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L’économie sociale

Un sommet européen pour l’ESS

De nombreux pays européens font la preuve de leur intérêt pour l’ESS, notamment par leur activité législative : la France, la Slovénie et l’Espagne ont récemment adopté une loi-cadre dans ce secteur. Au Luxembourg et en Italie, des projets de loi ont été déposés et devraient être adoptés dans les mois à venir. Au niveau des instances communautaires en revanche, il semble que la machine politique soit quelque peu grippée. La Croix s’en est fait l’écho en interrogeant des observateurs qui témoignent du désintérêt de la commission Juncker pour l’ESS : « Le problème est politique. »

Les initiatives pour porter cette question à l’agenda de la commission existent pourtant. Ainsi, le 4 décembre dernier, six pays ont délégué leur ministre (dont Martine Pinville pour la France) pour deux jours de conférence à l’issue de laquelle une déclaration commune a été signée. Par ailleurs, comme le rapporte toujours La Croix : « À Luxembourg, beaucoup comptaient notamment sur le travail d’un groupe d’experts, le Geces [Groupe d’experts de la Commission sur l’entrepreneuriat social], qui doit, l’an prochain, remettre à la Commission des propositions pour l’amélioration de la visibilité de ces entreprises, moderniser l’environnement réglementaire et faciliter leur accès aux financements. Mais les six ministres ont aussi décidé de créer un groupe de travail informel pour se voir régulièrement et faire avancer leurs dossiers. La prochaine présidence de l’Union – les Pays-Bas – devrait être peu sensibilisée à ces sujets, mais la suivante – la Slovaquie – l’est davantage. » « Pour ne pas laisser retomber l’élan, a annoncé Martine Pinville, nous allons organiser un nouveau sommet en France, en juin. » Rendez-vous est pris.

Deux conseils supérieurs

Le nouveau Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (Csess) est en état de marche. Renouvelé par la loi de juillet 2014 et un décret du 25 juin 2015, il a été inauguré par Martine Pinville, secrétaire d’Etat à l’ESS, le 8 octobre dernier. A cette occasion, celle-ci a rappelé les missions du Conseil, qui sont d’« assurer le dialogue entre les acteurs de l’ESS et les pouvoirs publics nationaux et européens. Il devra également rendre un avis consultatif sur les textes législatifs et réglementaires ayant un impact sur l’ESS. Par ailleurs, le Csess doit veiller à l’égalité femmes-hommes et promouvoir ce secteur d’activité auprès des jeunes, qui sont porteurs de nouveaux modèles ». Les 71 membres (paritaires) des différentes familles de l’ESS, nommés pour trois ans, ont d’ores et déjà établi un calendrier de travail. Un guide des bonnes pratiques est attendu pour l’été 2016.

Presque simultanément, a été mis sur pied le Conseil supérieur de la coopération (CSC), aux missions semblables, mais appliquées au secteur coopératif : organe consultatif, il aura notamment un rôle à jouer dans le cadre de la révision coopérative.

L’administration de l’ESS déplacée à Bercy

Depuis le 1er janvier 2016, l’administration de l’Economie sociale et solidaire est passée du ministère des Affaires sociales à celui de l’Economie. Jusqu’à présent rattachée à la direction générale de la Cohésion sociale, l’ESS aura désormais un délégué à la direction générale du Trésor. C’est Odile Kirchner, actuelle secrétaire générale du conseil national de l’Industrie, qui a été nommée à ce poste. Ce transfert intervient dans le cadre du « choc de simplification » dans la haute administration, et découle de l’évolution du secteur impulsée par la loi de juillet 2014 sur l’ESS.

Panorama 2015 de l’ESS

Le 27 octobre dernier, à l’occasion du lancement du mois de l’ESS, le Conseil national des Cress (CNCres) a présenté sa nouvelle édition du panorama de l’ESS [1]. Comme le relève le site Localtis, « Le CNCres met en avant un “ancrage territorial fort” de ce mode d’entreprendre, repérant 189 communes où l’ESS représente plus de 50 % des emplois locaux et 1 088 communes où l’ESS représente plus de 25 % des emplois. […] Ce panorama vise aussi à donner une image plus concrète du grand ensemble de l’ESS, en présentant ses principaux secteurs d’activité : l’action sociale (crèches, aide à domicile, aide par le travail…), le sport et les loisirs (et notamment “la grande majorité des clubs sportifs ”), les activités financières et d’assurances (mutuelles et banques coopératives en particulier), les arts et spectacles, l’enseignement. » Si les constats du CNCres sont dans l’ensemble encourageants, quelques points sont moins positifs. Certains secteurs connaissent des difficultés, et l’emploi y est plus précaire qu’ailleurs : on compte dans l’ESS 48 % seulement de CDI à temps complet contre 68 % dans le reste du secteur privé. Le réseau des Cress est cependant optimiste pour l’avenir, saluant les capacités d’innovation des entreprises de l’ESS, leur ancrage territorial toujours plus fort, et les nouvelles perspectives de financement du secteur.

