutionnelle de 1982 garantit les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones. Ces droits comprennent le titre aborigène qui reconnaît aux Premières Nations le droit de faire usage et d’occuper leurs terres en exclusivité.

Rappelons que la compétence de la province de Québec à l’égard des terres publiques est définie à l’article 109 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les limites au droit de propriété de l’article 109 définissent le champ d’application du paragraphe 92(5) et, par conséquent, de toutes les lois provinciales qui en découlent. Parmi ces lois provinciales, se trouvent la Loi sur les terres du domaine de l’État, la Loi sur les forêts, la Loi sur les mines et la Loi sur Hydro-Québec. Le champ d’application de toutes ces lois du Québec est subordonné au titre aborigène et aux autres droits ancestraux, puisqu’il est clairement établi par la jurisprudence (notamment dans l’arrêt Delgamuukw[1]) que les lois provinciales ne peuvent pas éteindre ces droits.

Ce qui frappe à la lecture de ces lois du Québec, c’est qu’elles donnent l’impression que le gouvernement du Québec détient un droit de propriété exclusif sur le territoire, alors qu’il n’en est rien. En droit canadien, ce droit de propriété a toujours été limité et conditionnel.

Le gouvernement ne peut plus se dérober derrière l’ignorance de l’état du droit. L’antériorité de l’occupation historique du territoire par les Premières Nations a produit d’importants effets juridiques et le gouvernement doit en tenir compte. En 1888, dans l’affaire St. Catherine’s Milling[2], le Conseil privé, alors le plus haut tribunal de l’Empire britannique, a décidé que lorsque les provinces avaient reçu la propriété des terres publiques en 1867, ce droit de propriété était subordonné au titre aborigène. La Cour suprême du Canada a réaffirmé cette règle de droit en 1997 dans l’affaire Delgamuukw.

En 1888, le Conseil privé avait également mis en doute la capacité des provinces de tirer des revenus des ressources naturelles sur les terres, là où le titre aborigène n’avait pas été éteint. La Cour suprême du Canada a repris cet énoncé dans l’affaire Nation Haïda[3] en novembre 2004. Étant donné que le titre de plusieurs nations autochtones n’a jamais été éteint, on peut s’interroger sur la capacité juridique du gouvernement du Québec de prélever des revenus des ressources naturelles, hydroélectriques, forestières, minières ou éoliennes.

Il est ainsi possible d’affirmer que les terres du domaine de l'État se trouvent en réalité dans un domaine partagé entre l'État et les Premières Nations détentrices d'un titre, et que les droits fondamentaux de ces dernières ont priorité sur ceux de l'État.

Aussi, comme la Constitution canadienne garantit les droits ancestraux (article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982), la souveraineté des Premières Nations, qui constitue l’un des principaux droits ancestraux, doit être protégée contre toute loi fédérale ou provinciale incompatible avec elle. La nouvelle perspective de la Cour suprême du Canada ouvre ainsi la voie à l’émergence d’un troisième ordre de gouvernement dont l’existence sera garantie par la Constitution, au même titre que le gouvernement fédéral et les provinces. La conciliation de ce troisième ordre de gouvernement avec les deux autres devra se faire de façon concrète. La réponse des gouvernements est celle de la politique fédérale de revendications territoriales globales qui doit amener à la conclusion d’ententes, qualifiées de « traités modernes ». Or, depuis la conclusion de la Convention de la Baie James avec les Cris, les Inuits et les Naskapis, aucune autre entente n’a été conclue, et ce, malgré des années de négociations dans le cas des Innus et des Atikamekw.

En attendant les traités, nous sommes contraintes de subir les « compétences exclusives » (articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867) des gouvernements, sans avoir un mot à dire, ou si peu. En matière de développement territorial, le gouvernement du Québec ne se gêne pas pour nous rappeler sa juridiction constitutionnelle sur les terres et les ressources – et pour l’appliquer sur nos territoires évidemment. Face à un mépris évident de nos droits, nous avons toujours fermement contesté. Différents moyens ont été utilisés : manifestations, présence en commissions parlementaires, blocages de routes, procédures judiciaires et ce qu’on appelle « désobéissance civile ». Parfois, ces moyens ont donné des résultats, mais dans la majorité des cas, ils se sont avérés inefficaces.

