Corps de l’article

Introduction

Quelles sont les conditions nécessaires pour favoriser la participation volontaire ainsi qu’une liberté de parole des répondants dans une recherche scientifique? Savoir que les chercheurs ne peuvent pas forcer la participation n’est pas suffisant, il est nécessaire de prendre en considération la culture des organisations dans lesquelles ils conduisent leurs études. Souvent, les enjeux des chercheurs sont passablement éloignés de ceux des répondants dans les projets de recherche. Pelpel (2001) affirme que parfois les besoins et les préoccupations des chercheurs sont tellement distincts de ceux des répondants, en lien avec leurs pratiques, qu’ils ne réussissent pas à se comprendre. Or, plusieurs études, selon De Ketele (2020), ont montré que les transformations des systèmes éducatifs nécessitent l’adhésion, l’engagement et la capacité des acteurs du terrain. En ce sens, plusieurs projets de recherche ont avantage à être conçus et réalisés avec les praticiens.

Par conséquent, dès la conception du projet de thèse, et puisque les équipes-écoles ne nous ont pas demandé d’intervenir, la question suivante s’imposait : pourquoi les enseignantes, enseignants titulaires d’un groupe-classe (ETG) collaboreraient-ils avec des chercheurs? Stratégiquement une démarche d’échantillonnage ascendante dite bottom up a été conçue, c’est-à-dire que chacune des étapes d’échantillonnage a été élaborée en reconnaissant le pouvoir de décision et d’agir des ETG afin d’obtenir des accords volontaires de participation. Une démarche d’échantillonnage ascendante apparaît en cohérence avec une visée émancipatrice qui se lie à l’histoire de la liberté et de l’égalité.

Pour que l’action éducative auprès des jeunes soit émancipatrice, et que ceux-ci développent leur pouvoir d’agir, la transmission des savoirs se réalise dans un accompagnement, soit une pédagogie qui donne confiance aux apprenants de trouver les moyens de contrer les obstacles qu’ils rencontrent dans un processus d’humanisation. Selon Paulo Freire (1982), il s’agirait d’un processus de co-émancipation par le dialogue qui ouvre la voie à la discussion critique non seulement sur le plan intellectuel, mais aussi social. Donner la parole aux modèles que représentent les ETG, les principaux acteurs qui interagissent au quotidien avec les jeunes, afin qu’ils collaborent à nos projets de recherche, représente un pas dans la transformation de ce que nous sommes et de la société.

Le principal objectif de cet article est de montrer une façon dont un chercheur peut approcher le terrain et effectuer des ajustements nécessaires en fonction de la réalité pour mener à terme ses travaux. Ces ajustements qui sont rendus nécessaires constituent de nouvelles pistes d’exploration.

Ainsi, cet article présente la démarche utilisée à l’étape d’échantillonnage non probabiliste d’une étude qualitative exploratoire sur la collaboration en équipe-cycle au primaire. Cette dernière constitue une dimension spécifique de la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique (IPP). Une équipe-cycle au Québec regroupe les intervenants, particulièrement les ETG, qui suivent le cheminement des élèves pendant les deux années scolaires d’un même cycle. Dans un premier temps, cet article expose la problématique de la prescription de la collaboration en équipe-cycle afin de placer la présente analyse en contexte. Par la suite, le cadre conceptuel sur lequel repose l’analyse est amené, soit le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités (DPA-PC) (Le Bossé, 2016), en distinguant les quatre axes d’analyse dans un processus de changement. Est introduit subséquemment l’étude de cas multiples en illustrant les choix méthodologiques tant dans la visée recherchée que dans le choix des stratégies d’échantillonnage. Enfin, nous examinons, dans une dimension émancipatrice, dans quelle mesure le corpus de nos données suggère que la participation aux entretiens individuels pour cette étude a pu, même indirectement, contribuer à rééquilibrer les rapports de pouvoir entre les différents acteurs de cette recherche.

La prescription de la collaboration en équipe-cycle au primaire

Au cours des dernières décennies, la recherche a montré que le facteur le plus déterminant pour favoriser la réussite des élèves, ce sont les pratiques enseignantes (Lefebvre, 2003). L’hétérogénéité accentuée du profil des élèves, par l’augmentation des élèves en difficulté dans un même groupe-classe pour une année scolaire, nécessite que les professionnels impliqués collaborent de près pour relever les défis d’intervention qui se posent au quotidien. En outre, l’importance de la collaboration est soulignée par de nombreux chercheurs (Corriveau et al., 2010; Hargreaves, 2019; Portelance et al., 2011), qui considèrent que c’est en instaurant des cultures collaboratives que des actions sont ciblées de façon cohérente et se montrent efficaces (Dupriez, 2010; Fullan & Quinn, 2018).

Ces travaux concordent avec les constatations du ministère de l’Éducation du Québec (1997) selon lesquelles la collaboration entre les différents intervenants scolaires est une caractéristique des écoles ayant davantage de succès (Bandura, 2003; Teddlie & Reynolds, 2000). Pour faciliter la collaboration, le curriculum du primaire a été réorganisé en trois cycles d’apprentissage. De plus, dans une perspective d’écoles inclusives, c’est-à-dire où les besoins et les spécificités de chaque élève sont pris en compte, Borges (2019) met en évidence le fait que les ETG ne peuvent plus travailler seuls, ils ont à transiger avec différents agents éducatifs.

Une recension des écrits scientifiques (Gravel et al., 2019) concernant les conditions personnelles et structurelles nécessaires à la collaboration IPP a montré que ces conditions sont rarement réunies (Barrère, 2002, 2017; Lafortune et al., 2004). Rappelons que la collaboration institutionnelle se réfère aux valeurs, au curriculum provincial et aux orientations du ministère de l’Éducation, ainsi qu’aux orientations des commissions scolaires[1] (CS), à l’époque, traduites dans le projet éducatif de l’école et son plan d’action. La collaboration professionnelle en équipe-école, un groupe restreint formé de trois équipes-cycles, quant à elle, interpelle les acteurs de manière interdépendante dans un processus collectif de réflexion, de discussion, de décision, d’action et d’évaluation pour contrer l’échec scolaire. Finalement, la collaboration pédagogique est liée directement à l’action dans la classe dans un partage d’expertises pour la conception, la préparation, la réalisation et l’évaluation de situations d’enseignement et d’apprentissage. Il semble que les intervenants reconnaissent la pertinence de la collaboration au sein des équipes-cycles, mais dans les faits, on en trouve peu (Dupriez, 2010; Portelance et al., 2011).