Panoramas de l’ESS en régions

L’association Recherches et Solidarités, en partenariat avec l’association des Régions de France et la Caisse des dépôts, propose une compilation des données les plus récentes sur l’économie sociale et solidaire à l’échelle des 13 régions [2], selon le découpage en vigueur au 1er janvier 2016. Ces données concernent tout le territoire, outre-mer compris, à l’exception de Mayotte, et recensent ainsi 200 000 établissements et 2,4 millions d’employés.

Ce nouveau découpage régional révèle des disparités, notamment dans les chiffres de l’emploi. Si l’ESS représente 13 % de l’emploi en moyenne pour tout le pays, ce chiffre est de 16 % en Bretagne et à la Réunion et 15 % en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, à la Guadeloupe et à la Martinique, mais il tombe à 9 % en Île-de-France. Cette dernière région est cependant bel et bien la plus forte pourvoyeuse d’emploi dans l’ESS, avec près de 400 000 salariés.

Le poids relatif de l’emploi au sein des quatre familles de l’ESS donne sans surprise l’avantage aux associations avec 77 % de l’emploi au niveau national, pour 13 % au sein des coopératives, 7 % au sein des mutuelles et 3 % aux fondations. Mais la part de l’emploi associatif est supérieure à 80 % en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, en Corse, en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et dans les DOM. Alors qu’en Bretagne, dans les Pays-de-la-Loire et en Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin, c’est le poids relatif des coopératives qui dépasse la moyenne nationale (avec respectivement 21 %, 18 % et 17 %).

Enfin, concernant les évolutions de l’emploi entre 2010 et 2014, les chiffres nationaux (1,4 % de croissance – contre 0,3 % pour le secteur privé – dont 0,7 % pour les associations, 18,2 % pour les fondations, 6,5 % pour les mutuelles et -0,5 % pour les coopératives) masquent là aussi de grandes disparités régionales. L’emploi a ainsi augmenté de 3,2 % en Auvergne-Rhône-Alpes (avec notamment un bond spectaculaire de 46,9 % pour les fondations) alors qu’il a baissé de 1,2 % en Nord-Pas-de-Calais-Picardie (les coopératives étant particulièrement touchées avec une baisse de 6,5 %).

Déclaration finale des RMB

Du 25 au 28 novembre dernier, s’est tenu à Chamonix le Forum international des dirigeants de l’ESS, organisé par les Rencontres du Mont-Blanc. Le forum a réuni trois cent quatre-vingts personnes venues de quarante pays qui ont délibéré autour de quatre chantiers :

  • Financements des villes et des territoires, souveraineté alimentaire, changement climatique (à titre d’exemple des sujets abordés : adapter les normes législatives de la finance aux besoins de l’ESS ; soutenir des alternatives telles que les monnaies locales, développer et promouvoir le système des AMAP [Association pour le maintien d’une agriculture paysanne] et des SCIC [Société coopérative d’intérêt collectif] ou proposer une politique d’achats publics adaptée à l’ESS).

  • L’ESS pour l’inclusion sociale, la justice sociale et environnementale et les politiques de développement équitable (se faire mieux connaître et comprendre par le grand public ; structurer la gouvernance du modèle).

  • Gouvernance et transformations des modes entrepreneuriaux : culture, innovations techniques et sociales, numérique, politiques publiques (usage vertueux des nouvelles technologies et d’internet ; appropriation des thématiques de l’économie du partage ; faire travailler ensemble collectivités locales, universitaires, start-up, les partenariats privé/public).

  • Le Groupe pilote international de l’économie sociale et solidaire.

Dans la déclaration finale, cinq idées ont été mises en avant :

  • la création d’un guide rassemblant 1 000 initiatives participatives pour inspirer des bonnes pratiques ;

  • la tenue d’une conférence internationale de financement de l’ESS ;

  • la création d’un guide international de législation de l’ESS ;

  • la création d’indicateurs propres à cette économie et capables de mesurer sa force et sa pertinence pour le développement et le bien-être humains ;

  • créer des Pôles de développement territoriaux.