Comment les gouvernements peuvent-ils continuer à bafouer nos droits sur les territoires ? En soutenant qu’à défaut de reconnaissance formelle par les tribunaux ou de leur part, les droits des Premières Nations au Québec ne peuvent pas être applicables. Autrement dit, en refusant de reconnaître nos droits, même s’ils existent, les gouvernements se donnent le droit de les bafouer.

Heureusement, la Cour suprême du Canada a inventé un outil juridique qui nous permet de minimiser l’ardeur colonialiste des gouvernements. Il s’agit de l’obligation constitutionnelle de consulter et d’accommoder, laquelle peut servir à certaines fins en l’absence d’un traité et peut mener à une forme de cogestion du territoire, y compris la co-élaboration de normes plus sévères en matière de protection de l’environnement et de développement des ressources naturelles. Dans les récents jugements Nation Haïda et Taku River, la Cour suprême a confirmé l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder les Premières Nations lorsque celles-ci ont connaissance de l’existence potentielle d’un titre ou de droits ancestraux. Il s’agit de protéger les intérêts des Premières Nations jusqu’au règlement.

L’obligation d’accommoder correspond ainsi à la recherche d’un compromis dans le but d’harmoniser des intérêts opposés et de continuer dans la voie de la réconciliation.

Il ne s’agit pas toutefois d’un véhicule idéal. Notre véhicule, tel que mentionné plus haut, est celui du concept de souveraineté qui nous apparaît plus global et plus ouvert à une nouvelle relation de nation à nation et de gouvernement à gouvernement, ce que les Premières Nations recherchent depuis longtemps.

Le contexte politique

En juin 2003, le premier ministre du Québec signait, avec le Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), un Engagement politique mutuel qui créait le Conseil conjoint des élus. Ce conseil, composé d’un nombre égal de représentants élus, s’est réuni à plusieurs reprises. Toutefois, ces rencontres n’ont pas permis d’atteindre les objectifs qui avaient été fixés, notamment celui convenu dans l’Engagement politique mutuel de « progresser dans une meilleure connaissance du point de vue de chacun ». Le présent document illustre l’un des éléments sur lequel le point de vue des peuples autochtones n’a pas été compris ou a été carrément négligé.

Le Conseil conjoint des élus avait pourtant pour mandat d’aborder en priorité le thème du « territoire et des ressources ». L’un des premiers sujets traités à cette table de travail a été l’importance que chaque Première Nation puisse se prononcer convenablement sur tout processus de gestion de son territoire. Il a été mis en évidence qu’avant de pouvoir prétendre à toute consultation significative des Premières Nations, l’arrimage de l’approche gouvernementale en matière de consultation des communautés et l’application de principes sous-tendant une véritable consultation des Premières Nations devaient être étudiés en priorité. À cet effet, le Protocole de consultation des Premières Nations du Québec et du Labrador, adopté en juin 2003 par l’Assemblée des Chefs, a officiellement été déposé au gouvernement du Québec. Une réponse adéquate à ce protocole est toujours attendue.

Par ailleurs, il est important de rappeler que la dernière rencontre du Conseil conjoint des élus remonte à janvier 2005 et qu’aucun bilan n’a encore été produit depuis sa création. Depuis ce temps, plusieurs conflits se sont cristallisés ou sont apparus. Ces conflits, entre les Premières Nations et le gouvernement du Québec, reposent dans une forte proportion sur la gestion des forêts.

L’un de ces conflits, avec les Innus de Pessamit, se retrouve devant les tribunaux. Le recours aux procédures judiciaires par le Conseil des Innus de Pessamit illustre l’ampleur du problème qui réside dans la gestion des ressources naturelles, notamment, dans ce cas-ci, de la gestion des ressources forestières. Les Innus de Pessamit ne représentent pas un cas isolé. D’autres Premières Nations utilisent des moyens différents pour faire entendre leur désarroi face à l’indifférence du gouvernement québécois à l’égard de leurs droits, mais les principes et les objectifs demeurent les mêmes.

