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Parmi l’ensemble des ouvrages récents consacrés aux coopératives, le livre de Pierre Liret vise à identifier les atouts et limites de l’organisation coopérative – en général ainsi que dans ses différents champs d’activité (agriculture, commerce, logement, consommation, banque, culture, bâtiment, industrie, formation, autopartage) – afin qu’elle soit mieux connue et reconnue.

Des sept principes coopératifs affirmés par l’Alliance coopérative internationale, l’auteur retient surtout l’autonomie et l’indépendance économiques des membres garanties par le groupement coopératif grâce au principe de double qualité et grâce à la mutualisation de moyens. Il insiste sur le fait que, en dehors des créations militantes, la plupart des coopératives visent d’abord à satisfaire l’intérêt individuel des membres. En effet, ce mode de regroupement, en conduisant ses membres à développer des liens humains, aboutit à construire un intérêt collectif ce qui, selon lui, interdit de réduire la coopération à l’expression d’un « égoïsme collectif ».

Exemples emblématiques de coopératives

Les exemples sont choisis en Alsace qui « fait partie des régions au juste milieu » en ce qui concerne la tradition coopérative avec quelques exemples emblématiques, un droit local des associations et une proximité avec l’Allemagne dont le modèle entrepreneurial est instructif. Ces exemples sont organisés en deux parties : l’une couvre les coopératives d’entrepreneurs individuels et d’usagers. L’autre est consacrée aux sociétés « coopératives et participatives » (Scop, CAE et Scic) dans lesquelles les salariés peuvent être membres, que l’auteur connaît particulièrement du fait de ses responsabilités à la Confédération générale des Scop. En effet, compte tenu de l’importance du chômage, l’ouvrage valorise les coopératives qui cherchent à défendre l’emploi (par transformation d’association, transmission ou reprise d’entreprise) ou à inventer et structurer de nouveaux statuts ou modalités de travail (pour la création d’activité, l’insertion des demandeurs d’emploi ou l’intégration des handicapés) dans des « formes hybrides d’entreprises », même s’il reconnaît que ces coopératives restent marginales par rapport aux besoins.

Comme en Allemagne, les rapports entre coopératives et économie sociale et solidaire ne paraissent pas évidents : l’auteur oppose le service à la collectivité et le service aux membres, en distinguant les associations « à but non lucratif » d’utilité sociale et les coopératives caractérisées par une gouvernance démocratique au service d’une économie « réelle » non spéculative alors que nombre de ces exemples (notamment en termes de Scop et Scic) montrent que la coopération peut également s’affirmer comme étant au service de l’intérêt général (mission qu’il attribue aux entrepreneurs sociaux).

Mise en lumière des tensions internes à ces modèles d’organisation

Long pour un ouvrage de vulgarisation, confus quand il saute de points particuliers à des questions générales, le livre combine une variété d’approches entre la monographie (Cuma de la Rosée), des présentations sectorielles générales (lait, pharmacie, logement-habitat participatif, consommation, épargne-crédit) ouvrant sur une illustration concrète à partir de données et de témoignages de responsables (Alsace Lait, Giphra, Habitat de l’ILL, Coop Alsace, Crédit mutuel) et des approches croisant le statut et l’activité en spécifiant le contexte du marché du travail local (à partir des exemples suivants : CAE Artenréel/Cooproduction, SCOProbat, Fonderie de la Bruche, transmission de l’entreprise Mader en Scop, transformation de l’association RE.Form.E en Scop, Scic Soli’vers, transformation de l’association Auto’trement en Scic Citiz).

Sans entrer dans les débats publics dénonçant certaines pratiques, l’auteur ne s’interdit pas de faire référence à tel ou tel « scandale » ; il esquisse des contradictions entre coopératives elles-mêmes (autour de la question de la course au prix le plus bas dans les coopératives de commerçants, la concurrence entre coopératives de commerçants et coopératives de consommateurs) ; il analyse la chute des grandes coopératives de consommateurs pendant les trente dernières années chaotiques de Coop Alsace (1985-2015), ainsi que l’internationalisation des banques coopératives à travers l’exemple du Crédit mutuel ; il soulève la difficulté, dans les coopératives de travail, de conjuguer le sociétariat avec les statuts d’intermittence, d’insertion, d’intégration des handicapés. Mais, hormis dans les cas problématiques, il ne dit presque rien sur les questions de gouvernance, d’animation et de régulation internes aux coopératives, sur les effets de la « professionnalisation du sociétariat » sur les choix de solidarité et de sélection des membres, qui peuvent aussi expliquer les succès et les échecs du modèle coopératif.

La comparaison des cas étudiés, au-delà de leur réelle pertinence, soulève surtout la question de la taille critique dans une économie marchande mondialisée et celle de la taille humaine favorable à une démocratie active. Mais leur intérêt principal réside dans les stratégies économiques adoptées dans un contexte de plus en plus concurrentiel, avec des contraintes techniques et institutionnelles croissantes : stratégie de durabilité, de concentration, de développement, de diversification, d’alliance et parfois simplement de survie. Ces choix stratégiques redessinent le cadre coopératif qui les produit, dans une tension entre croissance et proximité, entre utilitarisme et identité, entre sécurité et adaptation, entre délégation et pouvoir de contrôle.