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Introduction

Le manuel scolaire fait depuis longtemps l’objet d’études et de recherches. Bien ancré dans les pratiques enseignantes (Margolinas et Wozniak, 2009), malgré qu’il soit possible de le voir comme « un mal nécessaire ou un bien » (Berrier et Noel-Gaudreault, 1999, p. 32), ses fonctions sont multiples et relatives aux besoins des élèves et des enseignants (Gérard et Roegiers, 2009). Depuis quelques années déjà, des versions numériques des manuels sont disponibles sur le marché, mais ce n’est que tout récemment que des chercheurs en éducation se sont penchés sur ce nouveau format. Dans sa version numérique, le manuel peut inclure non seulement le texte et l’image, comme d’ailleurs dans sa forme papier, mais il inclut également d’autres éléments sémiotiques, tels des vidéos et du son, voire des fichiers permettant un visionnement en trois dimensions de divers objets interactifs. Ainsi, une pluralité d’éléments et de fonctionnalités peut s’y retrouver, tirant profit ou non de la connectivité avec les réseaux informatiques et les équipements utilisés pour y accéder. Ces manuels scolaires augmentés ont un potentiel didactique très intéressant, mais leurs versions numériques ne sont pas soumises au système d’approbation des manuels imprimés. Cela nous amène à nous interroger sur les caractéristiques proprement numériques des manuels et sur l’actualisation des potentialités qu’elles offrent au regard des préoccupations relatives à l’enseignement et à l’apprentissage des disciplines de l’univers social au secondaire, principalement l’histoire et la géographie.

Dans le présent article, nous nous intéressons plus spécifiquement à l’univers social au secondaire, et notamment l’histoire et la géographie. D’abord, nous décrirons le contexte québécois de l’enseignement de l’univers social. Puis, nous discuterons de la place du manuel scolaire dans ce domaine et nous nous interrogerons sur les possibilités engendrées par leur offre sous forme numérique. Nous présenterons ensuite les repères théoriques, la méthodologie utilisée et les résultats de l’analyse pratiquée en profondeur sur 10 manuels, parmi les 29 recensés. Nous discuterons enfin des enjeux relatifs à ces ressources didactiques en univers social, à la lumière des potentialités offertes par le numérique. Jusqu’à quel point le numérique représente-t-il dans sa forme actuelle une valeur ajoutée pour les manuels scolaires ?

1. Contexte québécois de l’enseignement de l’univers social

L’enseignement de l’univers social au secondaire au Québec se réalise dans un univers numérique en pleine expansion, marqué notamment par l’essor de plateformes permettant la gestion des ressources numériques de la classe (La Classe Numérique©, i+Interactif©, MaZoneCEC©, etc.) et de sites conçus expressément pour les besoins de l’enseignement de ce domaine disciplinaire (p. ex. : Documents d’histoire et de géographie[1], Communauté d’histoire du Québec et du Canada[2]). Sur ces plateformes, on retrouve des ressources organisées en fonction d’apprentissages prescrits, des activités, etc. Nous observons également la présence en ligne de contenus culturels numériques (CCN), à savoir « tout élément numérique produit par une institution ou organisme culturel en lien avec sa mission, collection ou thématique d’interprétation, accompagné d’outils pédagogiques et accessibles en ligne gratuitement » (Larouche, citée dans Saint-Amant-Ringuette, 2018), pouvant représenter un intérêt pour la classe d’univers social en particulier. Ajoutons les clips vidéos disponibles sur YouTube, produits par diverses instances pédagogiques, sans parler de tout autre élément numérique, ressource, application logicielle d’intérêt (Google Maps, etc.) et cela donne un aperçu du paysage éducatif numérique en toile de fond des cours d’univers social.

1.1. Aperçu des programmes d’études

Les disciplines de l’histoire et de la géographie sont regroupées au sein du domaine dit de l’univers social dans le Programme de formation de l’école québécoise pour l’enseignement secondaire (PFEQ) (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2005). Au premier cycle du secondaire, le programme de géographie s’articule autour de quelques concepts centraux, tels les risques naturels, les métropoles, les territoires touristiques, etc. L’histoire fait l’objet d’un enseignement au second cycle du secondaire, dont les programmes ont été révisés à deux reprises (2005 et 2017). Quant au programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté, il aborde les concepts historiques commençant de la préhistoire jusqu’au XXIe siècle, dans une perspective chronologique.

En 2005, le MELS jumelle le cours d’histoire à l’éducation à la citoyenneté relatif au Québec et au Canada et impose pour la première fois aux enseignants d’histoire « de s’investir de façon […] explicite dans l’enseignement citoyen » (Moisan, 2010, p. 6). Le programme destiné à la 3e année du secondaire prescrit l’étude de réalités sociales dans une perspective chronologique, selon différents concepts centraux. En 4e secondaire, il est formulé selon une approche thématique, préconisant l’étude de différents thèmes relatifs à l’histoire du Québec et du Canada. Précisons que la nouvelle mouture de ces programmes en 2017 ne contient plus de référence, dans son intitulé ni dans les compétences formulées, à l’éducation citoyenne (Ministère de l’Éducation et de l’enseignement supérieur [MEES], 2017b). Enfin, en 5e secondaire, le cours de Monde contemporain commande l’étude de réalités internationales, sous l’angle de différents concepts dans une perspective interdisciplinaire convoquant la géographie, l’histoire et les sciences politiques, nommément : la population, la richesse, le pouvoir, l’environnement et les tensions et conflits.

Les programmes reposent sur les compétences disciplinaires suivantes : interroger les réalités sociales dans une perspective historique, interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique, consolider l’exercice de sa citoyenneté à l’aide de l’histoire, lire l’organisation d’un territoire, interpréter un enjeu territorial, construire sa conscience citoyenne à l’échelle planétaire. De plus, ils détaillent des techniques, tant en géographie qu’en histoire, visant à faire réaliser des apprentissages disciplinaires aux élèves : réaliser une ligne du temps, interpréter un document iconographique, consulter une carte, etc. Les programmes contiennent également des consignes relatives à l’adoption par les élèves d’une démarche d’apprentissage semblable à la démarche d’investigation et de construction des connaissances dans les disciplines de références (l’histoire et la géographie). Ces démarches sont fondées sur le questionnement préalable à l’enquête, en lien avec les pratiques sociales de références que sont celles de l’historien et du géographe. Ces démarches sont dites euristiques, car elles permettent de développer les connaissances se rapportant aux réalités sociales investiguées.