Face à un gouvernement qui n’a jamais vraiment tenu compte des droits et intérêts des Premières Nations dans la gestion des territoires et des ressources naturelles, ces conflits sont inévitables. Les premières lois et politiques en matière de gestion du territoire ne faisaient aucune mention des Premières Nations. Depuis quelques années, les nouvelles lois adoptées par l’Assemblée nationale comportent bien quelques considérations quant à leurs intérêts, mais celles-ci sont grandement incomplètes et issues d’une vision colonialiste assez évidente.

Il est intéressant de noter qu’en 2002, dans l’entente entre la nation crie et le gouvernement provincial connue sous le nom de « la Paix des Braves », l’État québécois a adopté, à l’égard de la gestion des ressources naturelles, une position qui, à première vue, apparaît très intéressante, et surtout porteuse d’avenir pour les relations avec les autres Premières Nations. Or, depuis ce temps, l’expérience indique que le gouvernement n’est pas disposé à reconnaître le même type de relations sur la gestion territoriale avec les autres Premières Nations. Il faudra d’ailleurs attendre la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise, en 2004, pour qu’une attention particulière soit portée par le gouvernement aux préoccupations des Premières Nations. Cette Commission a le mérite d’avoir brisé une barrière en incitant les gouvernements et les intervenants du milieu d’inclure les Premières Nations dans la gestion des ressources. On ne parle pas encore ici de véritable cogestion, mais on s’en approche. Surtout, l’idée d’une cogestion des ressources naturelles entre le Québec et les Premières Nations fait son chemin, même si dans bien des cas, cette idée germe dans l’esprit d’intervenants qui n’ont aucune connaissance des droits ancestraux des Premières Nations, encore moins des enjeux constitutionnels qui y sont liés.

Il y a deux ans, le premier ministre du Québec annonçait ce qu’il appelle « le Plan Nord » qui consiste en une vision ambitieuse d’occupation du territoire et de développement du vaste territoire situé au-delà du 49e parallèle. Dans un discours théâtral devant des partisans réunis en Conseil général du Parti libéral du Québec, le Premier ministre a scandé « c’est à nous », tentant ainsi de faire vibrer la corde nationaliste des Québécois pour légitimer un projet de développement d’un territoire qui n’appartient pas totalement au Québec. Ce « nous », bien qu’il se veuille certainement inclusif, ne tient pas compte de l’existence des nations distinctes possédant des droits particuliers sur ces territoires. Il s’agit d’un discours qui ressemble à ceux exprimés, il y a plus de quatre siècles, par des explorateurs qui, parlant du Nouveau Monde, le qualifiait de « terra nullius », c'est-à-dire d’un territoire sans maître.

Il est donc facile de comprendre que les Premières Nations aient adopté une attitude sceptique, voire d’appréhension, face à ce « Plan Nord ». Néanmoins, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador est disposée à donner, une fois de plus, la chance au coureur. Mais cette fois-ci, la corde est courte et la patience des Premières Nations sera très limitée : elles sont prêtes à collaborer afin de faire de ce Plan Nord un succès. Il y a toutefois des conditions non négociables : le respect des droits, le règlement des revendications territoriales et une participation active dans la mise en valeur du territoire. Le Plan Nord serait ainsi une occasion de tourner le dos à la politique d'exclusion que les gouvernements du Canada et du Québec imposent aux Premières Nations : exclusion de la gouvernance du territoire, exclusion du développement économique, exclusion du pacte sur l'emploi, etc. Le Québec a ici une chance de se démarquer, de joindre le geste à la parole, de mettre fin à l'attitude colonialiste qui prévaut encore dans la relation avec les Premières Nations. Cela signifie un nouveau paradigme basé sur la reconnaissance d’une véritable cogestion du territoire.

Qu’on le veuille ou non, il s’agit d’une route que le Québec devra emprunter un jour ou l’autre. Le Plan Nord lui fournit cette belle occasion.