La difficulté de la mise en oeuvre de la collaboration en équipe-cycle

D’une part, les ETG justifient leur réticence à une demande d’intensification de la collaboration formelle, soit obligatoire, par leur besoin d’autonomie, la primauté de leur responsabilité auprès des élèves et le manque d’affinités pédagogiques entre les collègues (Tardif & Lessard, 1999). Sur le plan structurel, les principaux obstacles répertoriés sont ceux-ci : le personnel enseignant en surcharge de travail (Houlfort & Sauvé, 2010; Tardif & Lessard, 1999); un contexte de changements multiples et spontanés (Gather Thurler & Maulini, 2007); le faible soutien institutionnel à la collaboration en équipe-cycle (Archambault, 2008); l’absence de temps dédié officiellement à la collaboration en équipe-cycle au Québec (Kahn & Rey, 2008); la structure des groupes-classes pour une année scolaire (Brunet & Savoie, 2003); la complexité de la tâche des ETG (Borges & Lessard, 2007); ainsi que les dimensions compétitives dans la vie groupale (Leclerc, 2020).

D’autre part, la collaboration formelle en équipe-cycle ne paraît pouvoir devenir efficace que dans la mesure où elle prend racine dans les attitudes intérieures des intervenants scolaires, dans une éthique du lien qui ne remet pas en question la valeur de l’Autre et repose nécessairement sur une forme d’autonomie. Lhomme (2020) invite les équipes-écoles à analyser comment leur fonctionnement favorise le développement de cette autonomie. L’étude sur la mise en place des cycles d’apprentissage, en Belgique et au Québec, amène Khan et Rey (2008) à affirmer que les changements demandés par les réformes éducatives ne s’incarnent réellement dans les pratiques que lorsqu’elles reposent sur le fonctionnement autonome des ETG.

Le développement du pouvoir d’agir pour soutenir la collaboration en milieu scolaire

Des chercheurs en éducation (Brunet & Boudreault, 2001; Brunet & Savoie, 2003) présentent l’empowerment des ETG comme finalité à rechercher. Selon Calvès (2009), dans le contexte des pratiques socio-éducatives, la notion d’empowerment repose sur l’idée que les personnes ou les groupes aux prises avec des difficultés persistantes peuvent renforcer ou acquérir davantage de pouvoir sur ce qui a de la valeur pour eux. Le Bossé (2003, 2021) a privilégié l’expression « développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités » DPA-PC pour traduire cette notion. Ce concept prend appui sur le constat que les personnes peuvent actualiser leurs potentiels en développant leur pouvoir individuel et collectif de changer les choses qui sont importantes pour elles, leurs proches ou la collectivité à laquelle elles s’identifient. Cette notion se distingue de la dévolution de pouvoir, que certains associent à l’empowerment, dans la mesure où le changement est « entrepris et librement consenti » par les principales personnes concernées.

L’approche centrée sur le DPA-PC (Le Bossé, 2012) postule l’existence d’un désir d’épanouissement individuel et collectif. Or, des contextes particuliers amènent des personnes à ressentir un sentiment d’impuissance et, dans certains cas, à subir les situations sans reconnaître de possibilités de changement. Du point de vue centré sur le DPA-PC, l’acteur ou le groupe d’acteurs sont considérés comme des agents autonomes disposant d’une marge de manoeuvre et d’un désir de relever les défis sur ce qui leur importe et qui peuvent entrer en tension avec les enjeux d’autres personnes ou groupes impliqués. Pour permettre la réflexion et le déroulement de ce processus de changement, l’auteur propose une grille d’analyse en quatre axes :

  1. l’adoption d’une unité d’analyse « acteurs en contextes »;

  2. la prise en compte du point de vue des personnes concernées dans la définition du problème et des solutions envisageables;

  3. la prise en compte des contextes d’application;

  4. l’adoption d’une démarche d’action conscientisante (Le Bossé, 2016).

Appliqué à la question de la collaboration IPP, cet outil conceptuel permet de clarifier les termes du changement recherché pour un soutien au DPA-PC du personnel enseignant dans la collaboration IPP.

Axe 1 : L’adoption d’une unité d’analyse « acteurs en contextes »

En psychosociologie, l’unité d’analyse « acteurs en contextes » intègre à la fois les dimensions individuelles et les forces macro-sociales. Elle se distingue de l’unité d’analyse en psychologie sociale qui est fondée sur les caractéristiques des individus et ses interactions (Le Bossé, 2012). L’adoption d’une unité d’analyse « acteurs en contextes » conduit concrètement à se demander qui souhaite une meilleure collaboration IPP et pourquoi. Par exemple, les enjeux du Ministère et des gestionnaires, c’est-à-dire ce qu’ils veulent obtenir et ce qu’ils veulent éviter, peuvent diverger des enjeux du personnel enseignant. En situation d’accompagnement d’une équipe-école, tous sont invités à approfondir ce qui caractérise leur situation de façon déterminante et à partir de laquelle ils évaluent l’ensemble de la réalité qu’ils vivent. Qui sont les acteurs impliqués dans la collaboration formelle au sein d’une équipe-cycle? Dans un contexte élargi, les enjeux politiques, économiques et administratifs du système éducatif, appliqués aux situations de collaboration formelle, n’influent pas forcément au quotidien, mais ils offrent une sorte de décor de fond.

