Introduction

L’activité de recherche qualitative à un carrefour de visées transformatrices et émancipatrices[Notice]

  • Patricia Dionne,
  • Colette Baribeau et
  • Lorraine Savoie-Zajc

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En recherches qualitatives, la communauté universitaire convient aujourd’hui que la finalité de toute recherche est de produire des connaissances qui vont aider à mieux comprendre certaines situations jugées problématiques et à agir sur celles-ci. Or, certaines formes de recherches – comme les recherches à visées transformatrices et émancipatrices – considèrent les finalités de transformation de ces situations problématiques comme le moteur même de la conduite d’une recherche, sur le plan méthodologique. À travers un bref historique, nous constatons ci-après que cette tradition de recherches a suscité, à travers le temps, à la fois intérêt et critiques. Plusieurs champs disciplinaires comptent la recherche à visées transformatrices et émancipatrices parmi leurs approches de recherche depuis les années 1940. La recherche-action (RA) est reconnue comme une méthodologie historiquement emblématique de cette perspective et elle a été adoptée par plusieurs, dont plusieurs personnes autrices dans le présent numéro d’ailleurs. Par leur apport significatif à la RA, un éventail d’écrits fort riches et variés (Guay & Prud’homme, 2018; Noffke, 2002) ont ainsi contribué à faire école, dans des perspectives disciplinaires plurielles comme la psychologie sociale avec les travaux de K. Lewin dès 1946; en sciences de l’éducation depuis 1953 avec les travaux de S. Corey (Guay & Prud’homme, 2018); en travail social depuis la fin des années 1970 (Mayer, 1992) ou encore en sciences de la gestion avec, notamment, les travaux d’Argyris et Schön sur la science-action (1990) (Zuber-Skerritt, 1996). La recherche-action participative s’est par ailleurs aussi développée dans les périodes postcoloniales en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie, dans une visée distinctive de reconnaissance des compétences des personnes participantes pour « produire rigoureusement des connaissances “scientifiques”, afin d’agir, dans une perspective de droit et de justice sociale, sur les structures perpétuant les inégalités sociales et l’asservissement » (Gélineau et al., 2012, p. 37). Divers types de recherches-actions cohabitent et peuvent être regroupés selon leur ancrage épistémologique et leurs finalités de changement (SavoieZajc, 2001). La recherche-action ancrée dans un paradigme critique affiche clairement ses visées transformatrices et émancipatrices : les connaissances produites s’intéressent aux processus d’ajustements des pratiques. Ces processus de transformation passent toutefois par une prise de conscience, par l’individu, des contradictions qui l’animent et de la nature des structures organisationnelles analysées comme opprimantes et méritant d’être changées. En ce sens, la RA renvoie notamment aux travaux de Freire (1968/2021) et s’oriente vers le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités, c’est-à-dire la concrétisation de la possibilité d’agir dans une direction importante pour elles, leurs proches ou leur collectivité (Le Bossé, 2016). Pour l’ensemble des personnes engagées, toutefois, cela implique la capacité de reconnaitre la valeur des choix qui les animent. Au nom de quoi leurs gestes sont-ils posés? Leurs actions sont-elles au service de structures aliénantes (Kincheloe, 2003)? Une telle recherche, aux fondements démocratiques, exige par conséquent la mobilisation des personnes participantes à toutes les étapes de la recherche et pour toutes les décisions. Elle donne aux acteurs le pouvoir de contrôler leur pratique et elle présuppose une relation dialectique entre action et réflexion critique tout au long de la démarche. Plus largement, réaliser des recherches qualitatives à visées transformatrices et émancipatrices suppose l’articulation constante entre la théorie et la pratique, et convoque – tant pour les personnes chercheuses que praticiennes – la mise en dialogue, d’une part, de leurs valeurs, des finalités de leur activité, des caractéristiques de l’organisation socio- et politico-culturelle de leur champ (par exemple en éducation) et, d’autre part, de leur rôle dans la structuration de leur pratique professionnelle. Ce type de recherche peut donc avoir une visée politique (Van der Maren, 1995), en suscitant …

Parties annexes