À maintes reprises, l’APNQL et plusieurs de ses membres ont exprimé leurs visions, leurs aspirations et leur volonté de faire partie intégrante des multiples prises de décision qui affectent chaque jour les territoires et les ressources naturelles. De nombreux mémoires, lettres et autres documents ont été produits et déposés auprès de plusieurs ministères, afin de faire connaître les besoins et les droits des Premières Nations. Trop souvent, ces requêtes sont restées sans réponse.

Pour une nouvelle approche

Les Premières Nations ne sont pas des interlocuteurs comme d’autres. Elles forment des peuples distincts qui détiennent des droits originaux (les tribunaux utilisent l’expression latine « sui generis ») et spécifiques sur les terres et les ressources. Ces droits ont fait l’objet d’une évolution constante au fil des ans. C’est dans ce contexte que l’on doit aborder toutes les questions qui concernent le développement du territoire, particulièrement de l’exploitation des ressources.

On entend par cogestion l’ensemble des dispositions institutionnelles, en vertu desquelles les gouvernements et les entités autochtones (et parfois également d’autres parties) concluent des ententes formelles précisant leurs droits, obligations et pouvoirs respectifs en matière de gestion et de répartition des ressources, dans une zone particulière des terres ou des eaux de la Couronne. La cogestion est donc fondamentalement une forme de partage du pouvoir, même si l’équilibre relatif entre les parties et les modalités des structures d’application peuvent varier considérablement.

Dans son rapport, la Commission royale sur les peuples autochtones recommandait que soit instauré un système de cogestion et de compétence mixte dans les territoires traditionnels des nations autochtones. La composition de ces organes devrait être fondée sur le principe de la parité relative entre les représentants des nations autochtones et ceux du gouvernement. Ainsi, l’élaboration des normes et des mesures d’exploitation du territoire devrait se faire sur une base d’égalité, dans un cadre de souveraineté partagée.

On parle de co-élaboration des mesures d’exploitation, un cadre dans lequel les Premières Nations participent à la gestion du développement sur leur territoire. La croissance économique liée aux richesses présentes sur le territoire inclurait les principes de développement durable qui sous-tendent les activités des peuples autochtones depuis des siècles. Il s’agit donc d’une gestion et d’une souveraineté partagées du territoire, dont l’objectif est cependant commun : l’essor socioéconomique régional basé sur des activités industrielles raisonnées et respectueuses des capacités de renouvellement des ressources.

Le 27 novembre 2008, la table des Chefs de l’APNQL adoptait la « Déclaration sur un processus d’affirmation de la souveraineté des Premières Nations ». Cette déclaration stipulait notamment que « l’heure est venue pour les Premières Nations d’enclencher un processus d’affirmation unilatéral de leur souveraineté sur le territoire ». Elle prévoyait un processus contenant un plan stratégique de mise en oeuvre du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, une mission de réédification de nos nations, la pleine participation de tous les membres de notre société civile, une reconnaissance d’une véritable citoyenneté autochtone, ainsi que des politiques et des actions confirmant la gestion des territoires ancestraux et des ressources. Ce processus prévoyait également des actions à mener par les conseils des Premières Nations et leurs membres, dans le but de renforcer leur souveraineté.

À la base de la position des Chefs, se trouve l’affirmation selon laquelle la souveraineté des Premières Nations au Québec est toujours existante, même si elle est constamment niée par les autres ordres de gouvernement. Dans un récent jugement, la Cour suprême disait :

Tant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones. Les traités permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne, et ils servent à définir les droits ancestraux garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 35 promet la reconnaissance de droits, et il faut toujours présumer que la Couronne entend respecter ses promesses. Un processus de négociation honnête permet de concrétiser cette promesse et de concilier les revendications de souveraineté respectives. (nous soulignons)

Chacune des communautés est concernée par cet enjeu de juridiction. Toutefois, les communautés évoluent dans un environnement qui leur est propre et entretiennent des aspirations qui ne sont pas toujours identiques. Il ne peut donc y avoir une seule solution applicable à toutes. Si toutes les Premières Nations disposent du droit à l’autodétermination, c’est-à-dire le droit de disposer d’elles-mêmes, ce droit peut prendre cependant des formes différentes d’une communauté à l’autre.