Axe 2 : La prise en compte du point de vue des personnes concernées dans la définition du problème et des solutions envisageables

Selon le deuxième axe, le point de vue des ETG à titre de personnes concernées est indispensable pour avoir une compréhension viable de la réalité à l’étude. Les personnes « concernées » se distinguent des personnes « impliquées » parce qu’elles se trouvent à devoir personnellement composer, dans leur vie quotidienne, avec l’ensemble des conséquences concrètes du statu quo (Le Bossé, 2016). Quel est le problème pour les ETG? Cela implique que chaque enseignante ou enseignant volontaire identifie ce qu’il est « possible » de changer maintenant en matière de collaboration formelle dans une équipe-cycle en prenant en compte le bien de tout un chacun.

Axe 3 : La prise en compte des contextes d’application

La prise en compte des contextes d’application revient concrètement à se centrer sur ce qui est possible de tenter « ici et maintenant » selon les contingences de la réalité. L’engagement dans l’action est l’un des fondements de l’approche centrée sur le DPA-PC (Le Bossé et al., 2006). C’est surtout à travers l’expérimentation, selon les solutions envisagées, que se développent des façons différentes d’appréhender les situations. L’engagement dans un processus de changement amorce une démarche d’action conscientisante.

Axe 4 : L’adoption d’une démarche d’action conscientisante

Ce quatrième axe a pour finalité de permettre aux acteurs de prendre plus précisément conscience des interactions à l’oeuvre entre les dimensions personnelles et structurelles de la situation à l’étude, soit la difficulté de la mise en oeuvre de la collaboration en équipes-cycles au primaire.

Une approche méthodologique en cohérence avec une visée émancipatrice

En vue de mieux comprendre la difficile mise en oeuvre de la collaboration formelle en équipe-cycle, une recherche qualitative d’étude de cas multiples apparaît judicieuse en lien avec la complexité et la contextualisation du phénomène à l’étude (Alexandre, 2013). La collaboration en équipe-cycle est un changement qui affecte principalement la tâche des ETG, qui sont les principales personnes concernées. Par conséquent, une approche méthodologique essentiellement destinée à obtenir le point de vue des principales personnes « concernées » (axe 2) par la voie d’entretiens individuels semi-dirigés devient nécessaire. L’entretien individuel permet d’aborder des thèmes sensibles tout en offrant un contexte de plus grande liberté d’expression que l’entretien de groupe par exemple. Trois principaux thèmes ont été considérés dans le guide d’entretien individuel semi-dirigé, soit : 1) la compréhension de l’écart entre la valeur que les ETG accordent à la collaboration en milieu scolaire et la difficulté de sa mise en oeuvre en équipe-cycle; 2) leur position à l’égard de la prescription de la collaboration IPP; 3) comment se manifeste la collaboration IPP formelle en comparaison à la collaboration informelle dans un contexte caractérisé par une plus grande hétérogénéité dans les groupes-classe. Car dans ce contexte, les ETG interagissent non seulement avec des élèves, mais aussi avec plusieurs autres intervenants scolaires. L’approche centrée sur le DPA-PC prend en compte les enjeux non seulement des personnes concernées, mais également des différentes personnes impliquées.

En conformité avec cette approche, des entretiens individuels sont réalisés avec différents intervenants « impliqués » (axe 1) soit : cinq directions d’école, une dizaine d’enseignantes et enseignants en soutien aux titulaires et aux élèves – comme les orthopédagogues et des psychoéducatrices –, une psychologue scolaire, une secrétaire, cinq éducatrices et éducateurs en service de garde ainsi que six conseillères pédagogiques. Ainsi, il est possible d’avoir un aperçu des dynamiques et des enjeux en présence dans chacune des équipes-écoles. Par conséquent, certaines informations sur la culture organisationnelle et les contextes d’applications (axe 3) deviennent accessibles. Le critère de limitation du nombre des répondants correspond aux intervenants scolaires qui interagissent au quotidien sur le territoire de l’école en lien avec leurs rapports de proximité. Concernant l’action conscientisante (axe 4), il a émergé de notre corpus de données que le processus de recherche pouvait contribuer à l’émancipation des répondants. Voyons d’abord le souci de cohérence avec une démarche méthodologique ascendante pour l’échantillonnage.

Une démarche méthodologique ascendante pour l’échantillonnage

À l’instar de Barrère (2017), il apparaît essentiel que les stratégies de transformation en matière de collaboration IPP soient conçues en prenant en compte les préoccupations des principales personnes concernées. Il importe de se positionner clairement sur une voie différente d’injonction de collaboration, qui montre son inefficacité selon Zarrouk (2018). Une approche ascendante dite bottom up lors de l’invitation à participer au projet de recherche devrait contribuer à l’acceptation de s’engager dans ce projet.

En outre, à l’issue de l’étude de Baribeau et Royer (2012) qui met en évidence la pertinence d’apporter des précisions sur les démarches méthodologiques, il apparaît opportun de présenter les critères qui ont orienté nos choix méthodologiques, le processus de sélection des CS et les stratégies d’échantillonnage employées. Par la suite, sont mentionnés quelques caractéristiques des répondants et, par souci de transparence, quelques événements qui ont marqué la démarche d’échantillonnage avant d’aborder les impacts des entretiens individuels semi-dirigés.

Lors de la conception du projet de recherche, il était prévu que la population collaboratrice à l’étude soit constituée principalement de trois équipes-écoles de trois CS différentes pour une plus grande variété de contextes. Par exemple, la formation du personnel enseignant en lien avec le travail en équipe-cycle et le style de gestion de la direction peuvent diverger non seulement d’une équipe-école à l’autre, mais également d’une CS à l’autre. De même, il devient plus aisé de protéger la confidentialité des discours des répondants. Toutefois, il apparaît opportun que la principale chercheuse puisse être en présence à différents moments dans les milieux scolaires sélectionnés, le présentiel donnant accès au climat du milieu scolaire ainsi qu’au langage corporel non verbal des répondants. Concernant le nombre restreint de trois équipes-écoles, Miles et Huberman (2003) mettent en garde de ne pas se retrouver avec une masse de données qui ne prêterait pas à une analyse en profondeur.