Pour leur mise en oeuvre, des documents relatifs à la Progression des apprentissages (PDA) accompagnent les différents programmes (MELS, 2010). D’autres directives ministérielles relatives à l’évaluation des apprentissages influent aussi sur la mise en oeuvre de ces programmes (MELS, 2003). Elles se rapportent aux opérations intellectuelles à partir desquelles consigner des traces des activités des élèves. Ces opérations intellectuelles sont au nombre de huit : situer dans le temps, situer dans l’espace, établir des faits, dégager des différences et des similitudes, déterminer des causes et des conséquences, déterminer des changements et des continuités, mettre en relation des faits et établir des liens de causalité (MEES, 2017a). Elles sont également reprises dans diverses épreuves ministérielles visant à sanctionner les apprentissages. C’est le cas pour le programme d’histoire nationale, dont le succès est requis pour l’obtention du diplôme de fins d’études secondaires.

1.2. Le rôle de l’enseignant et des collections didactiques

Selon la perspective socioconstructiviste privilégiée par le ministère avec la réforme de l’éducation en 2001, l’enseignant n’est plus considéré comme le maître savant, transmettant des savoirs à l’élève, qui, lui, reçoit la nouvelle connaissance (Moisan, 2010), mais plutôt comme un guide aidant l’élève à développer ses propres compétences et connaissances. Selon cette perspective, plaçant l’élève au centre de son apprentissage, ce dernier doit être actif pour construire son savoir. Le rôle traditionnel transmissif de l’enseignant est appelé à s’effacer au profit d’un rôle d’accompagnateur, alors qu’on vise le développement de l’esprit critique et de l’autonomie de l’élève. Mobiliser les diverses techniques disciplinaires en classe d’univers social représente une occasion d’inciter l’élève à s’engager dans ses apprentissages. Par ailleurs, les opérations intellectuelles formulées par le ministère procurent autant d’occasions pour l’enseignant de guider les apprentissages des élèves.

Cependant, il semble que la transformation des pratiques enseignantes en classe d’univers social ne se soit pas produite avec l’adoption du PFEQ de 2005 (Bouhon, 2010; Boutonnet, 2013). Les recherches sur le sujet indiquent que des enseignants de cette discipline, tant au premier qu’au deuxième cycle du secondaire, se sont montrés peu réceptifs et, pour certains, réfractaires à l’introduction d’une approche par compétences (Bouhon, 2010; Moisan, 2010). Moisan (2010) indique que la majorité de ces enseignants enseignent toujours de façon magistrale. Toutefois, cet enseignement serait, à l’occasion, entrecoupé de séquences invitant l’élève à emprunter un rôle plus actif (Boutonnet, 2013).

Quant aux manuels offerts, ils reprennent la structure des programmes selon le cycle, en procédant de façon thématique (4e secondaire) ou chronologique (1er cycle du secondaire). Au regard des prescriptions ministérielles, on pourrait s’attendre à ce que les collections didactiques encouragent la mise en pratique des techniques disciplinaires et d’une certaine démarche d’investigation et de construction des connaissances, au profit du développement des compétences. En d’autres termes, on pourrait penser que la conception de ces collections réponde à d’autres visées que la simple transmission d’informations. Jadoulle (2014) est d’avis que ces collections devraient favoriser le développement d’opérations intellectuelles complexes, relatives à la problématisation et à la recherche, de même qu’au traitement de l’information. Toutefois, il souligne que les manuels disponibles sous la forme imprimée favorisent « très peu la promotion de démarches de problématisation et de recherche-traitement de l’information » (Jadoulle, 2014, p. 307), en soulignant que les manuels mettent généralement de l’avant un modèle transmissif. Pour Éthier (2006), les manuels doivent : 1) présenter les débats et enjeux de la société à l’étude; 2) introduire aux méthodes liées au domaine; 3) proposer des activités de synthèse en lien avec les objectifs; et 4) se référer au vécu des élèves et aux problèmes du présent.

Alors que le manuel s’avère le plus souvent le principal soutien à l’apprentissage (Boutonnet, 2013; Lebrun, 2002), il « participe directement au processus de transmission d’une réalité préexistante » (Lebrun et al., 2004, p. 514). Si tel semble être le rôle dévolu au manuel, du moins sous sa forme imprimée, jusqu’à quel point sa version numérique pourrait-elle rendre propice d’autres types d’usages ?

2. Le manuel, son approbation et les possibilités didactiques offertes par le support numérique

Les maisons d’édition sont responsables de la conception des manuels scolaires au Québec et elles doivent développer des produits conformes aux exigences ministérielles, afin d’obtenir l’approbation officielle permettant leur acquisition par des établissements d’enseignement. Du fait de la révision périodique des programmes ou de leur reformulation en profondeur, comme nous l’avons vu précédemment, les collections didactiques sont limitées à un usage bien défini dans le temps, impliquant des investissements récurrents de la part des éditeurs. Ces derniers leur associent, depuis quelques années, des versions ou compléments numériques.

Le processus d’approbation se réalise selon différents critères : les aspects pédagogiques, socioculturels, matériels, publicitaires, toponymiques, conventionnels et l’exactitude des contenus religieux (MELS, 2010). Le matériel complémentaire, c’est-à-dire « qui ne couvre qu’une partie d’un programme d’étude ou qui n’est pas constitué comme un ensemble didactique (guide d’enseignement et manuel de l’élève) » (MELS, 2010, p. 2), ne fait pas l’objet d’un tel processus d’approbation. Cela inclut les versions ou compléments procurés sur support numérique. Par ailleurs, au moment d’écrire ces lignes, un manuel qui ne serait fourni que sous forme numérique, c’est-à-dire sans version imprimée, n’est pas considéré comme un ensemble didactique aux yeux du MEES : « Un ensemble didactique est composé d’une série d’instruments, dont un manuel imprimé à l’usage de l’élève et un guide d’enseignement imprimé ou numérique. Il peut inclure d’autres éléments numériques. » (MELS, 2010, p. 3)

Le cahier d’exercices destiné à l’élève ne fait pas officiellement partie d’une collection didactique, car il ne peut faire l’objet d’une vente aux parents, au sens de la loi sur l’instruction publique (MELS, 2010). Cependant, il est souvent proposé par des maisons d’édition et acheté par les parents lorsque choisi par l’équipe-école.