L’APNQL considère comme fondamentale la juridiction exclusive des gouvernements de Premières Nations de reconnaître, représenter et desservir tous les citoyens des Premières Nations, indépendamment de leur lieu de résidence, que ce soit sur ou hors réserve, ou à l’extérieur des communautés qui n’ont pas le statut de réserve.

La difficulté principale relève de la non-reconnaissance de cette souveraineté par les gouvernements fédéral et provinciaux. Même si le gouvernement canadien a officiellement reconnu le droit inhérent des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale à la suite de la publication du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996, dans les faits, il s’agit d’une reconnaissance qui est encadrée, voire limitée à un processus de négociation dans lequel le gouvernement est à la fois juge et partie.

De plus, l’infâme Loi sur les Indiens qui a codifié une relation de fiduciaire entre le gouvernement et les Premières Nations persiste et continue à nuire à notre développement. Ceux et celles qui veulent tourner le dos à cette loi colonisatrice doivent renoncer à leur propre identité, ce qui est évidemment inacceptable. Maintes fois, les leaders des Premières Nations ont exigé le remplacement de cette loi par un nouveau régime juridique respectueux de nos valeurs, de notre histoire et de nos droits[*].

Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir si les peuples autochtones vivant au Québec possèdent la souveraineté, mais plutôt comment faire pour concilier la souveraineté des Premières Nations avec celle de l’État canadien. La Cour suprême préconise la conclusion de traités. Il s’agit certes d’une voie salutaire, mais ce n’est pas la seule. Les gouvernements, par ailleurs, ne peuvent pas se replier derrière le prétexte d’absence de traités pour ne pas reconnaître les droits existants des Premières Nations.

La souveraineté des Premières Nations n’est plus seulement une vision ou une revendication, c’est maintenant une réalité incontournable. Le Québec et le Canada sont ainsi devant un défi majeur, celui d’adapter les pratiques et les visions traditionnelles en fonction de cette réalité trop longtemps occultée. La cogestion est un bel exemple des nouvelles pratiques qui s’offrent à nous. C’est le meilleur chemin vers une économie dynamique et un développement durable authentique. C’est aussi le meilleur avenir pour nos petits-enfants.

Il est toutefois difficile d’envisager l’avenir avec optimisme, car les expériences de relations intergouvernementales sont généralement sources d’insuccès, de frustration et de déception. Depuis plusieurs années, nos relations avec les gouvernements du Canada et les provinces n’évoluent pas, ou très peu. Nous sommes confrontées à un statu quo qui, pour nos peuples, signifie un recul. Depuis trop longtemps, les gouvernements (fédéral et provinciaux) ont fait la preuve qu’ils n’ont pas (ou très peu) l’intention de proposer des solutions concrètes et durables aux problèmes des Premières Nations. Le vote du Canada contre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est venu confirmer sa politique de négation : négation des problèmes autant que négation des solutions. Bien que le Canada ait endossé, en novembre 2010, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le gouvernement persiste dans sa politique de négation des problèmes autant que des solutions.

Le Canada opte pour le statu quo. Il préfère maintenir le système des réserves, de la tutelle, de la dépendance, un système qui est un des fondements du colonialisme et qui convient à la vision du gouvernement fédéral : dépossession des premiers peuples, mainmise sur leurs territoires et leurs ressources, rejet des gouvernements des Premières Nations, maintien dans la dépendance, avec l’assimilation comme seule issue à leur offrir.