Pour ce qui est du processus de sélection, les dix CS francophones de la région de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches ont d’abord été considérées et un sigle différent, de CS-01 à CS-10, a été assigné à chacune d’elles. Leurs plans stratégiques pour les périodes de 2012 à 2016 ou de 2013 à 2017, ont été analysés et c’est en fonction de leur orientation explicite pour la collaboration IPP que des CS ont été retenues.

Par la suite, considérant que la recension des écrits a montré que les conditions nécessaires pour favoriser la collaboration en équipe-cycle étaient peu présentes, sélectionner des équipes-écoles reconnues pour leur bon climat de collaboration (Théorêt & Leroux, 2014) pouvait s’avérer approprié. La collaboration IPP ne se limite pas à celle en équipe-cycle. Un bon climat de collaboration ne garantit pas non plus un travail efficient en équipe-cycle. Cependant, il semblait que ce type d’écoles nous montrerait plus facilement ce qui fait obstacle à l’engagement dans la collaboration en équipe-cycle. De plus, accéder à des équipes-écoles au primaire dans un contexte de surcharge de travail apparaissait un défi particulier, un exercice très délicat. Cela impose notamment de recourir à des procédures méthodologiques qui permettent de favoriser une participation exempte de toute forme de prescription explicite ou implicite. Lorsque la demande provient de chercheurs, il est également nécessaire de veiller à ce que les aspects de la réalité qui intéressent les répondants soient intégrés au protocole. Pour cela, il faut tout d’abord créer les conditions pour que les ETG puissent exprimer librement leur point de vue sur l’objet d’étude. Prendre le temps d’élaborer des stratégies d’échantillonnage s’avère congruent.

Les stratégies d’échantillonnage

Voici les cinq principales stratégies mises de l’avant pour obtenir des accords volontaires de participation et permettre une liberté de parole chez les principales personnes concernées et les personnes impliquées.

Création d’un outil didactique

En préparation à la présentation du projet de recherche aux équipes-écoles, estimant que les ETG seraient intéressés par des résultats de recherche, une synthèse de la recension des écrits sur la collaboration en milieu scolaire a été élaborée en mettant l’accent sur les conditions personnelles et structurelles favorables à l’entraide professionnelle. Ce faisant, des éléments de problématique (axe 1) pouvaient permettre à chaque personne de se situer plus aisément quant à sa possible participation à l’étude.

Adoption d’une stratégie indirecte d’échantillonnage

Dans les milieux scolaires, dans un premier temps, il est apparu pertinent de présenter le projet d’étude en diminuant le recours à la voie strictement hiérarchique, caractéristique du fonctionnement des CS (Bernatchez & Trudeau, 2014). Pour éviter que la décision de participer ou non à notre étude soit prise sur une base essentiellement administrative, il a été proposé aux autorités institutionnelles de procéder à une consultation préalable de leur équipe d’orthopédagogues. En effet, ces intervenants ont une expérience quotidienne de la collaboration avec les ETG. Ils sont donc en bonne position pour s’exprimer sur la pertinence d’étudier la qualité de la collaboration en équipe-école et en équipes-cycles sur leur territoire. Pour être incluses dans le protocole de recherche, les équipes-écoles devaient avoir expérimenté un travail en équipe-cycle depuis au moins un an. Pour les débuts de la collecte de données, deux premières équipes-écoles ont été approchées ayant une expérience de collaboration et donc de baser notre proposition de participation à notre étude sur un intérêt réciproque. Une troisième équipe-école serait contactée plusieurs mois plus tard à la suite de nos débuts d’analyse des premiers entretiens individuels.

Stratégie directe pour l’échantillonnage

Comme il n’était pas possible de rencontrer directement les équipes-écoles sans avoir l’autorisation des directions, ces dernières ont été rencontrées en valorisant la pertinence de la présentation synthétique de la recension des écrits sur la collaboration IPP, tout en supposant de possibles retombées dans leur milieu. C’est à la fin d’une journée de travail, sur l’heure du midi ou lors d’une journée pédagogique que les équipes-écoles ont été informées qu’elles avaient été sélectionnées pour leur bon climat de collaboration. Une synthèse de la recension des écrits, l’objectif principal de la recherche et en quoi consistait leur participation leur ont été présentés.

Consentement sous le signe de la confidentialité

À la fin de cette présentation, les personnes présentes ont été invitées à signifier en toute confidentialité leur intérêt ou non à participer à notre projet de recherche à l’aide d’un petit formulaire. Pour la suite, étant donné que les entretiens individuels, échelonnés sur quelques semaines, se réalisaient sur leur territoire, des échanges informels ont permis d’ajouter d’autres ETG et intervenants scolaires sur la liste des répondants.

Engagement à présenter des résultats

Prenant en considération l’intérêt que suscite l’objet d’étude chez les répondants, un engagement à revenir présenter des résultats préliminaires aux équipes-écoles a été annoncé.

Le processus d’échantillonnage

Précisons ce qui s’est passé lors de notre premier essai, en lien avec la deuxième stratégie, soit l’adoption d’une stratégie indirecte d’échantillonnage. Un contact téléphonique auprès de la direction des services éducatifs de la CS-01 a suscité beaucoup d’enthousiasme. Cependant, lorsque celle-ci a présenté le projet de recherche à l’équipe des directions d’école, l’équipe n’a pas accepté que notre projet de recherche soit présenté à l’équipe des orthopédagogues, qui eux nous auraient indiqué ce qui caractérise la collaboration IPP dans leur milieu de travail. Dans ce contexte, il est apparu opportun d’être en présentiel lors des rencontres avec les directions des services éducatifs, les directions d’école et lors de la présentation du projet de recherche à différents intervenants scolaires. À la suite de ce premier essai, les personnes à la direction des services éducatifs de trois autres CS de la même région ont été rencontrées et elles ont accepté que le projet de recherche soit présenté à leur équipe d’orthopédagogues.

