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Ce court ouvrage, tiré d’un stage postdoctoral mené par Clayton Peterson sous la direction de France Houle, a pour objet d’éclairer le lecteur quant à la distance nécessaire entre la vérité du droit de la preuve et la vérité factuelle. En effet, à travers une perspective épistémologique, les auteurs cherchent à balancer le triptyque entre véracité des faits, croyance du monde juridique et vérité juridique découlant de l’admissibilité de la preuve. Synthétique, l’ouvrage reprend un ensemble de grands arrêts en matière de preuve, en mettant en évidence les distances qui peuvent exister entre la vérité connue de tout un chacun et celle qui découle de l’admission des preuves, faisant du « hors de tout doute raisonnable » une création empirique et juridique. La vérité n’est pas une matière qui se prête facilement à la recherche scientifique. Les deux auteurs se servent des grandes lignes des outils qui permettent de faire ressortir celle-ci, par l’entremise de méthodes inductive, déductive, empirique, etc., en balisant chaque fois les atouts et les déficiences des unes et des autres. Si la perspective historique est très succinctement abordée[1], même si elle aurait pu permettre un approfondissement heureux, les auteurs s’intéressent essentiellement à l’admissibilité du ouï-dire et ses formulations.

Les développements de nature plus scientifique sur la capacité de modéliser la preuve empirique prolongeant la pensée de Karl Popper sont intéressants, notamment sur « l’importance de la réfutation plutôt que celle de la confirmation des théories scien-tifiques[2] ». À la suite d’une réflexion sur la relation entre preuve empirique et véracité d’une hypothèse, Houle et Peterson concluent alors que « ce n’est pas la vérité qui est au fondement du droit de la preuve et de la connaissance, mais bien la justification[3] ». Cette ligne de pensée, appuyée sur des exemples illustrés par des équations « mathématiques », est rafraîchissante et offre une perspective neuve sur la question de la recherche de la vérité dans un contexte judiciaire.

Outre les philosophes des sciences, de grands philosophes classiques sont invoqués sur les questions épistémologiques (Hume, Kant, etc.), mais une analyse un peu plus détaillée aurait été bienvenue, car ces mentions ne semblent pas, avec égards, apporter beaucoup au débat. En réalité, les deux auteurs attaquent véritablement leur thèse lorsqu’ils analysent le ouï-dire et le dire d’expert, ce qui constitue réellement le noeud de leur interrogation. À ce titre, ces idées auraient gagné à être présentes dans le titre de l’ouvrage, le « hors de tout doute raisonnable » constituant une porte d’entrée, et non le coeur du sujet traité. En la matière, les auteurs montrent toute la pertinence de l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et la perception de l’opinion et du ouï-dire. L’analyse des arrêts R. c. Abbey[4] et R. c. Lavallée[5] est notamment intéressante : elle explicite parti-culièrement bien l’appréhension actuelle par la Cour suprême des faits législatifs et sociaux. En effet, dans ce domaine, les experts peuvent être amenés à témoigner, sur le fondement historique de la règle de la connaissance d’office, une capacité nécessairement limitée. Comme le soulignent Houle et Peterson, « concernant les faits directement en litige, les magistrats ne peuvent admettre d’office que les faits notoires et incontestables[6] », les limites de la connaissance d’office étant plus élastiques. Depuis l’arrêt R. c. Spence, cependant, les juges ont établi des cadres plus précis aux critères d’admissibilité de la connaissance d’office[7]. Dans ce dernier, la Cour suprême souligne que ces faits sont « empreints d’hypothèses, de prévisions, de présomptions, d’impressions et de voeux pieux[8] », et considère dès lors que le test applicable à l’admission des faits sociaux et législatifs est celui de la personne raisonnable qui « ayant pris la peine de s’informer sur le sujet considérerait que ce fait échappe à toute contestation raisonnable quant à la fin à laquelle il sera invoqué[9] ». Les deux auteurs relèvent à juste titre que depuis les arrêts R. c. Malmo-Levine[10] et R. c. Spence[11], et à nouveau en 2013 dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Bedford[12], la preuve des faits sociaux et législatifs doit d’abord être présentée par des témoins experts, ce qui permet leur contre-interrogatoire, la Cour suprême mettant en garde les « parties qu’elles courent un risque si elles font abstraction de cette manière de procéder[13] ».

Bien évidemment, Houle et Peterson rappellent que c’est avec beaucoup de circonspection que les témoignages d’experts portant sur l’identité et les motivations des sujets de l’enquête dans le contexte criminel sont appréhendés. Cela est notamment vrai, car certaines questions fondamentales dans le domaine, une fois prouvées, laissent peu de doute sur l’issue du litige[14]. La vérité judiciaire se rapproche alors de la vérité sociale.

Les deux auteurs concluent à une convergence quant à l’évaluation de l’admissibilité de la preuve par témoin expert et celle du ouï-dire en général. La jurisprudence, pour sa part, converge dans les deux cas, fort logiquement serions-nous tenté d’affirmer, vers les critères de la nécessité et de la fiabilité. Les auteurs ajoutent ceci : « Alors que la nécessité comprend autant celle d’aider le juge des faits que celle du point de vue de sa pertinence, la fiabilité comprend l’évaluation des compétences de l’expert ainsi que l’évaluation de la méthodologie sous-jacente à la science ou à la technique[15]. » Une telle conclusion n’est pas fondamentalement novatrice, mais elle replace néanmoins l’ensemble de ces questions dans un contexte épistémologique et permet de prendre du recul concernant la réalité de la pratique en la matière.