2.1. Questions de recherche

Relégués au rang de compagnons d’un ensemble ou d’une collection didactique, les versions ou compléments numériques des manuels d’univers social ne représentent pas moins, selon nous, une occasion de renouveler la présentation des savoirs et les activités d’apprentissage suggérées. Ils pourraient représenter de nouvelles configurations didactiques, en procurant aux élèves des environnements d’apprentissage tirant profit de l’interactivité, des diverses fonctionnalités permises par la mise en réseau, de l’accessibilité à différentes ressources, de la multiplicité des contenus sémiotiques, un peu comme Larouche et Vallières (2003) et Larouche (2007) le laissent entrevoir pour les plateformes Web muséales. Alors que le numérique « a complètement bouleversé nos façons d’interagir, de communiquer, de nous informer, de créer, de nous exprimer, de travailler, de nous divertir et de consommer » (MEES, 2018, p. 13), nous pouvons nous demander comment il transforme les manuels d’univers social. En effet, l’informatique, les réseaux, les équipements et les applications logicielles ont favorisé l’accès aux archives et procuré de nouvelles techniques d’enquête, sans parler des nouvelles sources de données à partir desquelles mener des investigations. Aussi, il serait loisible de penser que les versions numériques des manuels scolaires contribuent à élargir l’éventail des activités destinées aux élèves. Ainsi, par l’accès aux archives en ligne ou par des outils pour mettre en oeuvre la pensée historique, le numérique offre aux enseignants d’univers social des occasions de varier leurs pratiques didactiques et les activités proposées aux élèves (Lefrançois et al., 2016).

Dans ce contexte, nous nous sommes posé les questions suivantes :

  1. Quelles sont les caractéristiques des versions ou compléments numériques des manuels scolaires pour les cours de géographie et d’histoire, au secondaire, au Québec ?

  2. Comment ces versions ou compléments numériques de ces manuels d’univers social tirent-ils profit des potentialités du numérique, tant sur le plan des propriétés interactives que sur celui des contenus externes mobilisés ?

3. Cadre d’analyse

Les manuels scolaires font l’objet, depuis longtemps, de nombreuses recherches dans des domaines variés d’enseignement. Au Québec notamment, des recherches ont étudié les collections didactiques disponibles pour les domaines disciplinaires suivants : univers social (Boutonnet, 2018; Éthier et al., 2011; Lebrun, 2006, 2013); mathématiques (Côté, 2015); français (Lebrun, 2007); éthique et culture religieuse (Hirsch et Mc Andrew, 2012); et sciences (Hasni et Lebrun, 2008). Seule l’étude de Lefrançois et al. (2016) a abordé leur dimension numérique en lien avec la classe d’univers social, offrant une synthèse de la recherche québécoise embryonnaire à propos de la présence et l’usage des manuels numériques utilisés en classe d’histoire au Québec (p. 157). Cette étude invoque l’importance d’entreprendre une description analytique des caractéristiques de ces manuels numériques, afin d’en comprendre le potentiel.

3.1. Aperçu des versions ou compléments numériques des manuels

Un premier tour d’horizon des versions ou compléments numériques des manuels révèle leur grande hétérogénéité : documents téléchargeables par l’élève, cahiers d’exercices disponibles en ligne, fichiers destinés au tableau numérique interactif, documents multimédias, etc. Par conséquent, alors qu’une collection didactique en version imprimée se présente habituellement en une forme relativement standard (en particulier, le manuel destiné à l’élève, et possiblement le cahier d’exercices), les versions ou compléments numériques représentent plutôt un ensemble de réalités extrêmement diverses. Alors que le recours au numérique pour la production des manuels varie d’une maison d’édition à l’autre, la frontière entre le manuel (objet contenant principalement des savoirs) et le cahier d’activités (dans lequel l’élève peut intervenir) devient de plus en plus floue. Pour les fins de la discussion, nous utiliserons l’expression de manuel numérique pour désigner l’ensemble des réalités engendrées par la production de versions ou compléments numériques des collections didactiques destinées aux élèves.

Le recours au numérique dans les manuels varie d’une maison d’édition à l’autre. Ainsi, même si l’on peut retrouver des hyperliens ou des exercices interactifs dans chaque type de ressources, les pratiques varient d’une maison d’édition à l’autre. Nous reviendrons à cette réflexion en conclusion de ce texte, mais mentionnons que l’usage du mot « manuel » dans ce texte se fera au sens large, soit celui incluant un ensemble de réalités dans le cadre de sa version numérique.

3.2. Les caractéristiques des manuels

Plusieurs grilles d’analyse ont été utilisées dans divers domaines disciplinaires pour étudier les manuels. Joannert (2009) propose les quatre assises suivantes pour procéder à l’analyse : 1) les prescriptions du curriculum; 2) l’ancrage dans les réalités sociales, culturelles, historiques et économiques; 3) les qualités matérielles; et 4) le respect de l’approche par compétences. Alors que les assises (1) et (4) s’arriment aux prescriptions ministérielles, les assises (2) et (3) permettent de porter l’attention aux particularités induites par les maisons d’édition, alors que la notion de « qualité » peut varier considérablement. L’assise sur les qualités matérielles pourrait bénéficier des balises posées par le Guide de conception et d’utilisation du manuel numérique universitaire (Université du Québec, 2013), qui met en lumière la diversité possible des contenus numériques : vidéos, audios, animations, photos, schémas, tableaux, ressources interactives et hyperliens. Cependant, le lien n’est pas établi entre les aspects technologiques et didactiques ou pédagogiques.

Une autre typologie attirant notre attention est celle proposée par Devauchelle (1997), qui, contrairement à la précédente, porte plutôt un regard sur les potentialités d’Internet pour la classe en regard à ses principales fonctionnalités. Bien que sa typologie ne s’intéresse pas spécifiquement aux ressources didactiques, elle suggère qu’Internet peut faciliter trois grands types d’usage : 1) la consultation de ressources diverses et variées (sources premières ou secondaires, documents iconographiques. etc.); 2) la création (exerciseur, production d’un texte ou autre); et 3) la communication (échange entre utilisateurs, au sein de la classe, avec l’enseignant, etc.). Ce cadre est particulièrement intéressant lorsque l’on s’intéresse aux plateformes et à leurs fonctionnalités, tout particulièrement avec la diversité et la complexité des contenus numériques dorénavant disponibles. Ces deux typologies serviront de cadre préliminaire à l’analyse de nos manuels.

