Tout au cours de notre carrière, nous avons été amenés à lire de nombreux textes : des travaux d’étudiants, des mémoires, des thèses, des rapports de recherche, des articles publiés, des articles soumis pour publication, des demandes de subventions, des demandes de certification éthique, etc. Si chacun de ces types d’écrits mobilise des stratégies de rédaction particulières, ils comportent également certaines caractéristiques communes, dont celle de répondre aux exigences du style scientifique. Puisque la rédaction renvoie aux fondements épistémologiques mêmes de la recherche, cela en fait un sujet récurrent aussi bien dans l’enseignement des méthodes que dans la supervision de travaux de recherche, ainsi qu’au sein des équipes de recherche, des comités de rédaction des revues savantes, des comités d’évaluation de la recherche et d’autres situations encore. Or la rédaction est aussi un acte de communication. À ce titre, le chercheur a la responsabilité de rendre sa démarche la plus claire possible aux yeux des lecteurs. Comment parler de la recherche qualitative de manière rigoureuse, précise, juste, respectueuse, cohérente et convaincante? Comment le faire pour que des lecteurs provenant d’horizons disciplinaires variés, et ayant diverses expériences et expertises comprennent les productions qualitatives? C’est globalement à ces questions que cet article s’intéresse. En réfléchissant à certaines difficultés, à certaines habitudes ou à certains défauts rencontrés de manière récurrente dans des écrits de recherche qualitative, l’article discute d’enjeux que ces défis soulèvent tant sur le plan rédactionnel que sur le plan épistémologique. L’idée n’est pas de promouvoir une norme, mais plutôt de favoriser une arène de discussion et une meilleure communication de la recherche. Dans ce contexte, cinq principes pouvant favoriser la qualité de la rédaction sont brièvement discutés. Deux concernent l’ensemble du texte : les signes de possession et la propension à varier les termes, alors que trois autres portent plus spécifiquement sur des aspects méthodologiques : les manières de parler des transcriptions, des participants et des instruments utilisés lors des entretiens. Après discussion, quelques pistes sont avancées pour aider les chercheurs à rehausser la qualité de la rédaction. Cet article aborde la recherche qualitative de façon large et inclusive comme un ensemble d’approches interprétatives qui vont de l’ethnographie à l’étude critique des phénomènes, en passant par la phénoménologie, la recherche-action participative ou l’approche biographique, et qui mobilisent des dispositifs tels que l’entretien et l’observation pour ne nommer que ces deux classiques. La perspective se veut donc généraliste. Un des commentaires les plus récurrents formulés à l’endroit des auteurs qui soumettent leur texte à la revue Recherches qualitatives concerne les marques de possession. Ce premier problème se décline en une myriade de possibilités : notre étude, nos objectifs, nos données, notre échantillon, mes entretiens, mes analyses, mon terrain, mes participants, etc. sont autant d’exemples d’un style qui révèle une posture, qui montre quelque chose du chercheur et de la relation qu’il entretient avec ce qu’il nomme, avec ce dont il parle. Dans ce contexte, si la possession peut être vue comme le simple signe qu’il s’agit d’une démarche de recherche qui appartient à l’auteur, elle peut aussi être perçue comme le marqueur tangible d’un rapport de domination du chercheur sur le monde qu’il étudie (notre échantillon, nos participants, notre terrain) ou de l’appropriation très personnelle qu’il fait de la démarche de recherche qu’il a réalisée (notre étude, nos objectifs, nos entretiens, nos analyses, etc.). En effet, pour reprendre les propos de Richardson et St. Pierre, « le langage est une force constitutive, créant une vision particulière de la réalité et du soi. Produire des “choses” implique toujours des valeurs. Écrire des choses ne fait pas exception. Aucune mise en scène textuelle …
Parties annexes
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