Les différentes périodes d’échantillonnage ont permis de présenter la synthèse de la recension des écrits à cinq équipes-écoles dans trois CS différentes. Les équipes de trois de ces écoles, comportant chacune de 200 à 450 élèves, ont participé aux entretiens individuels. De plus, dans le contexte de la pandémie de la covid-19, la participation de neuf personnes affiliées à différentes équipes-écoles de quatre autres CS de la même région a augmenté notre échantillon pour un total de soixante personnes. Spécifions qu’au primaire, la très grande majorité de la population des ETG est féminine, ce qui n’est pas le cas notamment pour les directions d’école. Deux enseignants et 38 enseignantes ont participé aux entretiens individuels. Le Tableau 1 présente la répartition des répondants selon leur appartenance à une CS tout en indiquant leur statut dans leur équipe-école.

Tableau 1

Distribution des répondants selon leur appartenance à une CS ainsi que les périodes de présentation du projet de recherche et de la réalisation des entretiens

Distribution des répondants selon leur appartenance à une CS ainsi que les périodes de présentation du projet de recherche et de la réalisation des entretiens

-> Voir la liste des tableaux

Au printemps 2017, les entretiens individuels semi-dirigés ont été réalisés avec les deux premières équipes-écoles, l’une située en milieu rural (rattachée à la CS-02), et l’autre en milieu urbain (rattachée à la CS-10). Ce n’est que deux ans plus tard, après un début d’analyse des premières données et l’ajustement du guide d’entretien individuel, que des efforts ont été fournis pour obtenir la participation d’une troisième équipe-école (rattachée à la CS-07). Il importe de souligner que six directions d’école ont dû être contactées avant que deux autres acceptent la présentation de la synthèse de notre recension des écrits sur la collaboration en milieu scolaire. La présentation a été réalisée dans une école en milieu rural puis dans une très grande école en milieu urbain, mais sans succès. Le message livré par le personnel enseignant de la CS-07 sera abordé dans la section discussion.

Face à cette situation, c’est une deuxième équipe-école en milieu rural de la CS-02 caractérisée par un engagement dans la collaboration en équipe-cycle qui a été approchée. Les entretiens individuels ont été réalisés en octobre 2019. Au sujet du dernier groupe, désigné sous le sigle CS-00, afin d’avoir davantage de répondants en lien avec les précisions demandées dans le guide d’entretien semi-dirigé ajusté, nous avons réalisé des entretiens supplémentaires lors de rencontres virtuelles avec des enseignantes et une direction d’école de juin à septembre 2020. Ces enseignantes ont été mises en contact avec la principale chercheuse dans le cadre de supervision de stages en enseignement au cours de l’année universitaire précédente. Elles proviennent de neuf écoles différentes appartenant à quatre CS différentes de la même région. Il s’agit d’une situation imprévisible qui met en évidence le caractère aléatoire que peuvent comporter nos choix malgré le soin apporté à la conception du protocole. En tout, 60 personnes ont participé à un entretien individuel de 45 minutes en moyenne. Les colonnes en gris du Tableau 1 correspondent aux entretiens individuels réalisés avec le guide d’entretien semi-dirigé ajusté à la suite de nos débuts d’analyse.

Le processus d’analyse qualitative

Les entretiens individuels ont été enregistrés et chaque verbatim a été transcrit. L’analyse des données a été conduite en appui avec le logiciel QDA Miner. L’arbre thématique a été conçu en fonction de l’approche centrée sur le DPA-PC et des questions de recherche, tout en permettant l’émergence de nouvelles catégories (Paillé & Mucchielli, 2016). Par exemple, suivant l’exigence que tous les énoncés soient codifiés une catégorie sur les conditions personnelles et une autre sur les conditions structurelles de la collaboration IPP ont été ajoutées, comportant chacune plusieurs codes. De plus, afin d’obtenir ce qui caractérise le discours de chacun – ce que ne permet pas la description proximale avec QDA Miner –, une relecture des entretiens s’est avérée nécessaire pour identifier ce qui traverse le matériau empirique de chacun de ces entretiens, notamment certaines logiques sous-jacentes. Ainsi, un nouveau document contribue à approfondir nos interprétations.

Avec les difficultés rencontrées lors des démarches d’échantillonnage et les débuts d’analyse, la principale chercheuse a pris conscience de l’importance que le projet de recherche ne nuise d’aucune manière aux répondants. En outre, elle s’est questionnée sur les impacts de la participation aux entretiens individuels. Même si les répondants ne nous ont pas demandé d’agir pour transformer certaines pratiques en matière de collaboration, c’est dans ce sens que nous examinons dans quelle mesure nos données, incluant celles du journal de bord de la principale chercheuse, montrent des indices que ce projet de recherche a pu contribuer à faire naître des changements dans une visée émancipatrice.

Des impacts de participation à des entretiens individuels

Lorsque les chercheurs ne sont pas invités à accompagner les acteurs sur leur terrain, est-ce que des entretiens individuels semi-dirigés peuvent contribuer à des changements désirés? En méthodologie, la littérature scientifique montre une forte préoccupation concernant les conditions nécessaires à la production de données de qualité, comme il est également reconnu essentiel la qualité de l’interaction entre l’intervieweur et les répondants (Boutin, 2018). Cependant, très peu de discours à notre connaissance traitent des retombées ou des impacts de la participation à des entretiens individuels.

Dans cette section, sont identifiées des prises de conscience survenues à travers les entretiens individuels favorisant l’émancipation des répondants. Au départ, lors de la conception du projet de recherche, trois temps spécifiques vécus par la principale chercheuse ont été identifiés comme favorisant une démarche de conscientisation (axe 4) pour le développement du pouvoir d’agir. Ces moments correspondent : 1) à la présentation du projet de recherche aux équipes-écoles, incluant une synthèse de la recension des écrits sur la collaboration en milieu scolaire, 2) aux entretiens individuels; 3) à la présentation de résultats préliminaires aux équipes-écoles, quelques mois après les entretiens.