4. Méthode de recherche

Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons procédé à l’analyse des compléments ou versions numériques des manuels d’histoire et de géographie, destinés à la formation des élèves de la première à la cinquième secondaire au Québec, entre 2015 et 2018. Cette recherche a été réalisée durant la modification du programme d’histoire du Québec et du Canada survenue en 2017.

Nous avons retenu tout le matériel numérique disponible chez les quatre grandes maisons d’édition (CEC, Chenelière, Grand-Duc, ERPI). Nous l’avons examiné à l’aide d’une grille d’analyse préliminaire, permettant le décompte des différents objets ou éléments numériques composant ces manuels et destinés aux élèves. Nous avons ensuite approfondi l’analyse de certains savoirs à partir d’une grille spécifique aux disciplines, notamment en y intégrant des questions sur la validité des sources historiques pour les domaines à l’étude dans cet article. L’analyse se centre sur les composants numériques de façon générale, puis sur la structure des contenus des manuels (mise en situation, contenus disciplinaires et exercices) (voir annexe 1). À la suite de cette première analyse pratiquée de manière déductive, nous avons élaboré une catégorisation des contenus sous trois axes qui s’arriment mieux aux contextes et aux usages des versions numériques des manuels : 1) l’architecture textuelle (hypertextualité et navigation); 2) la multimodalité (textes, images, sons et vidéos); et 3) l’interaction avec les ressources (outil de communication, activités interactives, questionnaires interactifs).

Nous avons relevé et dénombré la présence des éléments suivants dans chacun des manuels analysés : les outils de navigation, les hyperliens et leur validité, les renvois à d’autres ressources numériques, produites par l’éditeur et disponibles à même le manuel, ou repérées en ligne par l’éditeur. À titre d’exemples : sites Web, textes, vidéos, images, sons, etc. Nous avons classé les liens pointant vers des contenus externes selon l’origine de ceux-ci, c’est-à-dire des organismes gouvernementaux, des organismes culturels et d’autres organismes sans but lucratif, dans la perspective de signaler notamment le recours à des contenus culturels numériques.

De plus, nous avons réalisé une analyse approfondie d’une sélection de savoirs essentiels identifiés dans le PFEQ. Cette analyse a consisté à décrire la séquence didactique et les ajouts numériques en fonction des attentes prescrites du MEES. Comme notre recherche s’intéresse précisément à la valeur ajoutée du numérique, aucune analyse du contenu textuel proprement dit n’a été réalisée. Nous avons mis en évidence des éléments relevés autant dans la version papier que numérique pour permettre de comprendre les ajouts numériques. En ce qui a trait aux images, nous avons relevé leur présence et identifié les fonctionnalités permettant de les manipuler (agrandissement, champs à annoter, etc.).

Des 29 manuels du corpus en univers social, soit l’ensemble des manuels disponibles au moment de l’étude au Québec, 21 sont en histoire et 8 en géographie. Douze ont été approuvés dans leur version papier par le Bureau d’approbation du matériel didactique (voir bibliographie). Pour les fins de cet article, dix manuels ont été retenus pour une analyse en profondeur (voir tableau 1). Puisque le domaine de l’univers social couvre un large éventail de contenus, variant considérablement d’un niveau à l’autre, nous nous sommes concentrés sur certaines sections relatives aux thématiques suivantes : en géographie, la ville soumise à des risques naturels; en histoire, la Conquête et le changement d’empire. Le choix de présenter ces deux thématiques repose sur le fait qu’elles ont une forte présence dans le corpus. De plus, ces thématiques présentent un potentiel intéressant au regard des potentialités du numérique puisqu’il existe de nombreuses possibilités de contenus interactifs (carte historique, ligne du temps) ou encore la possibilité de faire des liens avec des événements contemporains (actualité sur les phénomènes naturels, vidéos récentes).

La notion de manuel, telle que nous la connaissons dans sa version papier[3], étant plus difficile à discerner dans le monde numérique, nous présentons ses différentes réalisations pour les ouvrages analysés dans cet article dans le tableau 1. Ainsi, trois manuels sont en géographie (premier cycle) et sept sont en histoire (deuxième cycle).

Tableau 1

Liste des versions numériques des manuels analysées

Liste des versions numériques des manuels analysées

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4.1. Description sommaire des plateformes numériques

Les manuels numériques étaient disponibles sur cinq plateformes différentes : MaZone CEC, Ma Bibliothèque i+, MaBiblio et eTextPearson, eBook (iPad) et Classe numérique. Ces environnements permettent de faire l’acquisition du matériel et de regrouper en un seul endroit l’ensemble des ressources numériques liées à une maison d’édition. Les différentes plateformes proposent des outils similaires de l’une à l’autre, soit des outils liés à la prise de notes (annotation, surlignement, notes vocales, bloc-notes), des outils liés à la navigation (table des matières, signets) et des outils liés au partage (activités de l’enseignant, partage de notes avec les autres élèves). Ces différentes fonctionnalités correspondent bien aux attentes des élèves par rapport aux plateformes de manuels numériques (Université du Québec, 2013).

5. Résultats et interprétation

Les résultats de cet article se concentrent spécifiquement sur la description de certaines sections des manuels scolaires numériques, alors que l’analyse de l’ensemble du corpus et la comparaison multidisciplinaire (manuels de mathématiques, français, sciences, et éthique et culture religieuse) font l’objet d’une autre publication (Roy et al., 2020).

Nous présenterons, dans un premier temps, les résultats relatifs aux manuels de géographie, à propos de la thématique « la ville soumise à des risques naturels ». Dans un second temps, nous présenterons les résultats relatifs aux manuels d’histoire à propos de la thématique « la Conquête et le changement d’empire ». Pour chacune de ces sections, nous proposons trois angles d’analyse : 1) la multimodalité; 2) l’architecture textuelle; et 3) l’interactivité.

5.1. La ville soumise à des risques naturels

Pour le cours de géographie au premier cycle du secondaire, nous nous sommes attardés à la description analytique des versions numériques de manuels et à l’apport du numérique pour la thématique « la ville soumise à des risques naturels » abordée en lien avec le concept de « territoire urbain ». Les sections analysées proviennent des manuels Géo à la carte de CEC, Enjeux et territoires de Chenelière et Parallèles de Chenelière, puisqu’ils sont les seuls à s’intéresser à la thématique choisie.