La coopération

Une nouvelle présidente pour l’ACI

Le 13 novembre dernier, l’alliance coopérative internationale (ACI) a tenu son assemblée générale 2015 à Antalya en Turquie, au cours de laquelle a eu lieu l’élection de Mme Monique F. Leroux en tant que présidente pour la période 2015-2017.

Comme le rappelle l’ACI dans son communiqué, « Mme Leroux est présidente du conseil d’administration, ainsi que présidente et chef de la direction du Mouvement des caisses Desjardins, premier groupe financier coopératif au Canada et cinquième plus grande institution financière du monde ». Son implication dans le mouvement coopératif canadien et mondial est déjà riche de nombreux accomplissements : « En tant que présidente du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM), Mme Leroux a lancé un plan ambitieux afin que le mouvement coopératif fournisse 20 000 emplois supplémentaires d’ici 2020. Elle a également participé à la création de CMC (Canada), une vaste association nationale de coopératives. Membre très active du conseil d’administration de l’Alliance, Mme Leroux dirige le Comité de comptabilité internationale et d’affaires réglementaires (Iarac). Elle est par ailleurs membre du comité exécutif du Groupement européen des banques coopératives (GEBC) et de la Confédération internationale des banques populaires (CIBP), ainsi que fondatrice et présidente du conseil d’administration du Sommet international des coopératives du Québec. »

Les coopératives dans le secteur du soin

L’Organisation internationale du travail (OIT) travaille à une cartographie mondiale des soins dispensés par les coopératives. Sur le site de l’organisation (www.ilo.org), Lenore Matthew présente le projet : « Les objectifs de cette cartographie mondiale consistent à identifier de quelle manière les coopératives fournissent des services de soins à travers le monde, et à comprendre le rôle et le potentiel des coopératives en tant qu’employeurs dans l’économie des soins. Nous avons mené des entretiens auprès de plus de 210 parties prenantes et experts issus du mouvement coopératif et du secteur des soins, et constaté que les coopératives s’engagent de plus en plus dans la fourniture de soins dans le monde entier, et ce par des moyens novateurs aux plans tant social qu’organisationnel. » Parmi les raisons qui expliquent l’investissement de ce secteur par les coopératives, L. Matthew cite l’austérité et le retrait de l’Etat, l’augmentation du coût des soins dans le secteur privé, le vieillissement des populations, etc. Interrogée sur la valeur ajoutée des coopératives, elle évoque des avantages aussi bien du côté des travailleurs que des bénéficiaires. Elle rappelle que dans le secteur de l’aide à la personne, le personnel est massivement féminin et souvent issu des mouvements migratoires. Les conditions de travail sont généralement précaires et le travail lui-même n’est pas reconnu. Les coopératives offrent de meilleures conditions et renforcent la capacité de négociation des travailleuses. Côté bénéficiaires, elles aident à garantir le professionnalisme des intervenants.

Les associations

Lancement des fabriques d’initiatives citoyennes

Le 2 novembre dernier, Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a désigné les 23 premières fabriques d’initiatives citoyennes.

D’après le communiqué du ministère, « une fabrique d’initiatives citoyennes a vocation à mobiliser l’ensemble des leviers et des ressources du territoire pour donner un nouveau souffle à un lieu d’accueil du public, comme une MJC, un centre social ou une maison de quartier, et lui permettre de devenir un acteur au coeur du développement du lien social et de la citoyenneté.

S’appuyant sur l’éducation populaire, la fabrique intervient sur :

  • le renforcement du lien social et de la citoyenneté de proximité ;

  • le dialogue intergénérationnel et interculturel ;

  • l’engagement bénévole, la prise d’initiative et l’auto-organisation des citoyens ;

  • la créativité et l’innovation sociale.

Le soutien apporté par l’Etat à chaque fabrique comprend l’attribution d’une subvention d’amorçage dégressive sur trois ans (60 000 € en tout : 30 000 € la 1re année, 20 000 € la 2e et 10 000 € la 3e) ainsi qu’un soutien à l’emploi d’un professionnel qualifié et à la formation des bénévoles. »

Cette action vise particulièrement les jeunes de zones urbaines ou rurales en difficulté. Un autre objectif de ces fabriques est de mettre en réseau les organisations et les professionnels. Le but affiché est de faire émerger une centaine de fabriques à l’horizon 2017.