Par la suite, il a émergé de l’analyse du corpus des données que les entretiens individuels peuvent avoir un effet émancipateur en reconnaissant le pouvoir de s’exprimer librement et d’être écouté.

Pouvoir s’exprimer et être écouté peuvent avoir un effet émancipateur

À l’instar de Boutin (2018), la liberté de parole dans le contexte d’un entretien individuel se lie à l’activité naturelle chez les êtres humains de partager avec ses semblables ses préoccupations, ses aspirations dans un mouvement qui peut s’avérer émancipateur. Par exemple, concernant une grande école de la CS-07, le projet de recherche n’a pas pu être présenté simultanément à toute l’équipe-école. Il a été présenté en présence d’un membre de la direction à des moments différents aux sept équipes-degrés. Une équipe-cycle est formée de deux équipes-degrés structurées pour une année scolaire. Lorsque les directions adjointes acceptaient de laisser la principale chercheuse avec les ETG quelques minutes à la fin de la présentation, les enseignantes, enseignants ont justifié leur refus de participer au projet de recherche, ce qui n’était pas le cas lorsque la direction était présente jusqu’à la dernière minute, les ETG demeurant alors silencieux. D’un point de vue méthodologique, la prise en compte de la culture organisationnelle des principales personnes concernées par les objets d’étude devient incontournable pour les chercheurs.

Par ailleurs, au primaire, la proximité des personnes à la direction avec les ETG est plus grande qu’au secondaire. Soulignons que la prise de parole du personnel enseignant est très différente dans le contexte d’une rencontre en équipe-école animée par la direction et dans celui d’une rencontre en équipe-cycle si la direction n’est pas présente. Voici un témoignage qui confirme cette situation :

Quand la direction partage son idée ou quoi que ce soit, y a pas une enseignante qui va se manifester contre. C’est pas vrai y sont pas tous d’accord. Mais par contre, quand on en discute, quand la direction n’est pas là, c’est pas vrai [sic] que tout le monde est d’accord

ETG-10-05

Ce témoignage peut laisser entendre que pouvoir s’exprimer librement dans le milieu de travail des ETG n’est pas nécessairement acquis et qu’il n’apparaît pas simple de remettre en question la parole de la direction. Comme autre exemple, dans un contexte de travail en équipe-cycle, une enseignante rapporte ceci : « La directrice a fait une maîtrise, peu importe, par rapport à ça. Y fallait restaurer la formule de l’ordre du jour avec des points. Je vous dirais que l’année passée, on a trouvé ça très difficile » (ETG-02-08).

Dans le contexte d’une problématique déstabilisante (Chaubet et al., 2019), comme c’était le cas dans les relations avec la nouvelle direction de l’équipe-école de la CS-10, une répondante a exprimé avoir encouragé des collègues à participer à la recherche en leur disant que cela fait du bien. Dans les faits, quelques intervenants se sont ajoutés à la liste des répondants. Des enseignantes ont exprimé à plusieurs reprises qu’elles espéraient que le projet de recherche allait aider au climat de collaboration à l’école. Dans les faits, les premiers entretiens réalisés à la fin du mois de mai et au début du mois de juin 2017 comportaient davantage de plaintes liées au style de gestion de la direction que lors des entretiens réalisés dans les dernières semaines du mois de juin.

La liberté de parole dans le cadre confidentiel des entretiens individuels permet l’expression de désaccords, de sentiments de frustration, de déception, de sentiments d’impuissance. « Ça fait du bien, de juste extérioriser, parce que des fois y a des choses, tu te dis, tu veux justement être éthique, donc on n’en parle pas […] Ouf! Ça fait du bien de vider son sac » (ETG-10-07). Déjà, être entendu par une personne qui accepte les différents points de vue et qui montre par son non verbal de la compréhension face aux difficultés vécues fait également une différence. Cependant, comme l’ont exprimé plusieurs répondants, c’est souvent dans l’action qu’ils sont amenés à réfléchir. Une étape essentielle dans le processus d’un changement est d’accepter la présence de ce qui existe « ici et maintenant » avant d’effectuer un pas vers l’orientation choisie. Le temps de réflexion durant les entretiens peut contribuer à des changements. Il a émergé de l’analyse que la réflexivité et l’intersubjectivité produisent du changement dans le discours des répondants.

La réflexivité et l’intersubjectivité ont un impact sur le discours

Au-delà de la codification à l’aide de l’arbre thématique construit d’abord selon le cadre conceptuel et les questions de recherche, puis enrichi lors de l’analyse des premiers entretiens individuels, c’est lors de la relecture de ceux-ci afin d’identifier ce qui les caractérise que des changements sont observés à l’intérieur des discours. À maintes reprises durant les entretiens, les répondants prenaient le temps de réfléchir avant de répondre à certaines questions. La réflexivité et l’intersubjectivité engagées dans les entretiens individuels favorisent des prises de conscience. Il est question d’intersubjectivité ici par la seule présence de l’intervieweuse et la formulation des questions. Certains points de vue ont changé au cours de l’entretien sans qu’il y ait eu échange de points de vue.