Les contenus présentent la localisation et les principales caractéristiques d’une ville soumise à des risques naturels (Manille, Quito et/ou San Francisco), l’aménagement spécifique en fonction des risques auxquels elle est confrontée et enfin, les principaux enjeux qui en découlent. Deux manuels de notre échantillon abordent une seule ville, tandis que le troisième manuel présente les trois villes ciblées par le PFEQ. Les contenus proposés dans les trois manuels de notre échantillon répondent donc aux exigences du PFEQ (MELS, 2005, p. 329). De façon identique à la version sur papier, les manuels proposent le contenu notionnel sous la forme de textes accompagnés de différents documents iconographiques.

Pour les trois manuels, une question ouverte marque le début de chaque section analysée, par exemple, « Où Manille est-elle située ? ». Ensuite, la structure de deux manuels (Géo à la carte, Parallèles) propose une présentation des savoirs essentiels et se poursuit par la présentation de questions à répondre. Un des manuels (Enjeux et territoires) ne présente aucune question ou activité synthèse dans la séquence choisie. Dans les trois cas, la version numérique se présente comme un fichier PDF du texte, sans hyperlien ni apports multimodaux spécifiques ou interactivités. Le tableau 2 présente la synthèse du contenu des trois manuels analysés.

Tableau 2

Synthèse des éléments spécifiques au numérique dans trois manuels de géographie

Synthèse des éléments spécifiques au numérique dans trois manuels de géographie

Notes. Aucun extrait audio n’est présent. Aucun contenu culturel numérique ne vient en appui à ces manuels.

1 Les documents interactifs incluent les éléments suivants : cartes interactives, diagrammes ou images avec fonction d’agrandissement.

2 Selon les informations disponibles sur le site de l’éditeur, le guide de l’enseignant propose « des banques de nombreux sites Internet ».

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5.1.1. Multimodalité

La structure des contenus notionnels est semblable pour chaque manuel, c’est-à-dire qu’on reproduit la forme du manuel imprimé. Les auteurs des manuels mobilisent des documents diversifiés comme des cartes, des images, des graphiques et des tableaux. Ces documents peuvent occuper plusieurs fonctions, notamment comme support visuel au texte, comme dans les cas présentés aux illustrations 1 et 2 offrant d’une part une vue de la ville de Manille et du fleuve qui la traverse, et d’autre part, une coulée de lave au Congo. L’image contribue à expliciter le phénomène des éruptions volcaniques, qui sont présentées dans le texte.

La séquence analysée du manuel Géo à la carte comprend 19 documents[4] pour présenter les contenus par l’utilisation de ressources iconographiques, de cartes, de tableaux ou de diagrammes, etc. La séquence du manuel Parallèles comprend 22 documents, tandis que celle du manuel Enjeux et territoires en comprend 27.

Illustration 1

Ville de Manille (Géo à la carte, p. 13)

Ville de Manille (Géo à la carte, p. 13)

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Illustration 2

Coulée de lave au Congo (Enjeux et territoires, p. 192)

Coulée de lave au Congo (Enjeux et territoires, p. 192)

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5.1.2. Architecture textuelle

Le manuel Géo à la carte se distingue des deux autres par la présence de 41 liens permettant à l’élève de réaliser des activités interactives provenant de la maison d’édition ou de consulter des contenus externes provenant de différents sites Web tels que Google Maps (voir tableau 3). D’ailleurs, l’ensemble des fascicules de la série « À la carte » propose environ 762 documents interactifs et 37 liens externes (voir tableau 3).

Tableau 3

Types d’hyperliens proposés dans la séquence analysée du manuel Géo à la carte – Risques naturels

Types d’hyperliens proposés dans la séquence analysée du manuel Géo à la carte – Risques naturels

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5.1.3. Interactivité

Deux manuels sur trois (Géo à la carte, Parallèles) proposent des exercices pratiques à la suite des contenus notionnels. Il s’agit d’activités de synthèse portant sur les contenus géographiques précédemment présentés. Ces activités s’organisent sous la forme de questionnements, leur nombre variant d’un manuel à l’autre. Au total, le premier manuel (Parallèles) propose six documents tandis que le second manuel en propose onze (Géo à la carte). L’élève peut donc être appelé à analyser le contenu d’une image ou encore, à compléter un tableau à l’aide de données présentées dans la section théorique du manuel. Cette fonctionnalité fait appel aux outils d’annotation des plateformes numériques (voir section 4.1), ce qui n’est pas spécifique aux contenus concernés dans cette séquence, mais bien à l’ensemble des ressources numériques.

5.1.4. Les techniques et contenus notionnels liés à l’univers social

Selon la Progression des apprentissages (PDA) en géographie (MELS, 2010), l’élève devrait mettre en pratique diverses techniques liées à la discipline, en complétant plusieurs étapes de réalisation proposées par la PDA. Ainsi, le manuel pose une question demandant d’ajouter une information factuelle, nécessitant la mise en application d’une technique en géographie, soit le repérage d’information géographique (voir illustration 3).

Illustration 3

Image avec questions (Géo à la carte, p. 15)

Image avec questions (Géo à la carte, p. 15)

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Cependant, les manuels analysés ne placent que rarement l’élève au centre d’une situation d’apprentissage où mettre en pratique les techniques proposées par la PDA de deuxième secondaire[5]. De fait, un seul manuel propose une série de questions permettant à l’élève de mettre en pratique l’analyse d’un document iconographique (voir illustration 4). Dans cette illustration, on peut y voir une image en appui à la question, où l’élève doit y décrire ce que l’on peut y voir. Cependant, les champs de réponse ne sont pas interactifs, et il faut utiliser les fonctions d’annotation liées au logiciel PDF Acrobat Reader pour intervenir dans ces champs. Pourtant, le numérique pourrait offrir quelques avenues en ce sens.

Illustration 4

Question à choix multiples (Géo à la carte, p. 14)

Question à choix multiples (Géo à la carte, p. 14)

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Pour conclure, les compléments numériques offrent la consultation des mêmes contenus que les versions papier, à l’exception d’un seul manuel (Géo à la carte), qui met à la disposition des élèves de nombreux hyperliens. Toutefois, ce dernier propose une structure assez linéaire sans tirer un réel profit du numérique, puisqu’il reprend la forme traditionnelle du manuel (format Portrait, navigation par page). Le thème des phénomènes naturels pourrait tirer avantage des nouvelles récentes en ligne tout en s’appuyant sur une navigation moins linéaire.