Marie Graingeot

Les mutuelles

L’évolution chiffrée de la Mutualité française

Le site internet rénové de la Mutualité française offre un panorama chiffré de l’activité du mouvement. La comparaison de ces données (arrondies) avec celles du milieu des années 1990 est assez éloquente quant à l’évolution du secteur ces deux dernières décennies.

On observe tout d’abord que le mouvement mutualiste est toujours le premier acteur en complémentaire-santé. La Mutualité française annonce « 54 % de parts de marché » sur cette activité en 2015, contre 55 % selon une étude menée par le Centre de recherche, d’études et de documentation en économie de la santé (Credes) en 1996. Le secteur mutualiste résiste donc bien à la pression concurrentielle du secteur lucratif et à celle des institutions de prévoyance.

Cependant, les contraintes réglementaires européennes et nationales ont entraîné une recomposition du mouvement qui ne semble pas encore près de se stabiliser :

  • En 2015, 426 mutuelles-santé protègent environ 38 millions de personnes. Elles étaient près de 6 000 à la fin des années 1990 pour quelque 30 millions d’adhérents.

  • L’activité complémentaire santé se répartit entre 70 % pour les contrats individuels et 30 % pour les contrats collectifs. Les contrats collectifs ont augmenté de plus de 5 % en trois ans, ce qui peut se lire comme un effet anticipé de l’Accord national interprofessionnel (ANI) qui entre en vigueur en janvier 2016.

La Mutualité française est à la tête d’un réseau comprenant quelque 2 500 établissements et services de soins et d’accompagnement mutualiste (SSAM), accessibles à tous les assurés sociaux et pas seulement aux adhérents mutualistes. Dans le domaine sanitaire, la progression de l’activité mutualiste est notable en ce qui concerne les centres d’optique (dont le nombre a doublé en vingt ans) et d’audition. Le réseau hospitalier mutualiste est le premier des établissements à but non lucratif en France. En revanche, il n’y a plus que 54 pharmacies mutualistes, contre 75 en 1994.

Plus significatif encore est l’essor des activités sociales et des services à la personne, notamment en direction des personnes âgées et de la petite enfance. La Mutualité s’est ainsi résolument engagée dans la prise en charge de la dépendance, pour laquelle elle est devenue le premier opérateur, avec 3,5 millions de personnes couvertes.

Un agenda chargé pour les mutuelles en 2016

L’extension réglementaire de la complémentaire santé est l’un des grands chantiers de la protection sociale qui devrait mobiliser, malgré elles, les organisations mutualistes en 2016.

D’abord, l’accord national interprofessionnel (ANI), fondé par la loi du 14 juin 2013, est entré en vigueur le 1er janvier. Rappelons qu’il oblige les entreprises du secteur privé à financer en partie la couverture santé de leurs membres. Le monde mutualiste s’est techniquement préparé à cette perspective, qui implique une adhésion collective et obligatoire… Un terrain jusqu’alors modérément fréquenté par les mutuelles. Par ailleurs, celles-ci suivent d’un oeil vigilant l’élaboration du dispositif de la généralisation de la complémentaire-santé aux plus de 65 ans, votée par les députés en octobre 2015. Opposée au principe d’un appel d’offres pour sélectionner les garanties, tel qu’il avait été présenté par Marisol Touraine à l’automne, la Mutualité française serait plus favorable au processus de labellisation, qui serait finalement l’option retenue. Affaires à suivre…

Ce début d’année est également marqué par la mise en application de la directive européenne Solvabilité 2. Une échéance que les mutuelles ont anticipée de longue date, tant dans leur fonctionnement interne qu’en opérant des fusions et regroupements. L’entrée en vigueur de Solvabilité 2 devrait entraîner des modifications dans la gouvernance mutualiste, une exigence accrue en matière de transparence, une meilleure maîtrise de la gestion des risques financiers.

La mutualité au Conseil économique, social et environnemental (Cese)

En tant qu’organisation représentant la société civile, la Mutualité compte désormais trois membres parmi les 233 conseillers siégeant au Cese, qui vient d’entamer la mandature 2015-2020. Etienne Caniard, président de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF), a été élu pour un premier mandat, tandis que Thierry Beaudet, président du groupe MGEN, et Pascale Vion, secrétaire générale d’ADREA mutuelle, ont vu leur mandat renouvelé. Tous deux sont vice-présidents de la FNMF.

Patricia Toucas-Truyen