Par exemple, des indices de prise de conscience sont apparus en lien avec l’idée de responsabilité auprès des élèves d’un cycle échelonné sur deux ans. La plupart des ETG ne se sentaient pas responsables des élèves de tout le cycle en lien avec l’ampleur de la tâche, la surcharge de travail reliée à leur responsabilité auprès des élèves de leur groupe-classe, formé pour une année scolaire. Une enseignante (ETG-10-08) a pris conscience au moment de l’entretien que parce qu’elle enseigne au premier niveau d’un cycle, elle se sent responsable de ce qui arrive aux élèves du niveau suivant, puisqu’elle a créé des liens avec ces élèves et qu’elle s’est impliquée dans le développement de leurs compétences. Comme autre exemple d’action conscientisante, une enseignante a exprimé ceci :

Ça prend beaucoup d’implication de soi quand on veut collaborer, ça prend beaucoup d’engagements des deux côtés. Mon Dieu, je repense à ça, j’aurais pu m’impliquer plus, peut-être être plus insistante, rallier les gens, j’aurais pu trouver d’autres idées de discussion

ETG-02-08

Par ailleurs, une enseignante titulaire chevronnée exprime au début de l’entretien avoir vécu des injustices avec la direction précédente. De plus, elle déplore, dans la situation actuelle, différentes façons d’intervenir de certaines enseignantes et enseignants novices. Elle dit sur un ton déçu : « Je pense qu’ils ont peu de constance, d’exigence, peu de… Je ne veux pas porter de jugement. Oh boy! Des fois je me répète cette phrase-là, il me reste six ans, il me reste six ans » (ETG-02-26). Cependant, dans les dernières minutes de l’entretien elle a exprimé avec beaucoup d’émotions et de fierté que l’entretien lui a fait prendre conscience qu’elle a réalisé du bon travail avec de nombreux jeunes provenant du milieu défavorisé de leur école. Elle apprécie l’entretien en exprimant que la plupart du temps personne ne voit la valeur de leur travail.

Une autre répondante, une enseignante en soutien auprès d’enseignantes titulaires, met en évidence son rôle-conseil dans les débuts de l’entretien. Quelques dizaines de minutes plus tard, elle nuance ses propos :

Plus j’y pense, c’est pour informer les enseignantes de ce que j’ai fait, c’est aussi pour me pister. Je suis encore une jeune enseignante. Est-ce que je suis intervenue de la bonne façon par rapport à comment elle le fait en classe pour répéter la même façon. Je ne l’ai peut-être pas fait de la même façon

ES-02-27

Dans un autre exemple, une conseillère pédagogique (CP-02-20) déplore en début d’entretien ce qui se passe dans la collaboration informelle entre les ETG. Il est question ici des échanges spontanés sur des situations vécues à l’école sur la base d’affinités entre collègues. Les échanges informels ne sont pas nécessairement constructifs. Cependant, vers la fin de l’entretien, la conseillère pédagogique reconnaît que la collaboration informelle est nécessaire.

Pour compléter l’apport de la réflexivité et de l’intersubjectivité, avant de remercier les répondants de leur participation à la fin de chaque entretien individuel, deux questions ouvertes se rapportant à l’expérience vécue leur étaient posées. Il leur était demandé, d’une part, comment ils avaient trouvé l’entretien et, d’autre part, s’ils voulaient ajouter quelque chose. Voici quelques témoignages : « J’ai partagé pas mal tout ce que je pensais, même plus » (ETG-00-07). « J’ai appris des choses en participant à la recherche » (ETG-02-08). « Ça m’a fait plaisir, je suis contente. Je trouve les questions assez pertinentes. Ça m’a fait réfléchir sur ma propre fonction » (DI-02-15). Dans certains cas, des répondantes identifient des actions à mettre en oeuvre au cours de l’entretien; il y a une l’ouverture à des changements.

Une ouverture à des changements dans la pratique

Effectivement, après avoir réfléchi et s’être positionnés sur la question de la collaboration IPP, certains répondants ont pu être portés à agir différemment dans l’avenir. Une enseignante titulaire (ETG-00-02) exprime par exemple qu’elle n’avait pas pensé à tout ça avant aujourd’hui et qu’elle va continuer d’y penser au cours de la journée. De plus, elle ajoute qu’elle a le goût d’en parler avec ses collègues.

Une autre enseignante titulaire (ETG-00-03) témoigne que la collaboration avec ses collègues du 3e cycle est difficile. Leurs méthodes pédagogiques sont très différentes. Elle se qualifie elle-même de « pas suffisamment organisée », ce qui crée de l’insécurité chez ses collègues qui ont besoin davantage de structures. Au cours de l’entretien, à la question sur ce qu’elle veut obtenir et éviter en équipe-cycle, elle identifie un moyen pour mieux collaborer avec ses collègues. Elle réalise qu’il serait plus facile de vivre certains projets entrepreneuriaux une première année avec ses élèves – en ayant pris des notes tout le long du déroulement – et de proposer à ses collègues une expérimentation la deuxième année.

Comme dernier exemple, une orthopédagogue (ES-10-11) en soutien aux élèves en difficulté des équipes-cycles de l’école, avait refusé de participer au projet de recherche lors du premier contact. Une collègue nous a informé qu’elle ne participait pas aux rencontres des équipes-cycles, pourtant obligatoires pour les ETG. Il s’agit d’une décision qui peut différer d’une équipe-école à l’autre. Cependant, quelques semaines plus tard, elle s’est impliquée dans ces rencontres et a participé à des décisions. Elle a pris l’initiative de recontacter la principale chercheuse et a accepté de participer à la recherche.

Discussion sur les résultats

Dans le cadre d’une étude de cas multiples, il aurait été opportun de pouvoir non seulement réaliser des entretiens individuels, mais également rencontrer des équipes-cycles. Une offre d’implication de la principale chercheuse a été verbalisée à quelques répondants, mais leur réponse fut sans mot. Si des ressources avaient été disponibles afin de pouvoir libérer les membres des équipes-cycles pour des rencontres, cela aurait pu aider mais cela demeure incertain.

Toutefois, en réalisant des entretiens individuels avec non seulement les principales personnes concernées, mais également avec plusieurs membres de chaque équipe-école, incluant la direction et des conseillers pédagogiques impliqués dans ces équipes-écoles, c’est par triangulation qu’une cohérence est observée dans leurs discours sur la collaboration en équipe-cycle.