5.2. La Conquête et le changement d’empire

Pour le cours du Québec et du Canada au 2e cycle du secondaire, nous nous sommes attardés à la description analytique des versions numériques de manuels et à l’apport du numérique pour la thématique de la Conquête et du changement d’empire, abordé en 3e secondaire. Sept manuels ont été analysés. L’analyse porte sur trois manuels publiés avant 2015, relatifs à l’ancien programme d’Histoire et d’éducation à la citoyenneté (Québec en deux temps, Québec Docs 3 et Questions d’histoire 3), et sur quatre manuels conçus pour le programme d’Histoire du Québec et du Canada, publiés depuis 2015 (Chroniques, Mise à jour 3, Parcours et Périodes).

Pour trois manuels (Question d’histoire 3, Périodes, Parcours), le chapitre portant sur la Conquête et le changement d’empire débute par une question ouverte, ce qui incite à la mise en oeuvre d’une démarche historique fondée sur le questionnement. Dans les quatre autres manuels, le texte débute sans question (Québec en deux temps, Québec Docs, Chroniques et Mise à jour 3).

Le repérage d’éléments numériques a conduit à dénombrer des hyperliens externes, des documents interactifs, des quiz originaux et des vidéos, enchâssés dans les manuels, dans la majorité des spécimens analysés (voir tableaux 4 et 5). Le tableau 5 a été réalisé à partir d’une analyse des hyperliens afin de mettre en exergue les contenus culturels numériques externes à la ressource numérique.

Tableau 4

Synthèse des éléments numériques dans sept manuels d’histoire

Synthèse des éléments numériques dans sept manuels d’histoire

Note. Aucun extrait audio n’est présent.

1 Les documents interactifs incluent les éléments suivants : cartes interactives, diagrammes ou images avec fonction d’agrandissement.

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Tableau 5

Types de contenus numériques externes aux manuels, accessibles par hyperliens

Types de contenus numériques externes aux manuels, accessibles par hyperliens

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Nous nous sommes intéressés aux types de contenus numériques externes, accessibles par hyperliens, dans les différents manuels analysés. Parmi les contenus culturels numériques sont signalés des éléments numériques sur les sites de la Bibliothèque nationale de France, du Musée canadien de l’histoire, des Musées de la Civilisation du Québec, du Louvre, etc. Les liens classés dans la catégorie « Autres liens » pointent vers des pages précises, sur des sites personnels ou des auteurs non liés à des institutions culturelles, qui présentent des contenus sous forme de textes, d’images, ou de vidéos.

5.2.1. Multimodalité

Tous les manuels présentent les savoirs historiques, avec une section pratique à compléter par l’élève. Dans la première section de la séquence liée aux savoirs, on constate la présence de documents iconographiques, de graphiques, de tableaux de données ou de synthèse, de schémas, de lignes du temps et de documents écrits, de façon similaire à la version papier et reproduits sans possibilités d’interactions, et ce, pour tous les manuels. Ces documents remplissent différentes fonctions au regard du texte : support visuel, organisation de l’information déjà présentée dans le texte, objet d’interprétation ou pratique d’opérations intellectuelles.

À titre d’exemples, on y retrouve des cartes permettant de situer dans l’espace les faits mentionnés dans le texte (voir illustrations 5 et 6). À noter, l’une de ces cartes est une reproduction d’un document d’archives, et constitue en cela une trace historique (voir illustration 5). Un seul manuel propose l’interprétation d’un document selon les étapes de la PDA, sans toutefois les présenter explicitement à l’élève (Parcours). Enfin, ce manuel permet à l’élève de mettre en pratique des opérations intellectuelles, en lui soumettant questions et exercices.

Illustration 5

Carte illustrant Montréal en 1760 (Périodes, p. 240)

Carte illustrant Montréal en 1760 (Périodes, p. 240)

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Le manuel numérique propose l’utilisation de la carte dans quatre manuels différents (voir tableau 6). L’analyse nous permet d’observer la présence de 33 cartes et de constater que celles-ci sont mobilisées à différentes fins : interpréter son contenu et répondre à certaines questions, interpréter la carte et mettre en pratique des opérations intellectuelles telles que dégager des différences et des similitudes, déterminer des changements et des continuités (voir Illustration  6).

Illustration 6

Comparaison des différentes routes empruntées par les forces armées (Périodes, p. 241)

Comparaison des différentes routes empruntées par les forces armées (Périodes, p. 241)

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Utiles pour situer des faits dans le temps, et développer une compréhension des causes et des conséquences, des lignes du temps interactives sont présentes dans quatre manuels (Chroniques, Périodes, Québec Docs 3, Question d’histoire 3). Par ailleurs, des liens externes offerts dans trois manuels pointent vers des lignes de temps interactives (voir tableau 6). Les autres manuels présentent des lignes du temps statiques, sans possibilité de modification, n’offrant rien de plus que leur version papier (voir illustration 7).

Illustration 7

Ligne du temps dans le manuel (Québec Docs 3, p. 63)

Ligne du temps dans le manuel (Québec Docs 3, p. 63)

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5.2.2. Architecture textuelle

À l’exception de Mise à jour 3, qui se présente comme une version PDF du manuel accessible en ligne, sans apport numérique proprement dit, tous les manuels analysés contiennent des liens vers des ressources internes ou externes (voir tableau 6). Ces liens conduisent à une biographie, des exercices supplémentaires, des cartes interactives, des lignes du temps interactives, des informations supplémentaires et des vidéos proposées par la maison d’édition. Les liens menant à des sites Web externes et des vidéos externes sont des contenus ciblés par la maison d’édition portant sur le sujet étudié. Pour les consulter, l’élève doit quitter la plateforme de la maison d’édition.

Tableau 6

Tableau récapitulatif des hyperliens proposés dans les sept manuels

Tableau récapitulatif des hyperliens proposés dans les sept manuels

Note. 1. Québec en deux temps; 2. Parcours; 3. Chroniques; 4. Périodes; 5. Question d’histoire 3; 6. Québec Docs 3; 7. Mise à jour 3.