Du côté provincial, la situation n’est guère plus reluisante. Loin de reconnaître les droits des Premières Nations, les gouvernements provinciaux semblent plutôt utiliser des stratégies visant à les « municipaliser » et à forcer leur inclusion dans des processus de régionalisation. Les différentes actions posées en matière de gestion des terres et des ressources sont des illustrations frappantes de la négation de leurs droits, notamment les droits sur la gestion de ces ressources qui sont catégoriquement niés. Il est surtout très frustrant de constater à quel point les gouvernements provinciaux tendent à empiéter sur les droits des Premières Nations sans aucune crainte de répercussions. Ils continuent de gérer les terres et les ressources (peut-être délibérément) comme si les Premières Nations n’existaient pas. Depuis quelques années, ils usent de manoeuvres dilatoires en matière de consultation, afin de donner l’impression de respecter leur obligation constitutionnelle de consulter et d’accommoder, tout en ne laissant aucune chance à une réelle consultation avec les représentants des Premières Nations. Il est évident que les gouvernements provinciaux tentent de « municipaliser » les Premières Nations.

Au cours des cent dernières années, alors que nous étions soumises à un brutal régime d’assimilation, nous avons tenté maintes négociations avec les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous avons offert des occasions de dialogue à de nombreux politiciens canadiens et nous avons accepté de participer à plusieurs tentatives visant la réforme de notre régime. Nous avons accepté les promesses qui nous ont été faites et nous avons cru, pendant trop longtemps, qu’il serait possible de changer le système en négociant les modalités du changement avec ceux qui en bénéficient. Car il faut bien admettre que le statu quo sert les intérêts des gouvernements et que les politiciens n’ont aucune raison de prendre les moyens qui permettraient à nos nations de se développer.

Notre émancipation est perçue à tort comme un obstacle au développement économique du Canada. Force est de constater que tout geste posé en faveur d’une plus grande autonomie des Premières Nations n’est pas « politiquement rentable ». En somme, 134 ans après l’adoption de « l’Acte des Sauvages », il est indéniable que le colonialisme est toujours bien vivant au Canada.

Conclusion

Pour des considérations politiques et économiques, tout autant que juridiques, la gestion des terres et des ressources naturelles au Québec ne doit plus se faire sans la collaboration des Premières Nations qui détiennent des droits sur elles.

Dans cette perspective, une remise en question approfondie des lois et politiques (ce qui comprend le Plan Nord) s’impose. Entre autres, il y a la nécessité d’élaborer un régime conjoint de prises de décision à l’égard de toute activité réalisée sur les territoires ancestraux. Ce nouveau régime conjoint permettrait la mise en place d’un processus fonctionnel de cogestion locale et décisionnelle, dans lequel les Premières Nations joueraient un rôle prépondérant.

L’heure n’est plus aux études ni aux constats. L’heure est à l’action.

Le chemin est long, parsemé d’obstacles, mais nous sommes déterminées à atteindre nos objectifs, même si, pour ce faire, nous devons marcher sur quelques orteils. En réalité, nous n’avons plus vraiment le choix. Ou nous prenons les moyens nécessaires – au risque de brusquer nos voisins canadiens –, ou nous capitulons et acceptons de nous maintenir dans une situation coloniale. À terme, cette attitude signifierait la disparition de nos peuples.

Faut-il rappeler que le quart de nos populations est âgé de moins de 15 ans ? La situation est urgente pour ces jeunes qui, d’ici dix ou quinze ans, auront besoin d’emplois, de logements et de services. Il est donc urgent d’intervenir dès maintenant.

Un mouvement d’affirmation de nos nations doit être engagé. Il s’agit d’un projet de société des Premières Nations qui, même si elles vivent au Canada, ne sont pas, au sens nationaliste du terme, des « Canadiens ». Nous ne sommes pas des Canadiens, nous ne sommes pas des Québécois, nous sommes des Abénaquis, des Algonquins, des Atikamekw, des Cris, des Innu, des Malécites, des Mi’gmaq, des Mohawks, des Naskapis et des Wendat. Cette affirmation nationale et identitaire est fondamentale, tout comme l’est le projet de reconstruction des Premières Nations.

Nous ne pouvons pas envisager l’avenir de nos peuples sans la disparition totale du régime d’assimilation qui nous bloque l’accès à de nouvelles perspectives. Pour ce faire, il faut absolument convenir d’un nouveau modèle de relations.