Selon notre posture épistémologique, considérant le nombre atteint de répondants à notre étude, il apparaît que les stratégies employées dans notre démarche méthodologique ascendante pour l’échantillonnage ont réellement contribué à l’engagement dans le projet de recherche. Selon Proulx (2019), le fait d’être transparent sur le plan de la méthodologie permet à différents lecteurs de percevoir d’autres interprétations qui peuvent enrichir les résultats de la recherche. Plusieurs enseignantes ont affirmé que la présentation de la recension des écrits sur les conditions personnelles et structurelles nécessaires à la collaboration en milieu scolaire a bien reflété leur réalité. Lors de cette présentation, la principale chercheuse a partagé des savoirs théoriques avant d’inviter les ETG à partager leurs savoirs expérientiels. Ces différents savoirs s’alimentent mutuellement et contribuent à la réflexivité et à l’intersubjectivité. En outre, annoncer un engagement à revenir présenter des résultats préliminaires montre de la reconnaissance envers leur participation et permet aux acteurs du terrain de juger de la valeur de nos interprétations tout en identifiant des marges de manoeuvre.

Par ailleurs, les différentes étapes de la démarche ascendante d’échantillonnage ont permis d’identifier des indices explicatifs des refus de participation des équipes-écoles de la CS-07. Prendre le temps de réfléchir sur les refus de participation apparaît pertinent, surtout s’il est collectif. Que s’est-il passé avec la première école de la CS-07? Tout comme les équipes-écoles de la CS-02 et de la CS-10, elle a été caractérisée par un bon climat de collaboration. La direction de l’école intéressée par le projet de recherche nous a informée que le comité consultatif, formé d’une enseignante ou enseignant par équipe-degré, qui se rapporte à la formation des groupes-classes pour une année scolaire, a refusé que le projet soit présenté à toute l’équipe-école. Les raisons évoquées sont en lien avec une période de surcharge de travail et notre incapacité de les libérer pour le temps de l’entretien. Par la suite, en concertation avec la direction d’école, le projet de recherche a été présenté à chaque équipe-degré lors d’une rencontre mensuelle prévue à l’horaire sur l’heure du dîner. Malgré l’appréciation de la présentation de la recension des écrits, les sept équipes-degrés de cette grande école ont refusé de participer, déplorant le manque d’écoute de la direction et le fait que leurs rencontres en équipe-degré soient davantage contrôlées. Le personnel enseignant s’est positionné solidairement sur une dimension importante pour lui. Dans cette situation, en conformité avec l’approche centrée sur le DPA-PC, un exercice de rééquilibrage de pouvoirs entre le corps enseignant et la direction d’école ainsi qu’avec la principale chercheuse.

L’analyse du corpus de données montre que les prises de conscience des ETG répertoriées dans les entretiens individuels, concernant la liberté de parole et le besoin de temps de qualité pour la réflexivité et l’intersubjectivité dans la collaboration en équipe-cycle, portent principalement sur des conditions personnelles. Mais qu’en est-il de la conscientisation à atteindre dans l’interaction entre les conditions personnelles et les conditions structurelles? Le système éducatif tend à rendre les « personnes » responsables des erreurs et des échecs qu’elles rencontrent, peut-être encore davantage dans le contexte du nouveau management public centré sur les résultats, la compétitivité (Vinatier & Morrissette, 2015). À l’instar de Gergen et Gergen (2006), le pouvoir d’une organisation réside davantage dans la qualité des relations que dans le pouvoir des dirigeants quand il s’agit de favoriser des conscientisations vers les transformations souhaitées. Autrement dit, lorsque les dirigeants de proximité sont attentifs à la qualité de leurs relations avec les ETG et qu’ils ont les moyens de créer des conditions favorables aux prescriptions qui ont du sens pour les ETG, la mobilisation des équipes pour des changements apparaît davantage accessible.

Conclusion

Globalement, pour la transformation de nos pratiques en éducation dans un contexte de mutations sociétales, trois types d’acteurs sont interpellés : les chercheurs, les décideurs et les acteurs de terrain. À l’exemple de De Ketele (2020), le pouvoir est la capacité d’action dans nos relations avec autrui. Il semble que les chercheurs ont un défi particulier à relever afin qu’ils puissent être acceptés plus facilement sur le terrain des pratiques enseignantes. Il apparaît incontestable, en reconnaissance de l’autonomie des ETG et des conditions structurelles difficiles de réalisation de leur tâche, et peut-être aussi selon le type de relation que les chercheurs ont entretenu historiquement avec les enseignantes, enseignants, que les chercheurs ne peuvent pas entrer dans les écoles avec l’intention de transformer leurs pratiques ni celles des directions d’école.

Il serait judicieux, avec l’acceptation des protagonistes, qu’il y ait une suite au projet de recherche sur la collaboration au sein d’équipes-cycles afin de conscientiser leur pouvoir d’agir collectif. La collaboration en équipe-cycle offre une plus grande liberté d’expression que les rencontres en équipe-école et permet la prise en compte des préoccupations différentes d’un cycle à l’autre. Selon l’approche centrée sur le DPA-PC, il est nécessaire de définir le problème de manière à ce qu’il soit possible d’agir collectivement et que chaque membre de l’équipe adhère aux orientations choisies. De meilleures conditions structurelles s’avèrent nécessaires pour permettre des temps de rencontre de qualité pour réaliser cette collaboration en équipe-cycle, en incluant ou non des chercheurs.

Il semble que réussir à ce que plusieurs membres d’équipes-écoles ou d’équipes-cycles au primaire s’engagent collectivement dans un projet de recherche collaboratif demeure un défi de taille. Il importe cependant de reconnaître la valeur des entretiens individuels comme il importe de soigner les différentes étapes de la démarche d’échantillonnage, non seulement pour obtenir des données de qualité, mais aussi pour que la participation soit constructive, et surtout qu’elle ne nuise pas aux répondants, ni à la nécessité de la recherche dans le monde de l’éducation. Une démarche méthodologique ascendante d’échantillonnage contribue à diminuer l’aspect hiérarchique dans les organisations, comme elle contribue également à diminuer la position haute des chercheurs. Ainsi, nous favorisons le partage de savoirs expérientiels et de savoirs théoriques tout en reconnaissant à chacun et collectivement notre propre pouvoir d’agir.