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5.2.3. Interactivité

Les manuels proposent tous une section dite « pratique » où l’élève doit répondre à des questions. Toutefois, seulement trois manuels analysés (Chroniques, Périodes, Question d’histoire 3) permettent à l’élève d’entrer une réponse dans un champ accompagnant la question. Par exemple, au moment de l’analyse, le manuel Question d’histoire 3 offre 78 exercices interactifs avec rétroactions (comparativement à 300 au moment d’écrire ces lignes[6]).

De plus, dans le manuel Parcours, l’élève est appelé à compléter des schémas, notamment en glissant et en déposant des mots-clés dans les cases appropriées. En outre, ce manuel propose à l’élève de créer un schéma, ce qui l’amène à s’approprier une technique disciplinaire en histoire, soit celle de l’interprétation et réalisation d’un tableau à entrées multiples, comme celui de l’illustration 8.

Illustration 8

Schéma à compléter (Parcours, p. 161)

Schéma à compléter (Parcours, p. 161)

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Les tableaux et les graphiques n’offrent aucune interaction et ne suggèrent pas la mise en pratique d’une technique en univers social. Cependant, le manuel Parcours propose des fiches à compléter en ligne, de type « 3QPOC » (quoi, quand, qui, pourquoi, où, comment) (Richard, 2005), favorisant l’emprunt de la démarche historique.

Au terme de cette analyse relative au traitement de la Conquête et du changement d’empire dans les manuels d’histoire, nous constatons que les manuels numériques reprennent les mêmes contenus notionnels que la version papier, et que tous, à l’exception d’un seul, ajoutent des éléments numériques variés, intégrés aux manuels ou signalés comme ressources externes, telles des sites Web ou des vidéos.

6. Discussion

Réalisée selon deux thématiques ciblées des programmes de géographie et d’histoire au secondaire, notre analyse met en lumière les caractéristiques numériques des manuels (Q1) et la façon dont ils tirent profit des potentialités du numérique (Q2). Pour répondre à ces questions, nous avons d’abord dénombré et catégorisé leurs éléments numériques et ensuite, nous les avons analysés de façon plus approfondie avec la grille proposée en annexe 1. Nous avons également dirigé notre attention à trois dimensions propres aux manuels numériques : l’architecture textuelle, la multimodalité et l’interactivité.

Sur le plan de l’architecture textuelle et de la navigation, comme pour les manuels de français (Boyer et al., 2017), les manuels d’univers social reprennent le mode d’organisation des contenus présents dans les versions papier, bonifié cependant d’hyperliens internes, pour naviguer plus facilement dans leur contenu (signets, table des matières interactives), et accéder, pour quelques termes, à un glossaire. Cette architecture textuelle sommaire incite à consulter les contenus de façon séquentielle, plutôt que thématique, comme pourrait l’offrir une navigation par mots-clés, via un moteur de recherche ou autre. Ainsi, pour faciliter l’accès aux contenus, il serait loisible de penser à un agrégateur de nouvelles sur le domaine, avec des mots-clés rattachés à la thématique.

Les manuels offrent tout de même une certaine diversité dans la modalité de transmission des contenus. En géographie, en lien avec la thématique de la ville et des risques naturels, il appert que les manuels tirent peu profit des potentialités du numérique, tant sur les plans de l’interactivité que celui de l’ajout de contenus multimodaux, proposant rarement des liens vers des ressources Web externes. En d’autres termes, ces manuels numériques s’avèrent principalement être des répliques de la version papier. Cependant, en histoire, le traitement de la thématique « Conquête » présente un plus grand recours à des ressources numériques internes et externes (lignes du temps, vidéos, cartes géographiques, etc.). On retrouve la présence de liens vers des contenus culturels numériques gratuits, développés principalement par des institutions québécoises, et vers des vidéos sur YouTube ou sur les autres plateformes vidéos. On y retrouve aussi des questionnaires interactifs pour soutenir les apprentissages. Bien qu’elles représentent autant d’occasions d’apprentissages pour les élèves, leurs ressources numériques additionnelles aux versions papier pourraient, selon nous, être mieux exploitées. En effet, jusqu’à présent, les manuels proposent peu d’interaction avec ces contenus, dont la consultation pourrait être accompagnée de diverses façons. À titre d’exemples, dans la perspective de procurer à l’élève un environnement d’apprentissage où mettre en oeuvre la démarche d’enquête, les techniques disciplinaires et les opérations intellectuelles associées au domaine, on pourrait imaginer rendre possible la conception de lignes de temps, l’annotation d’images, la comparaison de documents variés, la superposition d’éléments sur une carte, la rétroaction automatique à un questionnaire, etc.

En outre, les manuels pourraient faire un usage accru de la multimodalité, en pointant davantage vers des ressources du domaine public, films documentaires ou clips vidéos disponibles sur des plateformes variées. Ils pourraient signaler des productions d’intérêt, diffusées par les nouveaux médias (par exemple, les baladodiffusions L’histoire nous le dira par l’historien Laurent Turcot ou Aujourd’hui l’histoire avec Jacques Beauchamp) qui permettent une entrée dans différents sujets historiques, souvent à partir de préoccupations du présent. La réalité virtuelle, la réalité augmentée et même les jeux vidéos sont également des nouveaux champs en expansion en univers social (Éthier et Lefrançois, 2019; Roy, 2019) et leur potentiel pédagogique pourrait être mis à profit à travers le manuel scolaire, notamment en fournissant une vidéo 360 degrés lisible sur un casque de réalité virtuelle ou scénarisant des interactions avec des jeux vidéos, par exemple. Ces technologies et produits numériques sont d’ailleurs de plus en plus mobilisés par les musées pour favoriser l’appropriation de leurs contenus, en salle d’exposition ou à distance (André, 2019; Dias-Chiaruttini, 2019).

Notre analyse des liens externes a mené à deux constats : 1) il existe un usage fréquent des ressources externes, plus particulièrement en histoire; 2) la qualité des liens choisis est variable. Ainsi, on constate la présence de liens non fonctionnels, ou alors vers des ressources pas nécessairement à jour selon la date de publication, et de façon plus préoccupante, l’absence de mention des droits d’auteur pour certaines ressources numériques externes. Le choix d’utiliser de nombreuses ressources externes est à la fois pertinent et préoccupant. Pertinent, puisque les versions numériques des manuels tirent ainsi profit de ressources pédagogiques développées par des organisations gouvernementales, des universités ou des institutions culturelles, et possiblement enrichissantes pour l’élève. Préoccupant, puisque la version numérique des manuels reprend en grande partie des ressources accessibles gratuitement sur Internet, qui ont déjà été financées par des fonds publics. En d’autres mots, la valeur ajoutée que prend le manuel numérique consisterait surtout à signaler des ressources publiques pouvant enrichir les activités de la classe, procurant ainsi une aide didactique à l’enseignant pour la sélection de contenus disponibles dans la vaste étendue du paysage numérique éducatif.

Conclusion

Les versions numériques des manuels sont-elles de simples PDF du fichier d’origine ? Ou visent-elles à proposer des environnements d’apprentissage pertinents aux disciplines de l’histoire et de la géographie, offrant une architecture textuelle et un mode de navigation propres à l’univers numérique, tirant profit de nombreuses ressources multimodales et des possibilités d’interactivité ? Comme nous l’avons discuté en problématique, le potentiel du numérique est là. Nos résultats démontrent que les ressources numériques disponibles sont intéressantes pour l’apprentissage de l’histoire et de la géographie, plus particulièrement en lien avec la présentation des débats avec diverses sources et l’introduction aux méthodes du domaine (Éthier, 2006). Néanmoins, le manuel dans sa version numérique demeure un outil de présentation et de consultation, laissant peu de place aux possibilités de création et de partage que permet Internet, et ainsi, offrant peu d’occasions de favoriser le développement de compétences disciplinaires du domaine de l’univers social. Peu d’activités de synthèse sont proposées, sans compter que le manuel numérique ne saisit pas les occasions de faire interagir les élèves en ligne, pour les tâches proposées, et de faire appel à leur vécu.

L’absence de contenus numériques dans certaines ressources pourrait s’expliquer par la variété des composantes des collections didactiques (manuel destiné à l’élève, cahier d’activités, cahier d’apprentissage, etc.), du moins au moment où l’étude a été réalisée (entre 2015 et 2018). En effet, les éditeurs disposent d’une grande liberté pour concevoir ces composantes et ils leur associent des visées différentes; la version numérique d’un manuel pourrait ne proposer aucun exercice interactif, alors qu’on en retrouverait dans une autre composante didactique. De plus, les termes utilisés par les maisons d’édition pour référer aux composantes de leurs collections didactiques diffèrent grandement. Le numérique estompe les frontières entre les formats traditionnels de ces documents didactiques (modifiables ou non modifiables; présentant des savoirs notionnels ou destinés à être des cahiers d’exercices). Les collections didactiques sont organisées différemment d’une maison d’édition à l’autre, constituées de diverses composantes dont le mode d’accès varie également. Par exemple, les versions numériques des manuels sont parfois disponibles dans une ressource tierce (document annexé au manuel principal), uniquement accessible par le guide de l’enseignant, ou encore par des contenus externes aux manuels, soit des ressources culturelles numériques en ligne. Bien évidemment, le marché de l’édition scolaire est en perpétuelle mouvance, particulièrement en ce qui concerne la mobilisation du numérique. Nous pensons également que nous pourrions observer ce phénomène de l’intégration et du signalement de ressources numériques externes prendre de l’ampleur. Cependant, il deviendrait nécessaire d’offrir un accompagnement à la consultation afin de faciliter les apprentissages possibles à leur contact. Autrement dit, il ne suffit pas de proposer une vidéo ou un lien pour que l’élève identifie les éléments importants à retenir ou à comprendre en lien avec un sujet historique. En ce sens, le manuel doit faire plus que simplement signaler des ressources d’intérêt et proposer des activités d’apprentissage significatives, ne serait-ce que le repérage d’informations et l’établissement de liens entre des faits associés aux réalités étudiées. Le manuel se doit d’analyser, commenter et critiquer les ressources externes mobilisées.

Ainsi, la question reste ouverte, à la suite de l’analyse des versions numériques des manuels d’univers social : comment le manuel peut-il tirer profit des potentialités du numérique, tant sur les plans de l’architecture et de la navigation, que de la multimodalité et de l’interactivité ? Le signalement de ressources externes d’intérêt pour la classe doit-il être assorti d’indications pour stimuler l’apprentissage des contenus et des euristiques (ou méthodes disciplinaires) ? Les ajouts numériques multimodaux doivent-ils être produits par les maisons d’édition ou peuvent-elles se contenter des contenus disponibles gratuitement sur Internet, pour autant qu’ils soient produits par des organismes et institutions fiables ?

Nous avons constaté que les maisons d’édition, pour donner une valeur ajoutée aux manuels papier, se contentent bien souvent de signaler des ressources numériques externes disponibles gratuitement sur Internet. Si les versions numériques des manuels se restreignent à la transmission de savoirs notionnels, elles ne tirent pas un plein avantage des potentialités du numérique. Il n’en reste pas moins que l’offre proposée par les maisons d’édition s’appuie sur une logique économique et politique, peu arrimée aux possibilités du numérique, du moins pour la création de nouveaux contenus. Bien que nous retrouvions quelques exemples pertinents de recours aux potentialités du numérique, telles que les cartes et lignes du temps interactives, et les fonctionnalités d’agrandissement et de traitement des images, ces modes d’emploi gagneraient à être plus répandus et diversifiés, afin de permettre davantage à l’élève de s’initier aux euristiques.

Avec l’essor du numérique en éducation et en tenant compte du paysage éducatif Web en pleine expansion, il est loisible de penser que le manuel, même dans son format numérique, sera moins au centre de l’attention des enseignants. Jadoulle entrevoit d’ailleurs la conception d’un manuel en ligne qui « n’énonce pas les connaissances à apprendre mais offre des ressources pour les apprendre »[7]. Lefrançois et al. (2016) le font ainsi valoir :

[l]e potentiel intrinsèque du manuel numérique demeure quand même grand pour un enseignement-apprentissage de la pensée historienne reposant sur les démarches euristiques, alors que la recherche tend à démontrer que les environnements hypermédias (sollicitant des ressources, textuelles, vidéos, iconographiques, etc.) peuvent favoriser l’apprentissage de concepts substantifs et procéduraux de l’histoire.

Greene et al., 2010, p. 166

Aussi, avant de remettre en question la présence des manuels numériques dans les classes d’univers social du Québec, il nous apparaît important de poursuivre la réflexion sur le potentiel du numérique pour l’apprentissage des contenus et des euristiques de ce domaine, afin de stimuler de nouvelles avenues pour la conception et surtout, de mieux comprendre les pratiques effectives des enseignants et des élèves à son contact.